21 novembre 1990 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, notamment sur la CSCE et la construction d'une nouvelle Europe, le conflit du Golfe et l'éventuelle adoption par le Conseil de sécurité d'une résolution autorisant le recours à la force contre l'Irak, Paris, le 21 novembre 1990.
Mesdames, messieurs,
- J'ai souhaité cette rencontre et désiré la situer aussitôt après la clôture de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe qui s'est achevée en fin de matinée, aujourd'hui.
- J'aimerais, en effet, que la première partie de cette conversation fût consacrée à cette conférence, aux travaux qui s'y sont déroulés et aux conclusions qu'elle implique. Nous pourrons après cela parler de la situation dans le Golfe. Les questions n'étaient pas liées, mais elles sont concomitantes dans le temps. Et d'autre part, il y a déjà quelques semaines que je n'ai pu tenir informée l'opinion, par votre intermédiaire, de l'évolution de cette situation. Je vais essayer de préciser les choses.
- La CSCE, la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe réunissait 34 pays dont 32 pays européens. Ne manquait que l'Albanie, qui encore disposait d'une sorte de fonction d'observateur. Se trouvaient également présents et participant au débat, comme prévu, les Etats-Unis d'Amérique et le Canada. Ce sont donc 34 pays qui ont tenu séance, qui ont débattu sur la base d'une préparation extrêmement approfondie qui avait duré des mois et qui avait permis de lever pratiquement tous les obstacles, non sans difficulté, vous l'imaginez.
- On peut faire un dessin de ce que représente cette conférence et surtout son succès, c'est-à-dire, l'accord donné par les 34 sur une série d'accords, de traités que je vais me permettre d'énumérer. Nous avons commencé par signer le traité sur les forces armées conventionnelles en Europe, sur leur réduction, la réduction des forces conventionnelles ou classiques, entre les 16 Etats membres de l'Alliance atlantique et 6 Etats du pacte de Varsovie. Nous entrerons dans les détails tout à l'heure.\
Donc, signature de ce traité sur la réduction des armes conventionnelles et d'autre part signature d'une déclaration commune des 22 Etats intéressés directement par la chose qui ont proclamé solennellement qu'ils ne se considèrent plus comme des adversaires. Imaginez le Pacte atlantique et le Pacte de Varsovie ! Imaginez tout ce à quoi nous avons pensé, tout ce que nous avons vécu - ceux qui ont eu le temps de vivre toute cette époque - tout ce que vous avez écrit sur ce conflit latent, que l'on appelait guerre froide et qui pouvait à tout moment déboucher en guerre chaude. Cela succédait à des guerres si chaudes, qu'elles ont représenté deux conflits mondiaux qui ont entraîné la séparation de l'Europe en plusieurs zones d'influence. Yalta s'est terminé ce jour même à Paris.
- C'est le parcours, si l'on voulait analyser plus finement, on pourrait dire que l'état d'insécurité qui s'était créé en Europe, pour simplifier les choses, à partir de l'avènement de Hitler en Allemagne, ou encore pour être plus clair à partir de l'Anschluss et de Munich puis la guerre. Depuis cette époque l'Europe n'a jamais connu de repos. Ce n'est pas que nous ayons l'intention de nous reposer à partir de maintenant, mais la menace était là, après le conflit atroce qui a meurtri chacun de nos pays et autant de nos familles. Tout cela s'est résolu à Paris, ces derniers jours et ce matin par le traité sur la réduction des forces conventionnelles et la déclaration commune des 22 Etats participants des deux alliances. Ne parlons plus de "bloc contre bloc". Tous ceux qui aiment la paix, qui savent ce que cela représente, sauront - même si on ne leur a pas beaucoup dit - que nous entrons vraiment dans les temps nouveaux, où la paix apparaît en Europe comme acquise, où les risques semblent disparaître, où le dialogue l'emporte sur la confrontation.\
A la fin du sommet nous avons adopté, signé ce matin ce que l'on a appelé la charte de Paris pour une nouvelle Europe et cette charte toujours signée par les 34 comporte trois parties : l'annonce d'une nouvelle ère de démocratie, de paix et d'unité, une série de considérations sur les orientations futures, des structures et des institutions nouvelles. Nous en parlerons sans doute au cours de cette conversation.
- Nous avons exprimé également le souhait, que j'avais moi-même exprimé dans mon discours d'ouverture puisque je présidais cette conférence au nom de la France, que ce que l'on appelle la méthode ou le processus CSCE, sécurité et coopération en Europe puisse servir d'exemple - je ne dis pas s'étendre, ce n'est pas la même chose - à d'autres régions du monde qui feraient bien de commencer à discuter de la réduction de leurs propres armements et de commencer à organiser des rencontres régulières pour que des pays encore antagonistes puissent bâtir les éléments de leur paix utile à la paix du monde.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les Occidentaux souhaitaient que toutes les nations en Europe soient indépendantes, ils s'inquiètent maintenant de la montée des nationalismes. Les Occidentaux souhaitaient que les frontières s'ouvrent, ils s'inquiètent maintenant de la possibilité d'afflux de nouveaux immigrants. Ne sommes-nous pas en train de changer, d'échanger un ordre injuste contre un désordre qui pourrait être dangereux ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur Bortoli, la vie est dangereuse, la vie internationale n'est pas un lit de roses, les intérêts continuent de s'opposer, les ambitions aussi, la nature humaine n'incite pas toujours à la concorde et à l'apaisement y compris dans les relations privées, alors n'allez pas imaginer qu'il vient de naître aujourd'hui un monde enfin redevenu le rêve d'un certain nombre de philosophes, une sorte de paradis retrouvé. Mais par rapport à la situation tragique que nous avons vécue dans la guerre ou dans l'angoisse de la guerre avec tout ce que cela implique de chagrin, de désespoir, d'angoisse, de morts, de toutes ces déchirures des familles, à tout cela on vient de mettre un point final pour ce qui touche à l'Europe.
- Si la période de paix qui s'ouvre, présente des risques, j'ai moi-même dit qu'il ne fallait pas que succède aux rivalités sanglantes d'hier une sorte d'Europe à deux vitesses dans laquelle il y aurait des pays riches qui se complairaient dans leur prospérité et des pays à la traîne qui souffriraient de l'indifférence. Il faut absolument maintenant complèter notre action par un travail de solidarité active pour harmoniser les niveaux de vie. Nous allons travailler. Il est évident qu'existe le problème des citoyens des pays de l'Est qui désirent trouver du travail, dans les pays de l'Ouest. Tout ceci exige des précautions, des mesures de sagesse car les pays de l'Ouest ont aussi leurs problèmes qu'il ne faut pas ignorer. Il est quelquefois bon d'être pessimiste, cela évite un sommeil prolongé. Cette rencontre diplomatique est sans précédent. Pour la première fois un accord de ce type a été réalisé sans vainqueur, ni vaincu, sans partage de dépouilles. On n'a pas liquidé une guerre, on a fondé une véritable entente. Tout le monde y a participé, les membres des pactes, les blocs militaires, les neutres, les non-alignés, tout le monde. Il n'existe plus de tête à tête réservé à quelques-uns. De plus, l'Union soviétique qui représentait l'un des deux Grands à la tête de l'un des deux blocs vient, me semble-t-il, de s'ancrer de façon très profonde et durable au continent européen en y prenant sa part comme les autres.\
QUESTION.- Monsieur le Président, cette conférence est aussi une conférence de sécurité. Or il est communément admis que la sécurité est une activité qui vise à parer une menace donc un ennemi latent ou apparent, réel ou potentiel. Donc la question qui s'impose, quel est l'ennemi aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Justement en Europe il n'y a plus d'ennemis et l'accord qui a été signé, c'est un accord pour l'Europe avec la participation de deux grands pays Nord-américains, présence nécessaire puisque l'un des aspects des accords en question vise le désarmement. Vous le savez bien, l'Alliance atlantique repose pour beaucoup sur la sécurité que garantissent les Etats-Unis d'Amérique avec lesquels le Canada collabore. C'est un accord pour l'Europe entre pays européens auxquels s'ajoutent, puisqu'il s'agit des problèmes d'équilibre dans les armées, les Etats-Unis d'Amérique et le Canada. Ce n'est pas une conférence pour les autres continents et de ce fait on ne peut pas mélanger les questions. Bien entendu les conflits qui se déroulent ailleurs peuvent avoir dans l'avenir des répercussions en Europe. On les examinera quand il le faudra.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la guerre froide, la guerre chaude, c'est fini en Europe. La guerre tout court c'est fini, c'est réjouissant pour le monde entier. Mais ma question, monsieur le Président, il y a beaucoup de foyers de tensions en Afrique et en Asie...
- LE PRESIDENT.- Oui, oui, je crois l'avoir remarqué.
- QUESTION.- Est-ce que l'Assemblée, les pays des 34, ont mis au point un mécanisme typique pour éteindre ces incendies ?
- LE PRESIDENT.- Nous non. Je vous réponds non. Les 34 pays européens plus les deux pays nord-américains ne se comportent pas comme s'ils étaient chargés de l'ordre mondial. C'est déjà bien qu'ils se considèrent comme chargés de l'ordre et de la paix en Europe. Ils n'ont donc pas prétendu légiférer pour les autres. Et s'il existe une institution qui détient cette charge, ce sont les Nations unies. Il ne s'agit pas de créer toute une échelle de pouvoirs et d'institutions qui finiraient par se marcher sur les pieds ou par se contredire. Il faut donc magnifier le rôle des Nations unies au travers du conflit du Golfe et penser que la fin de la guerre froide permet de donner à l'institution internationale une réalité qu'elle n'a jamais connue.
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QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais revenir aux négociations ou traités signés à Paris. Que se passe-t-il si un pays signataire ne respecte pas ses engagements ? Quels sont les moyens dont disposent les autres partenaires pour imposer ce respect ?
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous appelez ne pas respecter ses engagements, par exemple sur le traité sur la réduction des armes conventionnelles, les chars, les canons, les hélicoptères ? Eh bien ! les accords n'auront plus de valeur. Qu'est-ce que je peux vous dire d'autre ? Les décisions prises sont très importantes. Vous savez de quelle manière ont été chiffrées les réductions. Les chars, en application des accords signés à Paris, et on compte qu'il en existe 59100 en 1990, devraient être réduits à 40000, donc 20000 du côté des pays de l'ancien Pacte de Varsovie et 20000 du côté de l'Alliance atlantique. C'est donc une diminution de 19100 unités pour les chars. Pour les véhicules blindés, en 1990 : 79000, en 1994 cela devrait tomber à 60000, donc 30000 de part et d'autre soit une diminution de 19000 unités. C'est le même raisonnement qui vaut - mais je vous dispenserai des chiffres pour l'artillerie, les hélicoptères, l'aviation et toujours l'égalité entre les deux zones. Si quelqu'un n'applique pas, les autres seront conduits à ne pas appliquer et on recommence. J'ai l'impression que la manière dont les choses se passent montre que nous sommes engagés dans une dynamique qui ne devrait pas être contrariée. Si un fait nouveau extraordinaire se passait, ceux qui auraient à en souffrir s'organiseraient pour y parer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, une question qui concerne les pays baltes. Est-ce que l'on ne peut pas dire, à l'issue de la CSCE, que les pays baltes ont été, si ce n'est les grands perdants de la conférence, du moins les oubliés de la conférence de Paris et vous-même comment voyez-vous leur destin dans cette nouvelle Europe dont on a jeté aujourd'hui les nouvelles bases ?
- LE PRESIDENT.- Comment pouvez-vous dire cela ? Les pays baltes étaient absents parce qu'ils ne font pas partie encore des Etats membres des Nations unies et qu'ils ne sont pas reconnus comme tels par la société internationale. J'en parle d'autant plus librement que la France est un des pays qui continue à reconnaître la souveraineté des droits des pays baltes dont nous n'avons jamais reconnu l'abolition par la conquête, ni par les Allemands, ni par les Russes. Vous savez que la Lituanie nous a confié son or, elle l'a confié aussi à d'autres pays, mais surtout à nous. Les autres pays ont, soit rendu la part qu'ils détenaient à l'Union soviétique, soit je ne sais pas ce qu'ils en ont fait. La France, elle, a tout gardé, pour le rendre à la Lituanie. C'est dire que notre attitude ne mériterait aucun reproche, mais notre position à l'égard des pays baltes n'est pas celle reconnue par la société internationale, ces trois Etats ne sont pas inscrits à l'heure actuelle en tant qu'Etats souverains, ni en Europe, ni à la société des Nations unies.
- Voilà la réalité. Nous avons insisté puisqu'à Vienne lors du comité préparatoire du sommet de Paris, il avait été admis que les Etats baltes seraient admis par le secrétaire exécutif au titre des "personnalités reconnues" invitées. Cela me paraissait une solution raisonnable, mais il y a eu opposition. En particulier l'Union soviétique a estimé que dans l'état actuel de ses négociations et de ses conversations avec les pays baltes notamment, il n'avait pas été décidé qu'ils étaient devenus des Etats souverains et que leurs liens n'étaient pas coupés avec l'Union soviétique. Cette conférence ne pouvait que constater le droit international tel qu'il est aujourd'hui. On ne pouvait inviter que tous les Etats souverains. On ne pouvait pas inviter les autres. Alors, nous avons agi de notre mieux pour traiter amicalement et très correctement les envoyés des trois pays baltes sans pouvoir les faire entrer dans la salle des séances. Il y a aujourd'hui beaucoup de régions, je dis régions parce que je ne sais pas comment les appeler. En ce qui concerne les pays baltes, ce sont des pays, et à nos yeux ce sont des Etats qui cherchent à obtenir leur droit à la souveraineté. Ils ont encore besoin d'être soutenus et de convaincre les Etats dans lesquels ils sont insérés pour parvenir à ce progrès dans le droit international. Tel n'est pas encore leur cas aujourd'hui, même si je le regrette, je le constate. Ce n'est pas parce que la France présidait qu'elle avait la capacité de décider pour tous les autres.\
QUESTION.- Quel sentiment éprouvez-vous aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Je suis très heureux pour l'Europe. J'ai le sentiment d'avoir vécu avec tous les autres pays d'Europe un très grand moment de notre histoire commune. C'est un événement sans précédent qui permet de grandes espérances tout en sachant bien entendu que les obstacles seront toujours là. Il faudra donc avoir du courage, de l'esprit d'initiative, une volonté de paix alors ce qui a été entrepris aujourd'hui réussira. On a fait un grand pas en avant. Il y aura un prochain sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Helsinki.. Il y aura chaque année une réunion des ministres des affaires étrangères, la prochaine aura lieu à Berlin. Il y aura un Comité des hauts fonctionnaires. Il y aura un Secrétariat permanent qui siégera à Prague. Il y aura un centre de prévention des conflits qui siègera à Vienne. Il y aura un bureau des élections libres qui vérifiera l'exercice de la démocratie et qui siégera à Varsovie. Il y aura, l'accord est donné sur le principe, une assemblée parlementaire. Donc tous ces éléments-là ont été retenus pour donner des structures à ce qui était il y a trois jours seulement une espérance. Donc, je suis très heureux pour l'Europe. Je suis très confiant pour la paix et je me réjouis de cet effort accompli par tant de pays pour marcher sur la même route et pour partager les mêmes valeurs.\
QUESTION.- J'ai cru comprendre que nous pouvions poser d'ores et déjà des questions sur le Golfe alors je vous pose la première question. Pendant toute la réunion sur la CSCE on a vu les Américains pousser beaucoup dans le sens d'une résolution autorisant le recours à la force contre l'Irak dans le cadre de l'ONU. Il semble qu'ils aient été mollement suivis par les Soviétiques et également par les Français. Peut-on imaginer à terme un vrai désaccord sur cette question du recours à la force entre les Américains et les Français notamment ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que vous simplifiez exagérément. L'objet de cette conférence - je l'ai répété - n'était pas l'examen de la situation dans le Golfe. Pas du tout. On avait assez à faire avec l'ensemble des accords que j'ai énumérés tout à l'heure. Le Golfe n'a fait l'objet de conversations qu'à titre bilatéral, c'est-à-dire dans les suspensions de séance, ou bien avec ceux qui s'absentent pendant que les autres parlent en séance plénière. Dans ces conversations en tête à tête, il a été question du Golfe souvent et surtout lorsque se trouvaient mêlés à ces conversations des membres permanents du Conseil de sécurité, ce qui était le cas pour les Etats-Unis d'Amérique donc de M. Bush, de l'Union soviétique donc de M. Gorbatchev, de la Grande-Bretagne donc de Mme Thatcher et de la France donc de moi-même qui sont quatre des cinq pays membres permanents. Ces quatre étaient là. Alors, dans le cadre de leurs conversations bilatérales avec les uns, les autres - j'ai moi-même rencontré huit délégations - pendant toutes ces journées, plusieurs fois, non pas systématiquement, mais plusieurs fois le problème de la guerre du Golfe : "aura-t-elle lieu, n'aura-t-elle pas lieu, quelles conditions pour la paix" etc... tout cela est revenu constamment dans les conversations. Si on avait voulu parler du golfe en séance régulière, on l'aurait dit mais ce n'était pas à l'ordre du jour.\
Comment s'est posé le problème lors de la conversation que j'ai eue avec Georges Bush ? Le soir de son arrivée puisque nous avons dîné ensemble à l'Elysée, M. Georges Bush m'a dit : "pensez-vous qu'il faille adopter une résolution nouvelle au sein du Conseil de sécurité, résolution qui autorise éventuellement le recours à la force ? Je lui ai dit : oui. Oui parce que la référence à l'article 51 de la charte, référence évoquée par diverses hautes personnalités américaines, signifiant que les Etats-Unis d'Amérique pourraient s'engager dans une action militaire contre l'Irak, par seule référence à cet article qui implique que lorsqu'un pays est en danger, demande assistance, ce qui est le cas du Koweit, à un autre pays, ce qui est le cas des Etats-Unis d'Amérique, la charte en son article 51 autorise ce pays qu'on appelle au secours, à intervenir militairement. Mais en l'occurence, un pays comme la France par exemple, n'a pas de traité d'assistance avec le Koweit, n'a pas d'engagement particulier, puisque vous parlez de la France. Et, la manière dont s'est engagé ce débat, et dont il se déroule, ne permet pas les échappatoires, ce n'est pas par une référence tout à fait indirecte à un article réel, mais tout de même assez général, que l'on peut prendre une décision de cette importance. C'est d'une façon explicite. J'ai donc dit oui : la France est prête à prendre part à une discussion, afin d'établir un texte de résolution présenté au Conseil de sécurité et comportant, éventuellement, le recours à la force.\
Il faut donc que nos ministres des affaires étrangères et que nos diplomates commencent à discuter d'un texte, et il n'y aura d'engagement pour la France que selon le texte qui sera adopté. Et j'ai ajouté, au cours de ces discussions que dans mon esprit il n'y avait pas d'automatisme, c'est-à-dire qu'une résolution du Conseil de sécurité autorisant l'emploi de la contrainte pour faire respecter les résolutions précédentes des Nations-Unies, notamment l'évacuation par l'Irak, l'évacuation militaire et civile, l'évacuation du Koweit, cette décision des Nations unies devra être appliquée. On a recherché, il faut continuer de rechercher, les moyens pacifiques d'y parvenir, d'où l'embargo. Mais, s'il faut mettre les points sur les i, une résolution impliquant que l'on peut recourir à la contrainte, c'est-à-dire à une action militaire, oui, nous sommes prêts à en discuter. Quant à sa mise en oeuvre, c'est une autre affaire, il n'y a pas d'automatisme donc il faudra que les puissances qui se trouveraient en situation d'avoir exercé cette action militaire, soient de nouveau mises en mesure d'en discuter si cela devait être décidé. Mais il est important que l'Irak soit informé dès que cette décision pourra être prise, dès qu'un texte aura pu être établi, donc dès qu'il aura été discuté, ce qui n'est pas encore le cas. L'Irak saura que décidément il ne peut pas compter sur la désagrégation de la coalition qui s'est chargée de mettre en oeuvre les résolutions des Nations unies.\
QUESTION.- Monsieur le Président, sur ce point précis de la résolution de l'ONU, avez-vous l'impression que vous êtes sur la même longueur d'ondes que le Président Bush, on avait cru comprendre qu'il vous demandait plus ?
- LE PRESIDENT.- Je ne vais pas du tout vous mettre en cause personnellement. Vous croyez souvent comprendre. Mais M. Bush ne m'a pas posé d'autres questions. Donc c'est difficile de dire qu'on croit comprendre qu'il a posé la question quand il ne l'a pas posée. Il n'a pas posé la question. A votre avis m'a-t-il dit : ne faut-il pas le vote d'une nouvelle résolution si l'on doit recourir à la force en face de l'Irak pour appliquer les résolutions précédentes ? Donc la discussion était sous-tendue par l'analyse juridique : faut-il invoquer l'article 51 dont j'ai assez parlé maintenant pour n'y pas revenir, ou faut-il un nouveau texte, mais je dis : on ne peut recourir à l'article 51, il faut mettre cartes sur table, je suis prêt, au nom de la France, a discuter d'un nouveau texte. M. Bush n'a pas posé d'autres questions et m'a semblé tout à fait d'accord sur cette façon de voir.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit qu'il fallait discuter d'une nouvelle résolution. Alors je peux vous demander pourquoi discuter, de quoi discuter ? Est-ce que quelque chose a changé au Koweit ? Pourquoi discuter pour une nouvelle résolution ?
- LE PRESIDENT.- S'il existe plusieurs pays comme la France, l'Union soviétique, peut-être quelques autres, qui ne désirent pas comprendre l'article 51 de la Charte comme autorisant le déclenchement d'un conflit, alors il faut qu'on en parle clairement sur un texte délibéré en commun, dont on discutera chaque mot tant la chose est importante. C'est la guerre ou la paix là-bas. Ce texte n'existe pas à l'heure actuelle. Si l'on veut passer au stade suivant et, bien entendu, à mesure que le temps passe on se rapproche de ce stade en l'absence de contre-proposition sérieuse ou suffisante de l'Irak. Donc, c'est un stade supplémentaire. Je l'ai dit, ce n'est pas un stade qui automatiquement entraînerait le recours à la force. Il conviendrait - ce texte étant voté, je pense qu'il le sera - à ce moment-là que les membres permanents du Conseil de sécurité se concertent pour en étudier l'application.
- On a parlé tout à l'heure de l'attitude et du comportement de M. Gorbatchev sur le même sujet. Je ne peux pas dire que M. Gorbatchev approuverait ce nouveau texte. Il est dans l'état d'esprit de préférer une solution pacifique. Mais il a laissé entendre que cela serait possible bien entendu si cette résolution devait peser sur la décision ultime de M. Saddam Hussein qui doit comprendre qu'à mesure que le temps passe des fatalités se mettent en marche et que pour arrêter les fatalités il faut la volonté délibérée des hommes responsables... Il sera vraiment conduit à le comprendre ou bien le sort en sera jeté.\
QUESTION.- Monsieur le Président, puisqu'il y a trois fronts, semble-t-il, il y a un front diplomatique, il y a un front militaire et un front médiatique, je voudrais vous poser une question de calendrier, puisque le calendrier intervient, vous le savez...
- LE PRESIDENT.- Un front médiatique ?
- QUESTION.- Sur le front médiatique, oui, il y a une date dont Saddam Hussein joue et un certain nombre d'hommes politiques, par exemple Jean-Marie Le Pen, qui est le 25 décembre. Alors je voudrais vous demander si ce que vous venez de nous dire de ce qui est toujours la logique de guerre, si j'ai bien compris, comment est-ce que les choses, selon vous, s'articulent avant le 25 décembre et après le 25 décembre ? Autrement dit est-ce que nos soldats seront encore là-bas à Noël, longtemps après Noël, ou à quel moment voyez-vous voter la nouvelle résolution du Conseil de sécurité et à quel moment voyez-vous les choses dans l'année s'apaiser ou au contraire ne pas s'apaiser dans le Golfe ?
- LE PRESIDENT.- Vous posez beaucoup de questions comme si on était maître du temps, des événements. Je vais essayer de répondre le mieux possible. D'abord en vous disant que si texte il y a, comme on peut le penser, il serait étonnant qu'il ne soit pas mis au point dans les jours qui viennent, et donc, mis en discussion et peut-être adopté par le Conseil de sécurité qui comporte 15 membres - il ne comporte pas que les 5 membres permanents - et dans ce cas-là adopté sans doute avant ou après, mais peu de temps après le 1er décembre, enfin disons dans les 15 premiers jours de décembre. Voilà une première réponse indicative, seulement indicative.
- Le 25 décembre, ce que vous voulez dire c'est la date des premières libérations d'otages, enfin de ceux qui restent, tel que cela a été annoncé par l'Irak récemment, s'il s'en tient à cette décision, car cela varie souvent. A priori toute personne de bon sens raisonnant en Europe a pensé que si M. Saddam Hussein avait dit à partir de Noël jusqu'à Pâques, c'est que cela va de la saison fraîche jusqu'à la saison chaude qui est assez intolérable pour des Occidentaux et que cela pourrait repousser d'autant les affrontements militaires si ceux qui se trouvent là-bas pour appliquer les résolutions de l'ONU devaient se trouver en situation d'attente à cette époque lointaine, on va dire au-delà de février 1991. Il n'y a pas 36 réponses. Il faut que l'Irak libère tous les prisonniers, tous les otages. La méthode du saucissonnage est une mauvaise méthode, elle est inhumaine et n'est pas acceptable et ce n'est pas négociable. Donc, je pense que cela n'a pas de poids sur l'adoption d'un texte, le texte dont nous parlons depuis un quart d'heure et qui devrait être adopté - mais j'emploie le conditionnel à mon tour - dans les trois semaines qui viennent. Vous voulez savoir quand ce texte sera appliqué ? Attendez qu'il soit voté.\
QUESTION.- Monsieur le Président, après toutes les conversations que vous avez eues pendant ces trois jours à Paris, avez-vous eues pendant ces trois jours à Paris, avez-vous le sentiment que l'éventualité d'un conflit dans le Golfe s'est rapproché ou s'est éloigné ?
- LE PRESIDENT.- Ce ne sont pas ces conversations qui me permettraient de vous le dire, c'est resté tout à fait en dehors des débats. Il y a eu des conversations bilatérales. Moi j'en ai eu huit dont trois ont été très centrées sur les problèmes du Golfe, notamment avec Mme Thatcher et avec le Président turc. Peut-on dire au travers de ces conversations que la crise s'est aggravée ou le contraire ? Non, ce n'était pas fait pour cela. En revanche, il y a eu une analyse sérieuse des événements qui se produisent depuis maintenant plusieurs mois et d'une série de décisions prises ces dernières semaines par l'Irak qui ont tendu à montrer, sinon des virages nouveaux, l'expression serait vraiment excessive, mais au moins une sorte d'amorce autour de la question des otages.
- Celui qui a cru bon de garder des ressortissants étrangers, contre leur volonté, dans ce pays, doit agir au plus tôt pour leur rendre leur liberté. Or, sur les autres questions, on a bien entendu dire ceci ou cela : à travers le monde, toute une série de messagers se répandent. Il y a des suggestions intéressantes et d'autres qui le sont moins £ toutes celles qui pourraient servir la paix sont a priori, utiles ou séduisantes mais elles ne peuvent pas aller vers la paix en déni du droit international. De ce point de vue, on n'a pas franchement avancé et on doit donc considérer que, puisque le temps passe, s'il n'y a pas de réels progrès, c'est que le danger s'accroît.\
QUESTION.- Toujours à propos du Golfe, donc, si j'ai bien compris votre pensée, la France va participer à l'élaboration d'un texte du Conseil de sécurité préconisant la possibilité d'une intervention contre l'Irak. La France s'inscrit toujours dans une hypothèse de guerre. Monsieur le Président, j'ai une série de questions très brèves. Est-il vrai que des assistantes sociales dépendant du ministère de la défense suivent des stages pour annoncer aux familles la mort de soldats ? Est-il vrai que des Boeing d'Air France sont actuellement aménagés pour rapatrié des cadavres ? Est-il vrai que Thomson emploie ou plutôt propose des emplois pour des non-juifs en Arabie saoudite ? Enfin, Monsieur le Président, que pensez-vous de cette déclaration d'un très proche conseiller de M. Gorbatchev à Alger qui déclare : "très peu de temps nous sépare d'un affrontement militaire dans le Golfe ?".
- LE PRESIDENT.- Sur les premières questions, je suis hors d'état de répondre car vous m'apprenez tout cela, pour peu que cela soit vrai. Donc, je vous apporterai les informations quand j'aurai eu des réponses des administrations intéressées. Je vois très bien naturellement votre intention qui est de dresser, de donner la tonalité pour que des Français s'inquiètent et oublient le devoir de la France, membre permanent du Conseil de sécurité qui a pour charge d'exécuter les directives des Nations unies et du Conseil de sécurité et qui ne se laissera pas détourner de ce devoir par l'alarmisme que vous cherchez à répandre. Le devoir c'est le devoir, mais bien entendu la France a fait le choix de rechercher avec l'Union soviétique et les autres, nous en avons assez débattu avec M. Gorbatchev, les moyens pacifiques de faire respecter les résolutions du Conseil de sécurité.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous venez de parler de l'Union soviétique, aujourd'hui même de la part des Canadiens, des Allemands et des Italiens, on entend parler de la nécessité d'assister l'Union soviétique, notamment en matière alimentaire. Vous venez de dire que l'Union soviétique s'était arrimée au continent, quel est le constat que vous faites de l'état de l'Union soviétique ?
- LE PRESIDENT.- Vous risquez de m'égarer sur des chemins détournés. On en a souvent parlé. L'état de l'Union soviétique paraît aujourd'hui mauvais, à la fois sur le plan économique et sur le plan de l'unité de ce pays. Tout le monde le sait. Vous n'attendiez pas que je vous l'annonce. C'est une situation difficile que doit gérer M. Gorbatchev. Il aborde d'ailleurs cette phase de responsabilité avec beaucoup de courage et de décision. C'est vrai que l'Union soviétique affronte aujourd'hui de grandes difficultés. Elle n'en reste pas moins un grand pays.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais revenir à la crise du Golfe et à la résolution qui va être débattue entre les membres permanents du Conseil de sécurité pour savoir si vous êtes partisan d'inclure dans ce texte un ultimatum au Président Saddam Hussein lui donnant une date limite au-delà de laquelle une action militaire serait envisagée ipso facto par les grands ?
- LE PRESIDENT.- Aussi intéressante que soit cette question, je ne vais pas y répondre avant même que les ministres des affaires étrangères, les diplomates n'aient eu le temps de se rencontrer. On ne s'est séparé qu'à midi tout à l'heure, rendez-vous est pris, s'il n'est pas fixé, il est imminent. Mais je ne vais pas comme cela disséminer les informations sur les intentions de la France au hasard de mes rencontres. Donc, on en reparlera certainement d'ici peu, monsieur.\
QUESTION.- Monsieur le Président, nous avons très peu de nouvelles du Liban où, pratiquement, les journalistes français ne peuvent plus exercer leur métier. Avez-vous des informations sur le processus de normalisation en cours à Beyrouth et pourriez-vous nous dire quand le Général Aoun, qui a maintenant déposé les armes il y a un peu plus d'un mois, sera libéré ?
- LE PRESIDENT.- J'ai parlé du Liban à la plupart de mes interlocuteurs en faisant remarquer, ce qui relève du simple bon sens, que tant de mesures prises pour libérer le Koweit d'une action menée en violation du droit international devenaient presque paradoxales si l'on pense au sort fait au Liban. Les mêmes faits devraient conduire aux mêmes conclusions, c'est-à-dire que la paix finisse par prévaloir par l'accession ou le retour à l'indépendance, à la souveraineté et à l'unité. Vous savez que nous avons reconnu, nous, Français, comme tous les autres, la légitimité du président Hraoui, et du gouvernement de M. Selim Hoss. C'est donc ce président et ce gouvernement qui ont en charge l'application des accords de Taef. En particulier la pacification, la réduction des factions libanaises, le retour à la paix et à la protection des personnes. J'ai encore écrit récemment, à différents chefs d'Etat, notamment à M. Bush et au Roi d'Arabie, au Président algérien et au Roi du Maroc, pour leur dire qu'il convenait de veiller scrupuleusement à l'application des accords de Taef. Ils prévoient le respect de la souveraineté de l'indépendance et de l'unité du Liban, ils signifient aussi le départ des deux armées étrangères qui occupent une partie du territoire libanais.
- Quant au Général Aoun, il est, vous le savez, à l'ambassade de France. Nous lui avons accordé l'asile politique et nous considérons qu'il est de notre devoir d'assurer sa protection. Quant à son départ de Beyrouth, cela dépend, bien entendu, de l'accord qui sera donné par les autorités légales du Liban et par toutes les autres forces qui se trouvent là. Nous faisons, nous, notre devoir en assurant sa sécurité là où il est, sécurité comme celle des Français qui sont à l'ambassade et nous insistons pour qu'il puisse aller à l'endroit de son choix, en l'occurence en France, rejoindre sa famille. Il n'y a rien d'autre à dire actuellement.\
QUESTION.- Lundi soir les Français ont pu se rendre compte que Michel Rocard ne disposait que d'une majorité très fragile, est-ce que vous pensez que dans ces conditions - les législatives sont dans trois ans - pensez-vous que le Premier ministre peut continuer à gouverner avec cette majorité si faible et engager des réformes importantes ?
- LE PRESIDENT.- Madame, si vous l'avez appris lundi, moi je le savais depuis 1988, au lendemain des élections. Le gouvernement dispose d'une majorité relative, il ne lui manque que quelques voix pour que cette majorité relative soit absolue mais cela lui manque. C'est une majorité relative qui est plus forte que toutes les autres majorités relatives, il n'y a donc pas de majorité de remplacement. En tous cas, la loi est la loi, le gouvernement a obtenu la majorité, a contrario, puisque la censure n'a pas été votée. Voilà, il n'y a pas à aborder cette phase maintenant avec pessimisme. Il a été démontré lundi que la réalité c'était cela. Avec cette réalité, le gouvernement peut gouverner, d'autant plus que les conditions réunies lundi dernier ne sont pas permanentes à travers les mois et les mois qui nous séparent des futures élections, voilà pourquoi je vous répond. Je veux simplement vous dire que le gouvernement doit continuer sa tâche. Il a la majorité relative que les électeurs ont choisie en 1988.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que le problème palestinien et celui de la Cisjordanie et de Gaza était un sujet de discussion entre vous et M. Bush, ou entre vous et M. Gorbatchev ?
- LE PRESIDENT.- C'est un sujet permanent qui n'était pas à l'ordre du jour, qui vient tout naturellement dans les conversations, certains pensant comme moi que les problèmes très difficiles et très douloureux des populations sans Etat ou des populations chassées de leur Etat, comme le Koweit, doivent faire l'objet d'un règlement dans un délai raisonnable, sans quoi ce sera l'embrasement de toute une région. Mais ce n'était pas l'objet de la conférence.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que selon vous il y a actuellement en France un climat de mécontentement politique ou social qui ne serait pas en harmonie avec le rôle que la France joue sur le plan international ?
- LE PRESIDENT.- C'est à vous d'apprécier, vous me posez une question comme si c'était moi le journaliste. Je ne me fais pas de souci, vous écrirez, vous direz ce que vous avez envie de dire. La liberté de la presse en France a atteint un degré jamais égalé dans son histoire. Vous êtes totalement libres et vous respecter si bien cette liberté que vous en usez, je ne veux pas dire jusqu'à la corde, mais enfin très librement. Alors, faites ce que vous voulez, ce n'est pas mon affaire, ce n'est pas à moi de vous répondre là-dessus.\
- J'ai souhaité cette rencontre et désiré la situer aussitôt après la clôture de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe qui s'est achevée en fin de matinée, aujourd'hui.
- J'aimerais, en effet, que la première partie de cette conversation fût consacrée à cette conférence, aux travaux qui s'y sont déroulés et aux conclusions qu'elle implique. Nous pourrons après cela parler de la situation dans le Golfe. Les questions n'étaient pas liées, mais elles sont concomitantes dans le temps. Et d'autre part, il y a déjà quelques semaines que je n'ai pu tenir informée l'opinion, par votre intermédiaire, de l'évolution de cette situation. Je vais essayer de préciser les choses.
- La CSCE, la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe réunissait 34 pays dont 32 pays européens. Ne manquait que l'Albanie, qui encore disposait d'une sorte de fonction d'observateur. Se trouvaient également présents et participant au débat, comme prévu, les Etats-Unis d'Amérique et le Canada. Ce sont donc 34 pays qui ont tenu séance, qui ont débattu sur la base d'une préparation extrêmement approfondie qui avait duré des mois et qui avait permis de lever pratiquement tous les obstacles, non sans difficulté, vous l'imaginez.
- On peut faire un dessin de ce que représente cette conférence et surtout son succès, c'est-à-dire, l'accord donné par les 34 sur une série d'accords, de traités que je vais me permettre d'énumérer. Nous avons commencé par signer le traité sur les forces armées conventionnelles en Europe, sur leur réduction, la réduction des forces conventionnelles ou classiques, entre les 16 Etats membres de l'Alliance atlantique et 6 Etats du pacte de Varsovie. Nous entrerons dans les détails tout à l'heure.\
Donc, signature de ce traité sur la réduction des armes conventionnelles et d'autre part signature d'une déclaration commune des 22 Etats intéressés directement par la chose qui ont proclamé solennellement qu'ils ne se considèrent plus comme des adversaires. Imaginez le Pacte atlantique et le Pacte de Varsovie ! Imaginez tout ce à quoi nous avons pensé, tout ce que nous avons vécu - ceux qui ont eu le temps de vivre toute cette époque - tout ce que vous avez écrit sur ce conflit latent, que l'on appelait guerre froide et qui pouvait à tout moment déboucher en guerre chaude. Cela succédait à des guerres si chaudes, qu'elles ont représenté deux conflits mondiaux qui ont entraîné la séparation de l'Europe en plusieurs zones d'influence. Yalta s'est terminé ce jour même à Paris.
- C'est le parcours, si l'on voulait analyser plus finement, on pourrait dire que l'état d'insécurité qui s'était créé en Europe, pour simplifier les choses, à partir de l'avènement de Hitler en Allemagne, ou encore pour être plus clair à partir de l'Anschluss et de Munich puis la guerre. Depuis cette époque l'Europe n'a jamais connu de repos. Ce n'est pas que nous ayons l'intention de nous reposer à partir de maintenant, mais la menace était là, après le conflit atroce qui a meurtri chacun de nos pays et autant de nos familles. Tout cela s'est résolu à Paris, ces derniers jours et ce matin par le traité sur la réduction des forces conventionnelles et la déclaration commune des 22 Etats participants des deux alliances. Ne parlons plus de "bloc contre bloc". Tous ceux qui aiment la paix, qui savent ce que cela représente, sauront - même si on ne leur a pas beaucoup dit - que nous entrons vraiment dans les temps nouveaux, où la paix apparaît en Europe comme acquise, où les risques semblent disparaître, où le dialogue l'emporte sur la confrontation.\
A la fin du sommet nous avons adopté, signé ce matin ce que l'on a appelé la charte de Paris pour une nouvelle Europe et cette charte toujours signée par les 34 comporte trois parties : l'annonce d'une nouvelle ère de démocratie, de paix et d'unité, une série de considérations sur les orientations futures, des structures et des institutions nouvelles. Nous en parlerons sans doute au cours de cette conversation.
- Nous avons exprimé également le souhait, que j'avais moi-même exprimé dans mon discours d'ouverture puisque je présidais cette conférence au nom de la France, que ce que l'on appelle la méthode ou le processus CSCE, sécurité et coopération en Europe puisse servir d'exemple - je ne dis pas s'étendre, ce n'est pas la même chose - à d'autres régions du monde qui feraient bien de commencer à discuter de la réduction de leurs propres armements et de commencer à organiser des rencontres régulières pour que des pays encore antagonistes puissent bâtir les éléments de leur paix utile à la paix du monde.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les Occidentaux souhaitaient que toutes les nations en Europe soient indépendantes, ils s'inquiètent maintenant de la montée des nationalismes. Les Occidentaux souhaitaient que les frontières s'ouvrent, ils s'inquiètent maintenant de la possibilité d'afflux de nouveaux immigrants. Ne sommes-nous pas en train de changer, d'échanger un ordre injuste contre un désordre qui pourrait être dangereux ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur Bortoli, la vie est dangereuse, la vie internationale n'est pas un lit de roses, les intérêts continuent de s'opposer, les ambitions aussi, la nature humaine n'incite pas toujours à la concorde et à l'apaisement y compris dans les relations privées, alors n'allez pas imaginer qu'il vient de naître aujourd'hui un monde enfin redevenu le rêve d'un certain nombre de philosophes, une sorte de paradis retrouvé. Mais par rapport à la situation tragique que nous avons vécue dans la guerre ou dans l'angoisse de la guerre avec tout ce que cela implique de chagrin, de désespoir, d'angoisse, de morts, de toutes ces déchirures des familles, à tout cela on vient de mettre un point final pour ce qui touche à l'Europe.
- Si la période de paix qui s'ouvre, présente des risques, j'ai moi-même dit qu'il ne fallait pas que succède aux rivalités sanglantes d'hier une sorte d'Europe à deux vitesses dans laquelle il y aurait des pays riches qui se complairaient dans leur prospérité et des pays à la traîne qui souffriraient de l'indifférence. Il faut absolument maintenant complèter notre action par un travail de solidarité active pour harmoniser les niveaux de vie. Nous allons travailler. Il est évident qu'existe le problème des citoyens des pays de l'Est qui désirent trouver du travail, dans les pays de l'Ouest. Tout ceci exige des précautions, des mesures de sagesse car les pays de l'Ouest ont aussi leurs problèmes qu'il ne faut pas ignorer. Il est quelquefois bon d'être pessimiste, cela évite un sommeil prolongé. Cette rencontre diplomatique est sans précédent. Pour la première fois un accord de ce type a été réalisé sans vainqueur, ni vaincu, sans partage de dépouilles. On n'a pas liquidé une guerre, on a fondé une véritable entente. Tout le monde y a participé, les membres des pactes, les blocs militaires, les neutres, les non-alignés, tout le monde. Il n'existe plus de tête à tête réservé à quelques-uns. De plus, l'Union soviétique qui représentait l'un des deux Grands à la tête de l'un des deux blocs vient, me semble-t-il, de s'ancrer de façon très profonde et durable au continent européen en y prenant sa part comme les autres.\
QUESTION.- Monsieur le Président, cette conférence est aussi une conférence de sécurité. Or il est communément admis que la sécurité est une activité qui vise à parer une menace donc un ennemi latent ou apparent, réel ou potentiel. Donc la question qui s'impose, quel est l'ennemi aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Justement en Europe il n'y a plus d'ennemis et l'accord qui a été signé, c'est un accord pour l'Europe avec la participation de deux grands pays Nord-américains, présence nécessaire puisque l'un des aspects des accords en question vise le désarmement. Vous le savez bien, l'Alliance atlantique repose pour beaucoup sur la sécurité que garantissent les Etats-Unis d'Amérique avec lesquels le Canada collabore. C'est un accord pour l'Europe entre pays européens auxquels s'ajoutent, puisqu'il s'agit des problèmes d'équilibre dans les armées, les Etats-Unis d'Amérique et le Canada. Ce n'est pas une conférence pour les autres continents et de ce fait on ne peut pas mélanger les questions. Bien entendu les conflits qui se déroulent ailleurs peuvent avoir dans l'avenir des répercussions en Europe. On les examinera quand il le faudra.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la guerre froide, la guerre chaude, c'est fini en Europe. La guerre tout court c'est fini, c'est réjouissant pour le monde entier. Mais ma question, monsieur le Président, il y a beaucoup de foyers de tensions en Afrique et en Asie...
- LE PRESIDENT.- Oui, oui, je crois l'avoir remarqué.
- QUESTION.- Est-ce que l'Assemblée, les pays des 34, ont mis au point un mécanisme typique pour éteindre ces incendies ?
- LE PRESIDENT.- Nous non. Je vous réponds non. Les 34 pays européens plus les deux pays nord-américains ne se comportent pas comme s'ils étaient chargés de l'ordre mondial. C'est déjà bien qu'ils se considèrent comme chargés de l'ordre et de la paix en Europe. Ils n'ont donc pas prétendu légiférer pour les autres. Et s'il existe une institution qui détient cette charge, ce sont les Nations unies. Il ne s'agit pas de créer toute une échelle de pouvoirs et d'institutions qui finiraient par se marcher sur les pieds ou par se contredire. Il faut donc magnifier le rôle des Nations unies au travers du conflit du Golfe et penser que la fin de la guerre froide permet de donner à l'institution internationale une réalité qu'elle n'a jamais connue.
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QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais revenir aux négociations ou traités signés à Paris. Que se passe-t-il si un pays signataire ne respecte pas ses engagements ? Quels sont les moyens dont disposent les autres partenaires pour imposer ce respect ?
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous appelez ne pas respecter ses engagements, par exemple sur le traité sur la réduction des armes conventionnelles, les chars, les canons, les hélicoptères ? Eh bien ! les accords n'auront plus de valeur. Qu'est-ce que je peux vous dire d'autre ? Les décisions prises sont très importantes. Vous savez de quelle manière ont été chiffrées les réductions. Les chars, en application des accords signés à Paris, et on compte qu'il en existe 59100 en 1990, devraient être réduits à 40000, donc 20000 du côté des pays de l'ancien Pacte de Varsovie et 20000 du côté de l'Alliance atlantique. C'est donc une diminution de 19100 unités pour les chars. Pour les véhicules blindés, en 1990 : 79000, en 1994 cela devrait tomber à 60000, donc 30000 de part et d'autre soit une diminution de 19000 unités. C'est le même raisonnement qui vaut - mais je vous dispenserai des chiffres pour l'artillerie, les hélicoptères, l'aviation et toujours l'égalité entre les deux zones. Si quelqu'un n'applique pas, les autres seront conduits à ne pas appliquer et on recommence. J'ai l'impression que la manière dont les choses se passent montre que nous sommes engagés dans une dynamique qui ne devrait pas être contrariée. Si un fait nouveau extraordinaire se passait, ceux qui auraient à en souffrir s'organiseraient pour y parer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, une question qui concerne les pays baltes. Est-ce que l'on ne peut pas dire, à l'issue de la CSCE, que les pays baltes ont été, si ce n'est les grands perdants de la conférence, du moins les oubliés de la conférence de Paris et vous-même comment voyez-vous leur destin dans cette nouvelle Europe dont on a jeté aujourd'hui les nouvelles bases ?
- LE PRESIDENT.- Comment pouvez-vous dire cela ? Les pays baltes étaient absents parce qu'ils ne font pas partie encore des Etats membres des Nations unies et qu'ils ne sont pas reconnus comme tels par la société internationale. J'en parle d'autant plus librement que la France est un des pays qui continue à reconnaître la souveraineté des droits des pays baltes dont nous n'avons jamais reconnu l'abolition par la conquête, ni par les Allemands, ni par les Russes. Vous savez que la Lituanie nous a confié son or, elle l'a confié aussi à d'autres pays, mais surtout à nous. Les autres pays ont, soit rendu la part qu'ils détenaient à l'Union soviétique, soit je ne sais pas ce qu'ils en ont fait. La France, elle, a tout gardé, pour le rendre à la Lituanie. C'est dire que notre attitude ne mériterait aucun reproche, mais notre position à l'égard des pays baltes n'est pas celle reconnue par la société internationale, ces trois Etats ne sont pas inscrits à l'heure actuelle en tant qu'Etats souverains, ni en Europe, ni à la société des Nations unies.
- Voilà la réalité. Nous avons insisté puisqu'à Vienne lors du comité préparatoire du sommet de Paris, il avait été admis que les Etats baltes seraient admis par le secrétaire exécutif au titre des "personnalités reconnues" invitées. Cela me paraissait une solution raisonnable, mais il y a eu opposition. En particulier l'Union soviétique a estimé que dans l'état actuel de ses négociations et de ses conversations avec les pays baltes notamment, il n'avait pas été décidé qu'ils étaient devenus des Etats souverains et que leurs liens n'étaient pas coupés avec l'Union soviétique. Cette conférence ne pouvait que constater le droit international tel qu'il est aujourd'hui. On ne pouvait inviter que tous les Etats souverains. On ne pouvait pas inviter les autres. Alors, nous avons agi de notre mieux pour traiter amicalement et très correctement les envoyés des trois pays baltes sans pouvoir les faire entrer dans la salle des séances. Il y a aujourd'hui beaucoup de régions, je dis régions parce que je ne sais pas comment les appeler. En ce qui concerne les pays baltes, ce sont des pays, et à nos yeux ce sont des Etats qui cherchent à obtenir leur droit à la souveraineté. Ils ont encore besoin d'être soutenus et de convaincre les Etats dans lesquels ils sont insérés pour parvenir à ce progrès dans le droit international. Tel n'est pas encore leur cas aujourd'hui, même si je le regrette, je le constate. Ce n'est pas parce que la France présidait qu'elle avait la capacité de décider pour tous les autres.\
QUESTION.- Quel sentiment éprouvez-vous aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Je suis très heureux pour l'Europe. J'ai le sentiment d'avoir vécu avec tous les autres pays d'Europe un très grand moment de notre histoire commune. C'est un événement sans précédent qui permet de grandes espérances tout en sachant bien entendu que les obstacles seront toujours là. Il faudra donc avoir du courage, de l'esprit d'initiative, une volonté de paix alors ce qui a été entrepris aujourd'hui réussira. On a fait un grand pas en avant. Il y aura un prochain sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Helsinki.. Il y aura chaque année une réunion des ministres des affaires étrangères, la prochaine aura lieu à Berlin. Il y aura un Comité des hauts fonctionnaires. Il y aura un Secrétariat permanent qui siégera à Prague. Il y aura un centre de prévention des conflits qui siègera à Vienne. Il y aura un bureau des élections libres qui vérifiera l'exercice de la démocratie et qui siégera à Varsovie. Il y aura, l'accord est donné sur le principe, une assemblée parlementaire. Donc tous ces éléments-là ont été retenus pour donner des structures à ce qui était il y a trois jours seulement une espérance. Donc, je suis très heureux pour l'Europe. Je suis très confiant pour la paix et je me réjouis de cet effort accompli par tant de pays pour marcher sur la même route et pour partager les mêmes valeurs.\
QUESTION.- J'ai cru comprendre que nous pouvions poser d'ores et déjà des questions sur le Golfe alors je vous pose la première question. Pendant toute la réunion sur la CSCE on a vu les Américains pousser beaucoup dans le sens d'une résolution autorisant le recours à la force contre l'Irak dans le cadre de l'ONU. Il semble qu'ils aient été mollement suivis par les Soviétiques et également par les Français. Peut-on imaginer à terme un vrai désaccord sur cette question du recours à la force entre les Américains et les Français notamment ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que vous simplifiez exagérément. L'objet de cette conférence - je l'ai répété - n'était pas l'examen de la situation dans le Golfe. Pas du tout. On avait assez à faire avec l'ensemble des accords que j'ai énumérés tout à l'heure. Le Golfe n'a fait l'objet de conversations qu'à titre bilatéral, c'est-à-dire dans les suspensions de séance, ou bien avec ceux qui s'absentent pendant que les autres parlent en séance plénière. Dans ces conversations en tête à tête, il a été question du Golfe souvent et surtout lorsque se trouvaient mêlés à ces conversations des membres permanents du Conseil de sécurité, ce qui était le cas pour les Etats-Unis d'Amérique donc de M. Bush, de l'Union soviétique donc de M. Gorbatchev, de la Grande-Bretagne donc de Mme Thatcher et de la France donc de moi-même qui sont quatre des cinq pays membres permanents. Ces quatre étaient là. Alors, dans le cadre de leurs conversations bilatérales avec les uns, les autres - j'ai moi-même rencontré huit délégations - pendant toutes ces journées, plusieurs fois, non pas systématiquement, mais plusieurs fois le problème de la guerre du Golfe : "aura-t-elle lieu, n'aura-t-elle pas lieu, quelles conditions pour la paix" etc... tout cela est revenu constamment dans les conversations. Si on avait voulu parler du golfe en séance régulière, on l'aurait dit mais ce n'était pas à l'ordre du jour.\
Comment s'est posé le problème lors de la conversation que j'ai eue avec Georges Bush ? Le soir de son arrivée puisque nous avons dîné ensemble à l'Elysée, M. Georges Bush m'a dit : "pensez-vous qu'il faille adopter une résolution nouvelle au sein du Conseil de sécurité, résolution qui autorise éventuellement le recours à la force ? Je lui ai dit : oui. Oui parce que la référence à l'article 51 de la charte, référence évoquée par diverses hautes personnalités américaines, signifiant que les Etats-Unis d'Amérique pourraient s'engager dans une action militaire contre l'Irak, par seule référence à cet article qui implique que lorsqu'un pays est en danger, demande assistance, ce qui est le cas du Koweit, à un autre pays, ce qui est le cas des Etats-Unis d'Amérique, la charte en son article 51 autorise ce pays qu'on appelle au secours, à intervenir militairement. Mais en l'occurence, un pays comme la France par exemple, n'a pas de traité d'assistance avec le Koweit, n'a pas d'engagement particulier, puisque vous parlez de la France. Et, la manière dont s'est engagé ce débat, et dont il se déroule, ne permet pas les échappatoires, ce n'est pas par une référence tout à fait indirecte à un article réel, mais tout de même assez général, que l'on peut prendre une décision de cette importance. C'est d'une façon explicite. J'ai donc dit oui : la France est prête à prendre part à une discussion, afin d'établir un texte de résolution présenté au Conseil de sécurité et comportant, éventuellement, le recours à la force.\
Il faut donc que nos ministres des affaires étrangères et que nos diplomates commencent à discuter d'un texte, et il n'y aura d'engagement pour la France que selon le texte qui sera adopté. Et j'ai ajouté, au cours de ces discussions que dans mon esprit il n'y avait pas d'automatisme, c'est-à-dire qu'une résolution du Conseil de sécurité autorisant l'emploi de la contrainte pour faire respecter les résolutions précédentes des Nations-Unies, notamment l'évacuation par l'Irak, l'évacuation militaire et civile, l'évacuation du Koweit, cette décision des Nations unies devra être appliquée. On a recherché, il faut continuer de rechercher, les moyens pacifiques d'y parvenir, d'où l'embargo. Mais, s'il faut mettre les points sur les i, une résolution impliquant que l'on peut recourir à la contrainte, c'est-à-dire à une action militaire, oui, nous sommes prêts à en discuter. Quant à sa mise en oeuvre, c'est une autre affaire, il n'y a pas d'automatisme donc il faudra que les puissances qui se trouveraient en situation d'avoir exercé cette action militaire, soient de nouveau mises en mesure d'en discuter si cela devait être décidé. Mais il est important que l'Irak soit informé dès que cette décision pourra être prise, dès qu'un texte aura pu être établi, donc dès qu'il aura été discuté, ce qui n'est pas encore le cas. L'Irak saura que décidément il ne peut pas compter sur la désagrégation de la coalition qui s'est chargée de mettre en oeuvre les résolutions des Nations unies.\
QUESTION.- Monsieur le Président, sur ce point précis de la résolution de l'ONU, avez-vous l'impression que vous êtes sur la même longueur d'ondes que le Président Bush, on avait cru comprendre qu'il vous demandait plus ?
- LE PRESIDENT.- Je ne vais pas du tout vous mettre en cause personnellement. Vous croyez souvent comprendre. Mais M. Bush ne m'a pas posé d'autres questions. Donc c'est difficile de dire qu'on croit comprendre qu'il a posé la question quand il ne l'a pas posée. Il n'a pas posé la question. A votre avis m'a-t-il dit : ne faut-il pas le vote d'une nouvelle résolution si l'on doit recourir à la force en face de l'Irak pour appliquer les résolutions précédentes ? Donc la discussion était sous-tendue par l'analyse juridique : faut-il invoquer l'article 51 dont j'ai assez parlé maintenant pour n'y pas revenir, ou faut-il un nouveau texte, mais je dis : on ne peut recourir à l'article 51, il faut mettre cartes sur table, je suis prêt, au nom de la France, a discuter d'un nouveau texte. M. Bush n'a pas posé d'autres questions et m'a semblé tout à fait d'accord sur cette façon de voir.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit qu'il fallait discuter d'une nouvelle résolution. Alors je peux vous demander pourquoi discuter, de quoi discuter ? Est-ce que quelque chose a changé au Koweit ? Pourquoi discuter pour une nouvelle résolution ?
- LE PRESIDENT.- S'il existe plusieurs pays comme la France, l'Union soviétique, peut-être quelques autres, qui ne désirent pas comprendre l'article 51 de la Charte comme autorisant le déclenchement d'un conflit, alors il faut qu'on en parle clairement sur un texte délibéré en commun, dont on discutera chaque mot tant la chose est importante. C'est la guerre ou la paix là-bas. Ce texte n'existe pas à l'heure actuelle. Si l'on veut passer au stade suivant et, bien entendu, à mesure que le temps passe on se rapproche de ce stade en l'absence de contre-proposition sérieuse ou suffisante de l'Irak. Donc, c'est un stade supplémentaire. Je l'ai dit, ce n'est pas un stade qui automatiquement entraînerait le recours à la force. Il conviendrait - ce texte étant voté, je pense qu'il le sera - à ce moment-là que les membres permanents du Conseil de sécurité se concertent pour en étudier l'application.
- On a parlé tout à l'heure de l'attitude et du comportement de M. Gorbatchev sur le même sujet. Je ne peux pas dire que M. Gorbatchev approuverait ce nouveau texte. Il est dans l'état d'esprit de préférer une solution pacifique. Mais il a laissé entendre que cela serait possible bien entendu si cette résolution devait peser sur la décision ultime de M. Saddam Hussein qui doit comprendre qu'à mesure que le temps passe des fatalités se mettent en marche et que pour arrêter les fatalités il faut la volonté délibérée des hommes responsables... Il sera vraiment conduit à le comprendre ou bien le sort en sera jeté.\
QUESTION.- Monsieur le Président, puisqu'il y a trois fronts, semble-t-il, il y a un front diplomatique, il y a un front militaire et un front médiatique, je voudrais vous poser une question de calendrier, puisque le calendrier intervient, vous le savez...
- LE PRESIDENT.- Un front médiatique ?
- QUESTION.- Sur le front médiatique, oui, il y a une date dont Saddam Hussein joue et un certain nombre d'hommes politiques, par exemple Jean-Marie Le Pen, qui est le 25 décembre. Alors je voudrais vous demander si ce que vous venez de nous dire de ce qui est toujours la logique de guerre, si j'ai bien compris, comment est-ce que les choses, selon vous, s'articulent avant le 25 décembre et après le 25 décembre ? Autrement dit est-ce que nos soldats seront encore là-bas à Noël, longtemps après Noël, ou à quel moment voyez-vous voter la nouvelle résolution du Conseil de sécurité et à quel moment voyez-vous les choses dans l'année s'apaiser ou au contraire ne pas s'apaiser dans le Golfe ?
- LE PRESIDENT.- Vous posez beaucoup de questions comme si on était maître du temps, des événements. Je vais essayer de répondre le mieux possible. D'abord en vous disant que si texte il y a, comme on peut le penser, il serait étonnant qu'il ne soit pas mis au point dans les jours qui viennent, et donc, mis en discussion et peut-être adopté par le Conseil de sécurité qui comporte 15 membres - il ne comporte pas que les 5 membres permanents - et dans ce cas-là adopté sans doute avant ou après, mais peu de temps après le 1er décembre, enfin disons dans les 15 premiers jours de décembre. Voilà une première réponse indicative, seulement indicative.
- Le 25 décembre, ce que vous voulez dire c'est la date des premières libérations d'otages, enfin de ceux qui restent, tel que cela a été annoncé par l'Irak récemment, s'il s'en tient à cette décision, car cela varie souvent. A priori toute personne de bon sens raisonnant en Europe a pensé que si M. Saddam Hussein avait dit à partir de Noël jusqu'à Pâques, c'est que cela va de la saison fraîche jusqu'à la saison chaude qui est assez intolérable pour des Occidentaux et que cela pourrait repousser d'autant les affrontements militaires si ceux qui se trouvent là-bas pour appliquer les résolutions de l'ONU devaient se trouver en situation d'attente à cette époque lointaine, on va dire au-delà de février 1991. Il n'y a pas 36 réponses. Il faut que l'Irak libère tous les prisonniers, tous les otages. La méthode du saucissonnage est une mauvaise méthode, elle est inhumaine et n'est pas acceptable et ce n'est pas négociable. Donc, je pense que cela n'a pas de poids sur l'adoption d'un texte, le texte dont nous parlons depuis un quart d'heure et qui devrait être adopté - mais j'emploie le conditionnel à mon tour - dans les trois semaines qui viennent. Vous voulez savoir quand ce texte sera appliqué ? Attendez qu'il soit voté.\
QUESTION.- Monsieur le Président, après toutes les conversations que vous avez eues pendant ces trois jours à Paris, avez-vous eues pendant ces trois jours à Paris, avez-vous le sentiment que l'éventualité d'un conflit dans le Golfe s'est rapproché ou s'est éloigné ?
- LE PRESIDENT.- Ce ne sont pas ces conversations qui me permettraient de vous le dire, c'est resté tout à fait en dehors des débats. Il y a eu des conversations bilatérales. Moi j'en ai eu huit dont trois ont été très centrées sur les problèmes du Golfe, notamment avec Mme Thatcher et avec le Président turc. Peut-on dire au travers de ces conversations que la crise s'est aggravée ou le contraire ? Non, ce n'était pas fait pour cela. En revanche, il y a eu une analyse sérieuse des événements qui se produisent depuis maintenant plusieurs mois et d'une série de décisions prises ces dernières semaines par l'Irak qui ont tendu à montrer, sinon des virages nouveaux, l'expression serait vraiment excessive, mais au moins une sorte d'amorce autour de la question des otages.
- Celui qui a cru bon de garder des ressortissants étrangers, contre leur volonté, dans ce pays, doit agir au plus tôt pour leur rendre leur liberté. Or, sur les autres questions, on a bien entendu dire ceci ou cela : à travers le monde, toute une série de messagers se répandent. Il y a des suggestions intéressantes et d'autres qui le sont moins £ toutes celles qui pourraient servir la paix sont a priori, utiles ou séduisantes mais elles ne peuvent pas aller vers la paix en déni du droit international. De ce point de vue, on n'a pas franchement avancé et on doit donc considérer que, puisque le temps passe, s'il n'y a pas de réels progrès, c'est que le danger s'accroît.\
QUESTION.- Toujours à propos du Golfe, donc, si j'ai bien compris votre pensée, la France va participer à l'élaboration d'un texte du Conseil de sécurité préconisant la possibilité d'une intervention contre l'Irak. La France s'inscrit toujours dans une hypothèse de guerre. Monsieur le Président, j'ai une série de questions très brèves. Est-il vrai que des assistantes sociales dépendant du ministère de la défense suivent des stages pour annoncer aux familles la mort de soldats ? Est-il vrai que des Boeing d'Air France sont actuellement aménagés pour rapatrié des cadavres ? Est-il vrai que Thomson emploie ou plutôt propose des emplois pour des non-juifs en Arabie saoudite ? Enfin, Monsieur le Président, que pensez-vous de cette déclaration d'un très proche conseiller de M. Gorbatchev à Alger qui déclare : "très peu de temps nous sépare d'un affrontement militaire dans le Golfe ?".
- LE PRESIDENT.- Sur les premières questions, je suis hors d'état de répondre car vous m'apprenez tout cela, pour peu que cela soit vrai. Donc, je vous apporterai les informations quand j'aurai eu des réponses des administrations intéressées. Je vois très bien naturellement votre intention qui est de dresser, de donner la tonalité pour que des Français s'inquiètent et oublient le devoir de la France, membre permanent du Conseil de sécurité qui a pour charge d'exécuter les directives des Nations unies et du Conseil de sécurité et qui ne se laissera pas détourner de ce devoir par l'alarmisme que vous cherchez à répandre. Le devoir c'est le devoir, mais bien entendu la France a fait le choix de rechercher avec l'Union soviétique et les autres, nous en avons assez débattu avec M. Gorbatchev, les moyens pacifiques de faire respecter les résolutions du Conseil de sécurité.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous venez de parler de l'Union soviétique, aujourd'hui même de la part des Canadiens, des Allemands et des Italiens, on entend parler de la nécessité d'assister l'Union soviétique, notamment en matière alimentaire. Vous venez de dire que l'Union soviétique s'était arrimée au continent, quel est le constat que vous faites de l'état de l'Union soviétique ?
- LE PRESIDENT.- Vous risquez de m'égarer sur des chemins détournés. On en a souvent parlé. L'état de l'Union soviétique paraît aujourd'hui mauvais, à la fois sur le plan économique et sur le plan de l'unité de ce pays. Tout le monde le sait. Vous n'attendiez pas que je vous l'annonce. C'est une situation difficile que doit gérer M. Gorbatchev. Il aborde d'ailleurs cette phase de responsabilité avec beaucoup de courage et de décision. C'est vrai que l'Union soviétique affronte aujourd'hui de grandes difficultés. Elle n'en reste pas moins un grand pays.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais revenir à la crise du Golfe et à la résolution qui va être débattue entre les membres permanents du Conseil de sécurité pour savoir si vous êtes partisan d'inclure dans ce texte un ultimatum au Président Saddam Hussein lui donnant une date limite au-delà de laquelle une action militaire serait envisagée ipso facto par les grands ?
- LE PRESIDENT.- Aussi intéressante que soit cette question, je ne vais pas y répondre avant même que les ministres des affaires étrangères, les diplomates n'aient eu le temps de se rencontrer. On ne s'est séparé qu'à midi tout à l'heure, rendez-vous est pris, s'il n'est pas fixé, il est imminent. Mais je ne vais pas comme cela disséminer les informations sur les intentions de la France au hasard de mes rencontres. Donc, on en reparlera certainement d'ici peu, monsieur.\
QUESTION.- Monsieur le Président, nous avons très peu de nouvelles du Liban où, pratiquement, les journalistes français ne peuvent plus exercer leur métier. Avez-vous des informations sur le processus de normalisation en cours à Beyrouth et pourriez-vous nous dire quand le Général Aoun, qui a maintenant déposé les armes il y a un peu plus d'un mois, sera libéré ?
- LE PRESIDENT.- J'ai parlé du Liban à la plupart de mes interlocuteurs en faisant remarquer, ce qui relève du simple bon sens, que tant de mesures prises pour libérer le Koweit d'une action menée en violation du droit international devenaient presque paradoxales si l'on pense au sort fait au Liban. Les mêmes faits devraient conduire aux mêmes conclusions, c'est-à-dire que la paix finisse par prévaloir par l'accession ou le retour à l'indépendance, à la souveraineté et à l'unité. Vous savez que nous avons reconnu, nous, Français, comme tous les autres, la légitimité du président Hraoui, et du gouvernement de M. Selim Hoss. C'est donc ce président et ce gouvernement qui ont en charge l'application des accords de Taef. En particulier la pacification, la réduction des factions libanaises, le retour à la paix et à la protection des personnes. J'ai encore écrit récemment, à différents chefs d'Etat, notamment à M. Bush et au Roi d'Arabie, au Président algérien et au Roi du Maroc, pour leur dire qu'il convenait de veiller scrupuleusement à l'application des accords de Taef. Ils prévoient le respect de la souveraineté de l'indépendance et de l'unité du Liban, ils signifient aussi le départ des deux armées étrangères qui occupent une partie du territoire libanais.
- Quant au Général Aoun, il est, vous le savez, à l'ambassade de France. Nous lui avons accordé l'asile politique et nous considérons qu'il est de notre devoir d'assurer sa protection. Quant à son départ de Beyrouth, cela dépend, bien entendu, de l'accord qui sera donné par les autorités légales du Liban et par toutes les autres forces qui se trouvent là. Nous faisons, nous, notre devoir en assurant sa sécurité là où il est, sécurité comme celle des Français qui sont à l'ambassade et nous insistons pour qu'il puisse aller à l'endroit de son choix, en l'occurence en France, rejoindre sa famille. Il n'y a rien d'autre à dire actuellement.\
QUESTION.- Lundi soir les Français ont pu se rendre compte que Michel Rocard ne disposait que d'une majorité très fragile, est-ce que vous pensez que dans ces conditions - les législatives sont dans trois ans - pensez-vous que le Premier ministre peut continuer à gouverner avec cette majorité si faible et engager des réformes importantes ?
- LE PRESIDENT.- Madame, si vous l'avez appris lundi, moi je le savais depuis 1988, au lendemain des élections. Le gouvernement dispose d'une majorité relative, il ne lui manque que quelques voix pour que cette majorité relative soit absolue mais cela lui manque. C'est une majorité relative qui est plus forte que toutes les autres majorités relatives, il n'y a donc pas de majorité de remplacement. En tous cas, la loi est la loi, le gouvernement a obtenu la majorité, a contrario, puisque la censure n'a pas été votée. Voilà, il n'y a pas à aborder cette phase maintenant avec pessimisme. Il a été démontré lundi que la réalité c'était cela. Avec cette réalité, le gouvernement peut gouverner, d'autant plus que les conditions réunies lundi dernier ne sont pas permanentes à travers les mois et les mois qui nous séparent des futures élections, voilà pourquoi je vous répond. Je veux simplement vous dire que le gouvernement doit continuer sa tâche. Il a la majorité relative que les électeurs ont choisie en 1988.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que le problème palestinien et celui de la Cisjordanie et de Gaza était un sujet de discussion entre vous et M. Bush, ou entre vous et M. Gorbatchev ?
- LE PRESIDENT.- C'est un sujet permanent qui n'était pas à l'ordre du jour, qui vient tout naturellement dans les conversations, certains pensant comme moi que les problèmes très difficiles et très douloureux des populations sans Etat ou des populations chassées de leur Etat, comme le Koweit, doivent faire l'objet d'un règlement dans un délai raisonnable, sans quoi ce sera l'embrasement de toute une région. Mais ce n'était pas l'objet de la conférence.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que selon vous il y a actuellement en France un climat de mécontentement politique ou social qui ne serait pas en harmonie avec le rôle que la France joue sur le plan international ?
- LE PRESIDENT.- C'est à vous d'apprécier, vous me posez une question comme si c'était moi le journaliste. Je ne me fais pas de souci, vous écrirez, vous direz ce que vous avez envie de dire. La liberté de la presse en France a atteint un degré jamais égalé dans son histoire. Vous êtes totalement libres et vous respecter si bien cette liberté que vous en usez, je ne veux pas dire jusqu'à la corde, mais enfin très librement. Alors, faites ce que vous voulez, ce n'est pas mon affaire, ce n'est pas à moi de vous répondre là-dessus.\