9 juin 1992 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, président de la République, en l'honneur de Sa Majesté la reine Elisabeth II et de Son Altesse Royale le prince Philip, duc d'Edimbourg, sur l'Europe, Paris le 9 juin 1992.
Madame,
- C'est pour le peuple français un honneur et un vrai plaisir que d'accueillir votre Majesté ainsi que son Altesse Royale, le Prince Philip, pour une troisième visite d'Etat depuis le début de votre règne.
- Nous mesurons le privilège qui nous est ainsi fait, et nous nous en réjouissons.
- Car cette visite est d'abord une marque d'amitié. Nos compatriotes, qui vous portent respect et admiration, le ressentent profondément. Ils vous en remercient par ma voix. Votre venue parmi nous traduit aussi l'intensité des liens tissés entre le Royaume-Uni et la France. Une longue compétition à travers les âges nous a conduits à aborder d'une autre façon le siècle qui s'achève. D'autres périls apparaissaient. Nous avions à sauvegarder en commun des valeurs de civilisation qui s'inspiraient des mêmes principes. Elles étaient menacées, notre alliance s'imposa, elle s'annonçait depuis longtemps. On n'en finirait pas de citer les interférences intellectuelles, morales, politiques qui nous ont permis de définir à tour de rôle les fondements de la démocratie, de l'équilibre des pouvoirs, du droit des gens, des droits de l'homme en même temps que penseurs, écrivains, hommes de science enrichissaient par l'échange de leurs savoirs la connaissance universelle.
- Il existe peu de pays de par le monde dont les destins soient à ce point entremêlés. Adversaires ou amis, amis désormais, ils ont toujours éprouvé l'un pour l'autre, quelles qu'eussent été les convulsions du temps, une sorte de fascination.
- Nos mémoires en sont marquées.
- C'est sans doute pourquoi, lorsque nous nous retrouvons, et nous n'avons jamais cessé de le faire, des prémices de la première guerre mondiale à aujourd'hui, chaque fois qu'il s'est agi de défendre la liberté, le droit et notre indépendance nationale, c'est sans doute pourquoi nous avons assumé les mêmes engagements. Comment oublier la fraternité d'armes des années sanglantes qui, de 1914 à 1918, virent des centaines de milliers des vôtres laisser leur vie sur notre sol, au service de la même cause.
- Et, comment ne pas célébrer, rappel inévitable et nécessaire tant l'événement fut décisif pour le destin de l'humanité, ce soir, une fois de plus, la détermination, le courage de votre peuple qui, sous l'impulsion de Winston Churchill et l'autorité de votre père, le Roi George VI, fit dans le ciel de Londres, basculer le sort des armes, et par là le sort du monde.
- A la fin de 1943 et au début de 1944, j'ai moi-même vécu à Londres les souffrances de vos compatriotes, le blitz, les nuits de mort et d'incendie, la ville sacrifiée, chacun revenant sans broncher chaque matin, à son poste de travail et de combat. Voilà l'exemple que vous avez donné.\
Associés, nous le sommes maintenant en toutes choses, qu'il s'agisse de guerre, hier encore au Koweit ou davantage de paix, la construction d'une société internationale où le droit prévaudra sur la force, Nations unies, Communauté européenne, Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, Alliance atlantique, médiation et arbitrage partout où, comme en Yougoslavie, la violence prétend régler le cours des choses.
- Que pèsent en regard les préjugés, les idées toutes faites, les images négatives qui entretiennent malgré tout le vieux fond de rivalités que mille ans d'histoire nous ont légué ? Pour remédier à ces travers, que nos concitoyens, particulièrement les plus jeunes, apprennent à se connaître. Des progrès considérables sont accomplis. Jamais autant d'étudiants, d'intellectuels, de fonctionnaires, d'hommes d'affaires, de journalistes, n'ont circulé de part et d'autre de ce petit détroit qui nous sépare.
- Tout, vraiment tout, nous porte à l'entente. Nos deux vieilles nations ont à l'évidence en commun des intérêts fondamentaux et l'on ne compte plus les entreprises modernes où nos partenaires allemands et espagnols, et bien sûr, et surtout, le tunnel sous la Manche dont j'ai signé l'acte de naissance à Lille, en présence du Premier ministre Pierre Mauroy, avec Mme Thatcher. Eh bien, continuons ! Allons sans hésiter sur tous les terrains qui s'offrent à notre soif d'agir, d'imaginer et de créer, le champ est illimité.\
Dans l'instant où je m'exprime devant vous, Madame, le plus vaste de nos projets réside tout simplement dans l'organisation de notre continent.
- Lorsque vous êtes venue en France, il y a tout juste vingt ans pour votre deuxième visite d'Etat, la Grande-Bretagne se préparait à rejoindre la Communauté européenne. Que de chemin parcouru depuis lors ! On vient de le constater à Maastricht. On s'attendait ici et là à voir s'accroître les tensions, à s'accuser les différences. S'il en reste, et il en reste, d'assez sérieuses pour exiger de notre part des efforts soutenus, ce sont cependant les similitudes et les convergences qui l'ont emporté. Quelles que soient leurs inclinations, elles vont du plus au moins, nos gouvernements ont lancé le combat pour l'Europe avec le même désir de convaincre et de réussir.
- Il y a quelques semaines seulement, vous êtes allée à Strasbourg, siège du Parlement européen et du Conseil de l'Europe. Le discours que vous y avez prononcé a été, à juste titre, très remarqué. Vous y exprimiez l'attachement de votre pays au développement et à la consolidation de la Communauté. Venant de vous, ces propos ont été perçus comme une précieuse confirmation.
- Dans moins d'un mois, la Grande-Bretagne prendra la présidence des Communautés européennes pour un semestre qui sera plus chargé encore que nous ne l'avions prévu. Nous aurons la lourde tâche de parachever la mise en place du grand Marché unique pour le 1er janvier prochain et il nous faudra plus encore réaffirmer nos choix. Rendez-vous est pris à cette fin dans cette Ecosse si chère au coeur de Votre Majesté, pour le conseil européen d'Edimbourg, en décembre, qui marquera la fin d'une époque de la Communauté et le commencement de quelque chose de nouveau, porteur d'une immense espérance, qui se nomme l'Union européenne.\
Vous avez évoqué, Madame, à Strasbourg, les pères fondateurs qui, il y a 40 ans et plus, ont oeuvré pour rendre impossible toute nouvelle guerre entre pays voisins, et qui ont tracé pour les générations futures les voies menant à une Europe, hâvre de paix, facteur de croissance et terre de liberté.
- N'oublions pas ce grand message. La guerre qui ravage la Bosnie nous le rappelle. Le mouvement qui a renversé le vieux système d'oppression et libéré les peuples d'Europe centrale et orientale a, dans le même temps, ouvert la voie à une fragmentation lourde de menaces. L'Europe ne peut, sans risque, accepter, que dans ces régions, le droit cède à la violence. Il convient maintenant de mettre en oeuvre et de compléter les règles communes déjà établies en se servant des structures existantes et de parfaire leurs capacités. Je pense notamment à cette cour d'arbitrage et de conciliation conçue pour prévenir les conflits qui résultent de la fin des empires et pour assurer en droit, en équité et pour l'Histoire, la sauvegarde des minorités.
- Bien entendu, la construction communautaire est l'axe majeur de nos efforts. Rendue possible, au point de départ, par la réconciliation entre l'Allemagne et la France, elle rend irréversible un mouvement qui paraîssait naguère encore inimaginable. Je le répète, notre Europe constitue aujourd'hui, pour l'ensemble du continent, un pôle de stabilité et de progrès. Chacun de ses membres y contribue, comme aussi en tire - tout bien compté - un profit plus grand que sa contribution, et si les Etats-membres l'oublient parfois, la liste, qui s'allonge, des pays candidats à l'adhésion le leur rappelle.\
Ouverte par vocation, la Communauté a élargi progressivement son champ géographique. Ce mouvement doit se poursuivre. La France souhaite que dès 1993, l'an prochain, les pays qui s'y sentent prêts nous rejoignent, acceptant de la sorte les mêmes disciplines pour un même objectif. Ne craignons pas de les accueillir. Mais l'élargissement de la Communauté suppose qu'elle renforce en même temps ses structures pour ne pas changer de nature. Ce double mouvement est parfaitement réalisable. La France en tout cas s'y attachera et saisira ses partenaires, dès le conseil européen de Lisbonne, dans quinze jours. Quant aux autres : les riverains de la Méditerranée, les pays d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique qui ont vocation, par les faits de l'histoire des siècles passés, à nouer des liens particuliers avec nous, qu'ils sachent que notre coopération avec eux demeure pour nous essentielle. Première puissance commerciale au monde, la Communauté qui se dote aujourd'hui d'un marché unifié, est plus ouverte aux échanges qu'aucun de ses partenaires industrialisés.
- Cette ouverture n'est cependant pas synonyme de dilution ou d'affaiblissement. La preuve en est que, du Marché commun à l'Union européenne, nous avons élevé la barre de nos ambitions, qui s'appelle aujourd'hui union économique, union monétaire, union politique, et tant d'autres dispositions touchant à la citoyenneté, à la sécurité, à la défense commune, à l'environnement, aux communications. Et nous avons débattu de cela à Maastricht en attendant d'aller plus loin. Plus loin, je pense, je dois le dire, aux droits sociaux.
- J'entends dire que nos deux pays, héritiers d'une longue histoire et de fortes et riches traditions, renonceraient par là même à leur identité nationale. Permettez-moi de recourir à cet égard à Jean Monnet. J'ai relevé dans ses "Mémoires" la citation suivante : "La souveraineté dépérit quand on la fige dans les formes du passé. Pour qu'elle vive, il est nécessaire de la transférer, à mesure que les cadres de l'action s'épanouissent, dans un espace plus grand où elle se fusionne avec d'autres appelées à la même évolution. Aucune ne se perd dans ce transfert, toutes se retrouvent au contraire renforcées. Quant aux fusions limitées de souverainetés nationales, elles se révèlent chaque jour bien plus modestes que les abandons totaux et aveugles de souveraineté" qui se produisent chaque jour sous la pression des forces dominantes qui ne sont pas les nôtres. Ces derniers mots sont de moi.
- Je n'aurai garde d'omettre la place qu'occupe dans ce projet de Conseil de l'Europe, bastion des droits de l'Homme sur le continent, lieu de rencontre de tous les Etats européens qui ont choisi la voie de la démocratie, et l'un des creusets possibles de cette organisation de l'ensemble de l'Europe que j'appelle de mes voeux, et qui offrira, sous forme confédérale, je pense, à l'Europe démocratique tout entière ces institutions où chacun verra sa dignité reconnue dans le partage des compétences et des moyens et dans le cadre d'organismes permanents où chacun disposera d'un droit égal à l'autre.\
Je n'ignore rien, Madame, des divergences d'appréciations dues à nos deux tempéraments, à nos traditions, à nos situations géographiques, à nos intérêts dans le monde. Nous avons cherché à les réduire. Nous y sommes largement parvenus. En visant haut nous avons laissé derrière nous bien des embarras qui entravaient nos pas. J'éprouve avec l'Europe comme un sentiment d'éveil, d'espoir, de marche vers la conquête de nouvelles libertés - et d'abord, celle, inestimable, de vivre en paix. Le jour se lève. Nos fils et nos filles le verront, le regard éclairé par la promesse enfin tenue des générations meurtries qui les ont précédées.
- Votre présence, Majesté, celle du Prince Philip et celles de vos compagnons de voyage auxquels je souhaite la bienvenue dans ce palais de la République française, me confirme dans la certitude, qu'ensemble - avec nos partenaires - nous pouvons changer l'histoire des hommes. Est-il plus noble tâche !
- Puissiez-vous, Madame, Monseigneur, emporter de votre séjour dans notre pays la conviction que la France est et demeurera pour votre grande nation une alliée, une amie. Je forme des voeux pour votre personne, pour ceux que vous aimez, pour votre peuple avant tout, et je lève mon verre, selon le rite mais de tout coeur, à votre santé et au bonheur des vôtres.\
- C'est pour le peuple français un honneur et un vrai plaisir que d'accueillir votre Majesté ainsi que son Altesse Royale, le Prince Philip, pour une troisième visite d'Etat depuis le début de votre règne.
- Nous mesurons le privilège qui nous est ainsi fait, et nous nous en réjouissons.
- Car cette visite est d'abord une marque d'amitié. Nos compatriotes, qui vous portent respect et admiration, le ressentent profondément. Ils vous en remercient par ma voix. Votre venue parmi nous traduit aussi l'intensité des liens tissés entre le Royaume-Uni et la France. Une longue compétition à travers les âges nous a conduits à aborder d'une autre façon le siècle qui s'achève. D'autres périls apparaissaient. Nous avions à sauvegarder en commun des valeurs de civilisation qui s'inspiraient des mêmes principes. Elles étaient menacées, notre alliance s'imposa, elle s'annonçait depuis longtemps. On n'en finirait pas de citer les interférences intellectuelles, morales, politiques qui nous ont permis de définir à tour de rôle les fondements de la démocratie, de l'équilibre des pouvoirs, du droit des gens, des droits de l'homme en même temps que penseurs, écrivains, hommes de science enrichissaient par l'échange de leurs savoirs la connaissance universelle.
- Il existe peu de pays de par le monde dont les destins soient à ce point entremêlés. Adversaires ou amis, amis désormais, ils ont toujours éprouvé l'un pour l'autre, quelles qu'eussent été les convulsions du temps, une sorte de fascination.
- Nos mémoires en sont marquées.
- C'est sans doute pourquoi, lorsque nous nous retrouvons, et nous n'avons jamais cessé de le faire, des prémices de la première guerre mondiale à aujourd'hui, chaque fois qu'il s'est agi de défendre la liberté, le droit et notre indépendance nationale, c'est sans doute pourquoi nous avons assumé les mêmes engagements. Comment oublier la fraternité d'armes des années sanglantes qui, de 1914 à 1918, virent des centaines de milliers des vôtres laisser leur vie sur notre sol, au service de la même cause.
- Et, comment ne pas célébrer, rappel inévitable et nécessaire tant l'événement fut décisif pour le destin de l'humanité, ce soir, une fois de plus, la détermination, le courage de votre peuple qui, sous l'impulsion de Winston Churchill et l'autorité de votre père, le Roi George VI, fit dans le ciel de Londres, basculer le sort des armes, et par là le sort du monde.
- A la fin de 1943 et au début de 1944, j'ai moi-même vécu à Londres les souffrances de vos compatriotes, le blitz, les nuits de mort et d'incendie, la ville sacrifiée, chacun revenant sans broncher chaque matin, à son poste de travail et de combat. Voilà l'exemple que vous avez donné.\
Associés, nous le sommes maintenant en toutes choses, qu'il s'agisse de guerre, hier encore au Koweit ou davantage de paix, la construction d'une société internationale où le droit prévaudra sur la force, Nations unies, Communauté européenne, Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, Alliance atlantique, médiation et arbitrage partout où, comme en Yougoslavie, la violence prétend régler le cours des choses.
- Que pèsent en regard les préjugés, les idées toutes faites, les images négatives qui entretiennent malgré tout le vieux fond de rivalités que mille ans d'histoire nous ont légué ? Pour remédier à ces travers, que nos concitoyens, particulièrement les plus jeunes, apprennent à se connaître. Des progrès considérables sont accomplis. Jamais autant d'étudiants, d'intellectuels, de fonctionnaires, d'hommes d'affaires, de journalistes, n'ont circulé de part et d'autre de ce petit détroit qui nous sépare.
- Tout, vraiment tout, nous porte à l'entente. Nos deux vieilles nations ont à l'évidence en commun des intérêts fondamentaux et l'on ne compte plus les entreprises modernes où nos partenaires allemands et espagnols, et bien sûr, et surtout, le tunnel sous la Manche dont j'ai signé l'acte de naissance à Lille, en présence du Premier ministre Pierre Mauroy, avec Mme Thatcher. Eh bien, continuons ! Allons sans hésiter sur tous les terrains qui s'offrent à notre soif d'agir, d'imaginer et de créer, le champ est illimité.\
Dans l'instant où je m'exprime devant vous, Madame, le plus vaste de nos projets réside tout simplement dans l'organisation de notre continent.
- Lorsque vous êtes venue en France, il y a tout juste vingt ans pour votre deuxième visite d'Etat, la Grande-Bretagne se préparait à rejoindre la Communauté européenne. Que de chemin parcouru depuis lors ! On vient de le constater à Maastricht. On s'attendait ici et là à voir s'accroître les tensions, à s'accuser les différences. S'il en reste, et il en reste, d'assez sérieuses pour exiger de notre part des efforts soutenus, ce sont cependant les similitudes et les convergences qui l'ont emporté. Quelles que soient leurs inclinations, elles vont du plus au moins, nos gouvernements ont lancé le combat pour l'Europe avec le même désir de convaincre et de réussir.
- Il y a quelques semaines seulement, vous êtes allée à Strasbourg, siège du Parlement européen et du Conseil de l'Europe. Le discours que vous y avez prononcé a été, à juste titre, très remarqué. Vous y exprimiez l'attachement de votre pays au développement et à la consolidation de la Communauté. Venant de vous, ces propos ont été perçus comme une précieuse confirmation.
- Dans moins d'un mois, la Grande-Bretagne prendra la présidence des Communautés européennes pour un semestre qui sera plus chargé encore que nous ne l'avions prévu. Nous aurons la lourde tâche de parachever la mise en place du grand Marché unique pour le 1er janvier prochain et il nous faudra plus encore réaffirmer nos choix. Rendez-vous est pris à cette fin dans cette Ecosse si chère au coeur de Votre Majesté, pour le conseil européen d'Edimbourg, en décembre, qui marquera la fin d'une époque de la Communauté et le commencement de quelque chose de nouveau, porteur d'une immense espérance, qui se nomme l'Union européenne.\
Vous avez évoqué, Madame, à Strasbourg, les pères fondateurs qui, il y a 40 ans et plus, ont oeuvré pour rendre impossible toute nouvelle guerre entre pays voisins, et qui ont tracé pour les générations futures les voies menant à une Europe, hâvre de paix, facteur de croissance et terre de liberté.
- N'oublions pas ce grand message. La guerre qui ravage la Bosnie nous le rappelle. Le mouvement qui a renversé le vieux système d'oppression et libéré les peuples d'Europe centrale et orientale a, dans le même temps, ouvert la voie à une fragmentation lourde de menaces. L'Europe ne peut, sans risque, accepter, que dans ces régions, le droit cède à la violence. Il convient maintenant de mettre en oeuvre et de compléter les règles communes déjà établies en se servant des structures existantes et de parfaire leurs capacités. Je pense notamment à cette cour d'arbitrage et de conciliation conçue pour prévenir les conflits qui résultent de la fin des empires et pour assurer en droit, en équité et pour l'Histoire, la sauvegarde des minorités.
- Bien entendu, la construction communautaire est l'axe majeur de nos efforts. Rendue possible, au point de départ, par la réconciliation entre l'Allemagne et la France, elle rend irréversible un mouvement qui paraîssait naguère encore inimaginable. Je le répète, notre Europe constitue aujourd'hui, pour l'ensemble du continent, un pôle de stabilité et de progrès. Chacun de ses membres y contribue, comme aussi en tire - tout bien compté - un profit plus grand que sa contribution, et si les Etats-membres l'oublient parfois, la liste, qui s'allonge, des pays candidats à l'adhésion le leur rappelle.\
Ouverte par vocation, la Communauté a élargi progressivement son champ géographique. Ce mouvement doit se poursuivre. La France souhaite que dès 1993, l'an prochain, les pays qui s'y sentent prêts nous rejoignent, acceptant de la sorte les mêmes disciplines pour un même objectif. Ne craignons pas de les accueillir. Mais l'élargissement de la Communauté suppose qu'elle renforce en même temps ses structures pour ne pas changer de nature. Ce double mouvement est parfaitement réalisable. La France en tout cas s'y attachera et saisira ses partenaires, dès le conseil européen de Lisbonne, dans quinze jours. Quant aux autres : les riverains de la Méditerranée, les pays d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique qui ont vocation, par les faits de l'histoire des siècles passés, à nouer des liens particuliers avec nous, qu'ils sachent que notre coopération avec eux demeure pour nous essentielle. Première puissance commerciale au monde, la Communauté qui se dote aujourd'hui d'un marché unifié, est plus ouverte aux échanges qu'aucun de ses partenaires industrialisés.
- Cette ouverture n'est cependant pas synonyme de dilution ou d'affaiblissement. La preuve en est que, du Marché commun à l'Union européenne, nous avons élevé la barre de nos ambitions, qui s'appelle aujourd'hui union économique, union monétaire, union politique, et tant d'autres dispositions touchant à la citoyenneté, à la sécurité, à la défense commune, à l'environnement, aux communications. Et nous avons débattu de cela à Maastricht en attendant d'aller plus loin. Plus loin, je pense, je dois le dire, aux droits sociaux.
- J'entends dire que nos deux pays, héritiers d'une longue histoire et de fortes et riches traditions, renonceraient par là même à leur identité nationale. Permettez-moi de recourir à cet égard à Jean Monnet. J'ai relevé dans ses "Mémoires" la citation suivante : "La souveraineté dépérit quand on la fige dans les formes du passé. Pour qu'elle vive, il est nécessaire de la transférer, à mesure que les cadres de l'action s'épanouissent, dans un espace plus grand où elle se fusionne avec d'autres appelées à la même évolution. Aucune ne se perd dans ce transfert, toutes se retrouvent au contraire renforcées. Quant aux fusions limitées de souverainetés nationales, elles se révèlent chaque jour bien plus modestes que les abandons totaux et aveugles de souveraineté" qui se produisent chaque jour sous la pression des forces dominantes qui ne sont pas les nôtres. Ces derniers mots sont de moi.
- Je n'aurai garde d'omettre la place qu'occupe dans ce projet de Conseil de l'Europe, bastion des droits de l'Homme sur le continent, lieu de rencontre de tous les Etats européens qui ont choisi la voie de la démocratie, et l'un des creusets possibles de cette organisation de l'ensemble de l'Europe que j'appelle de mes voeux, et qui offrira, sous forme confédérale, je pense, à l'Europe démocratique tout entière ces institutions où chacun verra sa dignité reconnue dans le partage des compétences et des moyens et dans le cadre d'organismes permanents où chacun disposera d'un droit égal à l'autre.\
Je n'ignore rien, Madame, des divergences d'appréciations dues à nos deux tempéraments, à nos traditions, à nos situations géographiques, à nos intérêts dans le monde. Nous avons cherché à les réduire. Nous y sommes largement parvenus. En visant haut nous avons laissé derrière nous bien des embarras qui entravaient nos pas. J'éprouve avec l'Europe comme un sentiment d'éveil, d'espoir, de marche vers la conquête de nouvelles libertés - et d'abord, celle, inestimable, de vivre en paix. Le jour se lève. Nos fils et nos filles le verront, le regard éclairé par la promesse enfin tenue des générations meurtries qui les ont précédées.
- Votre présence, Majesté, celle du Prince Philip et celles de vos compagnons de voyage auxquels je souhaite la bienvenue dans ce palais de la République française, me confirme dans la certitude, qu'ensemble - avec nos partenaires - nous pouvons changer l'histoire des hommes. Est-il plus noble tâche !
- Puissiez-vous, Madame, Monseigneur, emporter de votre séjour dans notre pays la conviction que la France est et demeurera pour votre grande nation une alliée, une amie. Je forme des voeux pour votre personne, pour ceux que vous aimez, pour votre peuple avant tout, et je lève mon verre, selon le rite mais de tout coeur, à votre santé et au bonheur des vôtres.\