14 juin 1989 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au journal "Tygodnik Powszechny" du 14 juin 1989, sur l'ouverture de l'Europe de l'Est et les relations franco-polonaises, économiques et culturelles.
QUESTION.- Monsieur le Président, vous vous rendez en Pologne, le pays qui se trouvait placé dans l'autre Europe. Il y a quelques années vous avez exprimé l'idée de réviser l'ordre né de Yalta. Depuis, l'évolution de la situation a fait que la Pologne et la Hongrie ont été admises comme invités spéciaux au Conseil de l'Europe. Pensez-vous qu'il existe une chance pour la Pologne de faire partie de la Communauté européenne à laquelle elle se sent appartenir culturellement et spirituellement ?
- LE PRESIDENT.- La Pologne a de plein droit sa place en Europe. ELle en constitue l'une des plus anciennes et plus glorieuses nations. L'Europe que je souhaite est une communauté de valeurs, de cultures, de modes de vie, assurant aux peuples la liberté et la paix entre les Etats.
- L'histoire récente a voulu que notre continent fût divisé. J'ai souvent dit, en effet, que je ne me résignais pas à cet état de fait, né d'un conflit mondial, maintenu par la force des idéologies et des systèmes en place.
- La Pologne s'est engagée sur la voie du pluralisme politique. Avec les accords de la Table ronde et les élections elle a remporté une formidable victoire sur elle-même. C'est un acte de courage et de raison auquel je rends hommage et qui honore tous ceux qui l'ont rendu possible. C'est une espérance pour l'Europe entière.\
QUESTION.- Vous avez dit, monsieur le Président, que l'unité de l'Europe est le problème le plus important de notre temps. Pendant des siècles cette unité s'est construite sur la chrétienté. Aujourd'hui nous observons d'une part une laïcisation progressive de la société, de l'autre, un afflux d'immigrés apportant avec eux d'autres traditions culturelles et spirituelles en Europe. Par conséquent, sur quelles valeurs peut se bâtir la nouvelle unité de l'Europe ? (La réussite économique n'étant pas le seul critère d'unité).
- LE PRESIDENT.- Ce qui risque de miner l'identité européenne, ce n'est pas l'apport d'éléments extérieurs qu'elle a toujours su intégrer. Ce serait plutôt son incapacité à se vouloir unie et à rester le modèle attractif qu'elle est aux yeux du monde. Elle doit préserver ses valeurs culturelles et spirituelles dans la liberté de conscience. Là est son véritable ciment.
- La Communauté des Douze n'a rien d'un repli frileux des pays occidentaux sur eux-mêmes. Elle est notre contribution à l'Europe de demain. Elle dessine de nouvelles solidarités, reposant sur des accords librement consentis entre des Nations égales en droits et en devoirs.
- Ne croyez pas que nous cherchions à abolir les frontières entre les Douze pour en ériger de plus étanches avec l'autre Europe. Ce serait une erreur historique peut-être pire que Yalta de concevoir un développement séparé de la partie occidentale de l'Europe en perdant de vue son autre et indissociable moitié.
- C'est pourquoi je me réjouis de la floraison des accords de toute nature entre la CEE et les pays du CAEM, dans le cadre de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe ou encore sous l'égide du Conseil de l'Europe. La vraie raison d'être de ces institutions est de tisser patiemment la trame de l'Europe future et de nous réhabituer à vivre ensemble.\
QUESTION.- Votre engagement en faveur des droits de l'homme est universellement connu et apprécié. Devant nos yeux surviennent des changements amenant la démocratisation de divers pays d'Europe et du monde. Pensez-vous que ce processus soit appelé à durer ? Ne faudrait-il pas créer des institutions qui garantissent les acquis démocratiques ? Vous avez dit, monsieur le Président, que la non-ingérence doit s'arrêter là où la non-assistance commence...
- LE PRESIDENT.- Les temps sont mûrs pour que le thème des droits de l'homme cesse d'être une machine de guerre entre l'Est et l'Ouest pour devenir l'une des pierres de touche de leur rapprochement. Des progrès significatifs ont été accomplis à l'Est. Sont-ils irréversibles ? C'est d'abord à chaque pays, à ses dirigeants, à sa population qu'appartient la réponse.
- Notre responsabilité n'est pas de distribuer les bons ou les mauvais points ni de faire la leçon à personne, mais d'encourager le mouvement en cours. D'abord, en menant un dialogue ouvert et constructif comme c'est le cas, actuellement, dans le cadre de la Conférence de Paris sur la Dimension humaine. Ensuite, en ne perdant pas de vue qu'au delà des garanties juridiques nécessaires, c'est le progrès économique et social qui constitue l'un des plus sûrs moyens d'assurer l'épanouissement des droits de l'homme.\
QUESTION.- M. Gorbatchev parle, lui aussi, de "maison commune européenne". Pensez-vous, monsieur le Président, que sous le même terme il envisage la même réalité que nous ?
- Récemment un politologue français a exprimé la crainte que le désarmement précipité de l'Europe - notamment la "troisième option zéro" - ne comporte le danger de perte d'indépendance £ la clef de la "maison commune européenne" se trouvant hors d'Europe occidentale ?
- LE PRESIDENT.- A chacun ses formules, à chacun aussi ses visées propres. Je trouve en tout état de cause, que le discours des dirigeants de l'Union soviétique en ce qui concerne le continent européen, parle d'unité et non de division, d'avenir commun et non de séparation renforcée. Je crois encore plus utile de travailler au rapprochement des pays européens sur des terrains concrets, ceux du développement des échanges, de l'entraide économique, de la circulation des personnes, de la diffusion des idées et des images.
- Un autre terrain d'action est celui du désarmement. Je me réjouis qu'aient enfin commencé à Vienne, après tant d'années où les conversations tournaient à vide et les usines à plein, des négociations importantes sur la réduction des arsenaux conventionnels en Europe. C'est dans ce domaine du désarmement classique que doivent être concentrés les efforts, afin de mettre un terme aux déséquilibres dangereux, et au surarmement en tant qu'instrument d'intimidation dans les relations entre Etats d'Europe. L'objectif est d'atteindre un équilibre à plus bas niveau, et de pouvoir en vérifier l'instauration, puis le maintien.
- Rechercher, par le désarmement conventionnel, une plus grande sécurité, est un des volets de la politique de défense indépendante que mène la France. Comme vous le savez, elle dispose d'une stratégie autonome de dissuasion nucléaire, et elle est membre de l'Alliance atlantique, qui, tout récemment, à Bruxelles, a montré à la fois son unité et sa détermination à aller dans le sens de la paix. Tout ceci reste inchangé.\
QUESTION.- Vous avez dit récemment que la France pourrait se faire l'avocat de la Pologne auprès de ses créanciers ? Par quels moyens la France saurait-elle venir en aide à l'économie polonaise ? Le fossé économique et technologique ne risque-t-il pas de rendre impossible à la longue des relations de partenaires entre les deux Europe ?
- LE PRESIDENT.- La France a toujours été l'avocat de la Pologne dans le cadre des négociations qui se sont tenues, à quatre reprises, pour rééchelonner les dettes de votre pays. Nous continuerons de soutenir activement, notamment dans le cadre des négociations qui sont actuellement engagées avec le Fonds monétaire international, le point de vue selon lequel le problème de la dette polonaise doit être réglé en tenant compte de la situation économique et des possibilités effectives de paiement de votre pays.
- J'estime de plus que la Pologne doit pouvoir bénéficier des mécanismes de réduction de la dette bancaire pouvant résulter de l'initiative que j'ai lancée en septembre dernier à l'ONU, dont la mise au point progresse en coopération avec nos principaux partenaires des pays industrialisés, en particulier le Japon et les Etats-Unis.
- Le deuxième aspect de votre question concerne la coopération économique franco-polonaise. Nos entreprises sont déjà présentes en Pologne, des projets sont envisagés qui ne concernent pas uniquement les échanges de biens et services, mais aussi de véritables investissements. Mais notre place dans l'économie polonaise n'est plus comparable à celle que nous avons eue dans le passé.
- Mon voyage, durant lequel je serai accompagné de plusieurs ministres et d'industriels français sera justement l'occasion de donner un nouveau départ à notre coopération.\
QUESTION.- L'immense intérêt que les Polonais portent à la culture et à la langue française a besoin de l'appui d'institutions concrètes. Dans la situation actuelle ce sont les Instituts Culturels Français en Pologne et Radio-France Internationale qui remplissent ce rôle.
- Existe-t-il la possibilité de créer de nouveaux Instituts et de donner à RFI les moyens de concurrencer ses puissants rivaux tels que la BBC ?
- LE PRESIDENT.- La France se doit d'adapter son dispositif culturel à l'attente de la population polonaise, de sa jeunesse en particulier et à la richesse de nos traditions. Nous avons le projet de développer nos deux Instituts culturels à Varsovie et à Cracovie. Je souhaite vivement que les autorités polonaises y répondent favorablement.
- Quant à Radio France Internationale, vous savez qu'elle diffuse déjà deux heures par jour en polonais. Là encore, mon souhait est que nous fassions mieux. C'est pourquoi la Pologne figure parmi les pays prioritaires pour l'amélioration des conditions techniques de réception de ces émissions.
- Tout ceci s'ajoute à une palette d'actions en faveur du livre, des échanges inter-universitaires qui correspondent à une vraie demande, à une vraie curiosité de part et d'autre.\
- LE PRESIDENT.- La Pologne a de plein droit sa place en Europe. ELle en constitue l'une des plus anciennes et plus glorieuses nations. L'Europe que je souhaite est une communauté de valeurs, de cultures, de modes de vie, assurant aux peuples la liberté et la paix entre les Etats.
- L'histoire récente a voulu que notre continent fût divisé. J'ai souvent dit, en effet, que je ne me résignais pas à cet état de fait, né d'un conflit mondial, maintenu par la force des idéologies et des systèmes en place.
- La Pologne s'est engagée sur la voie du pluralisme politique. Avec les accords de la Table ronde et les élections elle a remporté une formidable victoire sur elle-même. C'est un acte de courage et de raison auquel je rends hommage et qui honore tous ceux qui l'ont rendu possible. C'est une espérance pour l'Europe entière.\
QUESTION.- Vous avez dit, monsieur le Président, que l'unité de l'Europe est le problème le plus important de notre temps. Pendant des siècles cette unité s'est construite sur la chrétienté. Aujourd'hui nous observons d'une part une laïcisation progressive de la société, de l'autre, un afflux d'immigrés apportant avec eux d'autres traditions culturelles et spirituelles en Europe. Par conséquent, sur quelles valeurs peut se bâtir la nouvelle unité de l'Europe ? (La réussite économique n'étant pas le seul critère d'unité).
- LE PRESIDENT.- Ce qui risque de miner l'identité européenne, ce n'est pas l'apport d'éléments extérieurs qu'elle a toujours su intégrer. Ce serait plutôt son incapacité à se vouloir unie et à rester le modèle attractif qu'elle est aux yeux du monde. Elle doit préserver ses valeurs culturelles et spirituelles dans la liberté de conscience. Là est son véritable ciment.
- La Communauté des Douze n'a rien d'un repli frileux des pays occidentaux sur eux-mêmes. Elle est notre contribution à l'Europe de demain. Elle dessine de nouvelles solidarités, reposant sur des accords librement consentis entre des Nations égales en droits et en devoirs.
- Ne croyez pas que nous cherchions à abolir les frontières entre les Douze pour en ériger de plus étanches avec l'autre Europe. Ce serait une erreur historique peut-être pire que Yalta de concevoir un développement séparé de la partie occidentale de l'Europe en perdant de vue son autre et indissociable moitié.
- C'est pourquoi je me réjouis de la floraison des accords de toute nature entre la CEE et les pays du CAEM, dans le cadre de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe ou encore sous l'égide du Conseil de l'Europe. La vraie raison d'être de ces institutions est de tisser patiemment la trame de l'Europe future et de nous réhabituer à vivre ensemble.\
QUESTION.- Votre engagement en faveur des droits de l'homme est universellement connu et apprécié. Devant nos yeux surviennent des changements amenant la démocratisation de divers pays d'Europe et du monde. Pensez-vous que ce processus soit appelé à durer ? Ne faudrait-il pas créer des institutions qui garantissent les acquis démocratiques ? Vous avez dit, monsieur le Président, que la non-ingérence doit s'arrêter là où la non-assistance commence...
- LE PRESIDENT.- Les temps sont mûrs pour que le thème des droits de l'homme cesse d'être une machine de guerre entre l'Est et l'Ouest pour devenir l'une des pierres de touche de leur rapprochement. Des progrès significatifs ont été accomplis à l'Est. Sont-ils irréversibles ? C'est d'abord à chaque pays, à ses dirigeants, à sa population qu'appartient la réponse.
- Notre responsabilité n'est pas de distribuer les bons ou les mauvais points ni de faire la leçon à personne, mais d'encourager le mouvement en cours. D'abord, en menant un dialogue ouvert et constructif comme c'est le cas, actuellement, dans le cadre de la Conférence de Paris sur la Dimension humaine. Ensuite, en ne perdant pas de vue qu'au delà des garanties juridiques nécessaires, c'est le progrès économique et social qui constitue l'un des plus sûrs moyens d'assurer l'épanouissement des droits de l'homme.\
QUESTION.- M. Gorbatchev parle, lui aussi, de "maison commune européenne". Pensez-vous, monsieur le Président, que sous le même terme il envisage la même réalité que nous ?
- Récemment un politologue français a exprimé la crainte que le désarmement précipité de l'Europe - notamment la "troisième option zéro" - ne comporte le danger de perte d'indépendance £ la clef de la "maison commune européenne" se trouvant hors d'Europe occidentale ?
- LE PRESIDENT.- A chacun ses formules, à chacun aussi ses visées propres. Je trouve en tout état de cause, que le discours des dirigeants de l'Union soviétique en ce qui concerne le continent européen, parle d'unité et non de division, d'avenir commun et non de séparation renforcée. Je crois encore plus utile de travailler au rapprochement des pays européens sur des terrains concrets, ceux du développement des échanges, de l'entraide économique, de la circulation des personnes, de la diffusion des idées et des images.
- Un autre terrain d'action est celui du désarmement. Je me réjouis qu'aient enfin commencé à Vienne, après tant d'années où les conversations tournaient à vide et les usines à plein, des négociations importantes sur la réduction des arsenaux conventionnels en Europe. C'est dans ce domaine du désarmement classique que doivent être concentrés les efforts, afin de mettre un terme aux déséquilibres dangereux, et au surarmement en tant qu'instrument d'intimidation dans les relations entre Etats d'Europe. L'objectif est d'atteindre un équilibre à plus bas niveau, et de pouvoir en vérifier l'instauration, puis le maintien.
- Rechercher, par le désarmement conventionnel, une plus grande sécurité, est un des volets de la politique de défense indépendante que mène la France. Comme vous le savez, elle dispose d'une stratégie autonome de dissuasion nucléaire, et elle est membre de l'Alliance atlantique, qui, tout récemment, à Bruxelles, a montré à la fois son unité et sa détermination à aller dans le sens de la paix. Tout ceci reste inchangé.\
QUESTION.- Vous avez dit récemment que la France pourrait se faire l'avocat de la Pologne auprès de ses créanciers ? Par quels moyens la France saurait-elle venir en aide à l'économie polonaise ? Le fossé économique et technologique ne risque-t-il pas de rendre impossible à la longue des relations de partenaires entre les deux Europe ?
- LE PRESIDENT.- La France a toujours été l'avocat de la Pologne dans le cadre des négociations qui se sont tenues, à quatre reprises, pour rééchelonner les dettes de votre pays. Nous continuerons de soutenir activement, notamment dans le cadre des négociations qui sont actuellement engagées avec le Fonds monétaire international, le point de vue selon lequel le problème de la dette polonaise doit être réglé en tenant compte de la situation économique et des possibilités effectives de paiement de votre pays.
- J'estime de plus que la Pologne doit pouvoir bénéficier des mécanismes de réduction de la dette bancaire pouvant résulter de l'initiative que j'ai lancée en septembre dernier à l'ONU, dont la mise au point progresse en coopération avec nos principaux partenaires des pays industrialisés, en particulier le Japon et les Etats-Unis.
- Le deuxième aspect de votre question concerne la coopération économique franco-polonaise. Nos entreprises sont déjà présentes en Pologne, des projets sont envisagés qui ne concernent pas uniquement les échanges de biens et services, mais aussi de véritables investissements. Mais notre place dans l'économie polonaise n'est plus comparable à celle que nous avons eue dans le passé.
- Mon voyage, durant lequel je serai accompagné de plusieurs ministres et d'industriels français sera justement l'occasion de donner un nouveau départ à notre coopération.\
QUESTION.- L'immense intérêt que les Polonais portent à la culture et à la langue française a besoin de l'appui d'institutions concrètes. Dans la situation actuelle ce sont les Instituts Culturels Français en Pologne et Radio-France Internationale qui remplissent ce rôle.
- Existe-t-il la possibilité de créer de nouveaux Instituts et de donner à RFI les moyens de concurrencer ses puissants rivaux tels que la BBC ?
- LE PRESIDENT.- La France se doit d'adapter son dispositif culturel à l'attente de la population polonaise, de sa jeunesse en particulier et à la richesse de nos traditions. Nous avons le projet de développer nos deux Instituts culturels à Varsovie et à Cracovie. Je souhaite vivement que les autorités polonaises y répondent favorablement.
- Quant à Radio France Internationale, vous savez qu'elle diffuse déjà deux heures par jour en polonais. Là encore, mon souhait est que nous fassions mieux. C'est pourquoi la Pologne figure parmi les pays prioritaires pour l'amélioration des conditions techniques de réception de ces émissions.
- Tout ceci s'ajoute à une palette d'actions en faveur du livre, des échanges inter-universitaires qui correspondent à une vraie demande, à une vraie curiosité de part et d'autre.\