10 juillet 1994 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du sommet des pays industrialisés sur la participation de la Russie aux discussions sur la situation internationale notamment sur le conflit en Bosnie, sur l'intervention française au Rwanda, la violence en Algérie, le retrait de la proposition américaine sur le commerce mondial, Naples le 10 juillet 1994.

Mesdames et messieurs,
- Comme vous le savez, nous avons eu hier une réunion à sept, sans oublier le représentant de la Communauté européenne. Aujourd'hui, nous étions huit en raison de la présence du Président russe et les conversations ont été essentiellement politiques. Vous avez pu prendre connaissance des différents sujets traités et la déclaration de M. Berlusconi, président du Sommet, a déjà dû vous parvenir. Donc, ce tour d'horizon politique a été consacré à bon nombre de grands problèmes du moment. J'attirerai votre attention sur la manière dont ont été traités les problèmes de la Bosnie et du Rwanda, et également sur ce que j'avais annoncé comme objectifs ciblés : l'Afrique du Sud, ou les questions touchant à la sûreté nucléaire et, particulièrement, avec la disparition du Président Kim Il Sung, l'état éventuel des négociations avec la Corée du Nord.
- La Russie a pleinement participé à la discussion. Son avis était utile en tous domaines mais particulièrement sur ce qui touchait à l'ancienne Yougoslavie. Nous avons tous été d'accord pour estimer qu'il ne devait plus y avoir de dérobade. Les parties prenantes au conflit sont saisies d'une proposition de règlement. Nous pensons tous qu'elles doivent y donner réponse dans les délais impartis.
- Il a été question du Yémen, dans le cadre de l'unité de ce pays £ de l'Algérie : accueil positif pour les réformes économiques en cours et appel à la poursuite du dialogue avec les forces démocratiques mais la "poursuite du dialogue" est un terme qui aurait évidemment besoin d'être précisé.
- Sur le Rwanda, vous savez que la France fait face à ce problème, avec bien peu de concours, à l'exception des Sénégalais, par la création des zones humanitaires de sécurité. Et il y a ce problème prévu, évidemment, mais qui se pose d'une manière plus pressante chaque jour, celui des personnes déplacées devant l'évolution du front dans la guerre civile qui se déroule là-bas. Il s'agit de 850000 à plus d'un million de personnes qu'il faudra savoir et pouvoir aider pour éviter un nouveau drame de grande ampleur. C'est une situation de détresse et nous souhaitons vraiment que des organisations internationales, des organisations humanitaires se mobilisent. La France continue sa mission, en conformité avec le mandat qui lui a été fixé par les Nations unies. Elle attend la relève. elle a d'ailleurs annoncé ce qu'elle entendait faire et il nous semble, à l'issue de cette réunion et au vu des informations reçues, qu'il y aurait peut-être un peu plus de sentiment d'urgence qu'il n'y en avait ces derniers jours.
- J'ai observé, tout de même, avec intérêt, et même avec une certaine satisfaction, que ce que l'on appellera le G8 a tenu à marquer une reconnaissance particulière des efforts accomplis par la France, qualifiés de "méritoires". Voilà, je vais m'arrêter là. Vous avez la déclaration présidentielle. Elle comporte douze points. Selon le degré d'intérêt que vous portez à tel ou tel de ces points, je suis à votre disposition.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je vais vous reposer la même question que je vous ai posée, sur le Yémen, à Corfou. En quels termes, avez-vous évoqué la question du Yémen et quelles sont les exigences auxquelles le gouvernement de Sanaa devrait se plier ?
- LE PRESIDENT.- Nous attendons de Sanaa, qui semble avoir remporté un succès militaire, de ne pas en tirer avantage au-delà de ce qui est convenu d'appeler un comportement humanitaire et unitaire, puisque sa position était de défendre - et on le conçoit - l'unité de son pays. Il ne faut pas que cette unité soit altérée par des comportements qui pourraient lui nuire. Donc, nous encourageons le gouvernement du Yémen à rechercher toutes les possibilités d'entente et de dialogue avec les populations qui, hier, se combattaient.\
QUESTION.- Monsieur le Président, Naples était votre quatorzième Sommet des Sept, sauf erreur. En quatorze ans, est-ce que vous avez trouvé une évolution à ces Sommets ? Est-ce que votre jugement sur eux a été modifié en quoi que ce soit ?
- LE PRESIDENT.- Une évolution certainement, malgré les changements de gouvernements ou de présidents qui se produisent rituellement dans les pays démocratiques. Une certaine continuité de climat s'est instaurée et les relations humaines sont beaucoup plus faciles. On sent véritablement que chacun cherche la conciliation lorsque les points de vues divergent. Je trouve que c'est très convivial. La tendance à la prolifération du nombre des collaborateurs, des fonctionnaires, a quand même été freinée £ elle paraît encore excessive. Je crois savoir que M. Chretien, qui recevra les Sept et les Huit à Halifax l'an prochain, au Canada, a l'intention d'imprimer comme cela s'est fait d'ailleurs de temps à autre, depuis 14 ans, à une nouvelle façon de faire, disons un peu plus simplifiée.
- J'aurai peut-être l'occasion de vous confier quand viendra le temps, lorsqu'on sera moins nombreux, ce que je pense de cette évolution en quatorze ans. De toute manière, l'évolution humaine part du commencement - pardonnez-moi de parler comme le faisait Joseph Prudhomme - et va toujours vers sa fin : donc, c'est sans mélancolie particulière que je participe aujourd'hui à mon dernier Sommet, comme vous l'avez dit d'ailleurs, et je vous remercie de votre comptabilité si précise.\
QUESTION.- Monsieur le Président, c'est la deuxième fois, je crois, que vous avez l'occasion de rencontrer M. Berlusconi, à Corfou et ici, à Naples £ alors est-ce que vous avez un jugement maintenant sur le gouvernement italien que vous aviez accueilli, disons, fraichement ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas d'opinion à exprimer sur le gouvernement italien. Tout au plus je pourrais exprimer une opinion sur la présidence italienne du Sommet. C'est le deuxième Sommet auquel je participe qui se soit déroulé en Italie : le premier était à Venise, le deuxième est donc à Naples. Les Italiens sont des gens très experts en matière politique, qui ont l'habitude de traiter, collectivement des grandes affaires. La présidence a bien fait son travail, c'est tout ce que je peux en dire. Quant aux capacités de M. Berlusconi comme Président du Conseil des ministres italien, c'est un autre sujet, sur lequel je n'ai pas à m'exprimer d'ailleurs. Que cela ne soit pas considéré comme une réserve supplémentaire : simplement, ce n'est pas le sujet. On a été très bien reçus, je dois le dire, par le Président Scalfaro également.\
QUESTION.- En quels termes avez-vous souhaité qu'un hommage soit en quelque sorte rendu dans le communiqué final à l'action de la France au Rwanda ?
- LE PRESIDENT.- Le texte qui nous a été soumis, celui de la présidence, n'était pas du tout négatif, mais il était atone, et j'ai souhaité qu'on puisse constater quand même que la France avait rempli un rôle positif dans le déroulement de cette affaire. Je dois dire que cela n'a pas fait la moindre difficulté et qu'au fond c'était une question de rédaction. Naturellement, nous Français, nous étions plus sensibles que d'autres à cette rédaction. En terme de pure analyse des termes, il n'y avait rien à redire au texte précédent qui était passé, d'ailleurs, par les ministres des affaires étrangères. Un petit quelque chose de plus, cela nous a fait plaisir parce que cela a marqué une solidarité sur l'opportunité de notre intervention.
- QUESTION.- Monsieur le Président, le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères se rendent demain à New York pour rencontrer le secrétaire général des Nations unies et les membres du Conseil de sécurité. Qu'est-ce que la France attend de ce contact avec les Nations unies ? Est-ce que la France attend que la Minuar 2 se déploie très vite au Rwanda ? Qu'est-ce que la France va dire aux Nations unies ?
- LE PRESIDENT.- La France a indiscutablement besoin de fournir des explications. Cette affaire du Rwanda a été présentée dans une première phase d'une telle manière que la France s'est trouvée en situation - je ne dis pas d'accusée, mais l'expression la plus habituelle, c'était : "la France n'était pas la mieux placée pour", etc.. Cela reposait sur une analyse que je crois infondée de la position de la France qui était à l'origine des accords d'Arusha. Ces accords avaient prévu, d'ailleurs, la désignation d'un premier ministre £ cela, c'était au mois d'août 1993, et c'est ce premier ministre qui vient de prendre ses fonctions maintenant, dans un rapport de force inversé à l'issue des combats naturellement.
- Donc, la France a besoin de continuer à bien expliquer le processus historique qui l'a conduite à intervenir, jusqu'à envoyer 2500 hommes et à instaurer des zones humanitaires de sécurité, avec le soutien des Nations unies. Elle doit rappeler qu'elle n'est venue que pour des raisons humanitaires et donc circonstancielles, qu'elle souhaite retirer ses troupes comme elle l'avait d'ailleurs elle-même sollicité des Nations unies, l'an passé.
- Car les accords d'Arusha, conclus, je le répète, en août 1993, comportaient - et c'est ce qui s'est produit - l'arrivée d'une force de Casques bleus se substituant aux forces françaises qui ne désiraient aucunement rester sur place. Puis par la suite, l'assassinat du Président Habyarimana et du Président du Burundi, qui se trouvait avec lui, la période de grands désordres, de grandes peurs, de grands massacres - jusqu'au génocide - a fait que les Français se sont remis à la disposition de tous pour rapatrier les étrangers civils et militaires, désireux de quitter ce pays. Ce n'est qu'un peu plus tard que nous avons, devant une situation d'horreur, décidé d'envoyer la troupe d'élite, qui se trouve là-bas sur le terrain.\
QUESTION.- Monsieur le Président vous avez rencontré successivement M. Mandela et M. Arafat qui tous les deux vous ont parlé du G7 en vous disant : "il serait bien que le G7 s'occupe un peu de nos problèmes". Maintenant que les travaux sont terminés, est-ce que vous pensez qu'ils sont satisfaits de la manière dont le G7 a traité leurs problèmes ?
- LE PRESIDENT.- Ce qu'ils en penseront ? D'abord ils penseront qu'on ne les a pas oubliés puisque l'un des paragraphes est spécialement consacré à l'Afrique du Sud et qu'il est rappelé que l'aide aux Palestiniens doit être mise en oeuvre sans délai. En tout cas, une réponse déjà satisfaisante leur a été apportée. Je crois qu'ils attendent plus que les propos que nous tenons ici : ils attendent qu'effectivement, les moyens économiques et financiers dont ils ont besoin leur soient remis. Pour les Palestiniens, c'est une question de semaines : je crois que les accords évoquent le mois d'août. Pour l'Afrique du Sud, c'est nouveau d'une certaine manière : mais la situation dramatique de ce pays ne permet pas d'attendre longtemps. Je pense que cette réunion de Naples aura permis d'avancer et de raccourcir les délais d'une façon utile.\
QUESTION.- Monsieur le Président c'est le troisième Sommet auquel assiste M. Boris Eltsine, c'est vrai avec un statut un peu modifié. Quelle est la contribution de la Russie aux discussions des Occidentaux ? Et deuxième question : quand pensez-vous que la Russie pourra véritablement faire partie du G7 et donc que le G7 devienne le G8 ?
- LE PRESIDENT.- Moi, je commence à avoir pris l'habitude de rencontrer M. Eltsine à la fin des Sommets des 7, ou à la fin, ou au début, des réunions européennes. Mais ce qui est vrai, c'est que jusqu'alors, nous discutions avec M. Eltsine des problèmes de la Russie £ cette fois-ci M. Eltsine a pris part aux discussions politiques sur toutes les questions figurant dans la déclaration présidentielle qui vous a été remise. Il y a donc un changement de nature. Il est tout à fait probable que désormais on ne parlera plus, sur les questions politiques, que des "sommets des huit". Mais, je ne peux pas vous le garantir, je pense qu'il s'écoulera encore un peu de temps avant que l'on puisse parler de sommets des huit sur le plan économique.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que l'aide occidentale à l'Algérie n'est pas finalement trop tardive, est-ce que dans les rangs occidentaux l'on ne se fait pas à l'idée de voir très vite venir au pouvoir les islamistes ?
- LE PRESIDENT.- C'est l'Histoire qui le dira. La France, elle, n'a pas cessé, sans se considérer comme engagée dans ce conflit, de souhaiter la fin de la violence. Elle n'a jamais cessé ensuite d'apporter l'aide qu'elle considérait devoir à l'Algérie, quels que soient ceux qui la gouvernent pour que la situation économique de ce pays, si proche de nous pour bien des raisons, enregistre une amélioration telle que s'apaisent aussi certaines passions politiques. Car les deux questions ne peuvent pas être séparées l'une de l'autre : il est certain que la violence se nourrit aussi de la misère, du mécontentement. Non, je crois que l'aide apportée, par la France en particulier, mais également par d'autres que par nous, peut contribuer, il n'est pas trop tard pour cela, à réduire, ce brasier, ce foyer de tensions.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la presse américaine a ce matin parlé du retrait de l'initiative Clinton sur le commerce international en termes de "défaite" pour le président américain, et peut-être de défaite face à la France. Est-ce que vous pensez que c'est une analyse juste de la situation ? Est-ce que vos objections à l'initiative Clinton portaient uniquement sur le calendrier ou aussi sur le contenu de sa proposition ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas remarqué que j'avais participé à un combat ! J'en ai entendu parler... C'est vrai qu'il y avait un souhait d'accélérer une négociation plus approfondie sur certains secteurs du commerce international. Ce voeu s'est tout de suite heurté à la position de la France, qui consistait à dire : on n'en pas fini avec la phase dont nous avons déjà pendant longtemps parlé - quelques huit à neuf ans. Ce n'est pas encore ratifié. Ne compliquons pas les choses ! Laissons souffler quand même les parlements, les opinions publiques et prenons le temps de réfléchir ! Nos amis Américains avaient certainement déjà beaucoup réfléchi à la chose. Mais enfin, c'est une réflexion collective. Cela ne s'est pas du tout présenté comme un duel. Cette position que j'ai exprimée au nom de la France, elle a été tout de suite partagée par d'autres, en particulier par l'Allemagne fédérale, et par d'autres encore. Elle n'a pas été combattue par M. Clinton. Nous sortons de ce sommet, M. Clinton et moi-même, indemnes de toute égratignure. Mais quant au GATT, il y aura bien, l'année prochaine, après ratification, à voir par quoi il faudra commencer.
- Moi, personnellement, je conseille de commencer par ce qui avait été décidé dans la phase précédente et qui n'a pas encore été abordé. Il y a, au moins, trois grands secteurs qui doivent être l'objet de négociations. Je pense, en particulier, à celui de l'acier. C'est une question à voir. Nous sommes au mois de juillet 94 £ on n'en parlera plus - je veux dire entre responsables politiques - avant l'année prochaine. Je ne peux porter mon diagnostic au-delà.\
QUESTION.- Monsieur le Président, entre la France et les Etats-Unis, est-ce qu'il y a une différence d'appréciation sur le danger de la situation en Algérie. Et la deuxième chose, quelles sont ces forces démocratiques, avec lesquelles on appelle le dialogue en Algérie ?
- LE PRESIDENT.- Je me suis posé la question moi-même.. Vous voulez dire par là qu'il est difficile d'engager un dialogue, une négociation avec des gens dont la tactique est de tuer, de tuer des étrangers ? En quoi fait-on avancer l'affaire algérienne, en assassinant sept marins italiens, par exemple ? Et je ne compte par les victimes françaises. La France ne procède pas à des condamnations de fond sur les positions idéologiques - même si elle a son sentiment - mais elle estime qu'on ne peut discuter de l'installation et de la mise en place d'une démocratie qu'avec des forces qui la désirent. C'est, en tout cas, le sentiment qui s'est dégagé autour de la table des Huit, ce matin.
- Ce n'est pas un texte français : la proposition italienne a été faite sur la base des conversations menées avec l'ensemble des pays participants et sans doute aussi des négociations qu'ont dû avoir les ministres des affaires étrangères avant nous. Or, que peut être l'appel aux forces démocratiques ? C'est peut-être un rite, une nécessité de principe. Je crois qu'il appartient aux différentes tendances de l'opinion algérienne de se définir par rapport à cela. Ce n'est pas à nous de dire : ceux-là sont démocratiques et ceux-là ne le sont pas, même si certains agissent de telle sorte qu'on puisse douter de leur sincérité dans ce domaine. Mais, c'est à eux à se définir. Est-ce qu'ils acceptent le dialogue autour de la constitution, de la construction d'une Algérie démocratique, qui devra se terminer, en tout cas, par des élections, et des élections libres ? Moi, c'est tout ce que je peux vous dire là-dessus.\
QUESTION.- Monsieur le Président. Le gouvernement danois a suggéré un Danois comme Président de la Commission européenne. On parlait de M. Schlueter. Qu'est-ce que vous pensez de lui ?
- LE PRESIDENT.- Moi, j'apprécie beaucoup les Danois mais cela dit les Danois n'étaient pas à l'ordre du jour... pas plus que le choix d'un Président de la Commission européenne ! Donc, c'est tout à fait hors sujet. Peut-être qu'il y a des gens qui en ont parlé, ils ne m'en ont pas fait la confidence ! Donc, considérez que ce problème se posera en termes très concrets à partir des jours qui viennent et devra trouver une solution le 15 juillet prochain. Pour ce qui concerne la France, nous n'avons pas d'a priori. Nous n'avions même pas d'a priori négatifs.\
QUESTION.- Monsieur le Président, que pensez-vous de l'idée d'institutionnaliser et de rendre permanente la consultation entre les Huit, idée avancée par le Président Eltsine et qui a l'appui assez décidé des Italiens ?
- LE PRESIDENT.- Le G7 est une organisation un peu à part, ce n'est pas une institution. Elle a quelquefois un peu tendance à se transformer en institution mais nous sommes quelques-uns pour rappeler que tel ne doit pas être le cas. Ce n'est pas une institution, c'est une rencontre d'hommes, de femmes - quand Mme Thatcher voulait bien y participer - de bonne volonté. Il y a des gens responsables naturellement. Mais votre expression n'est pas fausse non plus, si on donne au mot "institutionnaliser" le sens, disons, d'une tradition à établir, tradition qui prenait forme timidement à Tokyo, à Munich, ou à Bruxelles, et qui a tendance maintenant à s'établir d'une façon permanente avec M. Eltsine. Je serais très étonné que l'on pût revenir en arrière. Prenons donc le mot "institutionnaliser" dans le sens d'instauration d'une tradition, c'est-à-dire institutionnaliser une présence au sein d'un organisme qui n'est pas une institution, si vous voulez que je raffine un peu les termes.
- Oui, on reverra le Président russe dans les prochaines rencontres sur le plan politique, le reste viendra, sans doute, ensuite.\
QUESTION.- Monsieur le Président. Pendant le Sommet, vous avez rencontré le nouveau Premier ministre japonais, M. Murayama. Comment jugez-vous sa capacité, sa volonté de continuer à réformer, à faire les ouvertures du marché japonais qui sont exigées par les autres pays du G7 ?
- LE PRESIDENT.- C'est un homme extrêmement sympathique et très ouvert qui, pour moi d'ailleurs, a des mérites tout à fait particuliers, qui ne sont pas habituels à la direction de ce pays ! C'est quelque chose de frais pour moi... Mais quant à l'ouverture du Japon, ça fait quatorze ans que j'entends exprimer les meilleures intentions du monde à ce sujet. Je n'ai aucune raison de douter de la sincérité de ces déclarations. Mais, je trouve qu'on se répète un peu. Bon, cela dit, il y a des progrès. Je crois que nos yogourts se vendent de mieux en mieux. Monsieur Juppé ajoute que pour les pommes, en revanche, cela pourrait aller mieux !\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez fait mention de la contribution de M. Eltsine, en particulier dans la conversation concernant l'ex-Yougoslavie. Pourriez-vous nous dire, un peu plus en détail, quelle a été sa contribution dans ce domaine et, le cas échéant, M. Eltsine vous a-t-il donné des indications sur ce que serait son attitude si la partie serbe devait rejeter le plan du groupe de contact ?
- LE PRESIDENT.- Ce qui est écrit dans le texte final engage tous les participants. C'est-à-dire que les différentes parties sont liées par ce texte. Nous insistons, tous ensemble, pour que les parties en présence respectent les délais qui leur ont été fixés, en sachant que le refus ou l'acceptation par tel ou tel, entraîne des conséquences soit favorables par le desserrement, la réduction, ou même la liquidation des sanctions, soit défavorables pour la partie qui se rendrait responsable de la continuation du conflit, et qui se verrait exposée à un durcissement de la part de la société internationale. Là-dessus, M. Eltsine n'a montré aucune différence d'appréciation par rapport aux autres participants. Donc, je crois qu'il y a là un tout. Notre engagement est mutuel et solidaire, comme on ne peut séparer un article d'un contrat des autres.
- M. le ministre des affaires étrangères va se rendre aux Nations unies lundi avec M. le Premier ministre pour présenter la position de la France au Rwanda et faire sentir aux Nations unies l'urgence qu'il y a d'une relève. Ce sera, sans doute difficile de ne pas aborder également le problème de la Bosnie.
- Ensuite, M. le ministre des affaires étrangères se rendra à Belgrade et à Pale pour faire bien comprendre aux autorités serbes l'importance de l'enjeu.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que le plan de Genève pour la Bosnie et l'Herzégovine signifie la fin de la Bosnie-Herzégovine ? Qu'est-ce que cela signifie pour les frontières extérieures de Bosnie-Herzégovine ?
- LE PRESIDENT.- Ce que moi j'ai toujours compris et ce qui a été confirmé, c'est que la Bosnie est restée un Etat souverain. L'Allemagne est un pays de type fédéral. Personne ne met en doute l'existence de l'Allemagne. Il y a des pays moins décentralisés. C'est encore le cas de la France qui n'a pas les mêmes nécessités historiques. D'ailleurs, la question ne se pose pas. Maintenant, pour ceux qui aiment discuter "droit" : les Etats-Unis d'Amérique ont une Constitution extrêmement fédéraliste. Vous connaissez les limites du pouvoir du Sénat, de la Chambre des Représentants et du Président lorsqu'il s'agit de dicter telle ou telle disposition dans l'un des Etats. Pourtant, nul ne songe à douter de l'existence des Etats-Unis d'Amérique.
- Au temps de la Yougoslavie, la Bosnie disposait déjà d'un statut particulier puisque les décisions les plus importantes ne pouvaient être prises qu'avec le consentement des trois Communautés. En gros, cela a été respecté à cette époque. La souveraineté reconnue à la Bosnie, sans que certaines précautions aient été préalablement prises, a fait basculer cet équilibre.
- On va indiscutablement vers une répartition territoriale où l'on verra des communautés disposer de certains pouvoirs, mais à l'intérieur d'un même Etat. Il y a donc un seul Etat, - je ne dirai pas qu'il est unitaire -, un seul Etat, avec à l'intérieur des communautés reconnues comme telles qui verront leur pouvoir s'arrêter là ou commencerait la dissolution de cet Etat. Un Etat souverain bosniaque continuera d'exister.
- Le G7 s'est occupé essentiellement, sinon uniquement, des problèmes à caractère économique. A été réservé pour le G8 ce qui n'a pas été traité au G7, parce qu'on attendait l'arrivée du président russe pour traiter des problèmes politiques dont j'ai fait tout à l'heure l'énumération. Donc, qu'est-ce qui est le plus important ? Au fond, la nature même de ces sommets, c'est d'être économique. Et chaque fois que l'on a débordé de cet aspect économique, plusieurs pays, dont la France, ont été sourcilleux. Nous ne désirons pas que se crée, pardonnez-moi de reprendre une expression souvent entendue par vous-même, une sorte de "directoire" à sept, qui entendrait se substituer aux autres institutions internationales. Cette discussion est d'ailleurs redevenue d'actualité ces deux derniers jours, précisément au sujet du GATT. Le cycle d'Uruguay du GATT a entraîné une discussion entre plus d'une centaine de pays et nous, à sept, nous allons dicter à ces derniers, la matière de leur prochain débat ? Cela mérite réflexion. J'observe quand même - et il ne faut pas craindre les évolutions observées au cours de ces quatorze ans - une poussée vers l'appréhension des problèmes politiques, en dehors de l'économie, ou sur ce qui relie directement politique et économie comme le blanchiment de l'argent de la drogue : peu à peu la politique ne prend pas le pas mais s'installe. Donc il faut considérer ces faits comme acquis et prendre en même temps d'extrêmes précautions pour ne pas agir à la place de ceux qui en ont la charge.\
QUESTION.- Est-ce que les résultats ne sont pas plus importants, plus positifs sur le plan politique, le Rwanda, l'Algérie, la Bosnie, que sur la partie économique où c'est un peu flou ?
- LE PRESIDENT.- Cela se recoupe : on ne peut pas véritablement diviser en termes catégoriques, économique et politique. Mais il est quand même clair que ce qui touche à l'évolution de l'économie mondiale a été traité à sept et que tout ce qui touche au domaine de la paix, de la guerre, de l'équilibre, des précautions à prendre en face au nucléaire a été traité à huit. Si l'on veut traiter tout cela par le simple bon sens, en dehors de toutes définitions a priori, voilà comment cela s'est passé, et comment cela se passera encore pendant quelque temps.\
QUESTION.- Sur la question d'Haïti comment comptez-vous vous y prendre, monsieur le Président, pour accroître les pressions sur le régime militaire ?
- LE PRESIDENT.- Toutes ces mesures sont déjà connues. Il y a une pression extrêmement forte sur Haïti. Vous savez à quel point la France s'est déclarée solidaire du régime démocratique qui avait abouti à l'élection du Président Aristide. Nous sommes évidemment très prudents à l'égard d'opérations militaires, même si nous estimons avec autant de force et de résolution que les autres que le gouvernement dictatorial doit céder la place. Donc, nous invitons tous les Etats à exercer des pressions ainsi qu'à mettre en oeuvre les mesures renforcées des Nations unies concernant Haïti. Cela concerne notamment le blocus et le refus de reconnaissance indirecte, - directe, il n'en est pas question - de la dictature actuelle.\