13 juin 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, notamment sur les relations franco-comoriennes, l'aide au développement et la francophonie, Moroni, le 13 juin 1990.

Monsieur le Président,
- madame,
- mesdames et messieurs,
- J'étais en effet déjà parmi vous il y a de longues années. J'étais venu au lendemain d'un cyclone qui avait dévasté l'archipel et j'avais apprécié, en cette circonstance, le courage et la présence d'esprit des Comoriens en même temps que leur solidarité avec la France. Et la France venait, en échange, leur apporter le témoignage de son affection.
- De longues années ont passé £ quelques quarante ans. Je n'avais pas eu l'occasion de revenir et j'avoue que j'aurais aimé - si le temps me l'avait permis, mais ce voyage dans quatre pays sera bref - considérer de quelle façon les Comores s'étaient développées. Et voilà que je reviens après d'autres formes de cyclones, cette fois-ci politiques. J'évoque la mémoire du Président Abdallah et je salue le Président Djohar que j'ai eu le plaisir de connaître le mois dernier. En vérité, je le connaissais déjà mais non point dans cette fonction nouvelle. Je sais les qualités juridiques, l'autorité morale dont dispose votre actuel Président, reconnu pour son intégrité £ et lorsqu'il s'engage, il tient. Voilà pourquoi j'ai accueilli avec grand intérêt le discours responsable et courageux qu'il vient de prononcer.\
Vous avez parlé de démocratie. J'ai partout développé le thème £ l'association intime que représente à mes yeux la démocratie et le développement est comme un refrain dans mes discours. Comment exiger d'un peuple qui côtoie la misère, où les jeunes n'ont pas été formés aux disciplines qui les attendent : scientifiques, littéraires, juridiques, administratives, comment exiger d'un peuple dont l'unité nationale n'a pas été réalisée comme il en est tant sur le continent africain qu'il puisse franchir la distance qui le sépare de la démocratie. Et pourtant, comme elle est nécessaire !
- Vous avez, monsieur le Président, évoqué à l'instant la bourrasque qui arrache partout, en tout cas en Europe et dans beaucoup d'autres endroits du monde, toutes les barrières élevées contre la liberté. Il faut dire que ce serait faire un vain calcul que de penser que ce qui se produit là-bas, vous l'avez dit aux endroits peut-être où on l'attendait le moins, ne se produira pas ailleurs. Ce n'est pas par prudence qu'il conviendra de faire évoluer les institutions, d'habituer des peuples à discuter de leur sort, à participer, à alterner aux responsabilités du pouvoir. Ce n'est pas par prudence qu'il faut le faire, c'est parce que c'est nécessaire et parce que c'est juste. Il n'y a pas de raison de penser que les peuples en question n'auraient pas droit à la maturité à partir d'un enseignement, d'une formation, d'une éducation et aussi d'institutions qui le leur permettraient.
- C'est sur cette voie que se sont engagées les Comores et je m'en réjouis. Il ne manquait rien, monsieur le Président, permettez-moi de vous le dire, à votre exposé. En modifiant la Constitution, en instituant le multipartisme, en créant de nouvelles traditions, des coutumes qui rejoindront, au demeurant, les coutumes les plus anciennes de vos peuples où on savait parler ensemble. C'est comme cela que vous trouverez le point stable à partir duquel votre développement, dont nous allons parler, trouvera tout son sens. Il ne serait pas juste non plus que l'accès à la prospérité, qui reste encore en perspective, ne pût profiter qu'à certains, qu'à des privilégiés ou qu'à ceux qui gouvernent : ce serait une très fâcheuse conception de la responsabilité, de l'éminente dignité de cette fonction. Le chemin sera difficile mais j'ai confiance dans votre détermination et dans la prise de conscience du peuple comorien.\
Ce voyage, je l'effectue dans l'Océan indien et je visite successivement quatre pays. J'étais aux Seychelles, nous sommes arrivés ce matin de l'île Maurice, nous sommes aux Comores et demain nous rejoindrons Madagascar avant de rentrer en France. C'est-à-dire que nous n'aurons rencontré que des Etats, que des peuples de l'Océan Indien. Quand je rentrerai dans mon pays, je serai rentré dans un pays qui lui-même prend part à la vie de l'Océan Indien par la projection française qui se trouve à La Réunion. C'est dire que nous sommes appelés à vivre vos problèmes, à les vivre quotidiennement, à partager vos espérances, à organiser votre développement. La Commission de l'Océan Indien se réunira. Nous y participerons activement. Et comme nous sommes - du moins notre métropole - très loin d'ici et que nous n'avons pas à prétendre à conquérir des intérêts matériels, nous vous aiderons à défendre votre juste droit dans la répartition des différents avantages, crédits ou projets qui viseront cette région du monde. Il ne faudrait pas, en effet, qu'un petit peuple, lointain pour les grands centres de décision mais important pour l'histoire, il fût victime de cet isolement ou de la crise économique dont il n'est pas sorti et qui va réclamer tous ses efforts, ses capacités d'abnégation, de travail et sa volonté de dépasser les moments difficiles. La nécessité, ai-je dit aussi, de réconcilier ceux qui voudront bien se réconcilier. Que nul ne soit interdit d'oeuvrer au redressement des Comores, et c'est la volonté populaire qui décidera, comme elle vient de le faire lors des récentes élections présidentielles qui ont précédé de peu notre rencontre ici.
- Nous avons déjà eu cet après-midi, et nous aurons demain matin des échanges de vue, des conversations. Plusieurs de nos ministres français, de nos collaborateurs rencontreront, monsieur le Président, les vôtres, de façon que nous puissions, avant de nous quitter, établir un rapide bilan des besoins et des possibilités. Conversation qui sera vite reprise puisque nous serons ensemble, mardi prochain, à La Baule, en France, dans le cadre de la réunion traditionnelle des Etats d'Afrique et la France. Et je me réjouis d'avoir à vous accueillir de nouveau dès la semaine prochaine pour qu'avancent nos conversations et qu'elles puissent conclure.\
Je sais dans quelle situation délicate se trouve l'archipel des Comores, et j'entends bien, dans le cadre d'une gestion sinon rigoureuse du moins contrôlée, j'entends bien voir la France donner une fois de plus ou contribuer une fois de plus à l'élan dont vous avez besoin pour acquérir la capacité d'être considérés véritablement - c'est différent selon les mots que l'on emploie - comme un pays en voie de développement. Cela suppose l'accord, non seulement de quelques pays industriels avancés comme la France, et puis de ceux qui voudront agir de la même façon, mais aussi des institutions internationales avec lesquelles nous sommes en relation et qui ont bien le droit d'exiger des garanties, dès lors que ces garanties ne sont pas excessives : Banque Mondiale, Fonds Monétaire International auprès desquels nous intervenons chaque fois que l'occasion se présente pour tenter d'adoucir ou d'amortir les règles de bonne gestion telles qu'elles sont vues de l'autre côté de l'Atlantique, mais aussi par nous et qui doivent l'être par vous car vous ne parviendrez pas au résultat souhaité si vous ne vous associez pas tous à la même tâche pour étudier les bases d'une économie saine. Et cette économie saine, associée à une démarche démocratique dont j'ai dit qu'elle était courageuse et difficile, tout cela encouragera vos amis à s'engager plus encore en sachant qu'ils ont à faire à une population décidée à rentrer de plain pied dans le siècle prochain comme tant d'autres peuples sur la terre.\
Dans ces quatre pays où nous nous rendons au cours de ce voyage, vous aurez remarqué qu'il s'agit de pays francophones. Ce n'est pas par hasard. Depuis neuf ans, j'ai par obligation, rencontré beaucoup de chefs d'Etat dans beaucoup de pays, sans sélectionner, sans choisir, selon leur langage ou leur coutume. Mais cette fois-ci, c'est volontaire.
- Je pense que nous devons, vous et nous, contribuer au développement de la langue française, sans nuire en rien à la culture ou plutôt à la pluri-culture qui relève tout simplement de votre passé historique et de vos traditions aux langues que vous parlez, qu'il ne faut pas abandonner et qu'il ne faut pas négliger parce que vous en tirez une large part de votre richesse profonde.
- Et cependant il y a aujourd'hui quelques grands courants qui dominent les échanges économiques et culturels £ et parmi eux, le français. Et même s'il s'agit des peuples peu nombreux de l'Océan Indien, ce sont des peuples qui couvrent par leur souveraineté de larges étendues et qui se trouvent être, comme sont les Comores, dans ce détroit qui sont un passage obligé, qui fréquentent le reste du monde beaucoup plus qu'on ne le croit, qui se sont frottés au monde extérieur à travers les siècles si j'en juge en particulier par la composition de votre population et par la diversité de vos langages et même de votre langage comorien où nous remarquions, le Président Djohar et moi-même, il y a quelques instants, que l'on y trouvait des consonances arabes, portugaises, anglaises, que sais-je encore ?.\
Vous êtes déjà l'expression d'une histoire très ancienne que vous avez transformée selon votre génie propre pour en faire le peuple comorien. Eh bien, il faut continuer, il faut que vous soyez de plus en plus mêlés à la vie internationale et, croyez-moi, la France sera votre compagnon sans rien exiger.
- Votre hospitalité, votre façon d'être, votre désir de progrès, d'accession aux plus hautes responsabilités en tant que peuple, tout cela je l'avais perçu dans une tout autre situation, il y a quarante ans. Je m'adresse là aux générations qui ont vécu cette époque, ce qui veut dire que le plus grand nombre des Comoriens ne savent pas de quoi je parle, car c'est un peuple jeune. Moi qui ai connu, apprécié, aimé la finesse d'esprit de nombreux Comoriens, leur disponibilité, je veux vous dire à quel point j'apprécie ces premières heures passées parmi vous...\
Par exemple, la manière dont vous parviendrez à gérer les moyens mis à votre disposition et qui commanderont bien entendu la suite de tout ce qui a été accompli. Ou bien le problème de Mayotte, si mal engagé en 1974, si mal engagé à mes propres yeux, que je me souviens d'avoir refusé le sort qui était refusé à cette île. Mais le temps a passé, la loi de mon pays a été adoptée, les règles constitutionnelles ont été fixées par d'autres que par moi et je pense qu'il faut adopter une démarche concrète et pratique pour parvenir à dépasser ce contentieux désagréable entre nous.
- Nous allons en parler. Mais je pense que dès maintenant nous devons prendre les mesures qui permettront une communication et des échanges constants entre Mayotte et les autres, les autres et Mayotte. Qu'il n'y ait plus de barrières dressées, barrières théoriques, mais peu franchissables, entre tous les Comoriens que vous êtes, eux et vous. Et que la France vous aide à retrouver votre très ancienne solidarité. Il est de multiples formes d'unité, croyez-moi, et nous allons les rechercher.\
J'ai encore en tête le récit, lu récemment encore, de marins navigants dans les parages de votre archipel et qui attestaient dès le XVIIème siècle de quelle façon on savait recevoir ici, et je n'ai pas oublié ces quelques Jacobins exilés pour délit d'opinion à travers les années qui ont suivi la révolution française et le Directoire et les débuts du 1er Empire et qui ont trouvé refuge notamment à Anjouan.
- Il fallait faire beaucoup de chemin pour respirer un air de liberté, qu'on ne trouvait pas toujours au demeurant.
- Je ne doute pas que cette entente traditionnelle ira en se fortifiant dès lors que nous ferons les efforts communs indispensables pour y parvenir. Je tiens, monsieur le Président, à vous féliciter pour vos premiers actes de gouvernement comme je l'ai fait précédemment pour les propos de ce soir dont l'importance me paraît considérable pour la suite de l'histoire des Comores.
- Vous serez entendu bien au-delà des limites de votre pays, partout où l'on aime la liberté et le libre débat même si l'on sait que c'est difficile, que l'on ne peut pas greffer artificiellement les institutions sur des moeurs qui n'y seraient pas préparés. Voilà l'oeuvre à accomplir qui exigera patience, ténacité et respect du droit. Pour cette bataille-là, comptez sur nous, nous serons vos amis comme nous l'avons été.
- C'est dans cet esprit, monsieur le Président, madame, mesdames et messieurs qu'au nom de mon pays, mais aussi plus particulièrement de mes compagnons de voyage, que je lèverai mon verre dans un instant, selon une tradition qui nous est commune, je lèverai mon verre à la prospérité du peuple comorien, à vos santés personnelles, à celles des êtres qui vous sont chers. Prospérité, santé, le reste est à construire.
- Vive les Comores,
- Vive la France,
- Vive l'amitié entre nos peuples.\