17 janvier 1990 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à l'agence télégraphique hongroise ainsi qu'à "Nepszabadsag", quotidien du parti socialiste hongrois, le 17 janvier 1990, notamment sur le projet de confédération européenne, l'aide économique aux pays de l'Est et les relations franco-hongroises.
QUESTION.- Monsieur le Président, dans votre message de nouvel an, vous avez mentionné que la future Confédération européenne devrait créer un organisme commun et permanent en vue de garantir le commerce, la paix et la sécurité. Cet organisme serait-il un prolongement de l'Accord d'Helsinki, ou bien un autre cadre, ou encore une association à d'autres institutions ouest-européennes existant déjà ?
- LE PRESIDENT.- Les principes qui ont été inscrits, il y a de cela quinze ans, dans la déclaration finale de la Conférence d'Helsinki, doivent continuer à inspirer les relations politiques, économiques, culturelles des Etats de notre continent. La future Confédération européenne aura à s'y référer. Elle aura aussi à tenir compte de ce qui a déjà été fait en Europe pour rapprocher les pays, pour les faire collaborer, dans le domaine économique en particulier. Mais il est trop tôt encore pour figer ce qui en sera le cadre précis. Cette confédération aura une vocation très large : c'est pour cela que j'ai parlé à la fois de sécurité et d'échanges ce qui, vous en conviendrez, va au-delà des seules relations commerciales. Elle aura pour vocation de réunir pour quelques grandes tâches les Etats d'Europe qui cesseront ainsi d'être artificiellement séparés. Mais comme je l'ai dit le 31 décembre 89 cela suppose que soit parachevée la marche vers la démocratie.\
QUESTION.- Sur la voie menant à la Conférence européenne, quel serait l'avenir des deux blocs militaires actuels, l'OTAN et le Pacte de Varsovie ? Subsisteraient-ils ? Se transformeraient-ils en organisations ? Cesseraient-ils d'exister ?
- LE PRESIDENT.- Ne nous hâtons pas trop, même dans les anticipations. Les Alliances existent et ne sont pas près de se dissoudre. Ce qui me semble, à l'heure actuelle, essentiel dans le domaine de la sécurité est la poursuite de l'effort entrepris par chacun des pays européens pour parvenir à un nouvel équilibre des forces conventionnelles, à des niveaux considérablement réduits. Les événements actuels favorisent plus que jamais cette démarche dont je souhaite vivement qu'elle aboutisse, cette année, à un accord.\
QUESTION.- La majorité des pays d'Europe de l'Est sont exsangues sur le plan économique, et ont besoin d'un soutien international pour se remettre sur pied. N'ont-il pas cependant à craindre de devenir de ce fait le théâtre de luttes d'influence de grandes puissances, ou bien encore des influences de grandes puissances fortement unilatérales pourront renaître dans cette région ?
- LE PRESIDENT.- Le risque que vous évoquez est réel, mais il ne doit pas être surestimé. Les besoins des pays d'Europe de l'Est dans l'ordre économique, financier, dans le secteur de la formation sont très importants. Il y a donc place pour tous ceux qui voudront contribuer à l'épanouissement démocratique et économique de cette zone. Mais il est vrai que nous devons éviter les luttes d'influence, génératrices de gaspillage, de mauvaise utilisation des ressources disponibles. Cette préoccupation d'assurer une meilleure coordination des concours a inspiré les Sept lorsqu'ils ont décidé au Sommet de l'Arche, que je présidais en juillet 1989, de confier à la Commission des Communautés européennes la responsabilité de coordonner les aides à la Hongrie et à la Pologne. Le mécanisme fonctionne - il regroupe 24 pays - et doit permettre d'éviter l'écueil que vous mentionnez. Par ailleurs, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, dont j'ai proposé en octobre la création et dont la mise en place est en cours, apportera le soutien nécessaire au redressement économique des pays d'Europe centrale et orientale.\
QUESTION.- Dans vos voeux de nouvel an, vous avez dit : "Ou bien la tendance à l'émiettement se poursuit, et nous retrouvons l'Europe de 1919. On connaît la suite -, ou bien l'Europe se reconstruira". En ce qui nous concerne, le sort des Hongrois vivant au-delà de nos frontières ne nous est pas indifférent et nous ne pouvons imaginer l'Europe future qu'avec la garantie démocratique des droits humains et nationaux des minorités. Pouvons-nous compter sur le soutien et l'influence de la France dans le règlement de ces questions, dans un esprit d'amitié et de compréhension avec nos voisins ?
- LE PRESIDENT.- La prise en compte des droits des minorités est déterminante si l'on veut éviter une remise en cause des frontières héritées du Traité de Versailles ou des accords conclus au lendemain de la seconde guerre mondiale. Même si ces traités et accords sont imparfaits. Tous les pays européens en sont convenus lors de la Conférence d'Helsinki. Bien entendu, là où elles se trouvent, les minorités doivent vivre dans la plénitude de leurs droits. Ne pas prêter attention à leurs demandes légitimes serait, alors, s'exposer à un révisionnisme territorial dangereux pour la stabilité et la paix.\
QUESTION.- Comment voyez-vous, monsieur le Président, les traits essentiels de la gauche, les objectifs du socialisme démocratique, dans l'Europe des années 90 ?
- LE PRESIDENT.- Un rappel historique n'est pas inutile : c'est grâce aux luttes menées depuis un siècle par les socialistes que nos sociétés, en Europe de l'Ouest peuvent représenter un modèle enviable. La législation sociale, l'éducation, le niveau des rémunérations, une certaine qualité de vie apparaissent aujourd'hui comme des données évidentes, mais elles ont été arrachées par le combat d'hommes qui croyaient aux idéaux de justice et de solidarité. Au moment où dans les pays de l'Est s'opère un mouvement pour rejoindre le socialisme démocratique, le champ d'action est encore vaste, les chantiers nombreux. Il y a encore beaucoup à faire pour réduire les inégalités, pour venir en aide aux déshérités, pour bâtir une société plus solidaire. Et comment oublier les milliards d'êtres humains qui continuent à être dominés et opprimés dans ce que l'on appelle les pays du Sud ? Il ne faut pas imaginer que les mécanismes naturels peuvent suffire à effacer ces injustices. Le socialisme démocratique a donc un rôle décisif à jouer pour construire cette société plus humaine. Entre le capitalisme sauvage, la jungle du marché et le communisme totalitaire, il existe une troisième voie : le socialisme démocratique, qui conjugue liberté et justice.\
QUESTION.- En tant que Président de la République c'est la deuxième fois que vous effectuez une visite en Hongrie. Quelle est votre appréciation sur l'évaluation de nos relations bilatérales depuis votre dernière visite et qu'attendez-vous de votre voyage actuel ? Dans l'optique des changements politiques et économiques qui se sont produits en Hongrie, quelles nouvelles possibilités voyez-vous pour le développement ultérieur de nos relations ? Peut-on attendre de ce voyage l'élargissement de la coopération économique réellement nécessaire à la Hongrie ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons avec la Hongrie, de longue date, des relations de très bonne qualité, dont attestent la fréquence et la régularité des visites entre responsables gouvernementaux entre l'un et l'autre Etat. La France a toujours été attentive aux positions originales adoptées par la Hongrie et a répondu positivement à l'accueil fait dans votre pays aux entreprises étrangères. Sur le plan du commerce et des projets communs, des résultats satisfaisants ont été atteints.
- Compte-tenu des données nouvelles, des choix faits récemment par la Hongrie en matière politique et économique, nous pouvons, nous voulons faire davantage. La France s'y emploie en tant qu'Etat membre de la Communauté économique européenne : elle a soutenu notamment le principe de l'octroi à la Hongrie du crédit-relais d'un milliard de dollars qu'elle demandait. Mais les actions se mènent aussi bilatéralement. Le voyage que je m'apprête à faire à Budapest, accompagné d'une délégation de ministres exerçant des responsabilités économiques, d'hommes d'affaires, d'industriels va, je l'espère, ouvrir des champs nouveaux à notre coopération, dans les domaines économique, bien sûr, industriel, bancaire, culturel, mais aussi dans celui de la formation.\
- LE PRESIDENT.- Les principes qui ont été inscrits, il y a de cela quinze ans, dans la déclaration finale de la Conférence d'Helsinki, doivent continuer à inspirer les relations politiques, économiques, culturelles des Etats de notre continent. La future Confédération européenne aura à s'y référer. Elle aura aussi à tenir compte de ce qui a déjà été fait en Europe pour rapprocher les pays, pour les faire collaborer, dans le domaine économique en particulier. Mais il est trop tôt encore pour figer ce qui en sera le cadre précis. Cette confédération aura une vocation très large : c'est pour cela que j'ai parlé à la fois de sécurité et d'échanges ce qui, vous en conviendrez, va au-delà des seules relations commerciales. Elle aura pour vocation de réunir pour quelques grandes tâches les Etats d'Europe qui cesseront ainsi d'être artificiellement séparés. Mais comme je l'ai dit le 31 décembre 89 cela suppose que soit parachevée la marche vers la démocratie.\
QUESTION.- Sur la voie menant à la Conférence européenne, quel serait l'avenir des deux blocs militaires actuels, l'OTAN et le Pacte de Varsovie ? Subsisteraient-ils ? Se transformeraient-ils en organisations ? Cesseraient-ils d'exister ?
- LE PRESIDENT.- Ne nous hâtons pas trop, même dans les anticipations. Les Alliances existent et ne sont pas près de se dissoudre. Ce qui me semble, à l'heure actuelle, essentiel dans le domaine de la sécurité est la poursuite de l'effort entrepris par chacun des pays européens pour parvenir à un nouvel équilibre des forces conventionnelles, à des niveaux considérablement réduits. Les événements actuels favorisent plus que jamais cette démarche dont je souhaite vivement qu'elle aboutisse, cette année, à un accord.\
QUESTION.- La majorité des pays d'Europe de l'Est sont exsangues sur le plan économique, et ont besoin d'un soutien international pour se remettre sur pied. N'ont-il pas cependant à craindre de devenir de ce fait le théâtre de luttes d'influence de grandes puissances, ou bien encore des influences de grandes puissances fortement unilatérales pourront renaître dans cette région ?
- LE PRESIDENT.- Le risque que vous évoquez est réel, mais il ne doit pas être surestimé. Les besoins des pays d'Europe de l'Est dans l'ordre économique, financier, dans le secteur de la formation sont très importants. Il y a donc place pour tous ceux qui voudront contribuer à l'épanouissement démocratique et économique de cette zone. Mais il est vrai que nous devons éviter les luttes d'influence, génératrices de gaspillage, de mauvaise utilisation des ressources disponibles. Cette préoccupation d'assurer une meilleure coordination des concours a inspiré les Sept lorsqu'ils ont décidé au Sommet de l'Arche, que je présidais en juillet 1989, de confier à la Commission des Communautés européennes la responsabilité de coordonner les aides à la Hongrie et à la Pologne. Le mécanisme fonctionne - il regroupe 24 pays - et doit permettre d'éviter l'écueil que vous mentionnez. Par ailleurs, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, dont j'ai proposé en octobre la création et dont la mise en place est en cours, apportera le soutien nécessaire au redressement économique des pays d'Europe centrale et orientale.\
QUESTION.- Dans vos voeux de nouvel an, vous avez dit : "Ou bien la tendance à l'émiettement se poursuit, et nous retrouvons l'Europe de 1919. On connaît la suite -, ou bien l'Europe se reconstruira". En ce qui nous concerne, le sort des Hongrois vivant au-delà de nos frontières ne nous est pas indifférent et nous ne pouvons imaginer l'Europe future qu'avec la garantie démocratique des droits humains et nationaux des minorités. Pouvons-nous compter sur le soutien et l'influence de la France dans le règlement de ces questions, dans un esprit d'amitié et de compréhension avec nos voisins ?
- LE PRESIDENT.- La prise en compte des droits des minorités est déterminante si l'on veut éviter une remise en cause des frontières héritées du Traité de Versailles ou des accords conclus au lendemain de la seconde guerre mondiale. Même si ces traités et accords sont imparfaits. Tous les pays européens en sont convenus lors de la Conférence d'Helsinki. Bien entendu, là où elles se trouvent, les minorités doivent vivre dans la plénitude de leurs droits. Ne pas prêter attention à leurs demandes légitimes serait, alors, s'exposer à un révisionnisme territorial dangereux pour la stabilité et la paix.\
QUESTION.- Comment voyez-vous, monsieur le Président, les traits essentiels de la gauche, les objectifs du socialisme démocratique, dans l'Europe des années 90 ?
- LE PRESIDENT.- Un rappel historique n'est pas inutile : c'est grâce aux luttes menées depuis un siècle par les socialistes que nos sociétés, en Europe de l'Ouest peuvent représenter un modèle enviable. La législation sociale, l'éducation, le niveau des rémunérations, une certaine qualité de vie apparaissent aujourd'hui comme des données évidentes, mais elles ont été arrachées par le combat d'hommes qui croyaient aux idéaux de justice et de solidarité. Au moment où dans les pays de l'Est s'opère un mouvement pour rejoindre le socialisme démocratique, le champ d'action est encore vaste, les chantiers nombreux. Il y a encore beaucoup à faire pour réduire les inégalités, pour venir en aide aux déshérités, pour bâtir une société plus solidaire. Et comment oublier les milliards d'êtres humains qui continuent à être dominés et opprimés dans ce que l'on appelle les pays du Sud ? Il ne faut pas imaginer que les mécanismes naturels peuvent suffire à effacer ces injustices. Le socialisme démocratique a donc un rôle décisif à jouer pour construire cette société plus humaine. Entre le capitalisme sauvage, la jungle du marché et le communisme totalitaire, il existe une troisième voie : le socialisme démocratique, qui conjugue liberté et justice.\
QUESTION.- En tant que Président de la République c'est la deuxième fois que vous effectuez une visite en Hongrie. Quelle est votre appréciation sur l'évaluation de nos relations bilatérales depuis votre dernière visite et qu'attendez-vous de votre voyage actuel ? Dans l'optique des changements politiques et économiques qui se sont produits en Hongrie, quelles nouvelles possibilités voyez-vous pour le développement ultérieur de nos relations ? Peut-on attendre de ce voyage l'élargissement de la coopération économique réellement nécessaire à la Hongrie ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons avec la Hongrie, de longue date, des relations de très bonne qualité, dont attestent la fréquence et la régularité des visites entre responsables gouvernementaux entre l'un et l'autre Etat. La France a toujours été attentive aux positions originales adoptées par la Hongrie et a répondu positivement à l'accueil fait dans votre pays aux entreprises étrangères. Sur le plan du commerce et des projets communs, des résultats satisfaisants ont été atteints.
- Compte-tenu des données nouvelles, des choix faits récemment par la Hongrie en matière politique et économique, nous pouvons, nous voulons faire davantage. La France s'y emploie en tant qu'Etat membre de la Communauté économique européenne : elle a soutenu notamment le principe de l'octroi à la Hongrie du crédit-relais d'un milliard de dollars qu'elle demandait. Mais les actions se mènent aussi bilatéralement. Le voyage que je m'apprête à faire à Budapest, accompagné d'une délégation de ministres exerçant des responsabilités économiques, d'hommes d'affaires, d'industriels va, je l'espère, ouvrir des champs nouveaux à notre coopération, dans les domaines économique, bien sûr, industriel, bancaire, culturel, mais aussi dans celui de la formation.\