22 novembre 1989 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la nécessité de renforcer l'Europe des Douze, notamment en matière de politique économique et monétaire, en vue de l'aide aux pays de l'Est, et le projet de création d'une banque pour le développement et la modernisation de l'Europe de l'Est, Strasbourg, le 22 novembre 1989.
Monsieur le Président,
- Mesdames et messieurs,
- Comme vous le savez, comme on vient de vous le rappeler, samedi dernier à Paris, s'est tenue une séance exceptionnelle du Conseil européen.
- Son ordre du jour était simple : l'examen des événements qui se produisent à l'Est et les premières conséquences à en tirer.
- J'ai pensé, après avoir eu une conservation avec le Président de votre assemblée, qu'il serait bon pour la bonne marche de nos institutions, qu'en ma qualité de Président du Conseil européen, je puisse venir vous entretenir un moment, sans prolonger outre mesure vos travaux, de ce qui s'est passé en cette circonstance.\
Il y a moins d'un mois, c'était le 25 octobre, ici même, je m'adressais à vous comme je le fais aujourd'hui. J'évoquais la situation chez nos voisins de l'Europe de l'Est où vous le constatez, l'histoire s'écrit au quotidien. J'évoquais ce vaste mouvement vers la démocratie et vers la liberté. J'évoquais la détermination du peuple, celle qui commande à l'événement, celle qui fait s'écrouler les murs et les frontières et je disais : de nouveau les peuples bougent et quand ils bougent, ils décident. Eh bien, le 9 novembre, à Berlin, l'histoire en marche offrait au monde le spectacle improbable la veille encore, d'une brèche dans le mur, qui à lui seul signifiait depuis près de 30 ans, les déchirures de notre continent.
- Ce jour-là la démocratie et la liberté inséparables l'une de l'autre remportaient, je le crois, une de leur plus belle, une de leur plus sensible victoire. Le peuple avait bougé. Le peuple avait parlé et sa voix passait les frontières, brisait le silence d'un ordre qu'il n'avait pas voulu, qui lui était imposé et qu'il aspirait sans doute à renier pour redevenir lui-même.
- Aussi, je suis heureux de pouvoir exprimer ici devant le Chancelier Kohl, devant les représentants des peuples des douze Etats membres de la Communauté, l'émotion profonde que nous avons ressentie en ces graves moments. Emotion dont il est inutile de faire un long commentaire, tant c'est une histoire intérieure à chacun d'entre nous, l'histoire intérieure vécue, en même temps qu'un formidable mouvement collectif dont nous avons été fiers, je crois, d'être partie prenante.
- Le mouvement commencé en Pologne, relayé en Hongrie, pour m'en tenir bien entendu aux événements de ces derniers temps, car cela fait déjà beau temps, dès le premier jour, que des hommes libres ont espéré, que des hommes libres ont combattu. Nombreux ont été ceux qui ont pris le risque de la perte de leur liberté, le risque de la mort, nombreux sont ceux qui l'ont connue. Bref, à quel moment situer le premier signe et le premier réveil ? Mais enfin si l'on s'en tient aux événements de ces derniers temps, Pologne, Hongrie, mouvement voulu et encouragé en Union soviétique, et nous ne soulignerons jamais assez le rôle rempli en cette circonstance par M. Gorbatchev.
- Voilà un homme qui se situe certainement dans la logique de sa pensée et de son histoire, l'histoire de son pays mais qui a compris qu'il fallait passer à de nouvelles façons de faire et que son pays comme les autres devait accepter maintenant ces forces dominantes dans la société des hommes qui sont, répétons-le, après tout, cela fait plaisir : la démocratie et puis la liberté. Bref ce mouvement s'accélère, il s'enfle, il se propage partout en Europe et nous voulons, permettez-moi de parler en votre nom, même si vous ne m'en aviez pas confié le mandat, nous nous sentons à l'unisson. Nous avons même envie que cela continue. Notre faim n'est pas rassasiée, nous voyons ce qui s'est passé partout dans les villes de Pologne, ce qui se passe partout dans les villes de l'Allemagne de l'Est, ce qui s'est passé en Hongrie. Nous entendons l'appel des foules de Prague et si nous n'entendons pas la voix du peuple roumain c'est parce qu'il est encore étouffé. Mais nous l'apercevons. Ce silence fait un énorme bruit. Il faudra bien qu'un jour ou l'autre ce peuple rejoigne le concert des nations que nous formons déjà entre nos douze pays que séparent tant de distance dans l'histoire de ce siècle et qui se sont retrouvés parce qu'ils l'ont voulu et peut être aussi parce que la nécessité leur a appris qu'il fallait le vouloir.\
Alors pourquoi cette rencontre de Paris le 18 novembre ? Fallait-il au contraire précipiter les échéances ? Je ne reprendrai pas ce débat qui avait sa valeur et son mérite c'est difficile de trancher. Moi-même je me suis interrogé depuis le premier jour. Il me semblait qu'il fallait peut-être prendre un peu de distance, ça n'a pas été immense, cela a duré huit jours. Un peu de distance par rapport aux sentiments et aux émotions des premières heures et avant qu'on commence d'y voir clair, que les peuples eux-mêmes commencent à dessiner ce qui sépare leurs ambitions, leurs volontés profondes, parfois leurs rêves de la réalité d'aujourd'hui, de celles qui président à nos débats politiques, à nos réunions d'assemblées, à nos décisions de gouvernement. Je n'ai pas avancé le Conseil européen de Strasbourg pour ce qui paraissait une évidence : il est prévu pour les 8 et 9 décembre prochains. Chaque chose en son temps £ vous savez mesdames et messieurs, pour le vivre aussi ailleurs que dans notre Communauté, les échéances se préparent et se mûrissent. Le rendez-vous de Strasbourg était précisémment situé à un moment décisif pour l'avenir de notre Communauté, pour l'affirmation de ses structures, pour la définition de ses principes. Je pense qu'il fallait lui préserver toute son importance, nous avons pu samedi parler essentiellement, je dirai presque exclusivement, à la fois des événements de l'Est et de ce qu'il convenait de faire, nous, pays considérés de façon générale comme les pays de l'Ouest, j'y reviendrai dans un moment. Que faire ? Déjà des réponses ont été amorcées. Il faudra les compléter. Nous avons beaucoup de travail devant nous, vous en avez, j'en ai. Nous tous sommes aujourd'hui devant l'établi, il faut savoir de quelle manière nous forgerons l'Europe de demain. Mais enfin, nous avions un double objet, procéder à une analyse commune de la situation de l'Europe de l'Est et une évaluation de conséquences qui pouvaient en résulter pour l'équilibre européen. Et d'autre part marquer la volonté de la Communauté et de ses Etats membres d'apporter leur aide aux pays de l'Est engagés dans la voie des réformes. Leur aide à tous les pays de l'Est et d'une façon plus concrète, plus précise, à ceux qui se sont engagés dans la direction, qui ont pris non pas des engagements verbaux à notre égard, mais vis-à-vis d'eux-mêmes. Les dispositions, déjà annoncées, nous démontrent qu'il s'agit bien d'une démarche qui conduit à en faire des systèmes démocratiques.
- Les circonstances justifiaient à l'évidence cette réunion. Le sujet méritait que l'on y consacre, sans autre délai, une réflexion approfondie, l'enjeu appelait que la Communauté puisse les entendre et déterminer sa position face à des événements qui la concernaient directement. Monsieur le Président, mesdames et messieurs, vous avez souhaité organiser un débat sur les développements politiques en Europe centrale et de l'Est et leurs conséquences sur le devenir de l'Europe et aussi par voie de conséquence, sur le devenir de la Communauté. Je vous félicite de cette initiative. Votre débat enrichira, j'en suis convaincu, le message que les Douze adressent aux pays d'Europe. Et puisque je remplis cette fonction, que pour le moment c'est à moi que cette responsabilité incombe et je ne concevait pas qu'elle pût être remplie sans qu'à un moment donné j'aie eu l'occasion de vous en rendre compte, c'est bien le rôle du Parlement me semble-t-il, même si c'est aussi en gestation permanente et en évolution, au moins faut-il marquer quelques étapes d'une façon significative, j'espère que ce sera fait aujourd'hui.\
Ne croyez pas qu'il ne s'agisse que d'un devoir. Je suis également heureux - même si c'est un peu répétitif - de l'occasion qui m'est ainsi donnée de vous exposer nos conclusions. Mais comme je vous ai parlé du conseil de samedi et que c'est cela qui a précipité nos rencontres et qui les justifie, je vais m'y attarder un moment, si vous le voulez bien. Première de ces conclusions, elle touche à l'avenir même de notre Communauté, je crois pouvoir dire, reprenons des termes déjà employés, que c'est l'existence d'une Communauté qui s'affermit, qui a servi de référence et de stimulants aux événements de l'Est. Nous ne nous en attribuerons pas le mérite, elle appartient d'abord aux peuples de ces pays, il appartient ensuite à ceux de leurs dirigeants qui ont compris la nécessité de cette évolution qui l'ont permise, qui l'ont facilitée. Elle appartient aussi, j'en suis convaincu, à cette Communauté qui représente aujourd'hui le seul point d'attraction réelle pour un avenir structuré du continent qui est le nôtre. Puis, il y a les valeurs, les fameuses valeurs dont on parle souvent, mais nous savons bien ce que nous voulons dire. Les valeurs dont ces peuples se réclament sont très proches des nôtres, nous avons voulu nous-même exprimer ces aspirations. Chez nous des aspirations qui nous sont propres et qui nous sont communes, mais qui en raison de l'état de la civilisation, à travers les siècles et les siècles, qui ont vu l'Europe naître, se faire, se défaire, se refaire. Ces valeurs, elles existent au-delà des points de fixation, des frontières, des ruptures, des murs : la preuve en est faite, les murs s'écroulent, on se retrouve, on se comprend. Je suis convaincu, je vous l'ai déjà dit, que l'existence d'une Communauté forte et structurée est un facteur de stabilité et de réussite pour l'ensemble de l'Europe. Nous devons donc affirmer notre identité à nous, Communauté, confirmer notre détermination, renforcer nos institutions, sceller notre union. C'est çà la première leçon que je retiens, moi, car il ne me paraît pas qu'il y ait une autre alternative entre l'ouverture à l'Est et l'achèvement de l'édifice communautaire. Les deux démarches vont de pair. Je vous l'ai dit et j'y insiste, elles se complètent. Il ne s'agit pas de se refermer sur soi, mais de puiser dans la réussite de la Communauté, les forces, les réserves d'énergie, la dynamique qui permettront à l'Europe tout entière de se retrouver.\
J'ai employé cette expression dans la conférence de presse qui a suivi notre réunion de samedi soir, en disant : la grande leçon politique de tout cela, c'est qu'il existe un binôme indissociable. En même temps qu'avancent et que se déroulent les événements à l'Est, à la même allure, et pourquoi pas encore un peu plus vite pour précéder l'événement, il convient que l'Europe de la Communauté se renforce plus encore qu'elle ne la jusque-là décidé, qu'elle se hâte d'être elle-même dans ses structures. Et ces structures dépendront strictement de la volonté politique qu'elle aura démontrée, pour que l'unité, c'est-à-dire l'unité politique préside finalement à l'ensemble des démarches engagés depuis que les fondateurs ont conçu l'Europe. Et je crois pouvoir dire que c'est dans cet esprit que les douze chefs d'Etat et de gouvernement se sont retrouvés. C'est ce qu'ils ont voulu exprimer. C'était leur propre volonté. Encourager, appuyer les avancées de la démocratie, partout où elles se manifestent, mais aussi se servir de ces éléments pour comprendre que notre Communauté devait appliquer à elle-même la leçon de l'événement.
- Faite le lien après ce que je viens de dire entre cette réunion du 18 novembre et celle qui nous attend les 8 et 9 décembre. Mais enfin, dans l'intervalle il s'est passé beaucoup de choses, il s'en passera d'autres. Je voudrais tout de suite vous dire de quelle manière les quelques mesures concrètes ont été examinées, selon la situation qui est fort différente d'une pays à l'autre, à l'égard des pays de l'Est en mouvement.\
D'abord, la Pologne et la Hongrie. Les Douze ont souligné l'urgence de la conclusion d'un accord pour ces deux pays avec le Fonds Monétaire International, et l'on a décidé que les instances de la Communauté interviendraient avec beaucoup de diligence auprès de cette institution pour lui demander de se prononcer avant la fin de l'année. Il faut naturellement que la Pologne et la Hongrie s'y prêtent pour aboutir à un bon accord conforme aux règles qui doivent présider à nos institutions internationales. Mais il y a une telle urgence que la Communauté doit se trouver à côté de ces deux pays pour plaider un dossier difficile et qui mérite pourtant d'aboutir.
- La récente visite à Varsovie et à Budapest du Président de la Commission et du Président du Conseil des ministres, MM. Jacques Delors et Roland Dumas, a permis de vérifier les besoins de ces deux pays. La Pologne doit disposer d'un fonds de stabilisation estimé à un milliard de dollars et la Hongrie, quant à elle, demande de bénéficier d'un crédit-relais du même montant. Je puis vous dire que, d'ores et déjà, le principe de leur mise en place peut être considéré comme acquis.
- Les Douze ont également parlé de la coopération avec d'autres pays. Ainsi ont-ils envisagé et parfaitement accepté la signature d'accord de commerce avec la République démocratique allemande. Nous aurions peut-être tendance à l'oublier dans la bousculade des événements, mais il ne faut pas oublier que ce pays a montré, peut-être le premier, une capacité de résistance et un courage tels que si l'économie ne s'en est pas trouvée mieux, il n'en reste pas moins que ce peuple a mérité que nous soyons véritablement dans l'obligation morale d'être à ses côtés pour l'aider comme les autres, surtout que ce pays connait et traverse une grave crise économique, vous le savez.\
Au-delà et pour soutenir le mouvement de réforme, on a examiné les instruments à mettre en place. Ces instruments sont de plusieurs ordres, j'en dirai un mot dans un instant. Un débat s'est ouvert sur une notion qui mérite en effet cette discussion. Fallait-il ou non poser des conditions aux pays qui ont besoin de nous ? Oui et non. Les pays qui n'ont pas montré une disposition catégorique clairement déclarée de se doter d'institutions démocratiques, autour de quelques thèmes simples : le respect des droits de l'homme et l'annonce d'élections libres donc secrètes, ces pays - nous a-t-il semblé - valent bien que nous fassions cet effort supplémentaire, que nous passions tout de suite à l'acte qui consiste à obtenir pour eux un certain nombre d'avantages qui leur sont dus. Ainsi que leur entrée dans des institutions, comme si déjà la Communauté, (sans prétendre s'élargir de cette manière et hors de toute procédure) considérait qu'il existait une communauté, un groupe de nations et de peuples pouvant adopter une démarche comparable. Il y a donc un certain lien qui s'est établi pour ce type de mesures à prendre entre la Pologne, la Hongrie et les pays de la Communauté. Tout cela ne veut pas dire pour autant que nous ayons abandonné à leur sort les pays qui n'en sont pas au même point.
- Nous ne voudrions pas que des aides puissent en quoi que ce soit permettre aux régimes dictatoriaux et totalitaires, qui persistent ici ou là, de trouver un élément nouveau à leur durée dans l'intervention de nos pays. Ce serait absurde et en même temps on voit bien de quelle manière il serait déplaisant de refuser notre concours tout simplement parce que, sous condition, ces pays qui n'ont pas eu la chance d'être plus tôt libérés d'un système dont ils souffrent, se verraient privés de notre concours et de notre amitié. Donc il faut savoir mesurer notre démarche et c'est ce que nous nous efforçons de faire. Et si nous avons arrêté une façon d'agir, si nous avons prévu une série d'accords, perspective tout à fait bien tracée à l'égard de la Pologne et de la Hongrie, nous jetons quand même des jalons, des points de répère vers tous les autres, afin que chacun s'y retrouve.\
Pour soutenir le mouvement de réformes, nous n'avons pas simplement une attitude passive à observer, en comptant les coups. Nous avons aussi à accompagner ce mouvement, à le porter plus loin. Les instruments à mettre en place ont été définis et devront être à nouveau discutés dans les jours ou les semaines qui viennent. Je vais vous en citer quelques-uns, notamment le projet que j'avais d'ailleurs évoqué le 25 octobre, d'une banque pour le développement et la modernisation de l'Europe de l'Est. Je m'exprimais en mon nom personnel en la circonstance £ ce qui a été décidé à Paris, c'était un mandat confié à la "troïka". Alors je crois que cette banque, comparable aux banques régionales pour l'Asie du Sud-Est, pour l'Afrique, devrait comprendre une large participation de tous ceux qui désireront prendre part à son capital à commencer par les vingt-quatre pays qui ont répondu à l'appel du Sommet de l'Arche le 14 juillet de cette année. C'est ce qui ferait, jusqu'à ce qu'il y ait accord explicite des membres de la Communauté, l'originalité de cette banque. On a bien entendu évoqué le cas de la BEI. Cela vient tout de suite à l'esprit. Si nous n'avons pas la manie, et je ne l'ai pas pour ma part, de créer à tout bout de champ des organismes nouveaux, je n'aime pas plus que vous les bureaucraties : simplement ce n'est pas le rôle de la BEI.
- La BEI a une mission essentiellement attachée au fonds structurel, ses regards sont portés d'un autre côté de l'Europe, elle n'est composée que des 12 pays de la Communauté et je pense - nous sommes quelques-uns à penser - que cette banque doit avoir une valeur spécifique, celle des pays de l'Est et qu'au lieu de retenir seulement les membres de la Communauté, cette banque doit rassembler toutes les bonnes volontés dans le monde, en même temps que tous les capitaux - quelle que soit leur origine - pour qu'un formidable mouvement se dégage et soit à la mesure de l'importance de la tâche qui les attend.
- C'est donc sur ce caractère-là que j'insiste et sur lequel j'insisterai. La "Troïka" a commencé d'en parler, d'en traiter £ elle rapportera le 8 et le 9 décembre prochains. J'espère que ce projet qui est venu de plusieurs endroits, de plusieurs bancs de cette assemblée, de nos assemblées nationales, qui est une idée vraiment née dans beaucoup d'esprits, cette banque pour l'Europe de l'Est doit vraiment s'attaquer au développement, coopérer à la formation des forces nouvelles, ce qui permettra de les sauver dès le point de départ de l'abîme devant lequel elles se trouvent.
- Et de ce point de vue, il y a une extrême urgence et je pense que même si la constitution de cette banque pouvait nécessiter un certain nombre de délais, si des délais existent et je peux le craindre, il est nécessaire de prévoir une solution immédiate. C'est-à-dire que c'est dès la semaine prochaine qu'il faut commencer à mettre en mouvement les institutions capables de remplir cet office en attendant la création d'une institution.\
De même, si l'on se souvient bien de ce que nous avons les uns et les autres entendu, je me souviens d'une conversation avec M. Gorbatchev. Je fais peu de confidences sur les conversations particulières dans ce genre de réunion, mais cela a été dit si souvent que je me sens autorisé à le rappeler. Je me souviens du jour où il m'a dit : "ce dont nous avons le plus besoin, c'est de former nos cadres". Nous avons entendu cela dans combien d'autres pays ? "Nous avons besoin de former des patrons". Il semble que les hommes et les femmes appelés à assurer la marche de ces pays ne soient plus en mesure de le faire, parce qu'ils n'ont pas été formés à cela, ils ont été formés autrement. Ils ne se sont pas adaptés aux nouvelles formes de gestion. Après tout, c'est notre rôle, faisons-le, sans conditions. Elaborons un projet pour la formation des cadres de tous ces pays, de même que nous avons décidé l'ouverture aux pays de l'Est des programmes déjà existants de la Communauté pour tout ce qui touche à l'éducation et à la formation. Alors, on pourrait voir un jour j'imagine, j'improvise : un étudiant hongrois profiter du programme Erasmus, pour faire un doctorat à Oxford, un étudiant de Leipzig faire, grâce au programme Comett, un stage dans une entreprise néerlandaise ou italienne, pourquoi pas française. Un professeur de français, de Varsovie, se perfectionner dans cette langue grâce au programme Lingua, j'en passe, vous avez parfaitement compris ce que nous voulons dire par là. Ces programmes, nous ne nous les réservons pas. Déjà nous avons engagé notre action bien au-delà des limites de la Communauté dans un certain nombre de perspectives, notamment sur le plan technologique, nous continuerons. D'autres suggestions et notamment l'entrée de certains pays de l'Est au Conseil de l'Europe et au GATT, comme observateurs, dans un premier temps, ont été formulées. Chacune de ces suggestions sera bien entendu examinée dans le cadre et suivant les procédures appropriées pour employer la formule qui sert à nos administrateurs. Les procédures appropriées, nous allons en rendre compte dès les 8 et 9 décembre au Conseil européen qui prendra ses responsabilités et j'espère qu'on n'y reviendra pas davantage, ou plutôt que lorsqu'on y reviendra, ce sera pour faire plus et mieux, mesdames et messieurs.\
La Communauté a-t-elle répondu aux attentes de ceux qui croient en elle ? A-t-elle vraiment répondu à l'appel angoissé de M. Mazowiecki qui demandait qu'on ne laisse pas se perpétuer l'Europe des pauvres et l'Europe des riches ? A-t-elle répondu à votre attente, vous qui avez formulé à diverses occasions un certain nombre de projets ? La Communauté a-t-elle répondu aux espoirs de ceux qui, hommes et femmes d'Europe, attendent qu'elle fasse entendre sa voix sur toutes les affaires du monde, et s'affirment comme à la fois acteur d'un nouvel équilibre européen, et comme l'un des acteurs fondamentaux de la vie des hommes sur la planète. On ne fait jamais assez, on ne va jamais assez vite. La rapidité de la démarche ne supposant pas l'absence de réflexion. Mais, il faut bien se dire, et je m'adresse à une assemblée qui en est convaincue, puisqu'elle nous le rappelle sans arrêt, je souhaite donc être entendu au-delà de cette enceinte, rien de cela ne se fera si nous ne sommes pas capables dans quelques jours, entre nous, au sein de la Communauté, d'aboutir dans les projets fondamentaux qui permettront à notre Europe de se doter des instruments d'une politique économique et monétaire, des instruments d'une politique sociale, d'une politique de l'environnement. Cela ne se fera pas si nous ne parachevons pas le marché intérieur selon le rythme et la démarche que nous avons déjà décidés.
- Voilà ce sur quoi nous allons maintenant travailler. Voilà ce à quoi nous allons nous attacher, voilà les questions que je poserai à Strasbourg dans quelques jours, chacun devra y répondre. Et comme je veux rester dans mon sujet, je suis sûr que dans la conscience des responsables que nous sommes tous, apparaîtra comme évidente une lumière qui n'aveugle pas mais qui éclaire tout l'horizon : de ce que nous saurons faire entre nous et pour nous, découlera ce qui paraîtra bon, sérieux et durable pour les autes. Bref, nous tenons en main beaucoup plus que notre sort. Nous pouvons désormais montrer le chemin sans autre prétention, sans esprit de domination, sans avoir le sentiment de remplir je ne sais quel magistère, mais dans une volonté démocratique profonde cent fois démontrée par chacun de nos pays. Nous voulons que la façon dont la Communauté détermine son action serve d'exemple aux pays de l'Est en recherche, en mouvement, en angoisse, en espérance, pour celles et ceux qui par millions rêvent comme nous qu'un jour l'Europe sera l'Europe. Voilà, mesdames et messieurs, ce que j'attends du Conseil européen de Strasbourg. Vous mesurez l'importance des enjeux, je n'ai pas besoin de vous faire la leçon, je m'adresse à une assemblée qui dans son immense majorité est convaincue que là est le chemin, que là est le devoir £ il faut s'y engager ensemble.\
- Mesdames et messieurs,
- Comme vous le savez, comme on vient de vous le rappeler, samedi dernier à Paris, s'est tenue une séance exceptionnelle du Conseil européen.
- Son ordre du jour était simple : l'examen des événements qui se produisent à l'Est et les premières conséquences à en tirer.
- J'ai pensé, après avoir eu une conservation avec le Président de votre assemblée, qu'il serait bon pour la bonne marche de nos institutions, qu'en ma qualité de Président du Conseil européen, je puisse venir vous entretenir un moment, sans prolonger outre mesure vos travaux, de ce qui s'est passé en cette circonstance.\
Il y a moins d'un mois, c'était le 25 octobre, ici même, je m'adressais à vous comme je le fais aujourd'hui. J'évoquais la situation chez nos voisins de l'Europe de l'Est où vous le constatez, l'histoire s'écrit au quotidien. J'évoquais ce vaste mouvement vers la démocratie et vers la liberté. J'évoquais la détermination du peuple, celle qui commande à l'événement, celle qui fait s'écrouler les murs et les frontières et je disais : de nouveau les peuples bougent et quand ils bougent, ils décident. Eh bien, le 9 novembre, à Berlin, l'histoire en marche offrait au monde le spectacle improbable la veille encore, d'une brèche dans le mur, qui à lui seul signifiait depuis près de 30 ans, les déchirures de notre continent.
- Ce jour-là la démocratie et la liberté inséparables l'une de l'autre remportaient, je le crois, une de leur plus belle, une de leur plus sensible victoire. Le peuple avait bougé. Le peuple avait parlé et sa voix passait les frontières, brisait le silence d'un ordre qu'il n'avait pas voulu, qui lui était imposé et qu'il aspirait sans doute à renier pour redevenir lui-même.
- Aussi, je suis heureux de pouvoir exprimer ici devant le Chancelier Kohl, devant les représentants des peuples des douze Etats membres de la Communauté, l'émotion profonde que nous avons ressentie en ces graves moments. Emotion dont il est inutile de faire un long commentaire, tant c'est une histoire intérieure à chacun d'entre nous, l'histoire intérieure vécue, en même temps qu'un formidable mouvement collectif dont nous avons été fiers, je crois, d'être partie prenante.
- Le mouvement commencé en Pologne, relayé en Hongrie, pour m'en tenir bien entendu aux événements de ces derniers temps, car cela fait déjà beau temps, dès le premier jour, que des hommes libres ont espéré, que des hommes libres ont combattu. Nombreux ont été ceux qui ont pris le risque de la perte de leur liberté, le risque de la mort, nombreux sont ceux qui l'ont connue. Bref, à quel moment situer le premier signe et le premier réveil ? Mais enfin si l'on s'en tient aux événements de ces derniers temps, Pologne, Hongrie, mouvement voulu et encouragé en Union soviétique, et nous ne soulignerons jamais assez le rôle rempli en cette circonstance par M. Gorbatchev.
- Voilà un homme qui se situe certainement dans la logique de sa pensée et de son histoire, l'histoire de son pays mais qui a compris qu'il fallait passer à de nouvelles façons de faire et que son pays comme les autres devait accepter maintenant ces forces dominantes dans la société des hommes qui sont, répétons-le, après tout, cela fait plaisir : la démocratie et puis la liberté. Bref ce mouvement s'accélère, il s'enfle, il se propage partout en Europe et nous voulons, permettez-moi de parler en votre nom, même si vous ne m'en aviez pas confié le mandat, nous nous sentons à l'unisson. Nous avons même envie que cela continue. Notre faim n'est pas rassasiée, nous voyons ce qui s'est passé partout dans les villes de Pologne, ce qui se passe partout dans les villes de l'Allemagne de l'Est, ce qui s'est passé en Hongrie. Nous entendons l'appel des foules de Prague et si nous n'entendons pas la voix du peuple roumain c'est parce qu'il est encore étouffé. Mais nous l'apercevons. Ce silence fait un énorme bruit. Il faudra bien qu'un jour ou l'autre ce peuple rejoigne le concert des nations que nous formons déjà entre nos douze pays que séparent tant de distance dans l'histoire de ce siècle et qui se sont retrouvés parce qu'ils l'ont voulu et peut être aussi parce que la nécessité leur a appris qu'il fallait le vouloir.\
Alors pourquoi cette rencontre de Paris le 18 novembre ? Fallait-il au contraire précipiter les échéances ? Je ne reprendrai pas ce débat qui avait sa valeur et son mérite c'est difficile de trancher. Moi-même je me suis interrogé depuis le premier jour. Il me semblait qu'il fallait peut-être prendre un peu de distance, ça n'a pas été immense, cela a duré huit jours. Un peu de distance par rapport aux sentiments et aux émotions des premières heures et avant qu'on commence d'y voir clair, que les peuples eux-mêmes commencent à dessiner ce qui sépare leurs ambitions, leurs volontés profondes, parfois leurs rêves de la réalité d'aujourd'hui, de celles qui président à nos débats politiques, à nos réunions d'assemblées, à nos décisions de gouvernement. Je n'ai pas avancé le Conseil européen de Strasbourg pour ce qui paraissait une évidence : il est prévu pour les 8 et 9 décembre prochains. Chaque chose en son temps £ vous savez mesdames et messieurs, pour le vivre aussi ailleurs que dans notre Communauté, les échéances se préparent et se mûrissent. Le rendez-vous de Strasbourg était précisémment situé à un moment décisif pour l'avenir de notre Communauté, pour l'affirmation de ses structures, pour la définition de ses principes. Je pense qu'il fallait lui préserver toute son importance, nous avons pu samedi parler essentiellement, je dirai presque exclusivement, à la fois des événements de l'Est et de ce qu'il convenait de faire, nous, pays considérés de façon générale comme les pays de l'Ouest, j'y reviendrai dans un moment. Que faire ? Déjà des réponses ont été amorcées. Il faudra les compléter. Nous avons beaucoup de travail devant nous, vous en avez, j'en ai. Nous tous sommes aujourd'hui devant l'établi, il faut savoir de quelle manière nous forgerons l'Europe de demain. Mais enfin, nous avions un double objet, procéder à une analyse commune de la situation de l'Europe de l'Est et une évaluation de conséquences qui pouvaient en résulter pour l'équilibre européen. Et d'autre part marquer la volonté de la Communauté et de ses Etats membres d'apporter leur aide aux pays de l'Est engagés dans la voie des réformes. Leur aide à tous les pays de l'Est et d'une façon plus concrète, plus précise, à ceux qui se sont engagés dans la direction, qui ont pris non pas des engagements verbaux à notre égard, mais vis-à-vis d'eux-mêmes. Les dispositions, déjà annoncées, nous démontrent qu'il s'agit bien d'une démarche qui conduit à en faire des systèmes démocratiques.
- Les circonstances justifiaient à l'évidence cette réunion. Le sujet méritait que l'on y consacre, sans autre délai, une réflexion approfondie, l'enjeu appelait que la Communauté puisse les entendre et déterminer sa position face à des événements qui la concernaient directement. Monsieur le Président, mesdames et messieurs, vous avez souhaité organiser un débat sur les développements politiques en Europe centrale et de l'Est et leurs conséquences sur le devenir de l'Europe et aussi par voie de conséquence, sur le devenir de la Communauté. Je vous félicite de cette initiative. Votre débat enrichira, j'en suis convaincu, le message que les Douze adressent aux pays d'Europe. Et puisque je remplis cette fonction, que pour le moment c'est à moi que cette responsabilité incombe et je ne concevait pas qu'elle pût être remplie sans qu'à un moment donné j'aie eu l'occasion de vous en rendre compte, c'est bien le rôle du Parlement me semble-t-il, même si c'est aussi en gestation permanente et en évolution, au moins faut-il marquer quelques étapes d'une façon significative, j'espère que ce sera fait aujourd'hui.\
Ne croyez pas qu'il ne s'agisse que d'un devoir. Je suis également heureux - même si c'est un peu répétitif - de l'occasion qui m'est ainsi donnée de vous exposer nos conclusions. Mais comme je vous ai parlé du conseil de samedi et que c'est cela qui a précipité nos rencontres et qui les justifie, je vais m'y attarder un moment, si vous le voulez bien. Première de ces conclusions, elle touche à l'avenir même de notre Communauté, je crois pouvoir dire, reprenons des termes déjà employés, que c'est l'existence d'une Communauté qui s'affermit, qui a servi de référence et de stimulants aux événements de l'Est. Nous ne nous en attribuerons pas le mérite, elle appartient d'abord aux peuples de ces pays, il appartient ensuite à ceux de leurs dirigeants qui ont compris la nécessité de cette évolution qui l'ont permise, qui l'ont facilitée. Elle appartient aussi, j'en suis convaincu, à cette Communauté qui représente aujourd'hui le seul point d'attraction réelle pour un avenir structuré du continent qui est le nôtre. Puis, il y a les valeurs, les fameuses valeurs dont on parle souvent, mais nous savons bien ce que nous voulons dire. Les valeurs dont ces peuples se réclament sont très proches des nôtres, nous avons voulu nous-même exprimer ces aspirations. Chez nous des aspirations qui nous sont propres et qui nous sont communes, mais qui en raison de l'état de la civilisation, à travers les siècles et les siècles, qui ont vu l'Europe naître, se faire, se défaire, se refaire. Ces valeurs, elles existent au-delà des points de fixation, des frontières, des ruptures, des murs : la preuve en est faite, les murs s'écroulent, on se retrouve, on se comprend. Je suis convaincu, je vous l'ai déjà dit, que l'existence d'une Communauté forte et structurée est un facteur de stabilité et de réussite pour l'ensemble de l'Europe. Nous devons donc affirmer notre identité à nous, Communauté, confirmer notre détermination, renforcer nos institutions, sceller notre union. C'est çà la première leçon que je retiens, moi, car il ne me paraît pas qu'il y ait une autre alternative entre l'ouverture à l'Est et l'achèvement de l'édifice communautaire. Les deux démarches vont de pair. Je vous l'ai dit et j'y insiste, elles se complètent. Il ne s'agit pas de se refermer sur soi, mais de puiser dans la réussite de la Communauté, les forces, les réserves d'énergie, la dynamique qui permettront à l'Europe tout entière de se retrouver.\
J'ai employé cette expression dans la conférence de presse qui a suivi notre réunion de samedi soir, en disant : la grande leçon politique de tout cela, c'est qu'il existe un binôme indissociable. En même temps qu'avancent et que se déroulent les événements à l'Est, à la même allure, et pourquoi pas encore un peu plus vite pour précéder l'événement, il convient que l'Europe de la Communauté se renforce plus encore qu'elle ne la jusque-là décidé, qu'elle se hâte d'être elle-même dans ses structures. Et ces structures dépendront strictement de la volonté politique qu'elle aura démontrée, pour que l'unité, c'est-à-dire l'unité politique préside finalement à l'ensemble des démarches engagés depuis que les fondateurs ont conçu l'Europe. Et je crois pouvoir dire que c'est dans cet esprit que les douze chefs d'Etat et de gouvernement se sont retrouvés. C'est ce qu'ils ont voulu exprimer. C'était leur propre volonté. Encourager, appuyer les avancées de la démocratie, partout où elles se manifestent, mais aussi se servir de ces éléments pour comprendre que notre Communauté devait appliquer à elle-même la leçon de l'événement.
- Faite le lien après ce que je viens de dire entre cette réunion du 18 novembre et celle qui nous attend les 8 et 9 décembre. Mais enfin, dans l'intervalle il s'est passé beaucoup de choses, il s'en passera d'autres. Je voudrais tout de suite vous dire de quelle manière les quelques mesures concrètes ont été examinées, selon la situation qui est fort différente d'une pays à l'autre, à l'égard des pays de l'Est en mouvement.\
D'abord, la Pologne et la Hongrie. Les Douze ont souligné l'urgence de la conclusion d'un accord pour ces deux pays avec le Fonds Monétaire International, et l'on a décidé que les instances de la Communauté interviendraient avec beaucoup de diligence auprès de cette institution pour lui demander de se prononcer avant la fin de l'année. Il faut naturellement que la Pologne et la Hongrie s'y prêtent pour aboutir à un bon accord conforme aux règles qui doivent présider à nos institutions internationales. Mais il y a une telle urgence que la Communauté doit se trouver à côté de ces deux pays pour plaider un dossier difficile et qui mérite pourtant d'aboutir.
- La récente visite à Varsovie et à Budapest du Président de la Commission et du Président du Conseil des ministres, MM. Jacques Delors et Roland Dumas, a permis de vérifier les besoins de ces deux pays. La Pologne doit disposer d'un fonds de stabilisation estimé à un milliard de dollars et la Hongrie, quant à elle, demande de bénéficier d'un crédit-relais du même montant. Je puis vous dire que, d'ores et déjà, le principe de leur mise en place peut être considéré comme acquis.
- Les Douze ont également parlé de la coopération avec d'autres pays. Ainsi ont-ils envisagé et parfaitement accepté la signature d'accord de commerce avec la République démocratique allemande. Nous aurions peut-être tendance à l'oublier dans la bousculade des événements, mais il ne faut pas oublier que ce pays a montré, peut-être le premier, une capacité de résistance et un courage tels que si l'économie ne s'en est pas trouvée mieux, il n'en reste pas moins que ce peuple a mérité que nous soyons véritablement dans l'obligation morale d'être à ses côtés pour l'aider comme les autres, surtout que ce pays connait et traverse une grave crise économique, vous le savez.\
Au-delà et pour soutenir le mouvement de réforme, on a examiné les instruments à mettre en place. Ces instruments sont de plusieurs ordres, j'en dirai un mot dans un instant. Un débat s'est ouvert sur une notion qui mérite en effet cette discussion. Fallait-il ou non poser des conditions aux pays qui ont besoin de nous ? Oui et non. Les pays qui n'ont pas montré une disposition catégorique clairement déclarée de se doter d'institutions démocratiques, autour de quelques thèmes simples : le respect des droits de l'homme et l'annonce d'élections libres donc secrètes, ces pays - nous a-t-il semblé - valent bien que nous fassions cet effort supplémentaire, que nous passions tout de suite à l'acte qui consiste à obtenir pour eux un certain nombre d'avantages qui leur sont dus. Ainsi que leur entrée dans des institutions, comme si déjà la Communauté, (sans prétendre s'élargir de cette manière et hors de toute procédure) considérait qu'il existait une communauté, un groupe de nations et de peuples pouvant adopter une démarche comparable. Il y a donc un certain lien qui s'est établi pour ce type de mesures à prendre entre la Pologne, la Hongrie et les pays de la Communauté. Tout cela ne veut pas dire pour autant que nous ayons abandonné à leur sort les pays qui n'en sont pas au même point.
- Nous ne voudrions pas que des aides puissent en quoi que ce soit permettre aux régimes dictatoriaux et totalitaires, qui persistent ici ou là, de trouver un élément nouveau à leur durée dans l'intervention de nos pays. Ce serait absurde et en même temps on voit bien de quelle manière il serait déplaisant de refuser notre concours tout simplement parce que, sous condition, ces pays qui n'ont pas eu la chance d'être plus tôt libérés d'un système dont ils souffrent, se verraient privés de notre concours et de notre amitié. Donc il faut savoir mesurer notre démarche et c'est ce que nous nous efforçons de faire. Et si nous avons arrêté une façon d'agir, si nous avons prévu une série d'accords, perspective tout à fait bien tracée à l'égard de la Pologne et de la Hongrie, nous jetons quand même des jalons, des points de répère vers tous les autres, afin que chacun s'y retrouve.\
Pour soutenir le mouvement de réformes, nous n'avons pas simplement une attitude passive à observer, en comptant les coups. Nous avons aussi à accompagner ce mouvement, à le porter plus loin. Les instruments à mettre en place ont été définis et devront être à nouveau discutés dans les jours ou les semaines qui viennent. Je vais vous en citer quelques-uns, notamment le projet que j'avais d'ailleurs évoqué le 25 octobre, d'une banque pour le développement et la modernisation de l'Europe de l'Est. Je m'exprimais en mon nom personnel en la circonstance £ ce qui a été décidé à Paris, c'était un mandat confié à la "troïka". Alors je crois que cette banque, comparable aux banques régionales pour l'Asie du Sud-Est, pour l'Afrique, devrait comprendre une large participation de tous ceux qui désireront prendre part à son capital à commencer par les vingt-quatre pays qui ont répondu à l'appel du Sommet de l'Arche le 14 juillet de cette année. C'est ce qui ferait, jusqu'à ce qu'il y ait accord explicite des membres de la Communauté, l'originalité de cette banque. On a bien entendu évoqué le cas de la BEI. Cela vient tout de suite à l'esprit. Si nous n'avons pas la manie, et je ne l'ai pas pour ma part, de créer à tout bout de champ des organismes nouveaux, je n'aime pas plus que vous les bureaucraties : simplement ce n'est pas le rôle de la BEI.
- La BEI a une mission essentiellement attachée au fonds structurel, ses regards sont portés d'un autre côté de l'Europe, elle n'est composée que des 12 pays de la Communauté et je pense - nous sommes quelques-uns à penser - que cette banque doit avoir une valeur spécifique, celle des pays de l'Est et qu'au lieu de retenir seulement les membres de la Communauté, cette banque doit rassembler toutes les bonnes volontés dans le monde, en même temps que tous les capitaux - quelle que soit leur origine - pour qu'un formidable mouvement se dégage et soit à la mesure de l'importance de la tâche qui les attend.
- C'est donc sur ce caractère-là que j'insiste et sur lequel j'insisterai. La "Troïka" a commencé d'en parler, d'en traiter £ elle rapportera le 8 et le 9 décembre prochains. J'espère que ce projet qui est venu de plusieurs endroits, de plusieurs bancs de cette assemblée, de nos assemblées nationales, qui est une idée vraiment née dans beaucoup d'esprits, cette banque pour l'Europe de l'Est doit vraiment s'attaquer au développement, coopérer à la formation des forces nouvelles, ce qui permettra de les sauver dès le point de départ de l'abîme devant lequel elles se trouvent.
- Et de ce point de vue, il y a une extrême urgence et je pense que même si la constitution de cette banque pouvait nécessiter un certain nombre de délais, si des délais existent et je peux le craindre, il est nécessaire de prévoir une solution immédiate. C'est-à-dire que c'est dès la semaine prochaine qu'il faut commencer à mettre en mouvement les institutions capables de remplir cet office en attendant la création d'une institution.\
De même, si l'on se souvient bien de ce que nous avons les uns et les autres entendu, je me souviens d'une conversation avec M. Gorbatchev. Je fais peu de confidences sur les conversations particulières dans ce genre de réunion, mais cela a été dit si souvent que je me sens autorisé à le rappeler. Je me souviens du jour où il m'a dit : "ce dont nous avons le plus besoin, c'est de former nos cadres". Nous avons entendu cela dans combien d'autres pays ? "Nous avons besoin de former des patrons". Il semble que les hommes et les femmes appelés à assurer la marche de ces pays ne soient plus en mesure de le faire, parce qu'ils n'ont pas été formés à cela, ils ont été formés autrement. Ils ne se sont pas adaptés aux nouvelles formes de gestion. Après tout, c'est notre rôle, faisons-le, sans conditions. Elaborons un projet pour la formation des cadres de tous ces pays, de même que nous avons décidé l'ouverture aux pays de l'Est des programmes déjà existants de la Communauté pour tout ce qui touche à l'éducation et à la formation. Alors, on pourrait voir un jour j'imagine, j'improvise : un étudiant hongrois profiter du programme Erasmus, pour faire un doctorat à Oxford, un étudiant de Leipzig faire, grâce au programme Comett, un stage dans une entreprise néerlandaise ou italienne, pourquoi pas française. Un professeur de français, de Varsovie, se perfectionner dans cette langue grâce au programme Lingua, j'en passe, vous avez parfaitement compris ce que nous voulons dire par là. Ces programmes, nous ne nous les réservons pas. Déjà nous avons engagé notre action bien au-delà des limites de la Communauté dans un certain nombre de perspectives, notamment sur le plan technologique, nous continuerons. D'autres suggestions et notamment l'entrée de certains pays de l'Est au Conseil de l'Europe et au GATT, comme observateurs, dans un premier temps, ont été formulées. Chacune de ces suggestions sera bien entendu examinée dans le cadre et suivant les procédures appropriées pour employer la formule qui sert à nos administrateurs. Les procédures appropriées, nous allons en rendre compte dès les 8 et 9 décembre au Conseil européen qui prendra ses responsabilités et j'espère qu'on n'y reviendra pas davantage, ou plutôt que lorsqu'on y reviendra, ce sera pour faire plus et mieux, mesdames et messieurs.\
La Communauté a-t-elle répondu aux attentes de ceux qui croient en elle ? A-t-elle vraiment répondu à l'appel angoissé de M. Mazowiecki qui demandait qu'on ne laisse pas se perpétuer l'Europe des pauvres et l'Europe des riches ? A-t-elle répondu à votre attente, vous qui avez formulé à diverses occasions un certain nombre de projets ? La Communauté a-t-elle répondu aux espoirs de ceux qui, hommes et femmes d'Europe, attendent qu'elle fasse entendre sa voix sur toutes les affaires du monde, et s'affirment comme à la fois acteur d'un nouvel équilibre européen, et comme l'un des acteurs fondamentaux de la vie des hommes sur la planète. On ne fait jamais assez, on ne va jamais assez vite. La rapidité de la démarche ne supposant pas l'absence de réflexion. Mais, il faut bien se dire, et je m'adresse à une assemblée qui en est convaincue, puisqu'elle nous le rappelle sans arrêt, je souhaite donc être entendu au-delà de cette enceinte, rien de cela ne se fera si nous ne sommes pas capables dans quelques jours, entre nous, au sein de la Communauté, d'aboutir dans les projets fondamentaux qui permettront à notre Europe de se doter des instruments d'une politique économique et monétaire, des instruments d'une politique sociale, d'une politique de l'environnement. Cela ne se fera pas si nous ne parachevons pas le marché intérieur selon le rythme et la démarche que nous avons déjà décidés.
- Voilà ce sur quoi nous allons maintenant travailler. Voilà ce à quoi nous allons nous attacher, voilà les questions que je poserai à Strasbourg dans quelques jours, chacun devra y répondre. Et comme je veux rester dans mon sujet, je suis sûr que dans la conscience des responsables que nous sommes tous, apparaîtra comme évidente une lumière qui n'aveugle pas mais qui éclaire tout l'horizon : de ce que nous saurons faire entre nous et pour nous, découlera ce qui paraîtra bon, sérieux et durable pour les autes. Bref, nous tenons en main beaucoup plus que notre sort. Nous pouvons désormais montrer le chemin sans autre prétention, sans esprit de domination, sans avoir le sentiment de remplir je ne sais quel magistère, mais dans une volonté démocratique profonde cent fois démontrée par chacun de nos pays. Nous voulons que la façon dont la Communauté détermine son action serve d'exemple aux pays de l'Est en recherche, en mouvement, en angoisse, en espérance, pour celles et ceux qui par millions rêvent comme nous qu'un jour l'Europe sera l'Europe. Voilà, mesdames et messieurs, ce que j'attends du Conseil européen de Strasbourg. Vous mesurez l'importance des enjeux, je n'ai pas besoin de vous faire la leçon, je m'adresse à une assemblée qui dans son immense majorité est convaincue que là est le chemin, que là est le devoir £ il faut s'y engager ensemble.\