16 juillet 1989 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du XVème Sommet des pays industrialisés, notamment sur l'aide au développement, Paris, Arche de la Défense, le dimanche 16 juillet 1989.
Dès maintenant, je vais vous demander de bien vouloir poser les questions de votre choix.
- QUESTION.- Monsieur le Président je voudrais commencer par l'article 1er où vous dites que le Sommet de l'Arche marque le début d'un nouveau cycle de sommets. Est-ce que vous pourriez nous préciser, nous commenter cette affirmation, assez étonnante à première vue puisque d'avance, on ne sait jamais si on commence un premier cycle.
- LE PRESIDENT.- Il s'agit d'une remarque, fruit des travaux des Sept. Et si je ne suis pas l'auteur de ce document, j'y ai souscrit en tant que participant.
- Le premier cycle a commencé à Rambouillet, en 1975. Donc 1975, 1982, 1989, 7 ans à chaque fois. Difficile de prévoir le contenu de ce nouveau cycle, vous avez raison, mais il semble que l'on soit maintenant parvenu à une période différente. On pourrait dire que grosso modo les Sommets ont donné les résultats désirés qui s'observent à la fois dans la lutte contre l'inflation, dans la lutte pour une reprise de la croissance, dans l'organisation d'un minimum, je ne dirais pas de système, mais de politiques monétaires mondiales. On aperçoit aujourd'hui à la fois des progrès et des menaces, par exemple sur l'inflation.
- On peut donc parler d'acquis mais aussi de responsabilité là où certains fléchissements apparaissent, avec un élargissement du domaine de nos réflexions et de nos décisions aux domaines de l'environnement et de la lutte contre la drogue. Tout cela, en plus des résolutions politiques, déjà connues de vous. Et je crois que la place prise par les dimensions environnement et développement permettent de considérer que les Sommets prennent une autre tournure.
- La dette et le développement - la dette n'étant qu'un aspect particulier du développement - et le problème de l'environnement proprement dit n'avaient jamais été l'objet d'autant de conversations, de décisions ou d'intentions affirmées que cette fois-ci.\
QUESTION.- Monsieur le Président, comment voyez-vous les rapports Est-Ouest, notamment avec l'Union soviétique, après le Sommet ? Comment pourraient-ils évoluer ? Deuxième question : quelles ont été les réactions du Sommet à la lettre adressée par le Président Gorbatchev ?
- LE PRESIDENT.- Le Sommet n'a pas changé en profondeur la nature des relations entre l'Union soviétique et les participants du Sommet. Ca n'était d'ailleurs pas son objet.
- La lettre qui m'était adressée, que j'ai aussitôt communiquée aux membres du Sommet et qui a été communiquée très rapidement à la presse, n'appelle pas de réponse collective. Notre ordre du jour était déjà extrêmement rempli et il n'y a pas de réponse au Sommet de l'Arche en tant que tel à M. Gorbatchev. Cependant, je lui répondrai, nourri et inspiré par les considérations que j'ai entendues car nous en avons quand même parlé, surtout hors séance. Je répondrai donc prochainement au Président Gorbatchev.
- Quant à la nature des relations, elle n'a pas fondamentalement changé. Diverses résolutions sur les relations Est-Ouest vous ont été communiquées hier. Nous souhaitons la réussite de l'entreprise de démocratisation en Union soviétique. Nous saluons le courage de cette entreprise. Nous ne sommes pas chargés d'en assurer la réussite mais, dans la mesure où nous pourrions le faire, nous y contribuerions. Les différents aspects de cette question sont de tous ordres : économique, politique, militaire. D'autres avancées sérieuses doivent être accomplies surtout sur le plan du désarmement avant que l'on puisse tirer des conclusions de caractère général. En tout cas, les puissances réunies au cours de ce Sommet sont tout à fait disposées à développer les relations, à faciliter les échanges, à permettre les évolutions qui seront significatives d'une plus grande liberté.\
QUESTION.- Monsieur le Président de la République, nous vous avons entendu tout à l'heure, pendant une cinquantaine de minutes, détailler les différents points du communiqué. Il y a eu également, comme vous le signaliez, les déclarations politiques qui ont été prises hier. Alors, je voudrais vous demander si vous le voulez bien, de pratiquer l'exercice résolument inverse. S'il devait y avoir à votre avis un élément qui reste de ce Sommet, lequel serait-il ?
- LE PRESIDENT.- Ce travail c'est le vôtre !.. Mais je veux bien répondre à votre question, habitué que je suis à nos dialogues que vous rendez habituellement constructifs.
- Mon impression personnelle, c'est une plus grande résolution à protéger les acquis de la politique. La politique économique exprime depuis l'origine cette vigilance dont j'ai fait état, et donc l'appel à une plus grande coordination sur le plan économique.
- Il me semble que la note apportée à l'examen des problèmes de relations entre le Nord et le Sud et, particulièrement, de l'endettement, ressort de la masse des travaux. Il va y avoir maintenant d'une part de l'argent frais, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International devant contribuer de façon importante à la réduction de l'encours et du service de la dette, d'autre part une multitude d'approches concrètes, souvent au cas par cas, on cite les Philippines, on cite le Bangladesh. On pourrait citer beaucoup d'autres pays. Il y a donc une attention et une prise de conscience des problèmes du développement et de l'urgence des décisions. Hier, nous avons parlé d'une aide alimentaire urgente à la Pologne. Je crois que le problème des relations entre les pays riches et les pays pauvres est enfin entré dans la conscience des pays industriels les plus avancés. Et cela les conduira à adopter des politiques communes autant qu'il sera possible, à encourager les efforts particuliers, par exemple les renoncements aux créances, les rééchelonnements et les moratoires de toutes sortes. Avec la nécessité d'envisager non seulement le sort des pays les plus pauvres mais également celui des pays dits intermédiaires dont les problèmes ne se réduisent pas à des questions d'argent, et ne se résolvent pas simplement et qui ont besoin aussi de garanties de toutes sortes, d'accompagnement des échanges.
- La troisième observation, c'est l'intrusion soudaine, et considérable, des problèmes de l'environnement sur lesquels de nombreuses réponses ont été apportées. Donc pour résumer :
- Les pays industriels avancés veulent consolider les acquis, s'inquiètent des fluctuations qui ne vont pas toujours dans le bon sens, et se coordonnent. Les problèmes de l'endettement et des relations Nord-Sud entrent de plein fouet dans nos délibérations. La sauvegarde de l'environnement est désormais considérée comme une donnée humaine, économique et politique primordiale. De la même manière ont été abordés les problèmes de la drogue.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit récemment que la France était l'avocat des pauvres. Il y avait des représentants des pays pauvres aussi à Paris cette semaine.
- Est-ce que vous croyez que vous avez réussi à commencer au moins un dialogue Nord-Sud, même si l'idée d'un Sommet aura été refusée ?
- LE PRESIDENT.- La France ne se pose pas en unique avocat et défenseur des pays pauvres, mais elle entend prendre sa place dans la défense des justes intérêts de ces populations.
- Une augmentation des quote-parts du Fonds Monétaire International et même une nouvelle amélioration des droits de tirage spéciaux, sur lesquels les polémiques s'étaient élevées lors de mes propositions devant les Nations unies, restent en cours d'examen au conseil d'administration du Fonds Monétaire International.
- La liste est déjà longue, de toutes les réponses favorables qui ont été faites aux questions que nous posions.
- La demande m'a été faite par quatre pays de convaincre mes collègues des Sept de parvenir à une conférence dont les contours restent à préciser. Cette idée n'est pas sortie comme cela tout d'un coup. M. Gandhi avait longuement vu Mme Thatcher. D'autres s'étaient longuement entretenus, M. Moubarak, M. Peres, M. Gandhi avec le Président Bush. Ce n'est donc pas sorti comme cela par miracle et par surprise.
- Sur le fond, tout en sachant les obstacles et les réserves à l'égard d'une conférence Nord-Sud, même d'une conférence limitée à un certain nombre de participants du type Cancun, j'ai bien l'intention de poursuivre cette démarche et de convaincre celles et ceux qui pourraient avoir des réticences. Mais je suis moi-même tout à fait raisonnable car je considère que ce qui a été finalement l'échec du Sommet de Cancun, qui avait été convoqué avant mon accession à la Présidence de la République c'est-à-dire son absence de suite, a été dommageable à la cause qu'elle entendait servir.
- Il faut donc se méfier de toute réunion diplomatique improvisée ou prématurée. Il n'empêche que j'entends poursuivre cette démarche et que j'en ai entretenu mes collègues.
- QUESTION.- A ce sujet, monsieur le Président, "vous en avez parlé à vos collègues", est-ce que vous avez pu constater que certains marquaient un début de conviction ? Est-ce que leurs réticences ont été ébranlées ?
- LE PRESIDENT.- D'une façon générale, ils souhaitent apporter une réponse au problème du développement.
- De là à franchir le pas d'une conférence.. Il ne s'agit pas en tout cas d'inventer une institution nouvelle.. J'ai dit tout à l'heure que cette démarche en vue d'une rencontre, sans doute dans le cadre des institutions existantes serait poursuivie, en tout cas par moi-même. Elle fait des progrès, elle n'est pas acquise.\
QUESTION.- Monsieur le Président, maintenant que le Sommet est terminé, quel jugement portez-vous sur ceux qui en France ont critiqué la proximité des fêtes du Bicentenaire et du Sommet ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien j'ai déjà dit dans une émission télévisée, il y a 48 heures, que je pensais qu'il y avait eu une mauvaise information. Quand il y a mauvaise information, il faut s'en prendre à qui ? A ceux qui devraient informer mieux ou à ceux qui n'ont pas voulu entendre les explications ? Je n'en sais rien, je ne suis pas là pour démêler les responsabilités. Ce qui est vrai, c'est que en même temps qu'ont été invités les participants du Sommet des pays industrialisés à Paris, sont parties les invitations pour le Bicentenaire à un certain nombre de pays. Mais pas en aussi grand nombre que ceux qui étaient là ! Nous n'avions pas vu si grand. Mais très rapidement nous nous sommes aperçus que nous devions tenir compte du souhait très flatteur exprimé par beaucoup de pays d'être présents auprès de la France pour célébrer ce grand événement.
- Il y a eu 35 invitations acceptées ou sollicitées et 34 présences. On a dit 33 parce que M. Hillery, Président de l'Irlande, n'est arrivé qu'en cours de cérémonies. l'un des 35 a été empêché par des problèmes intérieurs. Il s'agissait de l'Argentine, qui avait accepté.
- Il y a eu en France un certain nombre de protestations, de manifestations. La presse y a largement collaboré !.. Eh bien moi, j'ai pris cela comme cela venait.. Je suis un peu habitué. Il est vraiment rare qu'une initiative soit saluée par un concert de vivats ou de bravos. C'est très rare. C'est encore une chance quand après coup les lazzi se transforment... en bravos. On a du constater qu'un certain nombre de choses peuvent être réussies et utiles. Ce qui compte pour moi, c'est le résultat.
- 21 pays pauvres ou intermédiaires étaient présents à Paris. Quelques pays d'Europe, type Irlande, Portugal ou Grèce, non membres du Sommet se sont joints à nous, ainsi que les 6 autres pays industrialisés. Il y avait aussi la Communauté européenne. Pendant deux jours et demi, cela a été le Bicentenaire où tous avaient droit aux mêmes égards et ont participé aux mêmes manifestations. A partir du 14 après-midi, le Sommet a commencé. Il y a donc eu quelques heures pendant lesquelles tout se trouvait imbriqué dans le mouvement général. A partir du 15 au matin, il ne restait plus que le Sommet des Sept.
- Je crois que cette conjonction a été ressentie, en tout cas par les participants, les uns et les autres, comme utile, comme une bonne chose. Quant à la critique d'une réunion des riches au moment d'un 14 juillet qui a été la victoire du Tiers Etat, c'est une observation qui mérite examen. Mais je ne peux pas non plus en vouloir aux pays démocratiques qui doivent peut-être une partie de leur prospérité à leur démocratie.
- Je ne vois pas pourquoi je sanctionnerais la Grande-Bretagne et les Etats-Unis d'Amérique qui, avant même la France, avaient déclenché le mouvement en faveur des Droits de l'Homme ou l'Etat du Massachussets qui avait dessiné dans sa constitution quelques-unes des grandes lignes de ce qui fut la Déclaration des Droits de l'Homme. Au nom de quoi les écarter ? D'une part les grands pays industriels sont des grandes démocraties. Ils avaient donc leur place parmi nous. D'autre part tous les pays du tiers monde ne sont pas d'angéliques démocraties, mais ils ont pour eux d'être pauvres et d'aspirer à la prospérité. C'est donc un phénomène très révolutionnaire constaté chaque fois qu'il s'est produit des grands tournants dans l'histoire de l'humanité.. Je me suis senti à l'aise avec tous et j'ai été heureux qu'ils fussent là les uns et les autres.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais revenir sur la déclaration politique concernant la Chine. Une dépêche officielle de l'Agence de presse Chine Nouvelle a annoncé le 11 juillet que la France avait versé 83 millions de francs à l'Etat chinois.
- Qu'en est-il de ce versement ? Pensez-vous qu'il soit en cohérence avec la déclaration politique d'hier concernant la Chine ?
- LE PRESIDENT.- Je n'étais pas du tout au courant. Ce n'est pas la France qui a versé cet argent. Il a été versé par une institution particulière et certainement en application d'accords antérieurs. Nous n'avons pas décidé le non-respect des contrats. Donc je ne peux pas vous répondre autrement parce que je n'en sais rien. Je l'ai simplement entendu ce matin à la radio, avec un petit peu de surprise, et je dois dire un certain mécontentement. Je réserve mes observations à qui de droit après.
- Dans les conditions que je viens de vous dire, ce n'est pas scandaleux. Mais les décisions que la France avait déjà prises, tendent naturellement à observer dans ce domaine une retenue qui n'a pas sans doute été illustrée par le versement en question.
- QUESTION.- Monsieur le Président, ma question porte également sur la Chine.
- Dans la déclaration politique, les Sept ont dit qu'ils voulaient qu'il y ait un délai pour les prêts de la Banque Mondiale à la Chine.
- Dans quelles conditions les Sept seraient-ils favorables à ce que la Banque Mondiale reprenne les prêts ?
- LE PRESIDENT.- Cela n'a pas été dit. Je pense que cela dépendra de l'évolution intérieure de la Chine.
- Nous avons fixé une politique restrictive pour marquer notre désaveu de ce qui s'est passé là-bas. Mais nous n'avons pas déjà prévu le moment où l'on pourrait changer d'attitude en raison de l'évolution intérieure de la Chine. Je pense que si les faits qui ont commandé ce retrait demeurent semblables à eux-mêmes, cela ne permettra pas un retour. Cela se discutera avec la Banque Mondiale dans les semaines qui viendront.\
QUESTION.- Les 54 articles contenus dans cette déclaration concernent beaucoup de monde, beaucoup de pays dans le monde, surtout des pays en voie de développement. Pour les mettre en application, pensez-vous que les organismes internationaux peuvent jouer pleinement leur rôle, ou faut-il que la France, qui assure la Présidence, maintienne le contact avec tous ces pays pour mettre en application ces articles-là ?
- Deuxièmement, est-ce que vous pensez qu'on va faire des consultations régulières entre pays en voie de développement et pays riches, avant chaque sommet des Sept ?
- LE PRESIDENT.- Les pays réunis au Sommet de l'Arche disposent d'une certaine influence sur les grandes institutions internationales, car ils y contribuent puissamment. Ils pourront donc faire connaître directement, comme ils l'ont déjà fait à la Banque Mondiale et au Fonds Monétaire International, les orientations qui sont les leurs.
- J'ai déjà indiqué tout à l'heure, dans ce long document que j'ai résumé, que sur 7 ou 8 points extrêmement concrets ces grandes institutions accompliront un certain nombre d'actes positifs, notamment dans la manière de traiter la dette, de la réduire, de l'échelonner, ou de préparer les temps nouveaux, c'est-à-dire d'alimenter la reprise économique de ces pays par de l'argent frais. Il conviendra de suivre, de persévérer, de continuer dans cette voie.
- Les décisions politiques qui sont prises par les Etats ou par l'Assemblée générale des Etats et les institutions particulières, aussi importantes qu'elles soient, doivent s'inscrire dans cette volonté politique. Il faut donc veiller à ce que la volonté politique soit maintenue et renforcée.
- C'est pourquoi j'ai, en tant que Président français, l'intention de poursuivre mon action : 1) pour qu'il n'y ait pas de relâchement £ 2) pour qu'on aille plus loin.\
QUESTION.- Au cours du Sommet, vous avez exprimé très clairement vos préoccupations sur le problème de la dette et vous avez même déclaré l'autre jour que le Mexique était au bord d'une explosion et qu'un aboutissement satisfaisant des négociations de New York était une de vos principales priorités ici.
- Mais la déclaration finale ne mentionne pas les négociations et il n'y a pas de support direct aux négociations de New York. Je voudrais savoir, pourquoi monsieur le Président, ne craignez-vous pas de créer, de générer un phénomène de déception généralisée au Mexique et en Amérique latine ?
- LE PRESIDENT.- Pour l'instant, ce sont les banques privées qui négocient leurs créances et il importe de connaître leur position finale avant d'ajouter autre chose. Cependant, on ne peut pas séparer artificiellement banques privées et aides publiques, dans la mesure où l'on sait bien que, s'il y avait un krack mexicain plus prononcé, les banques en seraient elles-mêmes victimes et auraient tendance, même dans les pays les plus libéraux à se retourner du côté de la puissance publique. Donc, tout se tient.
- Mais nous sommes dans une phase délicate et sensible, où il faut être extrêmement attentif. La discussion dure depuis quelques jours, avec des hauts et des bas. Rien ne doit venir la troubler. Je crois encore à ses chances de succès, sans pouvoir l'affirmer. Je considère ce règlement comme nécessaire, mais en raison de la concomitance des réunions sur la dette mexicaine et de la réunion du Sommet, toute intervention présente sur ce cas particulier, fort important, eut été imprudente.
- C'est donc dans l'intérêt du Mexique qu'il n'a pas été jugé nécessaire d'adopter un texte, d'autant plus que d'heure en heure, ce texte aurait pu se révéler dépassé. Voilà la raison, et il n'y a pas de raison de fond.\
QUESTION.- Nous avons pris acte de la ferme volonté des participants à ce XVème sommet de développer un autre type de coopération avec les pays en développement mais nous constatons que plus vous développez ces pays, plus ils sont sous-développés. Est-ce que vous ne faites pas qu'appliquer cette parole de l'Evangile, prêchée, il y a quelque deux cents ans environ par vos missionnaires...
- LE PRESIDENT.- Ce n'étaient pas les miens !
- QUESTION.- ... "à celui qui n'a rien, il faut rendre même ce qu'il n'a pas ?"
- LE PRESIDENT.- C'est un très beau précepte, mais c'est un précepte moral et la morale ne s'est pas encore totalement substituée à la politique. Cependant, tous les responsables du monde qui représentent de vraies civilisations savent bien que cette obligation morale devra un jour se confondre avec les obligations politiques.
- Ce très beau précepte n'est pas commode à mettre en oeuvre.. Mais voyez la tournure utilisée non pas par les missionnaires, mais par leur Maître, leur inspirateur, le Christ, à savoir : il faut donner même ce que l'on n'a pas ! C'est une forme paradoxale qui dit bien ce qu'elle veut dire et que vous avez parfaitement comprise. C'est même un très beau précepte. Cela veut dire qu'il ne faut pas mesurer son effort lorsqu'il y a des gens en perdition. C'est ce que je pense.
- Il reste bien entendu à créer un courant international, conforme aux voeux que vous exprimez.\
QUESTION.- Monsieur le Président, c'était le premier Sommet du Président Bush. Est-ce qu'au changement d'homme a correspondu, à votre avis, un changement politique ?
- LE PRESIDENT.- Je ne vais pas me livrer à des comparaisons extrêmement délicates et je ne veux pas embarrasser ceux dont nous parlons.
- Un changement d'homme, c'est forcément un changement d'approche même si ce n'est pas forcément un changement de politique. Si les démocraties ont prévu un terme à tous les mandats, au contraire des monarchies, c'est bien parce qu'il est bon de changer !
- Donc, je ne me situerai pas par comparaison avec M. Reagan que j'ai rencontré huit fois, c'est-à-dire pendant huit ans (il s'agissait pour moi à l'Arche du neuvième Sommet).
- Je dirai que M. Bush montre beaucoup d'ouverture d'esprit, beaucoup d'affabilité dans ses relations personnelles, un désir de réussir une bonne entente entre les pays ici réunis. Cette ouverture d'esprit de M. Bush qui connaît bien les problèmes de l'Europe et les problèmes du monde en raison de ses états de service antérieurs, me paraît de très bon augure.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous considérez maintenant que le cadre des Sommets, tel qu'il est, est totalement satisfaisant ? Convient-il de l'élargir ? Et si oui, dans quel sens ?
- LE PRESIDENT.- On peut toujours améliorer. Même si cela ne vous est pas apparu - à cause d'une part, du Bicentenaire, et d'autre part, à cause des lieux dans lesquels s'est déroulé le Sommet, la Pyramide du Louvre et l'Arche monuments nouveaux et qui donc attirent la curiosité - à l'intérieur de ces grands bâtiments, les conditions d'intimité, de tranquilité et de sérénité ont été réunies. On a bien travaillé entre nous, sans jamais être dérangés. Cela n'a pas toujours été le cas dans le passé.
- Donc, de ce point de vue, je suis très satisfait de la tournure prise par ces sommets. M. Giscard d'Estaing avait précisément pris l'initiative en 1975, afin que les responsables du monde se réunissent et se connaissent mieux. Et puis, peu à peu, la présence de la presse, de plus en plus massive - cette fois-ci plus de 6000 journalistes - l'effet médiatique, l'intérêt, les discussions passionnées ont fait qu'il était devenu difficile de préserver cette intimité et cette relation directe entre les personnes. Mais le tir a été suffisamment corrigé, depuis quelques années déjà pour que l'on puisse juger de façon parfaitement acceptable la manière dont cela se déroule maintenant.
- Il y a quelquefois une tentation de se mêler de tout ou de décider pour tous. Mais nous avons réussi à la surmonter et vous remarquerez que chaque fois qu'il s'agit d'initiatives nouvelles, il est écrit : "les pays réunis au Sommet, et tous autres pays intéressés, sont appelés à.." C'est-à-dire qu'il y a une ouverture des membres du Sommet sur les pays absents que l'on espère présents, sinon dans les Sommets, du moins dans la mise en oeuvre de politiques nouvelles, sur lesquelles ils auraient le même droit d'évocation et d'initiative que nous. C'est vrai en particulier de l'environnement.\
QUESTION.- La lettre que vous a adressé M. Gorbatchev montre assez qu'il souhaiterait être associé au réglement des grandes affaires du monde. Est-ce qu'il vous paraît concevable qu'il puisse participer un jour à un Sommet tel que celui qui vient de s'achever ici à l'Arche ?
- LE PRESIDENT.- L'Union soviétique est un très grand pays qui joue un rôle considérable dans le monde. Il est l'une des deux plus grandes puissances militaires de la planète. Donc son rôle est éminent. Les pays qui se rassemblent au sein du Sommet des Sept sont des pays dont la définition de base est la démocratie, assortie d'institutions adéquates, d'institutions démocratiques. L'un de ces pays deviendrait par malheur - c'est tout à fait imprévu - un pays qui s'éloignerait de la démocratie, il n'aurait plus sa place dans ces Sommets.
- Certains pays évoluent vers la démocratie mais n'ont pas encore défini des règles d'existence démocratiques chez eux au même point que celui où nous sommes parvenus au travers d'institutions et de pratiques. Car il n'y a pas que les institutions, il n'y a pas que ce qu'on écrit, il y a ce qu'on fait. Quel que soit l'intérêt remarquable que j'attache à l'évolution de l'Union soviétique, sur le plan de l'éthique politique nous n'en sommes pas au même point.
- Je parle de l'URSS comme d'autres pays qui devraient connaître une évolution, un progrès économique, et un progrès démocratique suffisants pour que ces perspectives deviennent possibles.
- Une observation de pure pratique : ces pays étaient cinq. Ils sont maintenant sept. Un trop grand nombre rendrait plus difficiles les échanges de vues. Mais en soi il n'y a pas d'obstacles absolus à la perspective que vous venez de préciser.\
- QUESTION.- Monsieur le Président je voudrais commencer par l'article 1er où vous dites que le Sommet de l'Arche marque le début d'un nouveau cycle de sommets. Est-ce que vous pourriez nous préciser, nous commenter cette affirmation, assez étonnante à première vue puisque d'avance, on ne sait jamais si on commence un premier cycle.
- LE PRESIDENT.- Il s'agit d'une remarque, fruit des travaux des Sept. Et si je ne suis pas l'auteur de ce document, j'y ai souscrit en tant que participant.
- Le premier cycle a commencé à Rambouillet, en 1975. Donc 1975, 1982, 1989, 7 ans à chaque fois. Difficile de prévoir le contenu de ce nouveau cycle, vous avez raison, mais il semble que l'on soit maintenant parvenu à une période différente. On pourrait dire que grosso modo les Sommets ont donné les résultats désirés qui s'observent à la fois dans la lutte contre l'inflation, dans la lutte pour une reprise de la croissance, dans l'organisation d'un minimum, je ne dirais pas de système, mais de politiques monétaires mondiales. On aperçoit aujourd'hui à la fois des progrès et des menaces, par exemple sur l'inflation.
- On peut donc parler d'acquis mais aussi de responsabilité là où certains fléchissements apparaissent, avec un élargissement du domaine de nos réflexions et de nos décisions aux domaines de l'environnement et de la lutte contre la drogue. Tout cela, en plus des résolutions politiques, déjà connues de vous. Et je crois que la place prise par les dimensions environnement et développement permettent de considérer que les Sommets prennent une autre tournure.
- La dette et le développement - la dette n'étant qu'un aspect particulier du développement - et le problème de l'environnement proprement dit n'avaient jamais été l'objet d'autant de conversations, de décisions ou d'intentions affirmées que cette fois-ci.\
QUESTION.- Monsieur le Président, comment voyez-vous les rapports Est-Ouest, notamment avec l'Union soviétique, après le Sommet ? Comment pourraient-ils évoluer ? Deuxième question : quelles ont été les réactions du Sommet à la lettre adressée par le Président Gorbatchev ?
- LE PRESIDENT.- Le Sommet n'a pas changé en profondeur la nature des relations entre l'Union soviétique et les participants du Sommet. Ca n'était d'ailleurs pas son objet.
- La lettre qui m'était adressée, que j'ai aussitôt communiquée aux membres du Sommet et qui a été communiquée très rapidement à la presse, n'appelle pas de réponse collective. Notre ordre du jour était déjà extrêmement rempli et il n'y a pas de réponse au Sommet de l'Arche en tant que tel à M. Gorbatchev. Cependant, je lui répondrai, nourri et inspiré par les considérations que j'ai entendues car nous en avons quand même parlé, surtout hors séance. Je répondrai donc prochainement au Président Gorbatchev.
- Quant à la nature des relations, elle n'a pas fondamentalement changé. Diverses résolutions sur les relations Est-Ouest vous ont été communiquées hier. Nous souhaitons la réussite de l'entreprise de démocratisation en Union soviétique. Nous saluons le courage de cette entreprise. Nous ne sommes pas chargés d'en assurer la réussite mais, dans la mesure où nous pourrions le faire, nous y contribuerions. Les différents aspects de cette question sont de tous ordres : économique, politique, militaire. D'autres avancées sérieuses doivent être accomplies surtout sur le plan du désarmement avant que l'on puisse tirer des conclusions de caractère général. En tout cas, les puissances réunies au cours de ce Sommet sont tout à fait disposées à développer les relations, à faciliter les échanges, à permettre les évolutions qui seront significatives d'une plus grande liberté.\
QUESTION.- Monsieur le Président de la République, nous vous avons entendu tout à l'heure, pendant une cinquantaine de minutes, détailler les différents points du communiqué. Il y a eu également, comme vous le signaliez, les déclarations politiques qui ont été prises hier. Alors, je voudrais vous demander si vous le voulez bien, de pratiquer l'exercice résolument inverse. S'il devait y avoir à votre avis un élément qui reste de ce Sommet, lequel serait-il ?
- LE PRESIDENT.- Ce travail c'est le vôtre !.. Mais je veux bien répondre à votre question, habitué que je suis à nos dialogues que vous rendez habituellement constructifs.
- Mon impression personnelle, c'est une plus grande résolution à protéger les acquis de la politique. La politique économique exprime depuis l'origine cette vigilance dont j'ai fait état, et donc l'appel à une plus grande coordination sur le plan économique.
- Il me semble que la note apportée à l'examen des problèmes de relations entre le Nord et le Sud et, particulièrement, de l'endettement, ressort de la masse des travaux. Il va y avoir maintenant d'une part de l'argent frais, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International devant contribuer de façon importante à la réduction de l'encours et du service de la dette, d'autre part une multitude d'approches concrètes, souvent au cas par cas, on cite les Philippines, on cite le Bangladesh. On pourrait citer beaucoup d'autres pays. Il y a donc une attention et une prise de conscience des problèmes du développement et de l'urgence des décisions. Hier, nous avons parlé d'une aide alimentaire urgente à la Pologne. Je crois que le problème des relations entre les pays riches et les pays pauvres est enfin entré dans la conscience des pays industriels les plus avancés. Et cela les conduira à adopter des politiques communes autant qu'il sera possible, à encourager les efforts particuliers, par exemple les renoncements aux créances, les rééchelonnements et les moratoires de toutes sortes. Avec la nécessité d'envisager non seulement le sort des pays les plus pauvres mais également celui des pays dits intermédiaires dont les problèmes ne se réduisent pas à des questions d'argent, et ne se résolvent pas simplement et qui ont besoin aussi de garanties de toutes sortes, d'accompagnement des échanges.
- La troisième observation, c'est l'intrusion soudaine, et considérable, des problèmes de l'environnement sur lesquels de nombreuses réponses ont été apportées. Donc pour résumer :
- Les pays industriels avancés veulent consolider les acquis, s'inquiètent des fluctuations qui ne vont pas toujours dans le bon sens, et se coordonnent. Les problèmes de l'endettement et des relations Nord-Sud entrent de plein fouet dans nos délibérations. La sauvegarde de l'environnement est désormais considérée comme une donnée humaine, économique et politique primordiale. De la même manière ont été abordés les problèmes de la drogue.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit récemment que la France était l'avocat des pauvres. Il y avait des représentants des pays pauvres aussi à Paris cette semaine.
- Est-ce que vous croyez que vous avez réussi à commencer au moins un dialogue Nord-Sud, même si l'idée d'un Sommet aura été refusée ?
- LE PRESIDENT.- La France ne se pose pas en unique avocat et défenseur des pays pauvres, mais elle entend prendre sa place dans la défense des justes intérêts de ces populations.
- Une augmentation des quote-parts du Fonds Monétaire International et même une nouvelle amélioration des droits de tirage spéciaux, sur lesquels les polémiques s'étaient élevées lors de mes propositions devant les Nations unies, restent en cours d'examen au conseil d'administration du Fonds Monétaire International.
- La liste est déjà longue, de toutes les réponses favorables qui ont été faites aux questions que nous posions.
- La demande m'a été faite par quatre pays de convaincre mes collègues des Sept de parvenir à une conférence dont les contours restent à préciser. Cette idée n'est pas sortie comme cela tout d'un coup. M. Gandhi avait longuement vu Mme Thatcher. D'autres s'étaient longuement entretenus, M. Moubarak, M. Peres, M. Gandhi avec le Président Bush. Ce n'est donc pas sorti comme cela par miracle et par surprise.
- Sur le fond, tout en sachant les obstacles et les réserves à l'égard d'une conférence Nord-Sud, même d'une conférence limitée à un certain nombre de participants du type Cancun, j'ai bien l'intention de poursuivre cette démarche et de convaincre celles et ceux qui pourraient avoir des réticences. Mais je suis moi-même tout à fait raisonnable car je considère que ce qui a été finalement l'échec du Sommet de Cancun, qui avait été convoqué avant mon accession à la Présidence de la République c'est-à-dire son absence de suite, a été dommageable à la cause qu'elle entendait servir.
- Il faut donc se méfier de toute réunion diplomatique improvisée ou prématurée. Il n'empêche que j'entends poursuivre cette démarche et que j'en ai entretenu mes collègues.
- QUESTION.- A ce sujet, monsieur le Président, "vous en avez parlé à vos collègues", est-ce que vous avez pu constater que certains marquaient un début de conviction ? Est-ce que leurs réticences ont été ébranlées ?
- LE PRESIDENT.- D'une façon générale, ils souhaitent apporter une réponse au problème du développement.
- De là à franchir le pas d'une conférence.. Il ne s'agit pas en tout cas d'inventer une institution nouvelle.. J'ai dit tout à l'heure que cette démarche en vue d'une rencontre, sans doute dans le cadre des institutions existantes serait poursuivie, en tout cas par moi-même. Elle fait des progrès, elle n'est pas acquise.\
QUESTION.- Monsieur le Président, maintenant que le Sommet est terminé, quel jugement portez-vous sur ceux qui en France ont critiqué la proximité des fêtes du Bicentenaire et du Sommet ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien j'ai déjà dit dans une émission télévisée, il y a 48 heures, que je pensais qu'il y avait eu une mauvaise information. Quand il y a mauvaise information, il faut s'en prendre à qui ? A ceux qui devraient informer mieux ou à ceux qui n'ont pas voulu entendre les explications ? Je n'en sais rien, je ne suis pas là pour démêler les responsabilités. Ce qui est vrai, c'est que en même temps qu'ont été invités les participants du Sommet des pays industrialisés à Paris, sont parties les invitations pour le Bicentenaire à un certain nombre de pays. Mais pas en aussi grand nombre que ceux qui étaient là ! Nous n'avions pas vu si grand. Mais très rapidement nous nous sommes aperçus que nous devions tenir compte du souhait très flatteur exprimé par beaucoup de pays d'être présents auprès de la France pour célébrer ce grand événement.
- Il y a eu 35 invitations acceptées ou sollicitées et 34 présences. On a dit 33 parce que M. Hillery, Président de l'Irlande, n'est arrivé qu'en cours de cérémonies. l'un des 35 a été empêché par des problèmes intérieurs. Il s'agissait de l'Argentine, qui avait accepté.
- Il y a eu en France un certain nombre de protestations, de manifestations. La presse y a largement collaboré !.. Eh bien moi, j'ai pris cela comme cela venait.. Je suis un peu habitué. Il est vraiment rare qu'une initiative soit saluée par un concert de vivats ou de bravos. C'est très rare. C'est encore une chance quand après coup les lazzi se transforment... en bravos. On a du constater qu'un certain nombre de choses peuvent être réussies et utiles. Ce qui compte pour moi, c'est le résultat.
- 21 pays pauvres ou intermédiaires étaient présents à Paris. Quelques pays d'Europe, type Irlande, Portugal ou Grèce, non membres du Sommet se sont joints à nous, ainsi que les 6 autres pays industrialisés. Il y avait aussi la Communauté européenne. Pendant deux jours et demi, cela a été le Bicentenaire où tous avaient droit aux mêmes égards et ont participé aux mêmes manifestations. A partir du 14 après-midi, le Sommet a commencé. Il y a donc eu quelques heures pendant lesquelles tout se trouvait imbriqué dans le mouvement général. A partir du 15 au matin, il ne restait plus que le Sommet des Sept.
- Je crois que cette conjonction a été ressentie, en tout cas par les participants, les uns et les autres, comme utile, comme une bonne chose. Quant à la critique d'une réunion des riches au moment d'un 14 juillet qui a été la victoire du Tiers Etat, c'est une observation qui mérite examen. Mais je ne peux pas non plus en vouloir aux pays démocratiques qui doivent peut-être une partie de leur prospérité à leur démocratie.
- Je ne vois pas pourquoi je sanctionnerais la Grande-Bretagne et les Etats-Unis d'Amérique qui, avant même la France, avaient déclenché le mouvement en faveur des Droits de l'Homme ou l'Etat du Massachussets qui avait dessiné dans sa constitution quelques-unes des grandes lignes de ce qui fut la Déclaration des Droits de l'Homme. Au nom de quoi les écarter ? D'une part les grands pays industriels sont des grandes démocraties. Ils avaient donc leur place parmi nous. D'autre part tous les pays du tiers monde ne sont pas d'angéliques démocraties, mais ils ont pour eux d'être pauvres et d'aspirer à la prospérité. C'est donc un phénomène très révolutionnaire constaté chaque fois qu'il s'est produit des grands tournants dans l'histoire de l'humanité.. Je me suis senti à l'aise avec tous et j'ai été heureux qu'ils fussent là les uns et les autres.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais revenir sur la déclaration politique concernant la Chine. Une dépêche officielle de l'Agence de presse Chine Nouvelle a annoncé le 11 juillet que la France avait versé 83 millions de francs à l'Etat chinois.
- Qu'en est-il de ce versement ? Pensez-vous qu'il soit en cohérence avec la déclaration politique d'hier concernant la Chine ?
- LE PRESIDENT.- Je n'étais pas du tout au courant. Ce n'est pas la France qui a versé cet argent. Il a été versé par une institution particulière et certainement en application d'accords antérieurs. Nous n'avons pas décidé le non-respect des contrats. Donc je ne peux pas vous répondre autrement parce que je n'en sais rien. Je l'ai simplement entendu ce matin à la radio, avec un petit peu de surprise, et je dois dire un certain mécontentement. Je réserve mes observations à qui de droit après.
- Dans les conditions que je viens de vous dire, ce n'est pas scandaleux. Mais les décisions que la France avait déjà prises, tendent naturellement à observer dans ce domaine une retenue qui n'a pas sans doute été illustrée par le versement en question.
- QUESTION.- Monsieur le Président, ma question porte également sur la Chine.
- Dans la déclaration politique, les Sept ont dit qu'ils voulaient qu'il y ait un délai pour les prêts de la Banque Mondiale à la Chine.
- Dans quelles conditions les Sept seraient-ils favorables à ce que la Banque Mondiale reprenne les prêts ?
- LE PRESIDENT.- Cela n'a pas été dit. Je pense que cela dépendra de l'évolution intérieure de la Chine.
- Nous avons fixé une politique restrictive pour marquer notre désaveu de ce qui s'est passé là-bas. Mais nous n'avons pas déjà prévu le moment où l'on pourrait changer d'attitude en raison de l'évolution intérieure de la Chine. Je pense que si les faits qui ont commandé ce retrait demeurent semblables à eux-mêmes, cela ne permettra pas un retour. Cela se discutera avec la Banque Mondiale dans les semaines qui viendront.\
QUESTION.- Les 54 articles contenus dans cette déclaration concernent beaucoup de monde, beaucoup de pays dans le monde, surtout des pays en voie de développement. Pour les mettre en application, pensez-vous que les organismes internationaux peuvent jouer pleinement leur rôle, ou faut-il que la France, qui assure la Présidence, maintienne le contact avec tous ces pays pour mettre en application ces articles-là ?
- Deuxièmement, est-ce que vous pensez qu'on va faire des consultations régulières entre pays en voie de développement et pays riches, avant chaque sommet des Sept ?
- LE PRESIDENT.- Les pays réunis au Sommet de l'Arche disposent d'une certaine influence sur les grandes institutions internationales, car ils y contribuent puissamment. Ils pourront donc faire connaître directement, comme ils l'ont déjà fait à la Banque Mondiale et au Fonds Monétaire International, les orientations qui sont les leurs.
- J'ai déjà indiqué tout à l'heure, dans ce long document que j'ai résumé, que sur 7 ou 8 points extrêmement concrets ces grandes institutions accompliront un certain nombre d'actes positifs, notamment dans la manière de traiter la dette, de la réduire, de l'échelonner, ou de préparer les temps nouveaux, c'est-à-dire d'alimenter la reprise économique de ces pays par de l'argent frais. Il conviendra de suivre, de persévérer, de continuer dans cette voie.
- Les décisions politiques qui sont prises par les Etats ou par l'Assemblée générale des Etats et les institutions particulières, aussi importantes qu'elles soient, doivent s'inscrire dans cette volonté politique. Il faut donc veiller à ce que la volonté politique soit maintenue et renforcée.
- C'est pourquoi j'ai, en tant que Président français, l'intention de poursuivre mon action : 1) pour qu'il n'y ait pas de relâchement £ 2) pour qu'on aille plus loin.\
QUESTION.- Au cours du Sommet, vous avez exprimé très clairement vos préoccupations sur le problème de la dette et vous avez même déclaré l'autre jour que le Mexique était au bord d'une explosion et qu'un aboutissement satisfaisant des négociations de New York était une de vos principales priorités ici.
- Mais la déclaration finale ne mentionne pas les négociations et il n'y a pas de support direct aux négociations de New York. Je voudrais savoir, pourquoi monsieur le Président, ne craignez-vous pas de créer, de générer un phénomène de déception généralisée au Mexique et en Amérique latine ?
- LE PRESIDENT.- Pour l'instant, ce sont les banques privées qui négocient leurs créances et il importe de connaître leur position finale avant d'ajouter autre chose. Cependant, on ne peut pas séparer artificiellement banques privées et aides publiques, dans la mesure où l'on sait bien que, s'il y avait un krack mexicain plus prononcé, les banques en seraient elles-mêmes victimes et auraient tendance, même dans les pays les plus libéraux à se retourner du côté de la puissance publique. Donc, tout se tient.
- Mais nous sommes dans une phase délicate et sensible, où il faut être extrêmement attentif. La discussion dure depuis quelques jours, avec des hauts et des bas. Rien ne doit venir la troubler. Je crois encore à ses chances de succès, sans pouvoir l'affirmer. Je considère ce règlement comme nécessaire, mais en raison de la concomitance des réunions sur la dette mexicaine et de la réunion du Sommet, toute intervention présente sur ce cas particulier, fort important, eut été imprudente.
- C'est donc dans l'intérêt du Mexique qu'il n'a pas été jugé nécessaire d'adopter un texte, d'autant plus que d'heure en heure, ce texte aurait pu se révéler dépassé. Voilà la raison, et il n'y a pas de raison de fond.\
QUESTION.- Nous avons pris acte de la ferme volonté des participants à ce XVème sommet de développer un autre type de coopération avec les pays en développement mais nous constatons que plus vous développez ces pays, plus ils sont sous-développés. Est-ce que vous ne faites pas qu'appliquer cette parole de l'Evangile, prêchée, il y a quelque deux cents ans environ par vos missionnaires...
- LE PRESIDENT.- Ce n'étaient pas les miens !
- QUESTION.- ... "à celui qui n'a rien, il faut rendre même ce qu'il n'a pas ?"
- LE PRESIDENT.- C'est un très beau précepte, mais c'est un précepte moral et la morale ne s'est pas encore totalement substituée à la politique. Cependant, tous les responsables du monde qui représentent de vraies civilisations savent bien que cette obligation morale devra un jour se confondre avec les obligations politiques.
- Ce très beau précepte n'est pas commode à mettre en oeuvre.. Mais voyez la tournure utilisée non pas par les missionnaires, mais par leur Maître, leur inspirateur, le Christ, à savoir : il faut donner même ce que l'on n'a pas ! C'est une forme paradoxale qui dit bien ce qu'elle veut dire et que vous avez parfaitement comprise. C'est même un très beau précepte. Cela veut dire qu'il ne faut pas mesurer son effort lorsqu'il y a des gens en perdition. C'est ce que je pense.
- Il reste bien entendu à créer un courant international, conforme aux voeux que vous exprimez.\
QUESTION.- Monsieur le Président, c'était le premier Sommet du Président Bush. Est-ce qu'au changement d'homme a correspondu, à votre avis, un changement politique ?
- LE PRESIDENT.- Je ne vais pas me livrer à des comparaisons extrêmement délicates et je ne veux pas embarrasser ceux dont nous parlons.
- Un changement d'homme, c'est forcément un changement d'approche même si ce n'est pas forcément un changement de politique. Si les démocraties ont prévu un terme à tous les mandats, au contraire des monarchies, c'est bien parce qu'il est bon de changer !
- Donc, je ne me situerai pas par comparaison avec M. Reagan que j'ai rencontré huit fois, c'est-à-dire pendant huit ans (il s'agissait pour moi à l'Arche du neuvième Sommet).
- Je dirai que M. Bush montre beaucoup d'ouverture d'esprit, beaucoup d'affabilité dans ses relations personnelles, un désir de réussir une bonne entente entre les pays ici réunis. Cette ouverture d'esprit de M. Bush qui connaît bien les problèmes de l'Europe et les problèmes du monde en raison de ses états de service antérieurs, me paraît de très bon augure.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous considérez maintenant que le cadre des Sommets, tel qu'il est, est totalement satisfaisant ? Convient-il de l'élargir ? Et si oui, dans quel sens ?
- LE PRESIDENT.- On peut toujours améliorer. Même si cela ne vous est pas apparu - à cause d'une part, du Bicentenaire, et d'autre part, à cause des lieux dans lesquels s'est déroulé le Sommet, la Pyramide du Louvre et l'Arche monuments nouveaux et qui donc attirent la curiosité - à l'intérieur de ces grands bâtiments, les conditions d'intimité, de tranquilité et de sérénité ont été réunies. On a bien travaillé entre nous, sans jamais être dérangés. Cela n'a pas toujours été le cas dans le passé.
- Donc, de ce point de vue, je suis très satisfait de la tournure prise par ces sommets. M. Giscard d'Estaing avait précisément pris l'initiative en 1975, afin que les responsables du monde se réunissent et se connaissent mieux. Et puis, peu à peu, la présence de la presse, de plus en plus massive - cette fois-ci plus de 6000 journalistes - l'effet médiatique, l'intérêt, les discussions passionnées ont fait qu'il était devenu difficile de préserver cette intimité et cette relation directe entre les personnes. Mais le tir a été suffisamment corrigé, depuis quelques années déjà pour que l'on puisse juger de façon parfaitement acceptable la manière dont cela se déroule maintenant.
- Il y a quelquefois une tentation de se mêler de tout ou de décider pour tous. Mais nous avons réussi à la surmonter et vous remarquerez que chaque fois qu'il s'agit d'initiatives nouvelles, il est écrit : "les pays réunis au Sommet, et tous autres pays intéressés, sont appelés à.." C'est-à-dire qu'il y a une ouverture des membres du Sommet sur les pays absents que l'on espère présents, sinon dans les Sommets, du moins dans la mise en oeuvre de politiques nouvelles, sur lesquelles ils auraient le même droit d'évocation et d'initiative que nous. C'est vrai en particulier de l'environnement.\
QUESTION.- La lettre que vous a adressé M. Gorbatchev montre assez qu'il souhaiterait être associé au réglement des grandes affaires du monde. Est-ce qu'il vous paraît concevable qu'il puisse participer un jour à un Sommet tel que celui qui vient de s'achever ici à l'Arche ?
- LE PRESIDENT.- L'Union soviétique est un très grand pays qui joue un rôle considérable dans le monde. Il est l'une des deux plus grandes puissances militaires de la planète. Donc son rôle est éminent. Les pays qui se rassemblent au sein du Sommet des Sept sont des pays dont la définition de base est la démocratie, assortie d'institutions adéquates, d'institutions démocratiques. L'un de ces pays deviendrait par malheur - c'est tout à fait imprévu - un pays qui s'éloignerait de la démocratie, il n'aurait plus sa place dans ces Sommets.
- Certains pays évoluent vers la démocratie mais n'ont pas encore défini des règles d'existence démocratiques chez eux au même point que celui où nous sommes parvenus au travers d'institutions et de pratiques. Car il n'y a pas que les institutions, il n'y a pas que ce qu'on écrit, il y a ce qu'on fait. Quel que soit l'intérêt remarquable que j'attache à l'évolution de l'Union soviétique, sur le plan de l'éthique politique nous n'en sommes pas au même point.
- Je parle de l'URSS comme d'autres pays qui devraient connaître une évolution, un progrès économique, et un progrès démocratique suffisants pour que ces perspectives deviennent possibles.
- Une observation de pure pratique : ces pays étaient cinq. Ils sont maintenant sept. Un trop grand nombre rendrait plus difficiles les échanges de vues. Mais en soi il n'y a pas d'obstacles absolus à la perspective que vous venez de préciser.\