27 janvier 1992 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au quotidien "Al Khalleej" le 27 janvier 1992, sur la situation politique internationale.
QUESTION.- Comment percevez-vous le nouvel équilibre stratégique qui se met en place après l'effondrement du système bipolaire ?
- LE PRESIDENT.- La désagrégation de l'Union soviétique a accéléré le déclin de l'ordre bipolaire né aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Un effort de recomposition a été entrepris autour de la Communauté des Etats indépendants. Il est trop tôt pour dire jusqu'où ira ce processus. Cela dépendra pour une large part des relations qui s'établissent entre la Russie et l'Ukraine. Mais quelles que soient les évolutions à venir, on ne retrouvera pas, en lieu et place de l'Union soviétique, ce bloc monolithique qui était l'une des composantes du système antérieur.
- La réduction progressive de la présence militaire américaine dans le monde annoncée, en particulier, par le Plan Bush de désarmement nucléaire du 27 septembre 1991, constitue une autre donnée à prendre en compte.
- Le renforcement de l'union politique européenne vigoureusement mis en oeuvre par le Conseil européen de Maastricht des 9 et 10 décembre vise à répondre à ces évolutions. Le temps est venu de substituer à l'ordre ancien des Empires, des ensembles fondés sur le contrat et la solidarité entre Etats.
- La France attache une très grande importance à ce que l'Europe développe parallèlement ses relations avec les pays dits du "Sud" et, en particulier, avec le monde arabe avec lequel elle partage une longue histoire. C'est en procédant ainsi que l'on peut espérer substituer à un système bipolaire fondé sur la confrontation un ordre international plus diversifié reposant sur la coopération.\
QUESTION.- Comment envisagez-vous l'avenir de l'OTAN ? L'Europe pourra-t-elle se doter d'une structure de défense indépendante ?
- LE PRESIDENT.- L'Alliance atlantique sort victorieuse de la guerre froide par abandon de l'adversaire potentiel. Pendant près de quarante ans, elle a joué un rôle fondamental pour la sécurité de l'Europe.
- Il est normal que le déclin de la menace directe et massive à laquelle elle faisait face conduise l'Alliance à s'interroger sur son avenir. Sa finalité n'est pas remise en cause à ce jour. Le pôle de stabilité qu'elle constitue garde sa raison d'être. Mais la transformation du contexte stratégique dans lequel elle s'inscrit, implique une adaptation en profondeur de ses mécanismes et de sa doctrine que les Alliés ont engagée.
- Dans ce contexte les Européens ont décidé de se doter d'un embryon de défense commune dont l'Union pour l'Europe occidentale qui réunit neuf des membres de la Communauté sera l'instrument d'exécution. Il ne s'agit pas, ce faisant, d'affaiblir l'Alliance atlantique, qui demeure indispensable à la sécurité de l'Europe, mais d'accroître la part que prennent les Européens à leur propre défense.\
QUESTION.- Après la chute du Shah d'Iran, l'Occident a considéré qu'il y avait un vide politique dans le Golfe. Les Etats-Unis sont-ils seuls à même de le combler ?
- LE PRESIDENT.- Si j'en crois ce que disent les dirigeants américains, ils ne souhaitent pas maintenir une présence militaire terrestre permanente dans cette zone. Je constate, par ailleurs, que les pays du Golfe s'efforcent de développer de nouvelles solidarités régionales et je m'en réjouis. Enfin, il est manifeste que ces pays attendent de l'Europe une présence accrue tant pour les relations économiques et commerciales.\
QUESTION.- Qu'attendez-vous du dialogue euro-arabe ? La CEE va-t-elle se concentrer sur ses problèmes communautaires et délaisser ainsi ses intérêts en Afrique du Nord ?
- LE PRESIDENT.- Ce dialogue s'était quelque peu enlisé et c'est pour le relancer que j'ai invité à se réunir, à Paris, en décembre 1989, les ministres des affaires étrangères des deux régions. La Commission générale, organe suprême de cette institution, a pu se réunir à Dublin en juin 1990 et les groupes de travail étaient en cours de constitution au moment où éclatait la guerre du Golfe. Le travail doit reprendre dans les semaines qui viennent.
- Il n'y a aucune raison de penser, bien au contraire, que les progrès de la Communauté vont nuire aux relations qu'elle entretient avec les pays d'Afrique du Nord. La France y veillera, qu'il s'agisse de préserver les acquis des accords passés avec les trois pays du Maghreb, ou de mettre en oeuvre les dispositions dont ces derniers peuvent bénéficier au titre de la politique méditerranéenne rénovée. Ces pays sont, de plus, associés au processus de coopération en Méditerranée occidentale dont la France a pris l'initiative.\
QUESTIONS.- La majorité des pays arabes estime que l'Europe et principalement la France n'ont pas joué de rôle majeur pour convaincre Israël d'agir pour une paix juste et durable. Si c'est le cas, quelle en est la raison ? Doit-on la trouver dans la politique menée par les Etats-Unis ?
- LE PRESIDENT.- Considérer que l'Europe et la France n'ont pas joué de rôle majeur en faveur d'une paix juste et durable serait à la fois inexact et injuste. N'est-ce pas la Communauté européenne qui la première, sous l'impulsion de la France, a contribué à définir les termes d'un règlement fondé sur le droit et la justice ? Quel pays a fait plus d'efforts que la France, et depuis aussi longtemps, pour que sur ces bases, un processus de négociation s'engage ? Au cours des mois qui ont précédé la conférence de Madrid, la France et ses partenaires européens ont mis à profit leurs contacts avec les différentes parties en présence pour les convaincre de saisir l'opportunité qui s'offrait.
- Depuis lors, ces contacts se sont poursuivis. Le ministre des affaires étrangères français s'est ainsi rendu dans toutes les capitales intéressées par le processus de paix, et en particulier en Israël. J'ai la conviction que les idées françaises et européennes de règlement fondé sur le droit et la justice commencent à faire leur chemin.\
- LE PRESIDENT.- La désagrégation de l'Union soviétique a accéléré le déclin de l'ordre bipolaire né aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Un effort de recomposition a été entrepris autour de la Communauté des Etats indépendants. Il est trop tôt pour dire jusqu'où ira ce processus. Cela dépendra pour une large part des relations qui s'établissent entre la Russie et l'Ukraine. Mais quelles que soient les évolutions à venir, on ne retrouvera pas, en lieu et place de l'Union soviétique, ce bloc monolithique qui était l'une des composantes du système antérieur.
- La réduction progressive de la présence militaire américaine dans le monde annoncée, en particulier, par le Plan Bush de désarmement nucléaire du 27 septembre 1991, constitue une autre donnée à prendre en compte.
- Le renforcement de l'union politique européenne vigoureusement mis en oeuvre par le Conseil européen de Maastricht des 9 et 10 décembre vise à répondre à ces évolutions. Le temps est venu de substituer à l'ordre ancien des Empires, des ensembles fondés sur le contrat et la solidarité entre Etats.
- La France attache une très grande importance à ce que l'Europe développe parallèlement ses relations avec les pays dits du "Sud" et, en particulier, avec le monde arabe avec lequel elle partage une longue histoire. C'est en procédant ainsi que l'on peut espérer substituer à un système bipolaire fondé sur la confrontation un ordre international plus diversifié reposant sur la coopération.\
QUESTION.- Comment envisagez-vous l'avenir de l'OTAN ? L'Europe pourra-t-elle se doter d'une structure de défense indépendante ?
- LE PRESIDENT.- L'Alliance atlantique sort victorieuse de la guerre froide par abandon de l'adversaire potentiel. Pendant près de quarante ans, elle a joué un rôle fondamental pour la sécurité de l'Europe.
- Il est normal que le déclin de la menace directe et massive à laquelle elle faisait face conduise l'Alliance à s'interroger sur son avenir. Sa finalité n'est pas remise en cause à ce jour. Le pôle de stabilité qu'elle constitue garde sa raison d'être. Mais la transformation du contexte stratégique dans lequel elle s'inscrit, implique une adaptation en profondeur de ses mécanismes et de sa doctrine que les Alliés ont engagée.
- Dans ce contexte les Européens ont décidé de se doter d'un embryon de défense commune dont l'Union pour l'Europe occidentale qui réunit neuf des membres de la Communauté sera l'instrument d'exécution. Il ne s'agit pas, ce faisant, d'affaiblir l'Alliance atlantique, qui demeure indispensable à la sécurité de l'Europe, mais d'accroître la part que prennent les Européens à leur propre défense.\
QUESTION.- Après la chute du Shah d'Iran, l'Occident a considéré qu'il y avait un vide politique dans le Golfe. Les Etats-Unis sont-ils seuls à même de le combler ?
- LE PRESIDENT.- Si j'en crois ce que disent les dirigeants américains, ils ne souhaitent pas maintenir une présence militaire terrestre permanente dans cette zone. Je constate, par ailleurs, que les pays du Golfe s'efforcent de développer de nouvelles solidarités régionales et je m'en réjouis. Enfin, il est manifeste que ces pays attendent de l'Europe une présence accrue tant pour les relations économiques et commerciales.\
QUESTION.- Qu'attendez-vous du dialogue euro-arabe ? La CEE va-t-elle se concentrer sur ses problèmes communautaires et délaisser ainsi ses intérêts en Afrique du Nord ?
- LE PRESIDENT.- Ce dialogue s'était quelque peu enlisé et c'est pour le relancer que j'ai invité à se réunir, à Paris, en décembre 1989, les ministres des affaires étrangères des deux régions. La Commission générale, organe suprême de cette institution, a pu se réunir à Dublin en juin 1990 et les groupes de travail étaient en cours de constitution au moment où éclatait la guerre du Golfe. Le travail doit reprendre dans les semaines qui viennent.
- Il n'y a aucune raison de penser, bien au contraire, que les progrès de la Communauté vont nuire aux relations qu'elle entretient avec les pays d'Afrique du Nord. La France y veillera, qu'il s'agisse de préserver les acquis des accords passés avec les trois pays du Maghreb, ou de mettre en oeuvre les dispositions dont ces derniers peuvent bénéficier au titre de la politique méditerranéenne rénovée. Ces pays sont, de plus, associés au processus de coopération en Méditerranée occidentale dont la France a pris l'initiative.\
QUESTIONS.- La majorité des pays arabes estime que l'Europe et principalement la France n'ont pas joué de rôle majeur pour convaincre Israël d'agir pour une paix juste et durable. Si c'est le cas, quelle en est la raison ? Doit-on la trouver dans la politique menée par les Etats-Unis ?
- LE PRESIDENT.- Considérer que l'Europe et la France n'ont pas joué de rôle majeur en faveur d'une paix juste et durable serait à la fois inexact et injuste. N'est-ce pas la Communauté européenne qui la première, sous l'impulsion de la France, a contribué à définir les termes d'un règlement fondé sur le droit et la justice ? Quel pays a fait plus d'efforts que la France, et depuis aussi longtemps, pour que sur ces bases, un processus de négociation s'engage ? Au cours des mois qui ont précédé la conférence de Madrid, la France et ses partenaires européens ont mis à profit leurs contacts avec les différentes parties en présence pour les convaincre de saisir l'opportunité qui s'offrait.
- Depuis lors, ces contacts se sont poursuivis. Le ministre des affaires étrangères français s'est ainsi rendu dans toutes les capitales intéressées par le processus de paix, et en particulier en Israël. J'ai la conviction que les idées françaises et européennes de règlement fondé sur le droit et la justice commencent à faire leur chemin.\