7 novembre 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République sur la situation et la coopération des pays de l'AELE et de la CEE, Reykjavik, le 7 novembre 1989.

QUESTION.- Sur la situation des pays de l'AELE par rapport à la CEE.
- LE PRESIDENT.- C'est certainement un obstacle à l'intégration comme le prévoit le processus communautaire entre les Douze membres actuels. En effet la finalité du marché commun de la Communauté européenne tel qu'il a été fixé en 1985, c'est de créer un marché unique, l'abolition des frontières intérieures avec les risques et les chances que cela représente. Donc pour le processus d'intégration, ce que vous avez dit montre bien que tel n'est pas l'objectif dans la négociation qui s'ouvre entre les pays de l'AELE et les pays de la Communauté. Mais d'autre part la solidarité évidente existant entre tous les pays de l'Europe - et particulièrement ceux-là - fait que nous sommes à la recherche d'une définition pour un statut intermédiaire. Ce n'est pas parce que nous ne pouvons pas nous intégrer dans le même système que nous devons nous ignorer. Il y a beaucoup de points que nous pouvons traiter en commun et sur lesquels nous pouvons fixer des règles communes, un certain nombre de secteurs touchant à ce que l'on appelle les quatre libertés : personnes, services, capitaux et marchandises.
- QUESTION.- Au sujet de la pêche.
- LE PRESIDENT.- Nous avons fait un contrat à l'intérieur de la Communauté, c'est ce que l'on appelle l'Europe bleue. Ce contrat nous suffit.
- QUESTION.- Croyez-vous dans l'avenir que l'intégration européenne arrive à une construction des Etats-Unis de l'Europe avec son propre Président ?
- LE PRESIDENT.- C'est l'objectif de ceux qui sont partisans d'une unité politique au-delà de l'union économique et technique et culturelle. C'est un objectif désirable et il supposera bien des étapes.
- QUESTION.- L'AELE peut-elle devenir une structure d'accueil pour les pays de l'Est ?
- LE PRESIDENT.- Je ne sais pas ce que sera le calendrier et s'il n'y aura pas des accords avec la Hongrie avant même qu'il n'y ait un accord définitif entre les pays de l'AELE et ceux de la Communauté. Il y a là une sorte de course qui est engagée dont je ne connais pas le premier arrivant, donc qui s'inspirera de qui. De toute manière ce sont deux démarches complémentaires.\
QUESTION.- Sur l'esprit de Reykjavik (sommet Reagan-Gorbatchev)
- LE PRESIDENT.- Alors sur la rencontre de Reykjavik, je n'ai rien à vous dire. J'ai été très heureux de cette rencontre. Elle ouvrait des temps nouveaux puisque les deux principaux chefs d'Etat des plus grandes puissances ont entamé un vrai processus de désarmement dans votre pays. J'ai approuvé l'accord de Washington sur les missiles à moyenne portée. J'espère que cela suivra sur tous les autres terrains. La Conférence de Paris a fait avancer les choses pour les armes chimiques. Cela continue à Genève. A Vienne on a discuté des armements conventionnels. On commence à être sur un terrain solide. Voilà, les progrès sont sensibles. Aucun domaine militaire ne doit être épargné par les négociations sur le désarmement. Mais il faut d'abord procéder par ordre et il faut que le désarmement soit équilibré de telle sorte qu'une certaine égalité potentielle soit quand même préservée entre temps car la sécurité repose beaucoup sur la confiance. Il ne faut donc pas détruire la confiance. En fait, je suis tout à fait d'accord avec cette démarche.
- Vous avez dit la marine, tout, tout ce que l'on voudra. Il est évident que les négociations sur les armes stratégiques nucléaires sont encore dans les limbes. Il a été question à Reykjavik de la réduction de 50 %, mais ce processus n'est même pas engagé. Donc, lorsqu'il sera véritablement en marche et lorsqu'il aura atteint un niveau important de réduction des armements stratégiques nucléaires, la France qui possède des sous-marins nucléaires commencera à se sentir concernée. Mais nous n'en sommes pas là.\
QUESTION.- Comment voyez-vous les institutions qui contrôleraient, qui surveilleraient l'ensemble de ces espaces économiques ? Quelle serait la nature de ces institutions ?
- LE PRESIDENT.- Avec deux interrogations vous venez de poser tout le problème. S'il était résolu il vaudrait mieux que je sois en train pour l'instant de visiter votre beau pays plutôt que de parler avec vous. Nous sommes au début de la négociation. C'est demain qu'on va, au sein de la Commission, en parler. C'est à la fin du mois de novembre que le Conseil va s'en saisir. C'est simplement, je crois, le 19 décembre que la négociation s'ouvrira entre la CEE et les pays de l'AELE. L'objet de ces réunions, c'est justement de débattre de la nature de la décision, de son niveau de la décision ou de la co-décision et savoir quel statut juridique imaginer : ni la communauté, ni l'intégration, ni l'ignorance mutuelle. Je ne veux pas me substituer aux négociateurs. Je pense simplement qu'il y a de nombreux domaines dans lesquels on peut déjà raisonner comme on a raisonné, nous, lorsque nous avons fait l'Eurêka technologique avec dix-huit pays ou l'Eurêka audiovisuel. C'est-à-dire tenter de bâtir une politique commune, entre tous les pays de l'Europe qui le désirent, pour tout ce qui est culturel, notamment les entrées dans les universités, la migration d'un pays à l'autre. Sur ces terrains-là : l'instruction, la culture, l'enseignement supérieur, on peut très bien déjà imaginer des structures qui dépassent de loin la communauté. C'est un travail vraiment positif qui doit être entamé par les diplomates à partir de demain. C'est pourquoi je voulais le dire avant.\
QUESTION.- Monsieur le Président, d'un sommet à l'autre... que pensez-vous de la prochaine rencontre entre M. Gorbatchev et M. Bush ?
- LE PRESIDENT.- Je ne peux pas vous répondre autrement que de la manière suivante. Chaque fois que M. Bush m'a demandé mon avis sur ce sujet, ce qui est arrivé à diverses reprises, je lui ai dit, le plus tôt sera le mieux. J'ai dit la même chose à M. Gorbatchev naturellement.\
QUESTION.- Est-ce que l'Islande peut espérer, lors de la négociation entre l'AELE et la Communauté l'an prochain, qu'il y aura une compréhension pour les exceptions qui sont nécessaires pour l'Islande, son économie dépendant de la pêche, et en raison aussi de l'importance stratégique de notre pays ?
- LE PRESIDENT.- S'il n'y a pas d'exceptions il n'y aura pas d'accords. Mais il ne faut pas qu'il n'y ait que des exceptions, sans quoi il n'y aura pas d'accords non plus, par exemple, l'Islande et la Norvège disent exceptions pour la pêche ! La Suisse dit exception pour les services financiers. L'Autriche dit exception pour les transports. Si la liste s'allonge, je me demande sur quoi il y aurait un accord ? Cela dit, oui, il y a toujours des exceptions dans un accord. Et pour un pays comme l'Islande dont l'économie repose sur la pêche, c'est un problème vraiment énorme qui doit être traité d'une façon particulière. Je rappelais au Premier ministre que lorsqu'on avait discuté des quotas laitiers, je présidais à l'époque la Communauté en 1984, et j'avais plaidé pour le lait irlandais sur lequel reposait l'économie de ce pays et nous étions parvenus à un accord à cette époque. Cela dit, c'est aux diplomates maintenant de faire des propositions.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous pensez qu'à la fin de 1990 on arrivera à un accord entre la CEE et nous ?
- LE PRESIDENT.- Je me méfie des pronostics. Je pense que d'ici la fin 1990, les diplomates ont tout le temps de faire le tour de la question. S'ils n'y parviennent pas, c'est qu'on n'aboutira pas au cours des années suivantes. Donc, les matériaux seront réunis en 89 et au début 90. Je pense que c'est au temps de la présidence italienne du côté CEE et de la présidence suédoise du côté AELE que l'on pourrait conclure. C'est le voeu que je forme. Vous m'avez posé une deuxième question ?\
QUESTION.- Est-ce que vous voyez l'Europe se doter d'une organisation spéciale de défense ?
- LE PRESIDENT.- L'Europe de la Communauté, je ne peux parler que pour elle. Je pense que la finalité de l'Europe qui est une finalité politique la conduira à assurer elle-même les moyens de sa sécurité. Ce serait logique. Mais je n'engage pas les autres en disant cela. D'ailleurs même à l'intérieur de la Communauté, il y a déjà un pays neutre, l'Irlande. Donc, voyez, il faudrait être très précis dans le langage.\
QUESTION.- Vous qui avez joué un rôle actif dans la recherche d'une solution au Liban, pouvez-vous nous donner votre appréciation de la nouvelle situation après l'élection d'un président et le blocage du Général Aoun ?
- LE PRESIDENT.- Chacun a rempli son rôle ou le remplit. J'espère que le patriotisme de ces deux personnalités l'emportera sur tout autre considération. Le patriotisme qui ne peut être aujourd'hui fondé que sur la paix. La paix, bien entendu, préservant la capacité du Liban à rester un Etat souverain.
- LE PRESIDENT.- Personnellement j'ai été heureux de pouvoir apporter à l'Islande et aux Islandais le salut de la Communauté et je peux permettre d'y ajouter le salut de la France.\