14 janvier 1992 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les conséquences constitutionnelles de la ratification du Traité de Maastricht, le siège des institutions communautaires et les relations franco-luxembourgeoises, notamment en matière d'environnement, Luxembourg, le 14 janvier 1992.
Mesdames,
- Messieurs,
- Cet après-midi s'achèvera la visite d'Etat que j'effectue au Grand Duché de Luxembourg. Vous avez pu suivre les différentes cérémonies qui ont occupé l'après-midi d'hier et la journée d'aujourd'hui. Pendant que je rencontrais le Grand Duc, le chef du gouvernement, le ministre des affaires étrangères, la Présidente du Parlement, Mme le Bourgmestre de Luxembourg, les ministres qui m'accompagnaient avaient des entretiens bilatéraux avec leurs homologues.
- Bien qu'une visite d'Etat ne soit pas faite pour régler l'ensemble des problèmes, simplement pour en préparer la solution, nous pourrions maintenant parler du résultat de ces travaux si cela vous intéresse.
- Donc je n'ai pas d'autre présentation à faire. Vous pouvez imaginer aisément le type de conversation soit visant les relations bilatérales Luxembourg - France, soit visant la construction européenne à laquelle nous sommes associés. Tels furent les deux thèmes essentiels des conversations.
- Je suis donc à votre disposition pour répondre à vos questions.\
QUESTION.- Monsieur le Président, sur les questions européennes, est-ce que vous avez eu l'occasion de revenir à la fois sur votre déclaration aux rencontres nationales pour l'Europe, de vendredi matin à Paris, et sur ce que vous avez déclaré à RTL, notamment quant à la responsabilité que vous prenez, et à celle du gouvernement, quant à la ratification de Maastricht. Est-ce qu'on peut avoir sur ce point une clarification ?
- LE PRESIDENT.- Moi, je n'ai pas eu l'occasion d'y revenir, non. Mes interlocuteurs ne m'ont pas fait passer sur le gril des questions comme vous le faites vous-même. Dans notre conversation sur l'Europe, on a tenu compte de certains des éléments qui avaient été précisés par moi, mais sans aller au-delà. Donc s'il s'agit de vous rendre compte de conversations avec les autorités luxembourgeoises, cela ne fait pas partie du sujet. J'ai l'impression que vous, vous vous intéressez à autre chose. Que voudriez-vous savoir ?
- QUESTION.- Vendredi matin, monsieur le Président, vous avez parlé de cette ratification en laissant ouvertes deux possibilités, le Parlement ou l'appel au référendum. Est-ce que vous êtes allé plus loin dans votre réflexion sur cette intention, quelle est aujourd'hui votre intention ? Y a-t-il, comme on l'a compris maladroitement après la retranscription de cette interview, un engagement quelconque de votre part sur cette affaire-là, autre qu'un engagement moral, comme on l'a compris vendredi à Paris ?
- LE PRESIDENT.- Vous voulez dire vendredi matin, c'est-à-dire mes déclarations devant les rencontres organisées par Elisabeth Guigou, où, comme vous avez pu le voir, une très grande affluence de personnalités diverses étaient venues répondre à l'invitation. Je n'ai pas grand'chose à dire. D'abord pour tout ce qui touche à la politique intérieure française, ce n'est pas ici que je le ferai, selon une tradition bien établie qui ne vous surprendra pas. Tout ce qui touche à la politique française, je le traite en France. Pour ce qui touche aux questions proprement internationales, je ne vois pas très bien par quel bout prendre votre question pour être positif avec vous, pour entrer dans le jeu de vos questions. Je ne cherche pas du tout à échapper aux questions judicieuses que vous me posez. Elles sont vraiment spécifiquement franco-françaises. Bien entendu, j'aurai l'occasion au cours des semaines qui viennent de m'exprimer à ce sujet, de répondre à la curiosité des journalistes et de toute personne qui le souhaitera.\
`Suite sur l'engagement présidentiel pour la ratification du traité de Maastricht`
- Pour rester dans le cadre de ma réserve légitime, que vous comprendrez, et ne pas traiter ailleurs qu'en France les problèmes français, je vous dirai qu'il me semble avoir été quand même plus clair qu'on ne le dit.
- C'est vrai que les problèmes constitutionnels liés aux accords de Maastricht, je parle bien de ceux-là, tels qu'ils ressortiront de l'étude et des propositions du Conseil constitutionnel devront être examinés par le Parlement. C'est une discussion juridique, sérieuse, approfondie qui mérite des questions et des réponses multiples qui ne pourraient être vraiment satisfaites par un simple référendum. Un référendum exige l'unité d'un sujet clair et ne supporterait pas la multiplicité des questions. Donc le Parlement aura, en effet, à débattre de chacun des aspects des conséquences constitutionnelles qu'entraîneraient les diverses dispositions de Maastricht. De toute manière le Parlement aura un grand rôle à jouer. Pour le reste, on se retrouvera à Paris un de ces jours.
- On aura d'autres occasions de parler ensemble. On pourra avancer dans la connaissance du sujet d'autant plus que nous sommes maintenant mi-janvier, février, mars. S'il n'y avait pas les élections régionales et départementales, tout cela irait beaucoup plus vite ! On ne peut pas décemment mêler les deux débats de telle sorte qu'il ne pourra pas y avoir d'engagement, de discussion parlementaire sur le traité de Maastricht avant le mois d'avril. Je suis contraint par d'autres préoccupations de caractère intérieur, c'est-à-dire électoral, de retarder le moment où votre curiosité sera entièrement satisfaite. Bien entendu, nous en reparlerons au cours des semaines prochaines. Il n'y a rien de bien secret dans tout ce qui reste à faire. Il n'y a jamais rien de secret en France et c'est très bien comme cela.\
QUESTION.- Est-ce qu'au terme de cette visite officielle, les positions de la France et du Luxembourg se sont rapprochées quant à la défense des deux sièges du Parlement européen à Strasbourg et Luxembourg contre Bruxelles ?
- LE PRESIDENT.- Elles n'avaient pas besoin de se rapprocher. Elles sont depuis longtemps absolument semblables, identiques. Le Luxembourg et la France considèrent qu'il n'y a pas de capitale de l'Europe, qu'il y a des sièges d'institutions. Si l'Europe devait décider un jour le choix d'une capitale, on en débattrait. Tel n'a pas été le cas jusqu'ici. Il y a donc des sièges attribués à différentes villes d'Europe. Il y en pas mal encore aujourd'hui en instance. On verra des institutions aller s'installer qui au Danemark, qui au Portugal, qui en Espagne, etc. De telle sorte que le débat dans son ensemble est ouvert. Il n'est pas ouvert que pour Strasbourg et Luxembourg. On pourrait dire : pourquoi ne serait-il pas ouvert aussi pour le siège de la Commission ? Ils sont exactement au même stade d'élaboration juridique. Une décision provisoire a été prise il y a déjà longtemps fixant à Luxembourg, à Strasbourg et à Bruxelles un certain nombre d'institutions multiples, en particulier celles qui touchent au Parlement ou aux Assemblées des Communautés, tout cela sous la même rubrique provisoire. Si l'un de ces sièges devait être remis en question, tous le seraient. Nous ne le demandons pas. Il me semble bien qu'on commence à mettre ce sujet sur le tapis. Le Luxembourg et la France sont absolument d'accord pour estimer qu'il y a une Europe, que cette Europe est comme on dit maintenant, c'est un mot à la mode, "plurielle", que les institutions doivent être réparties sur l'ensemble des pays qui appartiennent à cette Communauté, et qu'il n'est pas question de changer les sièges sans procéder alors à une révision générale. Nous ne renonçons, pour être tout à fait concret, ni à Strasbourg, ni à Luxembourg et nous sommes d'accord.
- QUESTION.- Que dites-vous alors à ce moment-là de la campagne menée par Bruxelles qui semble pourtant aller dans la direction d'un siège unique ?
- LE PRESIDENT.- Je pense simplement que c'est tout à fait mal venu, mais cette campagne, pour l'instant, est celle d'une majorité relative du Parlement européen. Je ne pense pas que cela se fasse au plus grand déplaisir de Bruxelles. Mais enfin Bruxelles ne s'est pas exprimé, de telle sorte que je puisse le mettre en cause. Je pense qu'il n'y a pas lieu de rassembler à Bruxelles l'ensemble des organes du législatif et tout ce qui sert aujourd'hui, y compris par la Commission, à mettre en marche la machine européenne.
- QUESTION.- Pensez-vous que le futur siège de la banque centrale européenne pourrait être à Luxembourg comme le prévoient les accords de 1965 ?
- LE PRESIDENT.- Je n'en sais strictement rien. L'ensemble de ces institutions fera l'objet d'un débat difficile. Vous voyez que cela a commencé. Je sais qu'on murmure que telle ou telle institution internationale irait sièger dans telle capitale plutôt que dans telle autre. Les spécialistes qui sont ici le savent autant que moi, mais rien n'étant décidé, je ne peux rien dire de plus.\
QUESTION.- Est-ce que je peux vous poser une question de politique internationale ? Je voudrais connaître votre réaction au coup d'Etat militaire en Algérie. Je voudrais savoir ce que vous en pensez ?
- LE PRESIDENT.- Ce que j'en pense, c'est que le processus engagé pour des élections en Algérie a été interrompu et que cela représente un acte pour le moins anormal, puisque cela consiste à installer un état d'exception. C'est vrai qu'il y a eu avec la démission du Président ce que l'on peut appeler un vide constitutionnel et que, face à ce vide constitutionnel, il a fallu pour les autorités algériennes improviser une réponse. Il n'était pas prévu dans les textes. Au fond, je ne me porte pas en juge de ce qui se passe en Algérie. Je dis seulement que ce qui n'a pas été accompli en cette circonstance jusqu'au terme prévu devrait l'être, et que les dirigeants algériens s'honoreront en retrouvant le fil de la démocratisation nécessaire, qui passe forcément par des élections libres. Ils ont jugé en leur âme et conscience selon les intérêts dont ils pensaient qu'ils correspondraient au salut de leur propre pays. Mais là-dessus, les conceptions s'entrechoquent, on le voit bien, et ce n'est pas à un Français de se substituer au débat politique interne à l'Algérie. Cependant considérant ce qui se passe dans l'ensemble du monde où l'on va heureusement vers la démocratie, où l'on a vu s'effondrer les régimes de dictature, il faut qu'au plus tôt les dirigeants algériens renouent les fils d'une vie démocratique qui s'amorçait et qui devra, je le répète, arriver à son terme. Que puis-je vous dire d'autre, sinon exprimer ce souhait ?.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la France s'apprête, dit-on, à reconnaître prochainement la Slovénie et la Croatie, peut-on en savoir plus sur ce point-ci ? Une date est-elle déjà fixée ? Pourquoi reconnaître maintenant ces deux pays plutôt qu'en juillet dernier, n'est-ce pas un petit peu tard ?
-LE PRESIDENT.- Vous posez une question et vous exprimez votre opinion. Si votre opinion est déjà fixée, je n'ai pas à répondre à la question. Le problème n'était pas posé comme cela à Luxembourg. Au mois de juin l'année dernière, fallait-il reconnaître immédiatement la Slovénie et la Croatie ? Moi, je suis de ceux qui pensent, et c'est la grande majorité des pays de la Communauté, que cette reconnaissance doit faire l'objet d'études et de justes conditions. Il faut que ces pays s'engagent dans une voie démocratique et qu'ils s'inscrivent dans l'ensemble des accords et des traités qui visent à l'organisation pacifique et démocratique de l'Europe. Dans la situation bouleversée et très incertaine où ils se trouvent, il est difficile d'estimer que ces conditions ont été remplies £ en tout cas les engagements n'ont pas été pris par des institutions démocratiquement élues. Au fond, il n'y a pas de problème pour la Slovénie, qui représente une population homogène et qui ne pose pas de questions de droit des minorités. La Slovénie est vraiment le problème le plus simple, mais c'est le seul. Je ne vois d'ailleurs pas pourquoi vous m'avez parlé de la Slovénie et de la Croatie. Pourquoi ne m'avez-vous pas parlé la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine, du Kosovo ? Mais au fur et à mesure que la liste s'allonge, vous vous apercevez que le problème n'est pas mince : dès qu'on en arrive au Kosovo, c'est le problème de l'Albanie et de la Serbie, de la Bulgarie, de la Grèce et de quelques autres, c'est-à-dire que c'est un vaste problème international. Mais l'on peut reconnaître ces Républiques après avoir fait procéder à l'examen extrêment précis des conditions dans lesquelles s'exerceront ces souverainetés, ces indépendances.
- Voilà pourquoi cela n'était pas possible au mois de juin, j'espère que cela sera possible prochainement. La Communauté s'est déjà exprimée à ce sujet, les ministres des affaires étrangères se sont réunis et ont établi la liste de ces conditions, de ces clauses indispensables pour que l'on puisse juger que ces pays ont qualité pour être reconnus en tant que démocratie dans un Etat souverain, indépendant. On en est là, mais jamais la France n'a pris position contre ce droit d'autodétermination, qui est reconnu par de nombreux textes que nous avons contresignés.
- Nous avons demandé la création d'une commission d'arbitrage pour que, précisément, l'ensemble de ces problèmes soient étudiés. Cette commission, que préside M. Robert Badinter, est composée de cinq grands juristes reconnus en Europe et même présidents de leur cour constitutionnelle ou leur conseil. Ils sont au travail, ils doivent à ma connaissance remettre leur rapport, leurs conclusions dans quelques jours. On verra quel est leur avis. Il y a le problème des frontières, le problème des droits de minorités, de protection, de sauvegarde. Ce n'est pas simple dans un pays où les ethnies sont aussi entremêlées.\
QUESTION.- Le 17 décembre, les ministres des affaires étrangères des Douze ont posé trois conditions pour la prise en considération de la demande de reconnaissance de la République de Skopia. Dans sa déclaration, il y a quelques jours, le Président Gligorovitch, lui, insiste toujours pour appeler la république Macédoine. Vous l'avez déjà dit il y a un moment, cela est contraire à la troisième condition posée par les Douze. Je voudrais savoir quelle sera la position de la France dans cette éventualité, va-t-elle accepter cette appellation et reconnaître la République nommée Macédoine ?
- LE PRESIDENT.- Vous me posez des questions prématurées. Nous n'avons d'ailleurs pas reçu de demande officielle de la République yougoslave de Macédoine, je n'ai donc pas à répondre pour l'instant à cette question. D'autre part, c'est là peut-être, plus encore qu'en Croatie que se trouve posé le maximum de conséquences d'ordre international. Donc, avant de vous répondre, je demande à réfléchir. La France ne s'engagera pas légèrement dans cette affaire. Pour l'instant, la France ne recommande pas du tout cette reconnaissance.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez visité la maison natale de M. Robert Schuman. Je crois que c'était dans le gouvernement de M. Schuman que vous avez obtenu votre premier poste ministériel. Quelle était votre réflexion ?
- LE PRESIDENT.- Le deuxième poste. Je suis rentré au gouvernement avec M. Paul Ramadier, en janvier 1947. Robert Schuman, cela a été l'année suivante. J'étais précisément secrétaire d'Etat auprès de Robert Schuman, c'est-à-dire que j'ai travaillé directement à ses côtés. Robert Schuman était un homme essentiellement bienveillant, ouvert à toutes discussions, extrêmement méditatif. On ne voyait jamais de papiers sur sa table. Il réfléchissait. Au Conseil des ministres, il avait l'esprit caustique, extrêmement sérieux, conservateur et classique dans ses opinions de politique habituelle et audacieux lorsqu'il s'agissait de dessiner les grandes lignes de politique étrangère, notamment en Europe. Moi je garde de la personne un très bon souvenir. C'est une des personnalités, à mon avis, les plus marquantes de la Quatrième République. D'ailleurs je pense que l'histoire est en train de le vérifier. C'était un cas particulier de la vie politique française, à laquelle il participait fort peu. Il était député, il était ministre, il a été Président du Conseil, de ce point de vue, il était en plein dedans. Mais par sa personne, son comportement, ses réflexions, ses amitiés, il vivait en dehors de la politique. C'était un homme d'une grande indépendance de pensée. Je crois qu'on a raison de célébrer son souvenir.
- QUESTION.- Il avait été question un moment de transférer ses cendres au Panthéon, allusion ce matin d'ailleurs à cette éventualité. Est-ce que cette question va être relancée ?
-LE PRESIDENT.- Je ne le crois pas, parce que j'avais pensé à faire ce transfert pour Jean Monnet et Robert Schuman, et les héritiers de Robert Schuman, certains de ses héritiers y ont fait obstacle, pour diverses raisons £ il repose en terre mosellane, c'est là qu'il a vécu, c'est la terre qu'il aimait. Donc, ils n'ont pas donné leur accord. On aurait pu peut-être forcer un peu plus les choses, mais c'est délicat, parce que c'est une famille tout à fait respectable. Peut-être y a-t-il aussi une certaine conception mystique de sa terre. Peut-être est-ce qu'il aurait semblé un peu étranger à sa nature, un peu froid par rapport à ses croyances spirituelles que d'aller reposer dans ce Panthéon, l'ancienne église désaffectée Sainte-Geneviève. Peut-être tous ces éléments sont-ils intervenus, mais lui-même n'a pas été consulté à ce sujet, et pour cause. Donc, c'est l'interprétation de ses héritiers qui a prévalu, et nous n'avions qu'à nous incliner devant cette volonté. Les héritiers de Jean Monnet n'ont pas eu le même comportement.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais revenir sur les questions bilatérales. Quelle suite allez-vous réserver, si vous en réservez, au mémorandum de doléances qui vous a été remis par le Président du Parlement luxembourgeois ?
- LE PRESIDENT.- Il est très intéressant. J'ai cette note, elle va être étudiée et réponse sera donnée à chaque point. Il y en avait six, et bien entendu Cattenom. Là-dessus j'ouvre au maximum les possibilités d'information mutuelle et même d'intervention. Un accord a été passé, je demande à ce qu'il soit complété. Il y a eu un accord bilatéral en 1983, pour les échanges d'information en cas d'incident ou d'accident. Il y a eu, en 1988, extension au risque nucléaire de la convention bilatérale d'assistance mutuelle de 1962. En 1989, un échange de lettres permettant l'établissement d'une ligne directe d'alarme entre la centrale de Cattenom et le Luxembourg. Mais je pense qu'on peut faire plus. Il faut que pour tout ce qui intéresse le Luxembourg sur le plan de l'information, cela va de soi, mais aussi sur le plan de la protection, celui-ci puisse dire son mot. Donc, je suis décidé à ouvrir en grand les moyens d'information à ce sujet, puisque la population de Luxembourg s'estime concernée par l'installation de cette centrale si près de sa frontière.
- Eh bien, il faut que cette population par l'intermédiaire de ses dirigeants soit en mesure de juger et de prendre part aux mesures qui, pense-t-elle, la protégeront. Cela dit, Cattenom, je sais bien qu'à chaque fois que je passe dans la région, je retrouve toujours les mêmes pancartes. C'est tout à fait normal, mais cette centrale existe. Reconnaissez qu'il serait très difficile de la neutraliser, d'autant plus qu'en France nous avons une très forte organisation nucléaire civile qui a très bien fonctionné. Aucun incident technique n'a dégénéré, il n'y a pas eu mort pour cause de technologie nucléaire. Si on faisait le compte de tous nos morts dans les mines de charbon, on verrait la différence. Donc nous sommes très assurés de nos techniques. Mais je pense qu'on a le droit, quand on vit en dehors de chez nous, d'en être moins sûr, et donc de s'en informer et, le cas échéant, de vérifier. C'est le point où nous en sommes.\
Pour les cinq autres points du mémorandum, je l'ai trouvé très bien fait et très utile. J'entends bien y donner suite. Je voudrais noter que la procédure d'autorisation de construction d'une usine d'incinération de déchets à proximité de votre frontière a été annulée. D'autre part, un programme d'assainissement des eaux de rivière, cela touche en particulier l'Alzette, a été lancé dans le cadre de la coopération régionale "Sarre - Lorraine - Luxembourg". Pour l'Alzette, j'ai pu étudier moi-même ce dossier, et constater qu'en effet le cours de cette rivière en amont, c'est-à-dire en France, représentait un vrai dommage pour les riverains du Luxembourg. J'ai pris ce problème, qui était plus important que le Rhin, il y a quelques années : peu après mon élection, c'était un contentieux qui nous opposait aux Pays-Bas, il a connu des fortunes diverses, mais enfin on a réussi à le régler, et le Rhin s'assainit. Ce qui a été fait pour le Rhin devrait pouvoir être fait pour l'Alzette, qui est importante mais qui ne m'a pas donné le sentiment de représenter un débit comparable à celui de ce grand fleuve, sans vouloir en quoi que ce soit réduire l'importance de l'Alzette dans la mémoire luxembourgeoise. Nous allons nous attaquer à ce problème plus fermement que jamais.\
QUESTION.- Dans la foulée des problèmes bilatéraux, je voudrais vous poser la question, monsieur le Président, de savoir comment faut-il interpréter dans le cadre de la libre circulation des citoyens et dans le cadre de l'accord de Schengen, comment faut-il interpréter les restrictions imposées au demi millier de pilotes luxembourgeois de l'aviation générale c'est-à-dire non commerciale qui doivent déposer des préavis de 24 heures voire 48 heures avant de se poser à Verdun, Nancy, Sedan ou Thionville ? Il n'y a que la France qui impose ces mesures, les pays voisins n'imposent un délai que d'une ou deux heures.
- LE PRESIDENT.- Les accords de Schengen sont neufs. Tout cela va s'aligner. Vous me posez un problème que j'ignore. Donc je raisonne uniquement par bon sens. Il n'y a aucune raison que la France se singularise au sein d'un accord qu'elle a signé comme les autres donc je pense que tout cela va se régulariser. Le cas échéant, votre intervention me permettra de peser dans ce sens.\
- Messieurs,
- Cet après-midi s'achèvera la visite d'Etat que j'effectue au Grand Duché de Luxembourg. Vous avez pu suivre les différentes cérémonies qui ont occupé l'après-midi d'hier et la journée d'aujourd'hui. Pendant que je rencontrais le Grand Duc, le chef du gouvernement, le ministre des affaires étrangères, la Présidente du Parlement, Mme le Bourgmestre de Luxembourg, les ministres qui m'accompagnaient avaient des entretiens bilatéraux avec leurs homologues.
- Bien qu'une visite d'Etat ne soit pas faite pour régler l'ensemble des problèmes, simplement pour en préparer la solution, nous pourrions maintenant parler du résultat de ces travaux si cela vous intéresse.
- Donc je n'ai pas d'autre présentation à faire. Vous pouvez imaginer aisément le type de conversation soit visant les relations bilatérales Luxembourg - France, soit visant la construction européenne à laquelle nous sommes associés. Tels furent les deux thèmes essentiels des conversations.
- Je suis donc à votre disposition pour répondre à vos questions.\
QUESTION.- Monsieur le Président, sur les questions européennes, est-ce que vous avez eu l'occasion de revenir à la fois sur votre déclaration aux rencontres nationales pour l'Europe, de vendredi matin à Paris, et sur ce que vous avez déclaré à RTL, notamment quant à la responsabilité que vous prenez, et à celle du gouvernement, quant à la ratification de Maastricht. Est-ce qu'on peut avoir sur ce point une clarification ?
- LE PRESIDENT.- Moi, je n'ai pas eu l'occasion d'y revenir, non. Mes interlocuteurs ne m'ont pas fait passer sur le gril des questions comme vous le faites vous-même. Dans notre conversation sur l'Europe, on a tenu compte de certains des éléments qui avaient été précisés par moi, mais sans aller au-delà. Donc s'il s'agit de vous rendre compte de conversations avec les autorités luxembourgeoises, cela ne fait pas partie du sujet. J'ai l'impression que vous, vous vous intéressez à autre chose. Que voudriez-vous savoir ?
- QUESTION.- Vendredi matin, monsieur le Président, vous avez parlé de cette ratification en laissant ouvertes deux possibilités, le Parlement ou l'appel au référendum. Est-ce que vous êtes allé plus loin dans votre réflexion sur cette intention, quelle est aujourd'hui votre intention ? Y a-t-il, comme on l'a compris maladroitement après la retranscription de cette interview, un engagement quelconque de votre part sur cette affaire-là, autre qu'un engagement moral, comme on l'a compris vendredi à Paris ?
- LE PRESIDENT.- Vous voulez dire vendredi matin, c'est-à-dire mes déclarations devant les rencontres organisées par Elisabeth Guigou, où, comme vous avez pu le voir, une très grande affluence de personnalités diverses étaient venues répondre à l'invitation. Je n'ai pas grand'chose à dire. D'abord pour tout ce qui touche à la politique intérieure française, ce n'est pas ici que je le ferai, selon une tradition bien établie qui ne vous surprendra pas. Tout ce qui touche à la politique française, je le traite en France. Pour ce qui touche aux questions proprement internationales, je ne vois pas très bien par quel bout prendre votre question pour être positif avec vous, pour entrer dans le jeu de vos questions. Je ne cherche pas du tout à échapper aux questions judicieuses que vous me posez. Elles sont vraiment spécifiquement franco-françaises. Bien entendu, j'aurai l'occasion au cours des semaines qui viennent de m'exprimer à ce sujet, de répondre à la curiosité des journalistes et de toute personne qui le souhaitera.\
`Suite sur l'engagement présidentiel pour la ratification du traité de Maastricht`
- Pour rester dans le cadre de ma réserve légitime, que vous comprendrez, et ne pas traiter ailleurs qu'en France les problèmes français, je vous dirai qu'il me semble avoir été quand même plus clair qu'on ne le dit.
- C'est vrai que les problèmes constitutionnels liés aux accords de Maastricht, je parle bien de ceux-là, tels qu'ils ressortiront de l'étude et des propositions du Conseil constitutionnel devront être examinés par le Parlement. C'est une discussion juridique, sérieuse, approfondie qui mérite des questions et des réponses multiples qui ne pourraient être vraiment satisfaites par un simple référendum. Un référendum exige l'unité d'un sujet clair et ne supporterait pas la multiplicité des questions. Donc le Parlement aura, en effet, à débattre de chacun des aspects des conséquences constitutionnelles qu'entraîneraient les diverses dispositions de Maastricht. De toute manière le Parlement aura un grand rôle à jouer. Pour le reste, on se retrouvera à Paris un de ces jours.
- On aura d'autres occasions de parler ensemble. On pourra avancer dans la connaissance du sujet d'autant plus que nous sommes maintenant mi-janvier, février, mars. S'il n'y avait pas les élections régionales et départementales, tout cela irait beaucoup plus vite ! On ne peut pas décemment mêler les deux débats de telle sorte qu'il ne pourra pas y avoir d'engagement, de discussion parlementaire sur le traité de Maastricht avant le mois d'avril. Je suis contraint par d'autres préoccupations de caractère intérieur, c'est-à-dire électoral, de retarder le moment où votre curiosité sera entièrement satisfaite. Bien entendu, nous en reparlerons au cours des semaines prochaines. Il n'y a rien de bien secret dans tout ce qui reste à faire. Il n'y a jamais rien de secret en France et c'est très bien comme cela.\
QUESTION.- Est-ce qu'au terme de cette visite officielle, les positions de la France et du Luxembourg se sont rapprochées quant à la défense des deux sièges du Parlement européen à Strasbourg et Luxembourg contre Bruxelles ?
- LE PRESIDENT.- Elles n'avaient pas besoin de se rapprocher. Elles sont depuis longtemps absolument semblables, identiques. Le Luxembourg et la France considèrent qu'il n'y a pas de capitale de l'Europe, qu'il y a des sièges d'institutions. Si l'Europe devait décider un jour le choix d'une capitale, on en débattrait. Tel n'a pas été le cas jusqu'ici. Il y a donc des sièges attribués à différentes villes d'Europe. Il y en pas mal encore aujourd'hui en instance. On verra des institutions aller s'installer qui au Danemark, qui au Portugal, qui en Espagne, etc. De telle sorte que le débat dans son ensemble est ouvert. Il n'est pas ouvert que pour Strasbourg et Luxembourg. On pourrait dire : pourquoi ne serait-il pas ouvert aussi pour le siège de la Commission ? Ils sont exactement au même stade d'élaboration juridique. Une décision provisoire a été prise il y a déjà longtemps fixant à Luxembourg, à Strasbourg et à Bruxelles un certain nombre d'institutions multiples, en particulier celles qui touchent au Parlement ou aux Assemblées des Communautés, tout cela sous la même rubrique provisoire. Si l'un de ces sièges devait être remis en question, tous le seraient. Nous ne le demandons pas. Il me semble bien qu'on commence à mettre ce sujet sur le tapis. Le Luxembourg et la France sont absolument d'accord pour estimer qu'il y a une Europe, que cette Europe est comme on dit maintenant, c'est un mot à la mode, "plurielle", que les institutions doivent être réparties sur l'ensemble des pays qui appartiennent à cette Communauté, et qu'il n'est pas question de changer les sièges sans procéder alors à une révision générale. Nous ne renonçons, pour être tout à fait concret, ni à Strasbourg, ni à Luxembourg et nous sommes d'accord.
- QUESTION.- Que dites-vous alors à ce moment-là de la campagne menée par Bruxelles qui semble pourtant aller dans la direction d'un siège unique ?
- LE PRESIDENT.- Je pense simplement que c'est tout à fait mal venu, mais cette campagne, pour l'instant, est celle d'une majorité relative du Parlement européen. Je ne pense pas que cela se fasse au plus grand déplaisir de Bruxelles. Mais enfin Bruxelles ne s'est pas exprimé, de telle sorte que je puisse le mettre en cause. Je pense qu'il n'y a pas lieu de rassembler à Bruxelles l'ensemble des organes du législatif et tout ce qui sert aujourd'hui, y compris par la Commission, à mettre en marche la machine européenne.
- QUESTION.- Pensez-vous que le futur siège de la banque centrale européenne pourrait être à Luxembourg comme le prévoient les accords de 1965 ?
- LE PRESIDENT.- Je n'en sais strictement rien. L'ensemble de ces institutions fera l'objet d'un débat difficile. Vous voyez que cela a commencé. Je sais qu'on murmure que telle ou telle institution internationale irait sièger dans telle capitale plutôt que dans telle autre. Les spécialistes qui sont ici le savent autant que moi, mais rien n'étant décidé, je ne peux rien dire de plus.\
QUESTION.- Est-ce que je peux vous poser une question de politique internationale ? Je voudrais connaître votre réaction au coup d'Etat militaire en Algérie. Je voudrais savoir ce que vous en pensez ?
- LE PRESIDENT.- Ce que j'en pense, c'est que le processus engagé pour des élections en Algérie a été interrompu et que cela représente un acte pour le moins anormal, puisque cela consiste à installer un état d'exception. C'est vrai qu'il y a eu avec la démission du Président ce que l'on peut appeler un vide constitutionnel et que, face à ce vide constitutionnel, il a fallu pour les autorités algériennes improviser une réponse. Il n'était pas prévu dans les textes. Au fond, je ne me porte pas en juge de ce qui se passe en Algérie. Je dis seulement que ce qui n'a pas été accompli en cette circonstance jusqu'au terme prévu devrait l'être, et que les dirigeants algériens s'honoreront en retrouvant le fil de la démocratisation nécessaire, qui passe forcément par des élections libres. Ils ont jugé en leur âme et conscience selon les intérêts dont ils pensaient qu'ils correspondraient au salut de leur propre pays. Mais là-dessus, les conceptions s'entrechoquent, on le voit bien, et ce n'est pas à un Français de se substituer au débat politique interne à l'Algérie. Cependant considérant ce qui se passe dans l'ensemble du monde où l'on va heureusement vers la démocratie, où l'on a vu s'effondrer les régimes de dictature, il faut qu'au plus tôt les dirigeants algériens renouent les fils d'une vie démocratique qui s'amorçait et qui devra, je le répète, arriver à son terme. Que puis-je vous dire d'autre, sinon exprimer ce souhait ?.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la France s'apprête, dit-on, à reconnaître prochainement la Slovénie et la Croatie, peut-on en savoir plus sur ce point-ci ? Une date est-elle déjà fixée ? Pourquoi reconnaître maintenant ces deux pays plutôt qu'en juillet dernier, n'est-ce pas un petit peu tard ?
-LE PRESIDENT.- Vous posez une question et vous exprimez votre opinion. Si votre opinion est déjà fixée, je n'ai pas à répondre à la question. Le problème n'était pas posé comme cela à Luxembourg. Au mois de juin l'année dernière, fallait-il reconnaître immédiatement la Slovénie et la Croatie ? Moi, je suis de ceux qui pensent, et c'est la grande majorité des pays de la Communauté, que cette reconnaissance doit faire l'objet d'études et de justes conditions. Il faut que ces pays s'engagent dans une voie démocratique et qu'ils s'inscrivent dans l'ensemble des accords et des traités qui visent à l'organisation pacifique et démocratique de l'Europe. Dans la situation bouleversée et très incertaine où ils se trouvent, il est difficile d'estimer que ces conditions ont été remplies £ en tout cas les engagements n'ont pas été pris par des institutions démocratiquement élues. Au fond, il n'y a pas de problème pour la Slovénie, qui représente une population homogène et qui ne pose pas de questions de droit des minorités. La Slovénie est vraiment le problème le plus simple, mais c'est le seul. Je ne vois d'ailleurs pas pourquoi vous m'avez parlé de la Slovénie et de la Croatie. Pourquoi ne m'avez-vous pas parlé la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine, du Kosovo ? Mais au fur et à mesure que la liste s'allonge, vous vous apercevez que le problème n'est pas mince : dès qu'on en arrive au Kosovo, c'est le problème de l'Albanie et de la Serbie, de la Bulgarie, de la Grèce et de quelques autres, c'est-à-dire que c'est un vaste problème international. Mais l'on peut reconnaître ces Républiques après avoir fait procéder à l'examen extrêment précis des conditions dans lesquelles s'exerceront ces souverainetés, ces indépendances.
- Voilà pourquoi cela n'était pas possible au mois de juin, j'espère que cela sera possible prochainement. La Communauté s'est déjà exprimée à ce sujet, les ministres des affaires étrangères se sont réunis et ont établi la liste de ces conditions, de ces clauses indispensables pour que l'on puisse juger que ces pays ont qualité pour être reconnus en tant que démocratie dans un Etat souverain, indépendant. On en est là, mais jamais la France n'a pris position contre ce droit d'autodétermination, qui est reconnu par de nombreux textes que nous avons contresignés.
- Nous avons demandé la création d'une commission d'arbitrage pour que, précisément, l'ensemble de ces problèmes soient étudiés. Cette commission, que préside M. Robert Badinter, est composée de cinq grands juristes reconnus en Europe et même présidents de leur cour constitutionnelle ou leur conseil. Ils sont au travail, ils doivent à ma connaissance remettre leur rapport, leurs conclusions dans quelques jours. On verra quel est leur avis. Il y a le problème des frontières, le problème des droits de minorités, de protection, de sauvegarde. Ce n'est pas simple dans un pays où les ethnies sont aussi entremêlées.\
QUESTION.- Le 17 décembre, les ministres des affaires étrangères des Douze ont posé trois conditions pour la prise en considération de la demande de reconnaissance de la République de Skopia. Dans sa déclaration, il y a quelques jours, le Président Gligorovitch, lui, insiste toujours pour appeler la république Macédoine. Vous l'avez déjà dit il y a un moment, cela est contraire à la troisième condition posée par les Douze. Je voudrais savoir quelle sera la position de la France dans cette éventualité, va-t-elle accepter cette appellation et reconnaître la République nommée Macédoine ?
- LE PRESIDENT.- Vous me posez des questions prématurées. Nous n'avons d'ailleurs pas reçu de demande officielle de la République yougoslave de Macédoine, je n'ai donc pas à répondre pour l'instant à cette question. D'autre part, c'est là peut-être, plus encore qu'en Croatie que se trouve posé le maximum de conséquences d'ordre international. Donc, avant de vous répondre, je demande à réfléchir. La France ne s'engagera pas légèrement dans cette affaire. Pour l'instant, la France ne recommande pas du tout cette reconnaissance.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez visité la maison natale de M. Robert Schuman. Je crois que c'était dans le gouvernement de M. Schuman que vous avez obtenu votre premier poste ministériel. Quelle était votre réflexion ?
- LE PRESIDENT.- Le deuxième poste. Je suis rentré au gouvernement avec M. Paul Ramadier, en janvier 1947. Robert Schuman, cela a été l'année suivante. J'étais précisément secrétaire d'Etat auprès de Robert Schuman, c'est-à-dire que j'ai travaillé directement à ses côtés. Robert Schuman était un homme essentiellement bienveillant, ouvert à toutes discussions, extrêmement méditatif. On ne voyait jamais de papiers sur sa table. Il réfléchissait. Au Conseil des ministres, il avait l'esprit caustique, extrêmement sérieux, conservateur et classique dans ses opinions de politique habituelle et audacieux lorsqu'il s'agissait de dessiner les grandes lignes de politique étrangère, notamment en Europe. Moi je garde de la personne un très bon souvenir. C'est une des personnalités, à mon avis, les plus marquantes de la Quatrième République. D'ailleurs je pense que l'histoire est en train de le vérifier. C'était un cas particulier de la vie politique française, à laquelle il participait fort peu. Il était député, il était ministre, il a été Président du Conseil, de ce point de vue, il était en plein dedans. Mais par sa personne, son comportement, ses réflexions, ses amitiés, il vivait en dehors de la politique. C'était un homme d'une grande indépendance de pensée. Je crois qu'on a raison de célébrer son souvenir.
- QUESTION.- Il avait été question un moment de transférer ses cendres au Panthéon, allusion ce matin d'ailleurs à cette éventualité. Est-ce que cette question va être relancée ?
-LE PRESIDENT.- Je ne le crois pas, parce que j'avais pensé à faire ce transfert pour Jean Monnet et Robert Schuman, et les héritiers de Robert Schuman, certains de ses héritiers y ont fait obstacle, pour diverses raisons £ il repose en terre mosellane, c'est là qu'il a vécu, c'est la terre qu'il aimait. Donc, ils n'ont pas donné leur accord. On aurait pu peut-être forcer un peu plus les choses, mais c'est délicat, parce que c'est une famille tout à fait respectable. Peut-être y a-t-il aussi une certaine conception mystique de sa terre. Peut-être est-ce qu'il aurait semblé un peu étranger à sa nature, un peu froid par rapport à ses croyances spirituelles que d'aller reposer dans ce Panthéon, l'ancienne église désaffectée Sainte-Geneviève. Peut-être tous ces éléments sont-ils intervenus, mais lui-même n'a pas été consulté à ce sujet, et pour cause. Donc, c'est l'interprétation de ses héritiers qui a prévalu, et nous n'avions qu'à nous incliner devant cette volonté. Les héritiers de Jean Monnet n'ont pas eu le même comportement.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais revenir sur les questions bilatérales. Quelle suite allez-vous réserver, si vous en réservez, au mémorandum de doléances qui vous a été remis par le Président du Parlement luxembourgeois ?
- LE PRESIDENT.- Il est très intéressant. J'ai cette note, elle va être étudiée et réponse sera donnée à chaque point. Il y en avait six, et bien entendu Cattenom. Là-dessus j'ouvre au maximum les possibilités d'information mutuelle et même d'intervention. Un accord a été passé, je demande à ce qu'il soit complété. Il y a eu un accord bilatéral en 1983, pour les échanges d'information en cas d'incident ou d'accident. Il y a eu, en 1988, extension au risque nucléaire de la convention bilatérale d'assistance mutuelle de 1962. En 1989, un échange de lettres permettant l'établissement d'une ligne directe d'alarme entre la centrale de Cattenom et le Luxembourg. Mais je pense qu'on peut faire plus. Il faut que pour tout ce qui intéresse le Luxembourg sur le plan de l'information, cela va de soi, mais aussi sur le plan de la protection, celui-ci puisse dire son mot. Donc, je suis décidé à ouvrir en grand les moyens d'information à ce sujet, puisque la population de Luxembourg s'estime concernée par l'installation de cette centrale si près de sa frontière.
- Eh bien, il faut que cette population par l'intermédiaire de ses dirigeants soit en mesure de juger et de prendre part aux mesures qui, pense-t-elle, la protégeront. Cela dit, Cattenom, je sais bien qu'à chaque fois que je passe dans la région, je retrouve toujours les mêmes pancartes. C'est tout à fait normal, mais cette centrale existe. Reconnaissez qu'il serait très difficile de la neutraliser, d'autant plus qu'en France nous avons une très forte organisation nucléaire civile qui a très bien fonctionné. Aucun incident technique n'a dégénéré, il n'y a pas eu mort pour cause de technologie nucléaire. Si on faisait le compte de tous nos morts dans les mines de charbon, on verrait la différence. Donc nous sommes très assurés de nos techniques. Mais je pense qu'on a le droit, quand on vit en dehors de chez nous, d'en être moins sûr, et donc de s'en informer et, le cas échéant, de vérifier. C'est le point où nous en sommes.\
Pour les cinq autres points du mémorandum, je l'ai trouvé très bien fait et très utile. J'entends bien y donner suite. Je voudrais noter que la procédure d'autorisation de construction d'une usine d'incinération de déchets à proximité de votre frontière a été annulée. D'autre part, un programme d'assainissement des eaux de rivière, cela touche en particulier l'Alzette, a été lancé dans le cadre de la coopération régionale "Sarre - Lorraine - Luxembourg". Pour l'Alzette, j'ai pu étudier moi-même ce dossier, et constater qu'en effet le cours de cette rivière en amont, c'est-à-dire en France, représentait un vrai dommage pour les riverains du Luxembourg. J'ai pris ce problème, qui était plus important que le Rhin, il y a quelques années : peu après mon élection, c'était un contentieux qui nous opposait aux Pays-Bas, il a connu des fortunes diverses, mais enfin on a réussi à le régler, et le Rhin s'assainit. Ce qui a été fait pour le Rhin devrait pouvoir être fait pour l'Alzette, qui est importante mais qui ne m'a pas donné le sentiment de représenter un débit comparable à celui de ce grand fleuve, sans vouloir en quoi que ce soit réduire l'importance de l'Alzette dans la mémoire luxembourgeoise. Nous allons nous attaquer à ce problème plus fermement que jamais.\
QUESTION.- Dans la foulée des problèmes bilatéraux, je voudrais vous poser la question, monsieur le Président, de savoir comment faut-il interpréter dans le cadre de la libre circulation des citoyens et dans le cadre de l'accord de Schengen, comment faut-il interpréter les restrictions imposées au demi millier de pilotes luxembourgeois de l'aviation générale c'est-à-dire non commerciale qui doivent déposer des préavis de 24 heures voire 48 heures avant de se poser à Verdun, Nancy, Sedan ou Thionville ? Il n'y a que la France qui impose ces mesures, les pays voisins n'imposent un délai que d'une ou deux heures.
- LE PRESIDENT.- Les accords de Schengen sont neufs. Tout cela va s'aligner. Vous me posez un problème que j'ignore. Donc je raisonne uniquement par bon sens. Il n'y a aucune raison que la France se singularise au sein d'un accord qu'elle a signé comme les autres donc je pense que tout cela va se régulariser. Le cas échéant, votre intervention me permettra de peser dans ce sens.\