8 novembre 1994 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la démocratisation de l'Afrique, la proposition de créer une force d'intervention interafricaine pour la prévention des conflits et l'organisation du développement et de la croissance du continent, Biarritz le 8 novembre 1994.

Messieurs les Présidents,
- Mesdames et messieurs,
- A l'ouverture de cette XVIIIème conférence des chefs d'Etat et d'Afrique, je veux vous dire la joie qui est la mienne de vous retrouver ici à Biarritz. Je remercie particulièrement le Président Bongo et je n'oublie pas ses derniers propos pour la présidence qu'il a exercée depuis le Sommet de Libreville. Lui-même a salué à cette occasion la mémoire du Président Houphouët-Boigny qui a tant donné à son pays et à l'Afrique. J'ajouterai celle de Pierre Bérégovoy qui m'avait représenté lors de la rencontre de Libreville. Enfin, je suis très heureux d'accueillir à nos assises auxquelles leurs pays participent pour la première fois, le Président de l'Erythrée, de l'Ethiopie, du Zimbabwe, ainsi que le Vice-Président de l'Afrique du Sud.
- Eh bien, nous voici réunis, avec trente-cinq représentants de l'Afrique, pour traiter de quelques grands problèmes du monde et du continent, et je vois dans votre présence, à vous tous, le témoignage de la solidité des liens qui nous unissent. Nous ne sommes pas là pour une célébration ou simplement un rituel et je vous proposerai durant ces deux jours d'examiner quelques sujets majeurs auxquels nous sommes confrontés, chacun dans nos pays, et les réponses que nous pouvons collectivement apporter à l'Afrique en général.
- Posons trois questions qui exprimeront bien ce que je veux dire.
- La première est celle-ci : l'Afrique a droit à la justice et à la liberté. Comment y bâtir et comment y consolider la démocratie et l'Etat de droit ? Voilà une question fondamentale. Nous l'avons traitée ensemble à diverses reprises, particulièrement à La Baule, mais la réponse, il nous appartient de l'apporter chaque jour.
- La deuxième est celle-ci : l'Afrique a droit à la paix et à la sécurité. Comment y prévenir les conflits, comment arrêter les guerres et les violences ? Bref, comment changer le cours des choses ? Une troisième question est celle-ci : l'Afrique a droit au mieux-être. Comment y organiser d'une façon continue le développement et la croissance car, c'est une évidence maintes fois répétée, trop souvent ignorée, aucun de ces trois termes ne va sans les autres.
- J'entends beaucoup d'observations et de critiques. On ne fait jamais aussi bien qu'il faudrait, j'en conviens. On porte en soi un idéal qu'il est difficile de mettre en oeuvre, l'essentiel étant cependant de poursuivre sa route sans perdre sa direction. Les passions des hommes, les difficultés de l'histoire, les antagonismes, l'effet des conflits extérieurs pèsent sur le cours des choses.\
Rappelez-vous, il y a quatre ans, à La Baule, j'avais mis l'accent sur la nécessité de lier intimement démocratie et développement, et le terrain parcouru depuis lors est considérable. Si l'on fait le compte, pour ne parler que de l'Afrique francophone, sur les vingt-deux pays représentés à La Baule, tous ont instauré le multipartisme. Je l'avais connu au point de départ et bien auparavant, car j'ai commencé de parcourir l'Afrique, certains d'entre vous s'en souviennent, dès 1946-1947 et j'y allais chaque année. Le multipartisme était ignoré, sauf dans deux ou trois pays, dont la tradition était forte. Dix-sept d'entre vous ont adopté de nouvelles constitutions. En quatre ans, il s'est tenu une cinquantaine d'élections générales, référendum, élections législatives, élections présidentielles. La France a apporté son concours £ elle n'oublie pas que les acquis doivent être consolidés £ elle n'imagine pas que l'ensemble des pays francophones d'Afrique se comportent soudain comme des disciplines fidèles de Montesquieu. Nous avons nous-mêmes quelque peine à y parvenir.
- Voyons aujourd'hui comment progresser. Et je reprends mes questions. Par exemple, comment concilier dans une démocratie en voie de formation la règle de la majorité avec la garantie des droits de la minorité ? Certains de nos pays occidentaux sont habitués à ce débat. L'opposition jouit des mêmes droits que la majorité. Cependant, la majorité a le pouvoir de gouverner. Comment ne jamais dépasser la ligne jaune, gouverner sans opprimer, et d'autre part, gouverner en veillant à ce que les institutions soient toujours respectées ? Il serait très mauvais qu'un partage des dépouilles s'instaurât au détriment des minorités, surtout lorsque ces minorités ne sont pas des minorités politiques, mais souvent des minorités ethniques. Comment consolider l'Etat de droit et ses corollaires, l'indépendance de la magistrature, la liberté de la presse, la lutte contre la corruption. Cet effort est entrepris dans de nombreux pays, on sait que la route est longue et que les obstacles sont nombreux. Il faut donc continuer de se poser la question : comment enraciner la démocratie locale, sinon grâce à des collectivités territoriales élues, des libertés municipales garanties, une décentralisation effective ? Les premiers progrès accomplis seraient vite remis en cause, si le mouvement vers la démocratie dans vos pays s'arrêtait en chemin au point où elle en est.\
Je le répète : sans sécurité, il n'y a ni paix ni développement possibles. Du Libéria au Rwanda, c'est la même logique qui prévaut, la logique de guerre, qui fait le malheur de l'Afrique depuis trop d'années. Sur l'ensemble du continent, il existe une douzaine de foyers de tensions ou d'affrontements endémiques et de ce fait, 32000 casques bleus, observateurs et forces de maintien de la paix, sont déployés par la communauté internationale sur le sol africain. Après les luttes pour l'indépendance, puis les conflits avivés et entretenus par les rivalités de la guerre froide, force est de constater que la plupart des conflits éclatent à l'intérieur des Etats, qu'ils soient ou non encouragés par un voisin, ce qui arrive souvent. Ce sont des guerres civiles larvées, ouvertes souvent, dont les causes sont multiples. Nul n'envisage, à juste titre, de remettre en cause par exemple le tracé des premières frontières héritées de la colonisation. C'était une décision sage de la société internationale que de dire : "on en reste là". Sans quoi il aurait fallu redécouper la plupart des Etats existants, formés à l'école coloniale. Aucun d'entre vous ne saurait attendre passivement que la manne de la croissance vînt apaiser les rancoeurs et les frustrations. Il vous faut donc enrayer cet engrenage.
- L'action humanitaire, quels que soient la générosité qui l'inspire et le dévouement qu'elle manifeste, ne peut tout résoudre. Pouvez-vous, pouvons-nous prévenir les causes des conflits ? D'abord, une évidence : la démocratie, le respect de la majorité et la reconnaissance des droits des minorités restent la meilleure prévention contre la violence. Je me souviens avoir tenu ce discours, au nom de mon pays, au début des guerres internes dans l'ancienne Yougoslavie. Si on avait commencé par reconnaître les droits des minorités, par les définir donc, - et le cas échéant les frontières qui n'avaient pas de valeur internationale à l'époque -, peut-être aurions-nous pu éviter bien des conséquences dramatiques ?
- Permettez-moi une autre remarque : des forces armées toujours plus nombreuses et coûteuses ne constituent pas la meilleure réponse aux problèmes de sécurité auxquels vous êtes confrontés. Moins de milices ou de commandos-parachutistes £ des forces de gendarmerie ou de police respectueuses des principes républicains rendraient sans doute à la stabilité de vos Etats de meilleurs services. Face aux dangers de guerre, reste la diplomatie préventive. On en connaît les limites : bons offices, conciliations, médiations, tables rondes, arbitrage international. L'éventail des formules est large et largement éprouvé par ceux qui en ont la charge, notamment monsieur le ministre des affaires étrangères français qui doit passer le plus clair de son temps à concilier, à médiatiser, à discuter, à débattre, à arbitrer, sans toujours percevoir quelle récompense se trouve au bout de tant de temps perdu. Enfin, chaque fois que la France est sollicitée, elle s'y emploie avec discrétion dans le respect de la souveraineté de chacun. Je considère comme un honneur pour mon pays - quel que soit le gouvernement, ce point de vue a montré la même disponibilité - que la France se soit toujours trouvée au premier rang des nations disponibles.\
Depuis le fleuve Sénégal, le Zaïre, en passant par le fleuve Niger, vous le savez et vous avez pu le constater, tantôt seuls, tantôt avec d'autres partenaires européens ou africains, nous avons, selon vos suggestions, recouru à toutes formules. Dans la plupart des cas, le succès a été au rendez-vous et même si j'évoque le drame du Rwanda, nous étions près d'une solution. Après les négociations d'Arusha, commencées en juillet 1992, conclues en août 1993, les conditions de la mort du Président Habyarimana, la guerre civile et les génocides qui s'en sont suivis, ont interrompu un processus de rétablissement de la paix qui était approuvé par l'ensemble des parties. Je dispose toujours dans nos archives des correspondances et des lettres de remerciements adressées à la France par les deux parties en présence, et notamment par les responsables actuels du Rwanda.
- Mais la France ne peut pas être, à elle seule, chargée d'éteindre les incendies. Il faut donc donner une chance à la sécurité collective.
- Nous nous réjouissons, par exemple, que la décision prise au Sommet de l'OUA à Dakar, en 1992, de créer un mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits, ait été formellement adopté au Sommet du Caire, en juillet 1993. Ce mécanisme a déjà joué, au Congo ou ailleurs, un rôle appréciable. Mais ce mécanisme est dépourvu de tout moyen matériel ou logistique. Que ces exemples récents nous inspirent et nous permettent d'aller plus loin !\
De même, réfléchissons à la possibilité d'améliorer l'efficacité de l'Organisation des Nations unies en Afrique ! L'action patiente du secrétaire général, M. Boutros Boutros-Ghali et de ses représentants au Burundi, en Angola ou au Mozambique a fait ses preuves. Mais lorsqu'il s'agit d'interventions de maintien de la paix qui nécessitent des troupes - et je le répète - de la logistique, les Nations unies dépendent entièrement de la bonne volonté des pays contributeurs £ ce qui fut le cas au Rwanda.
- Après avoir décidé le retrait de la MINUAR, dès les premiers massacres, les Nations unies adoptèrent, le 17 mai dernier, la résolution 918 autorisant l'envoi d'un nouveau contingent à Kigali. Un mois après ce vote, aucun soldat n'était arrivé sur place et les premières troupes n'étaient annoncées que pour la mi-août. C'est à ce moment-là que nous avons pris la décision de procéder à l'opération Turquoise. On voulait nous retenir au point de départ et ensuite on voulait nous garder. Le mandat de la mission Turquoise, approuvé par le Conseil de Sécurité, était de sauver des hommes, des femmes, des enfants, jusqu'à ce que la Force des Nations unies arrivât au Rwanda. J'ajoute que de nombreux pays africains : Sénégal, Egypte, Mauritanie, Tchad, Congo, Togo, Guinée-Bissau ont participé avec la France à cette mission humanitaire. Je les en remercie.
- Plusieurs d'entre vous m'ont suggéré ensuite la formation d'une force interafricaine de paix qui pourrait être employée en urgence dans de telles situations, en attendant que le dispositif des Nations unies se mette en place. La France est prête à y apporter son concours, technique ou logistique. Mais c'est à vous, Africains, d'en définir les contours, les missions, les conditions d'emploi. Nous en discuterons de notre côté avec nos partenaires européens. Mais voyez la somme des interrogations ! Sous l'autorité de qui ? Il faut quand même un principe de droit. On songe aux Nations unies. D'autre part, il faut un commandement. Qui l'assumera ? D'autre part, il ne faut pas que cette mission soit confondue avec une sorte de Sainte Alliance que j'évoquais avec M. le Premier ministre ce matin. Au XIXème siècle, en Europe, elle n'était que la protection assurée des régimes en place. Il faut éviter toute une série de confusions qui discréditeraient une force de ce genre. Donc, j'en suis partisan £ la France vous aidera. Encore faut-il préciser très exactement le cadre de son action.
- En vérité, vous le savez, aucune police d'assurance internationale ne peut empêcher un peuple de s'autodétruire, et on ne peut pas demander non plus l'impossible à la communauté internationale, et encore moins à la France tant elle est seule, lorsque des chefs locaux décident délibérement de conduire une aventure à la pointe des baïonnettes ou de régler des comptes à coup de machettes. Après tout, c'est de leur propre pays qu'il s'agit. Cela n'excuse rien, et même aggrave, mais comment serions-nous juge ou arbitre ? Ce n'est pas tant à la communauté internationale que ces fauteurs de guerre doivent rendre des comptes, mais avant tout à leur peuple, à leurs propres enfants, et je crains dans certains cas le jugement de l'histoire.\
L'Afrique, on le sait, et c'était fort bien dit par le Président Bongo, est le plus fragile des continents. Il a été frappé de plein fouet par la crise mondiale. Dans certains de vos pays, le niveau de vie a baissé de 40 % en dix ans. La chute du cours des matières premières dans des pays sans autres ressources d'exportation, le poids écrasant de la dette, l'explosion démographique, la sécheresse, nous connaissons tous les causes de la stagnation. Ces causes sont réelles, même si elles ne doivent pas servir d'alibi à la mauvaise gestion, à la fuite des capitaux, ou à l'accaparement des richesses par une minorité. Mais ne nous trompons pas, certains voudraient que l'Afrique fût seule responsable de ses malheurs. Ainsi espèrent-ils se faire pardonner leur cécité ou leur égoïsme. Non, la responsabilité se partage : est-il acceptable qu'au cours de ces dernières années, les flux nets d'aide publique vers l'Afrique soient devenus négatifs, et que certains d'entre eux aient dû rembourser à leurs bailleurs de fonds des montants annuels supérieurs au volume d'aide qu'ils reçoivent ? Vos pays se seraient-ils subitement enrichis pour mériter un tel traitement ? C'est un sujet que j'ai souvent traité avec vous. La France est souvent intervenue à vos côtés. Des mécanismes de régulation internationaux ont été ébauchés ou mis en place depuis les années 70 mais on ne peut pas dire qu'ils aient vraiment fonctionné ou joué en faveur de l'Afrique. Echec des accords de produits, pourtant très prometteurs, traitement insuffisant de la dette, stagnation ou recul des flux d'aide. Le sort de l'économie africaine a été abandonné au seul marché, donc à la loi du plus fort. Vous, chefs d'Etat et de gouvernement, vous avez des devoirs envers vos peuples. Il vous faut tout mettre en oeuvre pour parvenir à l'autosuffisance alimentaire qui met à l'abri de bien des malheurs. Quant aux programmes d'éducation primaire et à la mise en oeuvre d'une politique de santé publique, ce sont des priorités à réaliser rapidement. Les programmes élaborés par la coopération française prévoient précisément de vous y aider.
- Vous savez bien, vous qui êtes là, que la France, plus que d'autres, et je le dis parce que c'est vrai, a pris sa part d'effort : depuis 1981, nous sommes passés de 0,36 % du PNB à 0,63 %, nous classant au premier rang des pays du G7. Notre aide au développement qui, je l'espère, approchera cette année des 0,7 %, retenu comme objectif, a augmenté de 48 % en valeur réelle. Nous occupons le premier rang mondial pour l'aide à l'Afrique, permettez-moi de le souligner : 3,4 fois plus que la Banque Mondiale, 2,2 fois plus que les Etats-Unis pour 1992. Pour la dette, nous avons procédé en 89, puis en 94, à l'annulation de nos créances publiques sur l'Afrique (27 milliards, puis 25 milliards de francs). Je ne dis pas cela pour compter, je ne fais pas l'épicier, je veux simplement que vous sachiez, lorsque des débats s'ouvrent et lorsque des promesses se font, où se trouvent vos amis et où ils se trouveront demain encore. Nos efforts auraient pu servir d'exemple aux autres pays créanciers. Certains ont suivi, pas tous.\
Ma conviction reste cependant que la situation de l'Afrique peut se redresser. D'abord parce que nous commençons à voir la fin de la récession des grandes économies industrielles. Les économistes nous laissent entrevoir pour l'année prochaine des chiffres de croissance pour le continent africain légèrement supérieurs à l'accroissement démographique. Acceptons-en l'augure. Mais franchement, l'Afrique, marginalisée dans le commerce mondial, réduite à la portion congrue dans la répartition des investissements privés (2 milliards de dollars en 1993, 3 % du montant global investi dans le monde) est-elle susceptible, par le seul jeu des mécanismes existants, de recueillir les bénéfices d'une éventuelle reprise mondiale ? A Madrid, exemple fâcheux, l'occasion se présentait de suivre les recommandations du directeur général du Fonds monétaire international, que nous soutenons depuis plusieurs années : une nouvelle allocation de droits de tirage spéciaux pour les pays de l'Europe de l'Est et les pays du tiers monde. Finalement l'égoïsme l'a emporté sur la solidarité. Cela a été décidé et cela n'a pas été jusqu'ici mis en oeuvre. Le groupe des pays en voie de développement a eu une réaction justifiée en réclamant son dû. Nous l'avons soutenu mais nous sommes encore obligés de continuer de débattre sur une question que nous pensions tranchée. On ne peut pas réserver les droits de tirages spéciaux aux pays riches, ce qui est d'ailleurs le sens profond de ce système, puisque certains pays apportent de l'or et doivent être récompensés en raison de leur richesse acquise au lendemain de la deuxième guerre mondiale. A ce prix-là, de quoi disposeront les pays plus récents, plus nouveaux et qui doivent affronter des responsabilités colossales ? Vous tous, qui avez dû bâtir l'indépendance de vos pays.
- J'espère que l'on retrouvera un esprit de solidarité lors des négociations prochaines sur le renouvellement de la Convention de Lomé. Nous y veillerons. Il nous faut au minimum maintenir en volume réel les montants décidés pour Lomé IV. Nous nous efforcerons de convaincre nos partenaires pour que cet objectif soit atteint. C'est un des points centraux de la politique de la France.
- Après tout, c'est une affaire d'intelligence et de volonté. Comment organiser la reprise durable de l'économie mondiale en excluant d'entrée de jeu des centaines de millions de consommateurs ? Dans le cas de l'Afrique, il s'agit d'un marché d'un demi-milliard d'êtres humains. Ignorer cette réalité, ce serait punir nos industries, à nous pays occidentaux industrialisés, nos exportations, nos emplois pour la France comme pour l'Europe.\
Mais il est un autre domaine où la volonté de réforme doit s'appliquer : celui de l'action des institutions internationales par rapport à leurs finalités. J'ai parlé du Fonds monétaire international et des propositions de bon sens faites par son directeur général. Parlons de la Banque mondiale, première banque d'aide au développement. Je n'oublie pas que c'est une banque £ elle doit donc gagner de l'argent et elle en gagne. C'est très bien pour elle. Mais alors, qu'elle se limite à son rôle de banquier et qu'elle ne prétende pas s'ériger en gardien de l'orthodoxie et en juge de ce qui est bon ou mauvais pour les peuples. Du haut de quel piédestal le ferait-elle ? Comme les autres institutions, la Banque mondiale a son lot de succès et d'échecs. Elle doit en tirer des leçons d'humilité. Chaque intervenant doit faire son métier et rien que son métier.
- L'assainissement financier n'est qu'un moyen. Ce n'est pas une fin en soi. L'objectif, c'est la relance des investissements créateurs de croissance. C'est d'ailleurs dans ce but que j'ai voulu, avec le gouvernement de la République, qui en a assuré les principaux mécanismes, que la dévaluation du franc CFA fût soumise à des conditions déterminées, capables de préserver les chances de développement de la zone franc. Une des conditions essentielles posées consistait en un engagement de la France et des institutions financières internationales en faveur d'importantes mesures d'accompagnement capables de protéger les populations touchées et d'assurer la relance des économies. La France a tenu sa parole et veille à ce que les institutions internationales multilatérales tiennent la leur.
- Pour peu que ces conditions de volonté et d'intelligence soient réunies, et que vos Etats remplissent leur part du contrat en accomplissant un effort de bonne gestion et en luttant contre la corruption ou l'évasion fiscale, nous pouvons donner tort à ceux qui, parangons d'un nouveau cartiérisme, prétendent qu'aider l'Afrique ne sert à rien.
- Pour ma part, j'ai toujours refusé ce repli sur l'égoïsme sacré, quels que soient les oripeaux dont il se pare ou le moralisme dont on l'entoure. Car je considère que c'est non seulement une injustice, mais encore une absurdité : en termes économiques, quel manque à gagner pour la croissance mondiale dans cette exclusion massive ! Quel risque de voir naître sur ce fond de misère des fléaux dont les frontières les plus hermétiques ne nous protègeront jamais : drogues, épidémies, mouvements migratoires erratiques, terrorisme, atteintes de toutes sortes à l'environnement !\
Mesdames et messieurs,
- messieurs les Présidents et chers amis,
- Au moment de conclure, je pense à ce long compagnonnage avec l'Afrique qui fut le mien pendant près d'un demi-siècle. Dire que j'ai beaucoup appris en Afrique, auprès des Africains, serait une litote. Et quand je revois toutes ces épreuves surmontées pendant des décennies, j'y puise, malgré tout, espoir et confiance pour l'avenir.
- Si la France et ses partenaires africains ont su organiser pacifiquement la décolonisation et je vois ici plusieurs des fondateurs - avec lesquels, à l'époque, j'ai pu me réjouir de travailler à une grande oeuvre -, si nous avons pu arriver à bout des obstacles, c'est parce que la volonté ne nous a jamais manqué.
- Pour ma part, je me suis toujours opposé aux tentations déclarées ou insidieuses de brader la politique africaine de la France ou de décider pour tel ou tel pays, à la place de ceux qui en avaient la charge, comme si nous étions des prophètes inspirés, chargés de dicter aux peuples africains ce qui était la voie la meilleure pour eux. Ce sont des tentations permanentes, une forme de colonialisme renversé que je n'accepte pas plus que les autres.
- Telle est la leçon pour demain. Je le dis solennellement devant vous : La France doit maintenir sa route et refuser de réduire son ambition africaine. Pourquoi le ferait-elle ? Elle représente pour une grande partie de votre continent africain un facteur incomparable d'équilibre et de progrès. Et l'Afrique, de son côté, a beaucoup donné à la France. Elle lui donne beaucoup d'amitié, je crois, aujourd'hui. Elle lui a donné aussi beaucoup de sacrifices, des milliers de ses hommes. Nous avons construit l'histoire ensemble. J'en appelle à ceux qui auront après moi la charge des affaires du pays. La France ne serait plus tout à fait elle-même aux yeux du monde, si elle renonçait à être présente en Afrique, aux côtés des Africains, pour être à côté d'eux tout simplement, pour contribuer à construire un cadre de paix, de démocratie et de développement, pour réussir ensemble une grande aventure humaine, au pire des difficultés mais en gardant ses vieilles traditions, ses fortes cultures et cette nature des hommes qui espèrent et qui croient toujours en la chance de l'humanité.
- Eh bien, nous en serons capables, mes successeurs, à travers le temps qui vient, plus tard encore, - c'est une affaire qui durera plus longtemps que chacun d'entre nous. Le couple France-Afrique sera un couple fort ! Il n'est pas près de se dissoudre mais cela dépend aussi beaucoup de vous, madame et messieurs, cela dépend beaucoup de nous. Allons-y avec courage et détermination !\