1 mai 1994 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au magazine "Marie-Claire" daté de mai 1994, sur les femmes et notamment sur le rôle des femmes en politique et les progrès des droits des femmes.
QUESTION.- Je suppose que la première femme qui a compté pour vous, comme pour tout homme, c'est votre mère. Quelle était la nature de votre relation avec elle ?
- LE PRESIDENT.- C'était une relation très bonne et très forte. J'avais aussi une grand'mère que j'aimais avec ferveur. Mais j'étais un enfant de province, j'habitais à trente kilomètres du chef-lieu du département de la Charente, donc, pour mes études j'ai dû partir très tôt de la maison. La famille était proche pendant les vacances, mais le reste du temps, j'étais un petit pensionnaire, dès neuf ans et demi.
- QUESTION.- Les sentiments que l'on éprouve pour sa mère ne sont pas forcément simples.
- LE PRESIDENT.- Cela me paraissait simple. J'ai lu beaucoup d'essais, à l'âge mûr, sur les rapports entre les enfants et les parents, je ne m'y suis pas retrouvé. J'aimais beaucoup mes parents. Il y avait entre eux une grande harmonie. Ma mère est morte alors que j'avais dix-neuf ans. Cela a été un déchirement, une rupture au moment où j'arrivais à l'âge adulte.
- QUESTION.- Pensez-vous que la relation d'un fils avec sa mère influence la relation qu'il a après avec les autres femmes ?
- LE PRESIDENT.- Il paraît que cela influe beaucoup. Cela n'a pas été mon cas.
- QUESTION.- Vous avez la réputation de rendre hommage à la compétence des femmes. Pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- Parce que j'ai constaté cette compétence. Dans les travaux auxquels elles se livrent, elles apportent application, ténacité, intuition. De ce point de vue, elles sont remarquables. Elles l'ont été d'une façon générale, au gouvernement. Si elles ont un jour le pouvoir, ce ne sera peut-être plus comme ça...
- QUESTION.- Elles seront moins tenaces, moins courageuses, moins travailleuses ?
- LE PRESIDENT.- Elles feront travailler les hommes !
- QUESTION.- Vous croyez ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas pour "Marie-Claire" cette réflexion là !
- QUESTION.- N'appréciez-vous pas aussi les femmes à cause de leur charme féminin ?
- LE PRESIDENT.- Assurément.
- QUESTION.- Par exemple, auriez-vous choisi Mme Cresson comme Premier ministre si elle n'avait pas été jolie ?
- LE PRESIDENT.- Certes, la beauté est un atout, qu'elle possède, mais j'aurais choisi Edith Cresson, même si elle avait été, comme vous dites, moins jolie. Cela n'aurait pas été un inconvénient. J'avais confiance en elle pour d'autres qualités, assez rares.
- QUESTION.- Que pensez-vous de la manière dont elle a été traitée ?
- LE PRESIDENT.- Très injuste.
- QUESTION.- Est-ce, à votre avis, parce qu'elle était une femme ?
- LE PRESIDENT.- Cela a compté dans la campagne systématique et méchante engagée contre elle.
- QUESTION.- Vous reconnaissez là une misogynie du monde politique ?
- LE PRESIDENT.- Oui.
- QUESTION.- Et pour Madame Barzach ?
- LE PRESIDENT.- Pour Madame Barzach, aussi.
- QUESTION.- Elle a été également rejetée d'une façon violente. Un homme n'aurait sans doute pas subi le même sort.
- LE PRESIDENT.- J'ai beaucoup d'estime pour Mme Barzach que j'appréciais comme ministre de la santé lors de la première cohabitation. Elle était efficace, généreuse, ouverte. Quels ont été ses contentieux ensuite au sein de son parti ? Je ne suis pas au courant. Il a été dommage de se passer d'une femme de sa valeur. Oui, vraiment dommage.\
QUESTION.- On dit que vous êtes un séducteur. Même les hommes le disent. Vous vous voyez ainsi ?
- LE PRESIDENT.- Ces dernières années dans un sondage où l'on demandait aux femmes : "Qui aimeriez-vous avoir pour amant, j'avais remarqué avec sérénité, et peut-être un peu de dépit, que 3 % de femmes me citaient. Il est vrai qu'à 75 ans, mon âge, à cette époque...
- QUESTION.- Quand on dit d'un homme qu'il aime les femmes, est-ce un propos flatteur pour les femmes ou un propos misogyne ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas une offense !
- QUESTION.- "Aimer les femmes", c'est peut-être un peu léger comme aimer les fleurs.
- LE PRESIDENT.- Les femmes n'apprécient pas ce pluriel. Oui, l'expression est légère ou comprise comme légère. C'est pourtant une chance que d'aimer les femmes et les fleurs.
- QUESTION.- Qu'est-ce qui compte en premier, pour vous, chez une femme ?
- LE PRESIDENT.- La compagnie des femmes, leurs conseils, leur générosité ou leur sensibilité sont très importantes dans la vie d'un homme. La sensualité compte aussi, bien entendu, mais sans amour elle tourne vite à vide. Cela tout le monde le sait.
- QUESTION.- Vous aimez l'amitié des femmes ?
- LE PRESIDENT.- Beaucoup.
- QUESTION.- Cela se voit, vous êtes entouré de femmes.
- LE PRESIDENT.- Non, je ne suis pas entouré de femmes, mais bon nombre de femmes travaillent à mes côtés.
- QUESTION.- Vous ne m'avez pas dit ce qui compte, en premier pour vous chez une femme ?
- LE PRESIDENT.- Comment le dire ? Je n'en sais rien. Le charme d'une femme peut provenir d'affinités psychologiques, psychiques ou morales. En tout cas, pas seulement physiques ! On peut éprouver amour ou admiration pour une femme pour une autre raison que la rectitude d'un nez grec !
- QUESTION.- J'espère qu'en relisant cette interview, vous laisserez tous ces propos.
- LE PRESIDENT.- Pourquoi pas ?
- QUESTION.- Quelle femme j'aurais aimé être ? Quelle question ! QUESTION.- Il y a une femme que vous auriez supporté d'être ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai jamais désiré être femme. Ca ne m'est jamais venu à l'esprit. Mais j'ai envié la qualité, parfois sublime, de quelques femmes.
- QUESTION.- Est-ce que parfois vous vous rendez compte que vous avez des réactions machistes ?
- LE PRESIDENT.- On me le dit parfois, mais je ne le crois pas. Si j'aime en rire et parfois provoquer ces réactions, je ne reconnais à l'homme aucune supériorité sur la femme.
- QUESTION.- Vous aimez en rire, c'est-à-dire vous moquer des femmes qui vous ont fait cette remarque ?
- LE PRESIDENT.- Me moquer, non. C'est plutôt un jeu. Je n'aime pas les machos.
- QUESTION.- Vous ne vous sentez pas machiste ?
- LE PRESIDENT.- Jugez-moi sur mes actes, non sur vos suspicions.\
QUESTION.- Quelle est, dans la littérature française, votre héroïne préférée ?
- LE PRESIDENT.- Oh ! vous me prenez de court.. Il faut réfléchir à ce genre de question. Vous m'auriez dit dans la littérature universelle.. J'ai été naturellement séduit comme tout le monde - j'ai des goûts assez ordinaires - par Natacha mais elle est russe. Pour la littérature... faites-moi des suggestions.
- QUESTION.- La Princesse de Clèves, sa pureté, sa retenue, sa résistance. Cette princesse vous plaît-elle ?
- LE PRESIDENT.- Oui, beaucoup. Et quelle oeuvre !
- QUESTION.- Et Antigone, la rebelle ?
- LE PRESIDENT.- Pas de civilisation, pas de vertu, pas de salut sans Antigone.
- QUESTION.- Et dans "La Chartreuse de Parme", la Sanseverina, l'intelligente, elle vous plaît aussi ?
- LE PRESIDENT.- Enormément. Elle est plus intéressante que Clélia.
- QUESTION.- Et la sage et vibrante Madame de Rénal dans "Le Rouge et le Noir" ?
- LE PRESIDENT.- Moins.
- QUESTION.- Et Mathilde de la Môle, l'autre jeune fille stendhalienne, dans "Le Rouge et le Noir" ?
- LE PRESIDENT.- Je donne raison à Julien Sorel pour l'ordre de ses préférences - ou de ses jalousies.
- QUESTION.- Les jeunes filles vous plaisent moins ?
- LE PRESIDENT.- Mais si elle me plaisent ! Electre, Fermina Marquez, Camille, Yvonne de Galais ou, à sa manière, Ondine...
- QUESTION.- Et Phèdre, et Bérénice, vous les trouvez trop passionnées ?
- LE PRESIDENT.- Non, pas du tout. Mais celles-là valent surtout par Racine. "Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Seigneur ?" .. La Bérénice de l'histoire me paraît plutôt forte femme ! Vous me demandez une héroïne qui m'emballe.. De la présidente de Tourvel à Madame de Mortsauf, de Gervaise (eh oui ! Gervaise) à Marthe ou Ariane, il y en a beaucoup.
- QUESTION.- Vous avez parlé de Natacha en premier. Alors, Natacha, pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- Natacha jeune fille est la grâce, la joie, l'espoir, l'amour, tout à la fois. Tout est excès en elle : excès dans l'éblouissement, excès dans l'action, excès dans la passion.. Puis, elle rencontre le devoir, elle découvre qu'il y a des obligations qui dépassent le destin individuel. J'admire cette alliance : l'éclosion de la jeunesse, l'enthousiasme, le goût de vivre, puis la patrie et l'amour final autour duquel se construira sa vie.\
QUESTION.- Le sort de la Russie, la responsabilité de Natacha, les choses sérieuses nous amènent aux questions politiques. Comment expliquez-vous que la France soit l'avant-dernier pays européen en ce qui concerne la représentativité des femmes au Parlement ?
- LE PRESIDENT.- La France est difficile à faire bouger et les partis politiques plus encore.
- QUESTION.- Parce que la France est misogyne ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas cela, les Français ont souvent beaucoup de considération pour leurs femmes, pour les femmes mais ils sont très traditionnalistes. Les hommes sont habitués à diriger la société sans que les femmes ne le leur disputent.
- QUESTION.- Les femmes politiques disent que le personnel politique français est particulièrement machiste.
- LE PRESIDENT.- Plus qu'ailleurs ? En tout cas, l'évolution des moeurs est trop lente et c'est dommage.
- QUESTION.- Les femmes politiques interrogées par "Marie Claire" pensent qu'elles sont mieux qualifiées que les hommes pour redonner confiance dans la politique parce qu'elles sont plus concrètes et pratiquent moins la langue de bois.
- LE PRESIDENT.- Oh ! la langue de bois, elles l'attrapent vite. C'est très contagieux. Mais qu'elles soient plus concrètes, plus réalistes, plus disposées à innover, j'en conviens. Cela dit, mieux ou moins qualifiées que les hommes, qu'est-ce que cela signifie ? Tout sexisme est détestable. Homme ou femme on doit gouverner avec le souci de l'intérêt général et, dans la tête, une certaine idée de la société et de son avenir.
- QUESTION.- Elles auraient peut-être des idées si elles atteignaient davantage les postes de décision.
- LE PRESIDENT.- Il y a trop d'interdits et de barrages. Je le sais. Mais on peut les franchir.
- QUESTION.- Peut-être, mais quand on leur parle, on entend une sincérité qui ne se dégage pas des propos masculins. Sauf des vôtres aujourd'hui.
- LE PRESIDENT.- J'ai fait accéder bon nombre de femmes au gouvernement. Elles étaient excellentes.
- QUESTION.- Ce sont celles-là qui s'expriment comme je vous le rapporte.
- LE PRESIDENT.- Elles ne sont pas si mal que cela.
- QUESTION.- Vous avez un ton assez paternaliste pour dire : "elles ne sont pas si mal que cela".
- LE PRESIDENT.- Mais non, c'est par pudeur. Comment donc m'exprimer ? Disons simplement que les femmes ministres que j'ai connues étaient tout à fait à la hauteur de leur tâche.\
QUESTION.- En ce cinquantième anniversaire du droit de vote des femmes, les inégalités entre hommes et femmes en matière d'emploi ont tendance à s'accentuer. N'est-on pas dans une période régressive ?
- LE PRESIDENT.- Ces inégalités existent. J'ai travaillé à les réduire. La crise ne m'a pas aidé.
- QUESTION.- On sent également une répression dans le domaine du droit à l'avortement libre.
- LE PRESIDENT.- Les lois sont là pour être appliquées.
- QUESTION.- Des remises en cause de ce droit apparaissent de plus en plus, des difficultés de plus en plus fréquentes, dans les hôpitaux s'opposent aux pratiquent de l'IVG, on constate là un climat de retour en arrière.
- LE PRESIDENT.- Si cela se passe ainsi, soyons vigilants.
- QUESTION.- Le salaire parental ou même l'allocation parentale d'éducation à laquelle on pense actuellement, n'est-ce pas un moyen de pousser les femmes à retourner au foyer ? N'est-ce pas un remède anti-chômage plutôt qu'une mesure favorable aux femmes ?
- LE PRESIDENT.- A la manière dont vous posez la question, j'ai envie de répondre "non" parce que, dans mon esprit, ce qui prime c'est le droit des femmes à choisir ce qu'elles veulent. Encore faut-il qu'elles le puissent. Tout doit être fait pour cela. Voilà un combat politique majeur ! Mais une femme, mère de famille, peut souhaiter élever son ou ses enfants à la maison dans leur jeune âge. Il lui faut alors disposer de plus de temps tout en gardant son emploi. L'allocation parentale, remède anti-chômage, serait une mesure absolument réactionnaire, dans le vrai sens du terme. En revanche, une aide aux mères de famille, pour concilier l'emploi à l'extérieur et présence à la maison, pourquoi pas ?
- QUESTION.- Je n'en suis pas sûre. On veut quand même inciter les femmes à rentrer chez elles pour redonner un peu plus de travail aux hommes.
- LE PRESIDENT.- Le travail à l'extérieur est, pour les femmes, une forme de libération. Rien ne doit les en empêcher. Si leur volonté est de suivre de plus près l'éducation de leurs enfants, que notre société les y aide ! Mais il y a beaucoup de façon de les aider, en dehors ou en plus des allocations d'aide ménagère, les crèches, les garderies, etc.
- QUESTION.- C'est ce qu'elles ont voulu et, d'ailleurs, pour la plupart obtenu. La France est le pays où l'on compte le plus grand nombre de femmes qui travaillent.
- LE PRESIDENT.- En soi, c'est bien. Ce sera mieux quand, à mérite égal, leur salaire sera égal et quand leur promotion accompagnera leur valeur.
- QUESTION.- En dépit de la double charge que le travail et les enfants représentent, les femmes, dans une forte proportion, ont choisi de travailler. Le plus souvent, actuellement, leur salaire n'est même pas un salaire d'appoint. On leur propose, cependant, de renoncer au travail.
- LE PRESIDENT.- Les mesures qui consistent à donner des facilités à une femme qui travaille à l'extérieur, pour qu'elle ait le temps de s'occuper de ses enfants, proviennent d'un souci louable.
- QUESTION.- Peut-être, mais c'est méconnaître les chefs d'entreprise qui déjà préfèrent engager des hommes plutôt que des femmes qui risquent d'être enceintes et de devoir prendre des congés de maternité. Une femme qui retourne au foyer, qui prend des congés, des demi-soldes, n'est plus compétitive.
- LE PRESIDENT.- C'est dans la mobilité du travail et dans la mobilité des horaires qu'une solution peut être trouvée.
- QUESTION.- En période de crise, c'est encore plus difficile. Si elles prennent des congés, elles ne retrouvent plus leur travail.
- LE PRESIDENT.- C'est vrai, c'est dangereux pour elles.\
QUESTION.- De plus en plus nombreuses sont les femmes qui souhaitent des quotas pour entrer dans la vie politique.
- LE PRESIDENT.- C'est ce que j'ai fait quand je dirigeais le Parti socialiste, un quota du tiers. C'est un système qui en théorie, ne se justifie pas. En pratique, il n'y a pas moyen de faire autrement, sinon, les femmes n'accéderont pas du tout aux responsabilités. Je l'accepte pour amorcer le mouvement.
- QUESTION.- Des mouvements de femmes se créent en ce moment sur la revendication de la représentation paritaire.
- LE PRESIDENT.- Paritaire, oui et non. Attention aux formules toutes faites. Ne découpez pas la démocratie en tranches, l'une pour les hommes, l'autre pour les femmes, l'une pour les bruns, l'autre pour les blonds, etc.
- QUESTION.- Il y a cependant autant d'hommes que de femmes.
- LE PRESIDENT.- Que les électeurs choisissent. Je voudrais voir aussi plus de femmes prêtes à assumer des responsabilités politiques. Moi, je les ai parfois cherchées en vain.
- QUESTION.- Elles ont peur d'avoir à prendre la place des hommes qui sont loin de vouloir les accueillir, mais si elles avaient leur place, elles s'engageraient plus volontiers dans la vie politique.
- LE PRESIDENT.- Aucun doute. Trop de freins existent. J'observe cependant un progrès très réel à l'échelon municipal, qui a plus d'importance qu'on ne croit.
- QUESTION.- Les femmes se plaignent de l'accueil des hommes dans les municipalités. Il faut vraiment qu'elles aient dix fois plus de volonté publique que les hommes pour aboutir.
- LE PRESIDENT.- C'est déjà moins vrai. Je connais beaucoup de femmes conseillères municipales et maires.
- QUESTION.- Mais 6 % seulement au Parlement.
- LE PRESIDENT.- Oui et cela me choque. Il faut lutter contre cet état de choses. La pesanteur des organisations politiques joue contre.\
QUESTION.- Quelles sont vos positions vis-à-vis de l'évolution des recherches en bio-éthique, sur la procréation artificielle, par exemple ?
- LE PRESIDENT.- Je considère comme le docteur Cohen, le célèbre généticien, que refuser un progrès scientifique a quelque chose de malsain. Mais un progrès scientifique n'est pas synonyme de progrès moral et social. C'est pourquoi j'ai créé le comité national d'éthique. Terrible mais nécessaire responsabilité que de dire ce qui est permis à la science et ce qui lui est interdit. Pour dire vrai, je n'ai pas envie de voir les individus passer à l'état de clones.
- QUESTION.- Et sur la maternité des femmes à soixante ans, par exemple, quelle est votre idée ?
- LE PRESIDENT.- J'hésite à vous répondre tant la question est difficile. Tant pis, je ne trouve pas cela scandaleux.
- QUESTION.- Vous m'étonnez. Vous ne pensez pas aux enfants qui naîtront de femmes si âgées et qui seront orphelins très tôt.
- LE PRESIDENT.- Pas forcément très tôt, vous vivez vieilles et puis que sait-on de la vie, du destin ? L'amour aussi, cela existe.
- QUESTION.- Mais avec une apparence de grand-mères !
- LE PRESIDENT.- N'oubliez pas que l'on a fait sous mon autorité beaucoup de lois qui ont permis de réels progrès pour les femmes dans leur vie professionnelle, dans leur vie personnelle, et dans le domaine patrimonial. Rien que le fait de signer un chèque vous paraît une plaisanterie, mais c'est un droit tout à fait récent.
- QUESTION.- Depuis quelle année ?
- LE PRESIDENT.- La déclaration de revenus conjointe signée par les deux époux, date de 84 ou 85. Rien que ça. Mais voyez aussi le statut des conjoints d'artisans, d'agriculteurs et de commerçants, le remboursement de l'IVG, la loi sur l'égalité professionnelle, le recouvrement des pensions impayées, problème très important, l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux, l'égalité dans la gestion des biens des enfants, le droit pour les enfants de porter le nom de leur mère, la loi contre le harcèlement sexuel, l'ajout dans le code pénal de la violence conjugale, de la violence faite aux femmes, de l'inceste comme délits, etc, ce ne sont pas des petits bouts de loi que nous avons créés en instituant en 1981, le ministère des droits des femmes. Yvette Roudy a été très active, très efficace pendant cinq années.
- QUESTION.- Mais les femmes comme les jeunes, se sentent en ce moment dans un climat d'ordre moral qui les inquiète.
- LE PRESIDENT.- Notre société est conservatrice, je le répète. Elle s'est étonnée d'elle-même d'avoir élu une majorité socialiste en 81 et en 88. Maintenant elle se rattrape. Mais cela reviendra. Continuons de lutter, c'est mieux.\
- LE PRESIDENT.- C'était une relation très bonne et très forte. J'avais aussi une grand'mère que j'aimais avec ferveur. Mais j'étais un enfant de province, j'habitais à trente kilomètres du chef-lieu du département de la Charente, donc, pour mes études j'ai dû partir très tôt de la maison. La famille était proche pendant les vacances, mais le reste du temps, j'étais un petit pensionnaire, dès neuf ans et demi.
- QUESTION.- Les sentiments que l'on éprouve pour sa mère ne sont pas forcément simples.
- LE PRESIDENT.- Cela me paraissait simple. J'ai lu beaucoup d'essais, à l'âge mûr, sur les rapports entre les enfants et les parents, je ne m'y suis pas retrouvé. J'aimais beaucoup mes parents. Il y avait entre eux une grande harmonie. Ma mère est morte alors que j'avais dix-neuf ans. Cela a été un déchirement, une rupture au moment où j'arrivais à l'âge adulte.
- QUESTION.- Pensez-vous que la relation d'un fils avec sa mère influence la relation qu'il a après avec les autres femmes ?
- LE PRESIDENT.- Il paraît que cela influe beaucoup. Cela n'a pas été mon cas.
- QUESTION.- Vous avez la réputation de rendre hommage à la compétence des femmes. Pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- Parce que j'ai constaté cette compétence. Dans les travaux auxquels elles se livrent, elles apportent application, ténacité, intuition. De ce point de vue, elles sont remarquables. Elles l'ont été d'une façon générale, au gouvernement. Si elles ont un jour le pouvoir, ce ne sera peut-être plus comme ça...
- QUESTION.- Elles seront moins tenaces, moins courageuses, moins travailleuses ?
- LE PRESIDENT.- Elles feront travailler les hommes !
- QUESTION.- Vous croyez ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas pour "Marie-Claire" cette réflexion là !
- QUESTION.- N'appréciez-vous pas aussi les femmes à cause de leur charme féminin ?
- LE PRESIDENT.- Assurément.
- QUESTION.- Par exemple, auriez-vous choisi Mme Cresson comme Premier ministre si elle n'avait pas été jolie ?
- LE PRESIDENT.- Certes, la beauté est un atout, qu'elle possède, mais j'aurais choisi Edith Cresson, même si elle avait été, comme vous dites, moins jolie. Cela n'aurait pas été un inconvénient. J'avais confiance en elle pour d'autres qualités, assez rares.
- QUESTION.- Que pensez-vous de la manière dont elle a été traitée ?
- LE PRESIDENT.- Très injuste.
- QUESTION.- Est-ce, à votre avis, parce qu'elle était une femme ?
- LE PRESIDENT.- Cela a compté dans la campagne systématique et méchante engagée contre elle.
- QUESTION.- Vous reconnaissez là une misogynie du monde politique ?
- LE PRESIDENT.- Oui.
- QUESTION.- Et pour Madame Barzach ?
- LE PRESIDENT.- Pour Madame Barzach, aussi.
- QUESTION.- Elle a été également rejetée d'une façon violente. Un homme n'aurait sans doute pas subi le même sort.
- LE PRESIDENT.- J'ai beaucoup d'estime pour Mme Barzach que j'appréciais comme ministre de la santé lors de la première cohabitation. Elle était efficace, généreuse, ouverte. Quels ont été ses contentieux ensuite au sein de son parti ? Je ne suis pas au courant. Il a été dommage de se passer d'une femme de sa valeur. Oui, vraiment dommage.\
QUESTION.- On dit que vous êtes un séducteur. Même les hommes le disent. Vous vous voyez ainsi ?
- LE PRESIDENT.- Ces dernières années dans un sondage où l'on demandait aux femmes : "Qui aimeriez-vous avoir pour amant, j'avais remarqué avec sérénité, et peut-être un peu de dépit, que 3 % de femmes me citaient. Il est vrai qu'à 75 ans, mon âge, à cette époque...
- QUESTION.- Quand on dit d'un homme qu'il aime les femmes, est-ce un propos flatteur pour les femmes ou un propos misogyne ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas une offense !
- QUESTION.- "Aimer les femmes", c'est peut-être un peu léger comme aimer les fleurs.
- LE PRESIDENT.- Les femmes n'apprécient pas ce pluriel. Oui, l'expression est légère ou comprise comme légère. C'est pourtant une chance que d'aimer les femmes et les fleurs.
- QUESTION.- Qu'est-ce qui compte en premier, pour vous, chez une femme ?
- LE PRESIDENT.- La compagnie des femmes, leurs conseils, leur générosité ou leur sensibilité sont très importantes dans la vie d'un homme. La sensualité compte aussi, bien entendu, mais sans amour elle tourne vite à vide. Cela tout le monde le sait.
- QUESTION.- Vous aimez l'amitié des femmes ?
- LE PRESIDENT.- Beaucoup.
- QUESTION.- Cela se voit, vous êtes entouré de femmes.
- LE PRESIDENT.- Non, je ne suis pas entouré de femmes, mais bon nombre de femmes travaillent à mes côtés.
- QUESTION.- Vous ne m'avez pas dit ce qui compte, en premier pour vous chez une femme ?
- LE PRESIDENT.- Comment le dire ? Je n'en sais rien. Le charme d'une femme peut provenir d'affinités psychologiques, psychiques ou morales. En tout cas, pas seulement physiques ! On peut éprouver amour ou admiration pour une femme pour une autre raison que la rectitude d'un nez grec !
- QUESTION.- J'espère qu'en relisant cette interview, vous laisserez tous ces propos.
- LE PRESIDENT.- Pourquoi pas ?
- QUESTION.- Quelle femme j'aurais aimé être ? Quelle question ! QUESTION.- Il y a une femme que vous auriez supporté d'être ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai jamais désiré être femme. Ca ne m'est jamais venu à l'esprit. Mais j'ai envié la qualité, parfois sublime, de quelques femmes.
- QUESTION.- Est-ce que parfois vous vous rendez compte que vous avez des réactions machistes ?
- LE PRESIDENT.- On me le dit parfois, mais je ne le crois pas. Si j'aime en rire et parfois provoquer ces réactions, je ne reconnais à l'homme aucune supériorité sur la femme.
- QUESTION.- Vous aimez en rire, c'est-à-dire vous moquer des femmes qui vous ont fait cette remarque ?
- LE PRESIDENT.- Me moquer, non. C'est plutôt un jeu. Je n'aime pas les machos.
- QUESTION.- Vous ne vous sentez pas machiste ?
- LE PRESIDENT.- Jugez-moi sur mes actes, non sur vos suspicions.\
QUESTION.- Quelle est, dans la littérature française, votre héroïne préférée ?
- LE PRESIDENT.- Oh ! vous me prenez de court.. Il faut réfléchir à ce genre de question. Vous m'auriez dit dans la littérature universelle.. J'ai été naturellement séduit comme tout le monde - j'ai des goûts assez ordinaires - par Natacha mais elle est russe. Pour la littérature... faites-moi des suggestions.
- QUESTION.- La Princesse de Clèves, sa pureté, sa retenue, sa résistance. Cette princesse vous plaît-elle ?
- LE PRESIDENT.- Oui, beaucoup. Et quelle oeuvre !
- QUESTION.- Et Antigone, la rebelle ?
- LE PRESIDENT.- Pas de civilisation, pas de vertu, pas de salut sans Antigone.
- QUESTION.- Et dans "La Chartreuse de Parme", la Sanseverina, l'intelligente, elle vous plaît aussi ?
- LE PRESIDENT.- Enormément. Elle est plus intéressante que Clélia.
- QUESTION.- Et la sage et vibrante Madame de Rénal dans "Le Rouge et le Noir" ?
- LE PRESIDENT.- Moins.
- QUESTION.- Et Mathilde de la Môle, l'autre jeune fille stendhalienne, dans "Le Rouge et le Noir" ?
- LE PRESIDENT.- Je donne raison à Julien Sorel pour l'ordre de ses préférences - ou de ses jalousies.
- QUESTION.- Les jeunes filles vous plaisent moins ?
- LE PRESIDENT.- Mais si elle me plaisent ! Electre, Fermina Marquez, Camille, Yvonne de Galais ou, à sa manière, Ondine...
- QUESTION.- Et Phèdre, et Bérénice, vous les trouvez trop passionnées ?
- LE PRESIDENT.- Non, pas du tout. Mais celles-là valent surtout par Racine. "Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Seigneur ?" .. La Bérénice de l'histoire me paraît plutôt forte femme ! Vous me demandez une héroïne qui m'emballe.. De la présidente de Tourvel à Madame de Mortsauf, de Gervaise (eh oui ! Gervaise) à Marthe ou Ariane, il y en a beaucoup.
- QUESTION.- Vous avez parlé de Natacha en premier. Alors, Natacha, pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- Natacha jeune fille est la grâce, la joie, l'espoir, l'amour, tout à la fois. Tout est excès en elle : excès dans l'éblouissement, excès dans l'action, excès dans la passion.. Puis, elle rencontre le devoir, elle découvre qu'il y a des obligations qui dépassent le destin individuel. J'admire cette alliance : l'éclosion de la jeunesse, l'enthousiasme, le goût de vivre, puis la patrie et l'amour final autour duquel se construira sa vie.\
QUESTION.- Le sort de la Russie, la responsabilité de Natacha, les choses sérieuses nous amènent aux questions politiques. Comment expliquez-vous que la France soit l'avant-dernier pays européen en ce qui concerne la représentativité des femmes au Parlement ?
- LE PRESIDENT.- La France est difficile à faire bouger et les partis politiques plus encore.
- QUESTION.- Parce que la France est misogyne ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas cela, les Français ont souvent beaucoup de considération pour leurs femmes, pour les femmes mais ils sont très traditionnalistes. Les hommes sont habitués à diriger la société sans que les femmes ne le leur disputent.
- QUESTION.- Les femmes politiques disent que le personnel politique français est particulièrement machiste.
- LE PRESIDENT.- Plus qu'ailleurs ? En tout cas, l'évolution des moeurs est trop lente et c'est dommage.
- QUESTION.- Les femmes politiques interrogées par "Marie Claire" pensent qu'elles sont mieux qualifiées que les hommes pour redonner confiance dans la politique parce qu'elles sont plus concrètes et pratiquent moins la langue de bois.
- LE PRESIDENT.- Oh ! la langue de bois, elles l'attrapent vite. C'est très contagieux. Mais qu'elles soient plus concrètes, plus réalistes, plus disposées à innover, j'en conviens. Cela dit, mieux ou moins qualifiées que les hommes, qu'est-ce que cela signifie ? Tout sexisme est détestable. Homme ou femme on doit gouverner avec le souci de l'intérêt général et, dans la tête, une certaine idée de la société et de son avenir.
- QUESTION.- Elles auraient peut-être des idées si elles atteignaient davantage les postes de décision.
- LE PRESIDENT.- Il y a trop d'interdits et de barrages. Je le sais. Mais on peut les franchir.
- QUESTION.- Peut-être, mais quand on leur parle, on entend une sincérité qui ne se dégage pas des propos masculins. Sauf des vôtres aujourd'hui.
- LE PRESIDENT.- J'ai fait accéder bon nombre de femmes au gouvernement. Elles étaient excellentes.
- QUESTION.- Ce sont celles-là qui s'expriment comme je vous le rapporte.
- LE PRESIDENT.- Elles ne sont pas si mal que cela.
- QUESTION.- Vous avez un ton assez paternaliste pour dire : "elles ne sont pas si mal que cela".
- LE PRESIDENT.- Mais non, c'est par pudeur. Comment donc m'exprimer ? Disons simplement que les femmes ministres que j'ai connues étaient tout à fait à la hauteur de leur tâche.\
QUESTION.- En ce cinquantième anniversaire du droit de vote des femmes, les inégalités entre hommes et femmes en matière d'emploi ont tendance à s'accentuer. N'est-on pas dans une période régressive ?
- LE PRESIDENT.- Ces inégalités existent. J'ai travaillé à les réduire. La crise ne m'a pas aidé.
- QUESTION.- On sent également une répression dans le domaine du droit à l'avortement libre.
- LE PRESIDENT.- Les lois sont là pour être appliquées.
- QUESTION.- Des remises en cause de ce droit apparaissent de plus en plus, des difficultés de plus en plus fréquentes, dans les hôpitaux s'opposent aux pratiquent de l'IVG, on constate là un climat de retour en arrière.
- LE PRESIDENT.- Si cela se passe ainsi, soyons vigilants.
- QUESTION.- Le salaire parental ou même l'allocation parentale d'éducation à laquelle on pense actuellement, n'est-ce pas un moyen de pousser les femmes à retourner au foyer ? N'est-ce pas un remède anti-chômage plutôt qu'une mesure favorable aux femmes ?
- LE PRESIDENT.- A la manière dont vous posez la question, j'ai envie de répondre "non" parce que, dans mon esprit, ce qui prime c'est le droit des femmes à choisir ce qu'elles veulent. Encore faut-il qu'elles le puissent. Tout doit être fait pour cela. Voilà un combat politique majeur ! Mais une femme, mère de famille, peut souhaiter élever son ou ses enfants à la maison dans leur jeune âge. Il lui faut alors disposer de plus de temps tout en gardant son emploi. L'allocation parentale, remède anti-chômage, serait une mesure absolument réactionnaire, dans le vrai sens du terme. En revanche, une aide aux mères de famille, pour concilier l'emploi à l'extérieur et présence à la maison, pourquoi pas ?
- QUESTION.- Je n'en suis pas sûre. On veut quand même inciter les femmes à rentrer chez elles pour redonner un peu plus de travail aux hommes.
- LE PRESIDENT.- Le travail à l'extérieur est, pour les femmes, une forme de libération. Rien ne doit les en empêcher. Si leur volonté est de suivre de plus près l'éducation de leurs enfants, que notre société les y aide ! Mais il y a beaucoup de façon de les aider, en dehors ou en plus des allocations d'aide ménagère, les crèches, les garderies, etc.
- QUESTION.- C'est ce qu'elles ont voulu et, d'ailleurs, pour la plupart obtenu. La France est le pays où l'on compte le plus grand nombre de femmes qui travaillent.
- LE PRESIDENT.- En soi, c'est bien. Ce sera mieux quand, à mérite égal, leur salaire sera égal et quand leur promotion accompagnera leur valeur.
- QUESTION.- En dépit de la double charge que le travail et les enfants représentent, les femmes, dans une forte proportion, ont choisi de travailler. Le plus souvent, actuellement, leur salaire n'est même pas un salaire d'appoint. On leur propose, cependant, de renoncer au travail.
- LE PRESIDENT.- Les mesures qui consistent à donner des facilités à une femme qui travaille à l'extérieur, pour qu'elle ait le temps de s'occuper de ses enfants, proviennent d'un souci louable.
- QUESTION.- Peut-être, mais c'est méconnaître les chefs d'entreprise qui déjà préfèrent engager des hommes plutôt que des femmes qui risquent d'être enceintes et de devoir prendre des congés de maternité. Une femme qui retourne au foyer, qui prend des congés, des demi-soldes, n'est plus compétitive.
- LE PRESIDENT.- C'est dans la mobilité du travail et dans la mobilité des horaires qu'une solution peut être trouvée.
- QUESTION.- En période de crise, c'est encore plus difficile. Si elles prennent des congés, elles ne retrouvent plus leur travail.
- LE PRESIDENT.- C'est vrai, c'est dangereux pour elles.\
QUESTION.- De plus en plus nombreuses sont les femmes qui souhaitent des quotas pour entrer dans la vie politique.
- LE PRESIDENT.- C'est ce que j'ai fait quand je dirigeais le Parti socialiste, un quota du tiers. C'est un système qui en théorie, ne se justifie pas. En pratique, il n'y a pas moyen de faire autrement, sinon, les femmes n'accéderont pas du tout aux responsabilités. Je l'accepte pour amorcer le mouvement.
- QUESTION.- Des mouvements de femmes se créent en ce moment sur la revendication de la représentation paritaire.
- LE PRESIDENT.- Paritaire, oui et non. Attention aux formules toutes faites. Ne découpez pas la démocratie en tranches, l'une pour les hommes, l'autre pour les femmes, l'une pour les bruns, l'autre pour les blonds, etc.
- QUESTION.- Il y a cependant autant d'hommes que de femmes.
- LE PRESIDENT.- Que les électeurs choisissent. Je voudrais voir aussi plus de femmes prêtes à assumer des responsabilités politiques. Moi, je les ai parfois cherchées en vain.
- QUESTION.- Elles ont peur d'avoir à prendre la place des hommes qui sont loin de vouloir les accueillir, mais si elles avaient leur place, elles s'engageraient plus volontiers dans la vie politique.
- LE PRESIDENT.- Aucun doute. Trop de freins existent. J'observe cependant un progrès très réel à l'échelon municipal, qui a plus d'importance qu'on ne croit.
- QUESTION.- Les femmes se plaignent de l'accueil des hommes dans les municipalités. Il faut vraiment qu'elles aient dix fois plus de volonté publique que les hommes pour aboutir.
- LE PRESIDENT.- C'est déjà moins vrai. Je connais beaucoup de femmes conseillères municipales et maires.
- QUESTION.- Mais 6 % seulement au Parlement.
- LE PRESIDENT.- Oui et cela me choque. Il faut lutter contre cet état de choses. La pesanteur des organisations politiques joue contre.\
QUESTION.- Quelles sont vos positions vis-à-vis de l'évolution des recherches en bio-éthique, sur la procréation artificielle, par exemple ?
- LE PRESIDENT.- Je considère comme le docteur Cohen, le célèbre généticien, que refuser un progrès scientifique a quelque chose de malsain. Mais un progrès scientifique n'est pas synonyme de progrès moral et social. C'est pourquoi j'ai créé le comité national d'éthique. Terrible mais nécessaire responsabilité que de dire ce qui est permis à la science et ce qui lui est interdit. Pour dire vrai, je n'ai pas envie de voir les individus passer à l'état de clones.
- QUESTION.- Et sur la maternité des femmes à soixante ans, par exemple, quelle est votre idée ?
- LE PRESIDENT.- J'hésite à vous répondre tant la question est difficile. Tant pis, je ne trouve pas cela scandaleux.
- QUESTION.- Vous m'étonnez. Vous ne pensez pas aux enfants qui naîtront de femmes si âgées et qui seront orphelins très tôt.
- LE PRESIDENT.- Pas forcément très tôt, vous vivez vieilles et puis que sait-on de la vie, du destin ? L'amour aussi, cela existe.
- QUESTION.- Mais avec une apparence de grand-mères !
- LE PRESIDENT.- N'oubliez pas que l'on a fait sous mon autorité beaucoup de lois qui ont permis de réels progrès pour les femmes dans leur vie professionnelle, dans leur vie personnelle, et dans le domaine patrimonial. Rien que le fait de signer un chèque vous paraît une plaisanterie, mais c'est un droit tout à fait récent.
- QUESTION.- Depuis quelle année ?
- LE PRESIDENT.- La déclaration de revenus conjointe signée par les deux époux, date de 84 ou 85. Rien que ça. Mais voyez aussi le statut des conjoints d'artisans, d'agriculteurs et de commerçants, le remboursement de l'IVG, la loi sur l'égalité professionnelle, le recouvrement des pensions impayées, problème très important, l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux, l'égalité dans la gestion des biens des enfants, le droit pour les enfants de porter le nom de leur mère, la loi contre le harcèlement sexuel, l'ajout dans le code pénal de la violence conjugale, de la violence faite aux femmes, de l'inceste comme délits, etc, ce ne sont pas des petits bouts de loi que nous avons créés en instituant en 1981, le ministère des droits des femmes. Yvette Roudy a été très active, très efficace pendant cinq années.
- QUESTION.- Mais les femmes comme les jeunes, se sentent en ce moment dans un climat d'ordre moral qui les inquiète.
- LE PRESIDENT.- Notre société est conservatrice, je le répète. Elle s'est étonnée d'elle-même d'avoir élu une majorité socialiste en 81 et en 88. Maintenant elle se rattrape. Mais cela reviendra. Continuons de lutter, c'est mieux.\