26 juin 1991 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le rôle des parcs régionaux pour la protection de la nature, l'annonce d'un projet de loi sur les chartes de parc, et la position française pour la protection de l'Antarctique, Saint Brisson, le 26 juin 1991.

Mesdames et messieurs,
- Je me retrouve une fois de plus dans cette propriété de Saint-Brisson où siège le Parc régional. Pour mes amis morvandiaux, j'évoquerai en quelques mots un long passé, en leur rappelant que lorsque vivait le propriétaire, M. Faiveley, nul n'aurait pu songer que là, une organisation publique réunirait des foules autour de points d'intérêt très vivaces et qui pourrait succéder à la lente et succulente délectation des vins de Beaune, puisque nous étions chez le Grand maître du Tastevin.
- Et puis, le temps a passé, la disparition du père, l'éloignement du fils, la mort du petit-fils, tous ces drames que connaissent tant de familles. Ainsi va la vie, ainsi va la mort. Quand nous avons appris au Conseil général de la Nièvre que je présidais à l'époque, que cette propriété devenait disponible, nous sommes entrés en relation avec les Conseils généraux voisins et dans d'excellentes conditions, avec le concours de tous, le Parc régional qui se créait alors, a pu entrer dans ses meubles.
- Et depuis cette époque, il m'est arrivé souvent de revenir parmi vous. D'abord à l'occasion du tragique anniversaire de Dun-les-Places, de l'exécution de tous les hommes par l'ennemi en 1944. Commune qui se trouve au voisinage de Saint-Brisson. A quoi s'ajoute tant de souvenirs, puisque j'ai été pendant 35 ans parlementaires de cette région, de ce département et spécialement de ce canton, dont j'ai été 32 ans le Conseiller général. Alors, je ne manque pas les occasions. Il faut vraiment que les empêchements se multiplient pour me barrer la route. Je crois que depuis 1947, donc longtemps avant la création du Parc, depuis 1947 jusqu'à ce jour je n'ai manqué que trois années les rendez-vous que j'avais avec les maires, ici répartis dans cette salle, j'en aperçois ici et là. Et les amis qui font de ce haut Morvan une région discrète, sans épanchement sentimental, réservée, secrète mais sûre, fidèle et amicale.
- Trois fois ! Pour quelle raison, je le sais à peu près. Comme on dit, les obligations. C'est ainsi que j'ai manqué le rendez-vous de l'an dernier. Mais, là cette fois-ci, l'intérêt avait redoublé : les Parcs régionaux de France se rassemblaient. La plupart de leurs Présidents se trouvaient là, un peu chez nous. Et je me sentais, bien que je n'y aie aucun droit aujourd'hui, comme des devoirs d'hôte, puisque je suis de ceux qui avec Paul Flandin ont créé ce Parc. On commençait de réunir les représentants des communes comme nous l'avions fait avec André Emery qui est certainement dans cette salle, dans l'esprit de Marcel Roclore. Je pense que le maire de Saulieu se souviendra en cette circonstance de beaucoup de liens communs qui nous sont chers.
- Voilà pour le prélude. Je n'ai pas l'intention d'écrire mes mémoires et je ne les commence pas cet après-midi à Saint Brisson. Considérez ce chapitre comme clos. Pensons maintenant à ce qui est, et à ce qui sera.\
Ce qui est, c'est que l'institution des Parcs régionaux, vous l'avez déjà dit, pardonnez-moi de vous répéter, prend d'année en année plus d'ampleur. Je crois que les vingt-sept Parcs actuels représentent 8% de la superficie nationale. Vous en annoncez douze autres, ce n'est sans doute pas fini, mais que de progrès sont dus aujourd'hui à cette institution.
- D'abord c'est un point, un endroit où l'on dépasse les clivages habituels qui caractérisent notre pays depuis toujours. Après tout ce n'est pas si loin d'ici que se trouve Bibracte, le Mont Beuvray où les chefs gaulois vinrent prêter serment de fidélité à Vercingétorix. Cela dura le temps que durait la fidélité en Gaule. Bien entendu les choses ont beaucoup changé depuis cette époque. Les siècles et les millénaires ont passé et finalement on se sent ici comme inspiré par la puissance du sol, de la terre, de l'Histoire. Et cela nous permet précisément de ne pas rester confinés dans nos divisions, nos séparations au demeurant légitimes et d'avoir un langage qui traverse les obstacles, un langage que chacun comprend. Ce langage est celui de la protection de notre pays en ce qu'il a de meilleur, de plus sain, de plus ferme et de plus constant, le sol, ce qu'il porte.
- Ici, la forêt, les lacs, ce plateau difficile à traverser, une sorte de château d'eau de la France qui déverse ses eaux vers les trois bassins de la Seine, du Rhône par la Saône et de la Loire et qui représente - on l'a tout de suite compris lorsqu'on est Président d'un parc régional - cela suppose automatiquement un certain type de pays, un certain type de protection où la nature domine encore, préserve encore, ce qu'elle fut, où l'homme n'a pas pu encore détruire ce qui reste à détruire. Il était grand temps de s'organiser. Vous l'avez fait, messieurs, je vous en remercie.\
Je suis sûr de l'intérêt de vos travaux. Etre à 27 pour en parler, pratiquement de toutes les régions de France ou presque, cela donne une vision de notre pays et de ses intérêts profonds et permanents, en même temps qu'une capacité de dialogue et de langage que l'on trouve si rarement et si difficilement dans les villes. Car les parcs naturels de France constituent un type d'organisation où la loi sur la régionalisation que j'ai tant voulue et qui fut adoptée en 1982 prend le plus de sens. La protection de la nature est un domaine où les collectivités locales - et vous êtes tous représentants de collectivités locales - peuvent et doivent continuer de développer des collaborations harmonieuses entre elles d'abord, mais aussi avec l'Etat.
- La politique contractuelle se concrétise dans des chartes de parc. Un projet de loi renforçant ce caractère consensuel est actuellement préparé, en étroite association avec vous, par le ministre de l'environnement, M. Brice Lalonde qui me fait le plaisir de m'accompagner cet après-midi.\
Mais cette préoccupation et cette méthode de travail dépassent nos frontières et heureusement car l'environnement n'a pas de patrie, ou plutôt si, la planète tout entière. Il faut réconcilier l'homme et la nature. En France et dans de nombreux pays. Et si l'on songe à l'intérêt puissant pour nous qui connaissons le Morvan, pour vous qui connaissez la zone où vous exercez vos mandats, projetons cet intérêt passionné, parfois désespéré, sur de vastes régions du globe menacées. Pensons à la forêt de l'Amazonie qui flambe tandis que les terres ainsi désertées deviennent impropres à la culture, sont comme latérisées pour combien de siècles en privant le reste de l'humanité de ce poumon que la nature nous offrait.
- Pensez à l'Antarctique ! de France est venue l'initiative combinée avec l'Australie et d'autres pays comme la Nouvelle Zélande, au moment où le Traité nous était préparé et que nous avons, in extremis, dû refuser puisqu'il prévoyait, au bénéfice des grands pays industriels, déjà l'exploitation du sous-sol. Nombreux ont été les témoignages scientifiques d'abord, mais aussi des témoignages des explorateurs, des marins, de ceux qui s'étaient aventurés sur ces terres. On avait le témoignage encore récent du docteur Estienne qui comme vous le savez avec quelques compagnons de diverses nationalités a traversé d'un bout à l'autre ce continent dans des conditions héroïques. Et tous m'ont dit et répété que si l'on ne respectait pas l'équilibre établi, si l'on ne respectait pas l'Antarctique c'est la terre tout entière qui en supporterait, non pas dans des siècles, mais dans les années qui viennent, les conséquences.
- Voyez cet effort qui se développe aujourd'hui. La France a été suivi par quelques grands pays. Nous continuons d'être en litige avec d'autres qui voudraient absolument installer des instruments pour percer la couche de glace et rechercher des métaux précieux ou moins précieux qui sont sans doute logés sous quelques kilomètres de glace, en certains endroits, sous quatorze.
- Imaginez les formidables dégâts qui résulteraient d'une exploitation de ce type. Nous avons vu nous-même, dans nos campagnes, - Dieu sait si je souhaite l'industrialisation plus poussée de la France, mais pas n'importe comment - bien des sites gâchés par des initiatives malheureuses. Sans rien abandonner de la recherche industrielle, on pourrait s'en tirer à meilleur compte et ne pas détruire et donc abîmer pour plusieurs générations, d'admirables sites, d'admirables régions françaises.
- C'est comme cela que je me suis rendu à l'époque avec M. Michel Rocard à La Haye pour signer un appel initié par la Norvège, les Pays-Bas et la France. Un appel à tous les pays du monde pour que la protection de l'environnement fut l'objet d'une sorte de règle commune et qu'en même temps des sanctions soient prévues pour ceux qui ne la respecteraient pas, et qu'une autorité mondiale ait à en juger. Quatorze pays l'ont initialement signé et, en dépit des oppositions multiples qui se sont fait connaître, nous espérons parvenir dans les années prochaines aux résultats que nous recherchions.\
Je vous sens tous, messieurs les présidents ou représentants des Parcs naturels régionaux habités par cette passion. On ne peut pas s'en occuper si on n'aime pas ce que l'on fait. C'est vrai sans doute, de toute profession choisie, de toute vocation acceptée, de tout idéal de vie. Mais c'est vrai peut-être plus encore de cette recherche qui se voit confinée à la recherche philosophique et qui cherche à créer l'harmonie entre l'homme, la nature et la science. Il faudra encore beaucoup de temps avant que ceux qui en ont une idée claire soient en mesure de convaincre des peuples et des peuples entassés, de plus en plus entassés sur le sol des pays industrialisés et qui, préfèrent aller tout de suite à la commodité, ne s'occupent ni des arbres, ni des sources, ni des fleuves bien entendu, ni de rien, qui cependant, vous en conviendrez, représentent l'une des données majeures du bonheur de vivre.
- J'ai beau imaginer les générations qui nous suivront et privées de cet apport indispensable pour ceux qui, comme moi, ont eu une enfance campagnarde. J'ai vécu jusqu'à l'âge de 15 ans dans un endroit où il n'y avait pas de maison, où il n'y avait pas de village à trois, quatre kilomètres à la ronde, et j'ai donc pu apprendre à connaître les heures du jour et de la nuit, les semaines et surtout les saisons. Comme tous ceux qui ont appris à aimer les saisons sans en préférer aucune, car chacune est belle, forte et utile. Tandis qu'on aperçoit tant d'entreprises, qui, sans tenir compte précisément de ce mouvement du temps, de cette lenteur en même temps que de cette rapidité auxquels se succèdent les jours et qui ne savent plus où ils sont, qui de toute une journée ne jette pas un regard vers le ciel pour savoir après tout - sans prétendre à des connaissances scientifiques excessives - s'il pleut, s'il va pleuvoir, si le soleil est là, si la couleur est belle, si le vent, quand on est à Paris, qui vient le long de la Seine nous apporte encore les effluves maritimes. Tout ce qui fait que dans un pays comme celui-ci où nombreux sont les Morvandiaux qui sont capables de retrouver à la trace le gibier qui reste encore dans nos forêts, qui savent discerner le bois coupé à la lune montante ou à la lune descendante et qui savent celui qu'il ne faut pas acheter si l'on veut fabriquer des sabots qui ne cassent pas au bout de deux ans d'usage. On dira : "mais tout cela c'est des histoires anciennes". Non, c'est de la connaissance de la nature que naîtra une sagesse nécessaire, une connaissance de caractère scientifique à partir de l'intuition, de l'expérience et de la tradition. Une connaissance approfondie de ce qui convient à l'humanité sur la terre où elle vit et où elle est menacée, on le sait bien, de cent périls.\
Je crois que les parcs naturels régionaux représentent une des meilleures façons d'intégrer la protection de la nature dans nos habitudes et dans notre vie. Je pense aux classes vertes par exemple, les classes de ces jeunes qui séjournent dans ces parcs. Il faut interroger les siens quand ils reviennent et mesurer leur degré de sensibilité émerveillée à ce qu'ils ont connu, s'ils l'ignoraient. Petits citadins qui ont certes bien des joies et bien des chances, mais pas celle-là qui est pourtant essentielle.
- Et puis faisons bien entendre dans toute la France le message qui est le vôtre messieurs. Chaque citoyen, chaque collectivité locale est responsable du sol pour une large part tout au moins, donc des forêts, des cours d'eau, du littoral, des paysages. En organisant et en gérant de manière encore plus exigeante, encore plus rigoureuse des parcs existants, vous serez un exemple pour la Nation. Car, il s'agit après tout, on préserve la nature et l'homme qui est de la nature. Mais un souci supplémentaire s'ajoute, que je citerai pour terminer. C'est aussi pour nous une façon de protéger la France et la France, comme disait quelques journalistes à la télévision, la France, permettez, cela nous intéresse.\