10 septembre 1993 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la Résistance en Corse, les relations de l'île avec l'Etat et les valeurs traditionnelles des Corses, Bastia le 10 septembre 1993.

Mesdames et messieurs,
- Ce matin, à Ajaccio, nous disions que tout avait commencé le 9 septembre 1943. A Bastia, les combats ont cessé vingt-cinq jours plus tard mais au prix de luttes, d'épreuves, de sacrifices que je veux saluer comme je vous salue, en ce jour, chère héroïque Bastia. Ces luttes, ces épreuves, vous venez de les rappeler, monsieur le maire, près de ce monument que nous inaugurons et je vous remercie pour le message d'espoir que vous avez adressé au chef de l'Etat, au chef du gouvernement, aux ministres réunis ici à vos côtés en une telle occasion. J'ai toujours aimé venir dans votre ville. Je me souviens de nos rencontres ici-même et l'an dernier encore après le drame de Furiani. Aujourd'hui, est jour de fête dans la célébration du souvenir mais vous chère Vanina au si joli prénom stendhalien, Vanina Ferriano, vous avez eu raison de le dire, c'est l'honneur de Bastia que d'avoir tenu le serment prêté par vos compatriotes dès 1938 face à la montée des périls en réponse aux prétentions de l'Italie fasciste.
- Ce serment est assez beau pour qu'on se souvienne de chaque mot. Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes, sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir français.
- Deux des signataires de cet appel sont encore parmi nous, je les salue avec amitié et reconnaissance. J'ai envie de leur dire que ce texte-là, il faudrait le savoir, comment dirais-je, par coeur, car c'est bien le mot qui convient. C'est à leur volonté de liberté, forgée au cours des siècles et qui a fondé la réunion de la Corse à la France £ c'est à l'idée de liberté que les Résistants, dont nous célébrons ici le souvenir, doivent d'avoir combattu. Ce monument est dédié à la Résistance £ la Résistance, Bastia s'y est engagée et la signature de l'Armistice. Elle a conjugué ses efforts à ceux des autres patriotes de l'île, partout où se sont dressés les soldats de l'espoir et lorsque Fred Scamaroni, dont les missions étant en bien des points comparables à celles de Jean Moulin, mit fin à ses jours le 19 mars 1943, après avoir été affreusement torturé par l'OVRA, il avait mené sa tâche à bien en quelques semaines, et l'unité de la Résistance était faite.
- Oui, la Résistance a joué le premier rôle dans la libération de la Corse mais comment lire, sans désarroi et sans souffrance, le long martyrologe corse. Comment, c'est impossible, citer les noms de ceux qui n'ont reculé devant aucun danger, qui ont été exécutés par l'ennemi ou qui, lui barrant les routes de l'Ouest, à un contre dix, sont tombés les armes à la main. Les qualités montrées au cours de ce combat illustrent, je peux le dire, le génie particulier corse. Par l'histoire, la géographie, la culture, vous portez en vous une indestructible identité qui a marqué elle-même et qui reste attachée sans limite et sans rupture à notre histoire collective, celle de la France, notre patrie.\
On ne compte plus les grands administrateurs, les hauts magistrats, les généraux, les préfets, les ambassadeurs, les hommes politiques, les sommités religieuses et scientifiques corses qui ont sillonné la France, son Empire, le monde, mais aussi, j'y insiste, car il faut toujours le savoir, que de fonctionnaires et que d'entrepreneurs modestes dont on ne saura jamais le nom et qui furent ici-même des grands serviteurs de l'Etat, il y a chez vous, en effet, un goût extrême pour le service de l'Etat en même temps qu'un sens profondément enraciné de la justice. Je crois pouvoir dire que la justice est la valeur clé de la Corse, la référence suprême, l'unité de mesure.
- Ce culte va si loin qu'il a paradoxalement poussé certains au nom de la justice à la pire injustice, celle de la violence £ mais je suis reconnaissant au nom de la République à ceux qui, sans renier leur idéal, ont su rechercher la voie du dialogue, qui ont compris que l'avenir est dans la paix civile. Que chacun doit s'appliquer à faire de la Corse une terre de vie, d'espoir, de fierté et de respect mutuel. Consacrons nos forces, consacrez les vôtres au développement économique, à l'affirmation de votre personnalité, au renouveau de l'île et de chacune de ces villes, comme de chacun de ces villages, à la reconnaissance des liens qui nous unissent, nous tous fils d'une grande Nation dont la Corse a contribué et avec quel éclat à faire l'histoire.
- Mais revenons, un moment, à la vie quotidienne, la loi du 13 mai 1991 a prévu, vous le savez l'élaboration d'un plan de développement qui a fixé des objectifs et donné des moyens. Ce plan donnera lieu prochainement à des discussions avec l'Etat. Je souhaite qu'elles débouchent sur des projets d'investissements dans l'industrie et l'agriculture, sur des programmes d'équipements collectifs et surtout sur une vision claire de ce qu'il reste à faire.
- Je constate que vous avez, dans ce projet de plan, consacré une large place à l'environnement et je pense au patrimoine forestier, l'une des richesses inestimables de ce pays. Il faut que chacun s'y mette, élus, agriculteurs, défenseurs de la nature, vous tous, afin qu'une prise de conscience collective débarrasse la Corse du fléau qui d'année en année vous frappe et vous détruit. La décentralisation, le mot n'est pas beau, mais la chose est importante, qui, avec le statut particulier, a été poussée ici particulièrement loin, a le mérite de laisser à l'Etat et aux partenaires locaux toute latitude pour prendre sur place les décisions qui vous intéressent.\
Il y a mesdames et messieurs, amis Corses, dans vos traditions un souci constant d'échanges des idées, de confrontation des opinions et des joutes oratoires. Et de tout temps, je crois savoir que l'esprit républicain a été profondément ancré en vous. Celles et ceux qui naissent sur cette terre, qui foulent dès leur enfance des sentiers des maquis, qui vivent dans la beauté du ciel, de la terre, de la mer, ne sont pas complètement comme les autres. Ce qui prime chez eux, ce qui prime chez vous, c'est le coeur. Avec ce qu'il a de pire et ce qu'il a de meilleur. Le pire, ce sera l'honneur sanglant, la jalousie ombrageuse. Le meilleur, ce sera la fidélité, l'amitié, le sens du devoir, le goût d'être soi-même, la soif de connaître la terre aux quatre coins du monde. Tissu de contradiction, noeud de contraires, vous apparaissez ainsi comme le symbole de notre humanité, avec, tout à la fois sa fragilité et sa force. J'en retiendrai surtout sa grandeur.
- Une telle richesse, de telles tensions, de si grands paradoxes permettent les plus belles aventures, les plus grandes espérances. La France, l'Etat, la justice, la famille, l'amitié, l'amour et la Corse, toujours la Corse. Voilà les valeurs autour desquelles inlassablement votre île se reconstruit, se restructure dans la ferveur de ses traditions, la richesse de son terroir, la beauté de ses côtes, de sa mer, sa langue, son histoire, ses figures illustres, ses cartes, ses légendes, sa liturgie de la mort et sa ferveur de vivre.
- Corses, mes amis, soyez donc vous-mêmes et apportez à la France qui nous est commune ce que lui doivent tout ses fils. Que feriez-vous sans nous, que ferions-nous sans vous ? Mais il n'en est pas, il ne peut pas en être question. Le temps qui vient exige de notre part à tous à Bastia comme ailleurs, l'effort de chacun et je suis certain de rencontrer votre accord si je vous dis qu'en évoquant, à l'occasion de cette journée, la mémoire des Résistants Corses, j'ai pu y déceler un exemple qui m'encourage et qui m'incite à vous demander la mobilisation pour donner à la Corse l'avenir qu'elle mérite. Allons-y, tout est possible quand on le veut, quand on est porteur d'un message et d'une histoire. Nous le pouvons tous ensemble et nous le ressentirons en disant simplement, comme je le fais pour conclure.
- Vive Bastia !
- Vive la Corse !
- Vive la République !
- Vive la France.\