15 décembre 1988 - Seul le prononcé fait foi
Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la nécessité de l'aide au développement du continent africain, les propositions françaises et le règlement des différents conflits en Afrique, Casablanca le 15 décembre 1988.
Majesté,
- Messieurs les Présidents,
- Mesdames et messieurs,
- A l'ouverture de cette XVème conférence des chefs d'Etat d'Afrique et de France, mes premiers mots seront pour remercier Sa Majesté le Roi du Maroc, le peuple marocain, les habitants de Casablanca pour leur belle hospitalité.
- Et je suis certain d'être l'interprète de tous en vous exprimant, Majesté, nos sentiments de gratitude et la satisfaction que nous avons d'être dans cette ville.
- C'est la première fois que nous nous réunissons dans cette partie de l'Afrique, ce Maghreb qui se construit et dont les liens avec l'Afrique - au sud du Sahara - comme avec l'Europe, sont chaque jour plus étroits et plus fermes. Nos rencontres annuelles ont fait la preuve de leur utilité, de leur valeur : non seulement pour les relations entre vos pays et la France mais aussi pour une meilleure compréhension entre les peuples d'Afrique. C'est pourquoi il nous faut analyser avec lucidité la situation de votre continent, et au-delà, de ce qu'on appelle le tiers monde.
- Je n'admets pas comme inéluctable, et vous ne l'admettez pas non plus, l'aggravation des conditions de vie des deux tiers de l'humanité, ni le décalage croissant entre le développement des pays dits du Nord et ceux du Sud.
- Depuis bientôt huit ans, je répète dans toutes les enceintes nationales et internationales où il m'est donné d'affirmer les positions de la France, que la solidarité entre les uns et les autres, sous toutes les formes possibles, n'est pas seulement un devoir mais aussi qu'il y va de l'intérêt bien compris de tous les partenaires. Produire, échanger, consommer, chacun faisant valoir à leur juste prix ses biens et son travail, chacun apportant les fruits de son intelligence, de son imagination, les richesses de sa culture, cinq milliards d'êtres humains prenant pleinement leur part au développement planétaire, qui ne voit le formidable progrès qui en résulterait pour tous ?
- Mais j'observe en même temps l'accumulation des déséquilibres et la stagnation, quand ce n'est pas la régression, des flux de ressources internationales qui vont vers le Sud. Et je pressens là, ainsi que je le déclarais il y a peu à la tribune des Nations unies, la cause la plus pernicieuse d'un déséquilibre qui précipitera, s'il dure, le monde vers un désordre sans limite. Le plus haut degré d'urgence s'attache à conjurer ce malheur. Or, que constatons-nous en Afrique ? Depuis 1980 en Afrique subsaharienne, le revenu par habitant a baissé de 25 % en termes réels, les investissements et les importations ont été réduits de moitié, les recettes d'exportation sont passées de 49 milliards de dollars en 1979-81 à 35 milliards en 1986-87.
- Alors que votre continent est celui qui dépend le plus de l'exportation des produits de base, sa part, dans le commerce mondial, a reculé de 9 % en 1967 à moins de 5 % en 1986.
- Conséquence inéluctable de cet affaiblissement sur le marché international, la situation financière de l'Afrique est devenue le plus souvent dramatique. L'encours de la dette atteint aujourd'hui un poids insupportable : 200 milliards de dollars pour l'ensemble du continent, plus de 140 milliards de dollars pour la région subsaharienne. Et toujours de 1981 à 1987, le service effectif de la dette africaine a doublé en valeur et son pourcentage par rapport aux recettes d'exportation a triplé.\
Comment être plus net que le secrétaire général des Nations unies, dans un rapport récent, à mi-parcours de l'exécution du programme spécial des Nations unies : "la situation économique de l'Afrique connaît une détérioration continue et les pays de ce continent ne pourront continuer indéfiniment leurs efforts impressionnants s'ils sont confrontés à des situations extérieures défavorables et s'ils ne bénéficient pas d'un soutien accru de la communauté internationale".
- Alors, il nous reste à examiner de quelle façon on peut combattre cette évolution. Qu'est-ce que chacun d'entre nous peut faire ? Et je parlerai bien entendu pour mon pays ! Eh bien, je pense que nous avons besoin d'un environnement économique qui mette un terme aux obstacles de tous ordres qui s'opposent au développement des pays du Sud, qui contrarient la lutte contre la pauvreté £ je m'en expliquerai dans un moment £ nous avons besoin d'un système monétaire plus stable, de relations commerciales plus harmonieuses, qui reposent aussi sur une appréciation plus exacte de l'apport des matières premières que possède l'Afrique et que les pays industriels utilisent. Nous avons besoin de mécanismes de résorption de la dette lorsque celle-ci est telle qu'elle interdit aux peuples d'espérer, lorsqu'elle brise les énergies créatrices, lorsqu'elle ruine les efforts accomplis £ et nous avons enfin besoin d'un renforcement très important des flux financiers, publics et privés, bilatéraux ou multilatéraux, vers les pays en développement.
- Bref, nous avons besoin d'en finir avec un système qui a transposé les anciennes formes de domination coloniale dans la pratique économique et financière des grandes compagnies, sous un discours humanitaire qui dissimule trop souvent la simple loi des rapports de force.
- Les richesses de l'Afrique, ses matières premières sont évaluées unilatéralement par ceux qui les achètent, qui jouent en plus de la valeur des monnaies pour en réduire encore le prix, et je comprends la révolte de ceux dont les dettes s'accroissent d'elles-mêmes plus vite qu'ils ne les remboursent.\
Eh bien, j'entends que la France agisse avec détermination sur chacun de ces fronts. Et je pense, en premier lieu, aux échanges. J'observe que deux négociations internationales sont en cours aujourd'hui qui auront une influence, je l'espère, significative sur vos exportations. La Communauté européenne a, dès l'origine, insisté sur la prise en compte de vos intérêts dans les négociations commerciales multilatérales, celles que l'on appelle l'Uruguay Round, les négociations du GATT, qui viennent de faire l'objet d'un examen à Montréal. La France a plaidé pour que vos besoins soient véritablement reconnus et je ne cesse de rappeler à cet égard la nécessité d'un traitement spécial et différencié pour les pays en voie de développement et la priorité qu'il convient d'accorder à la libération des produits tropicaux.
- La deuxième négociation en cours concerne la convention de Lomé. Nous devons ensemble saisir l'occasion de cette renégociation pour renforcer et améliorer notre coopération. Je pense en particulier aux mécanismes de stabilisation des recettes d'exportation Stabex et Sysmin dont nous connaissons les imperfections : insuffisance de ressources face à l'ampleur de la chute des prix des matières premières, trop grande rigidité des règles de calcul, des pertes de recette. Malgré tout et malgré leurs défauts, ces deux systèmes Stabex et Sysmin, continuent aujourd'hui d'être les seuls instruments de ce type qui fonctionnent dans le monde. Aussi peut-on les améliorer mais faut-il les préserver tout en les adaptant ?
- Ce n'est qu'en agissant à la racine, sur les mécanismes de fixation des prix des matières premières et des monnaies, en comprenant qu'il est de l'intérêt des pays riches de faire de l'Afrique, indépendamment de l'effort des peuples africains, un grand partenaire économique, solvable, ce n'est que comme cela qu'on règlera les immenses difficultés de l'heure, et je dois dire que mon pays s'y emploie depuis des années et continuera de s'y employer.
- Pour ce qui touche à la dette, j'ai proposé cette année vous le savez, à Toronto, aux grands pays industrialisés qui s'étaient réunis, d'assouplir sensiblement les conditions de remboursement pour les pays les plus pauvres. L'accord qui est intervenu à Toronto, entre les sept Etats les plus industrialisés, a été rapidement élargi à l'ensemble des pays du club de Paris. De sorte que les premières applications concrètes ont déjà eu lieu. La France, quant à elle, a choisi la formule la plus favorable, celle qui consiste à annuler le tiers des échéances sur ses créances publiques, discutées au club de Paris. J'ai bien dit le tiers, quelles que soient les procédures choisies. Et la France respectera de toute façon, quelles que soient les positions des autres, cet engagement pour elle-même. Je répète donc qu'elle annulera effectivement le tiers des créances qu'elle détient sur les pays concernés.
- Plus récemment, en septembre dernier, j'ai proposé, au profit des pays débiteurs, qu'on appelle à "revenu intermédiaire" la création d'un fonds chargé de garantir le paiement des intérêts ou de toute autre forme de rémunération aux banques qui auraient accepté de convertir leurs créances commerciales en instruments financiers, dans des conditions permettant une réduction significative de l'encours de la dette. Les pays développés réserveraient au financement de ce fonds l'usage de leurs parts d'émission nouvelle de droits de tirage spéciaux. Bref, grâce à ce procédé, sans léser les intérêts des créanciers, ou au contraire en les servant, on ne contraindrait pas les pays débiteurs, écrasés par ce poids, d'accroître leur crise économique, avec les conséquences sociales ou politiques que cela comporte.\
On pensera que ces propositions restent insuffisantes. Et je comprends ces critiques ou ces observations. Simplement je dois vous faire observer que la France ne peut à elle seule assumer une charge qui revient à l'ensemble des pays plus riches que les autres. Il faut que ceux-là aussi s'associent à notre démarche. Et je comprends ces critiques car nombreux sont vos pays aux prises avec des difficultés considérables, qu'ils voudraient voir atténuer plus vite. Mais j'ai volontairement adopté une démarche progressive afin qu'elle puisse être acceptée par un maximum de partenaires et que ceux-ci s'engagent dans des voies, sinon les mêmes, du moins similaires, afin de permettre une amélioration durable.
- Rappellerai-je aussi avec quelle insistance, l'an dernier à Venise, la France a pressé ses partenaires industriels de respecter l'objectif fixé par les institutions internationales de 0,7 % du produit national brut comme pourcentage minimum d'aide publique des pays industriels avancés au développement.
- Mon pays consacrera l'an prochain 0,54 % de son produit national brut à cette aide. Ce n'est pas encore suffisant. Mais il se situe et de loin, au premier rang des grands pays industrialisés, dont certains traînent à 0,25 pour cent, de leur produit national brut. Et la France ne se considère pas comme quitte de ses devoirs. Tout particulièrement à l'égard de ses amis les Etats africains.
- Nous avons joué, nous Français, un rôle actif en faveur d'un renforcement des moyens des organismes multilatéraux d'aide au développement, d'une meilleure prise en compte des besoins de l'Afrique au sein de ces organismes. La France consacre plus des deux tiers de son aide bilatérale à cet objet, dont 60 % directement à la région subsaharienne. Et si certains pays procèdent parfois à des mesures spectaculaires, l'examen des chiffres montre bien ce qu'il en est dans la réalité. Lui-même affecté par les conséquences de la crise mondiale, mon pays continuera jusqu'aux limites de ses possibilités, à vous apporter son soutien entier et déterminé.
- Pourquoi ai-je rappelé ces faits sinon pour réaffirmer que j'entends que nous allions plus vite et plus loin et que nous ne nous déroberons pas à nos responsabilités.\
Chers amis, je sais que vos gouvernements ont fait beaucoup au cours de ces dernières années pour tenter de redresser leur économie. Il a été consenti cet effort, presque partout, avec courage et détermination.
- Quelles que soient les modalités retenues et en dépit de ces efforts, l'ajustement, ce fameux ajustement devenu le maître mot de la plupart des experts ne peut pas être séparé du développement. Les besoins sont immenses. Y répondre de façon satisfaisante est vital pour éviter une marginalisation de votre continent, marginalisation actuellement en cours.
- Ce danger existe, il est là, vous le vivez. Aussi, appelons à resserrer les rangs, révisons, quand il le faut, les comportements, remettons en cause les modèles passés, mais agissons de concert.
- Pourquoi l'Afrique ne serait-elle pas capable de conquérir sa juste place dans l'économie mondiale ? Mais comment assurer son avenir, si elle ne mobilise pas toutes ses ressources et toutes ses capacités, si elle ne libère pas suffisamment le dynamisme de sa jeunesse, de sa population ?
- Sur cette voie, les pays d'Afrique, leurs gouvernements, leurs peuples, nous trouverons à leurs côtés, demain comme aujourd'hui. J'ai confiance, j'ai foi dans votre capacité à maîtriser le destin.
- Voyez, il n'y a pas si longtemps, d'autres continents ou sous-continents ont semblé sans espoir et perdus, alors que leur décollage a été depuis lors, considérable. Il sert même parfois d'exemple que l'on nous offre.
- J'ai la conviction que le tour de l'Afrique avec son immense potentiel humain et naturel viendra, à la condition qu'elle sache trouver elle-même aussi le chemin d'une croissance continue et durable.\
Dans l'immédiat, je considère qu'il est temps de mobiliser toutes les ressources de l'intelligence pour lutter contre les drames que la nature impose à l'homme. Voilà un problème concret. J'ai eu l'occasion de le dire à New York, devant l'Assemblée générale des Nations unies. L'élan de solidarité qui s'est affirmé récemment devant des catastrophes comme celle d'Arménie, du Bangladesh, du Sud-Soudan, de Colombie, doit être complété par des actions structurelles qui conduisent à maîtriser pour longtemps les causes de ces drames.
- L'Afrique, par exemple, en de nombreuses parties de son sol, est menacée par le désert. C'est un sujet qui m'intéresse depuis de longues années. Rappelez-vous, certains d'entre vous, la sauvegarde d'abord puis l'expansion de la forêt. Et je souhaite que ce problème soit étudié de façon à décider quels grands travaux pourraient être lancés, si besoin est. Par exemple si les pays visés en sont d'accord, un observatoire du Sahara devrait être créé. Les conditions en sont remplies afin de suivre les évolutions climatiques, de coordonner les recherches, d'élaborer des schémas d'aménagement.
- De la même façon, un effort considérable doit être accompli, entrepris dans la lutte anti-acridienne par une coordination régulière au sein de la FAO et la mise à la disposition des pays victimes de moyens aériens adaptés dans le cadre de ce qu'on appelle les éco-forces. La France est déjà prête à prendre sa part de cet effort commun.
- Dans beaucoup de domaines, des réussites ont déjà été obtenues, en particulier par des chercheurs africains. Certains d'entre vous me disaient hier soir leur satisfaction devant la présence de jeunes gens de leur pays qui prennent part à des expériences les plus avancées de la haute technologique. Eh bien cette réussite-là il faut la mettre en valeur. Il n'est pas normal que de trop nombreux chercheurs africains ne puissent faire leur carrière sur leur propre continent, qu'ils puissent mettre leur intelligence au service des problèmes spécifiques de l'Afrique. Il ne faut pas qu'ils s'évadent uniquement vers l'extérieur, il faut aussi qu'ils reviennent. Et dans le cadre de la nouvelle convention de Lomé, je réfléchis actuellement à ce qui pourrait être tenté pour favoriser la promotion de la recherche en Afrique, et comme je le disais à l'instant, le retour des chercheurs africains dans leur pays.
- Il ne faut pas que votre continent soit un désert humain. Je le répète, c'est par le travail et par l'intelligence de vos frères que ce continent trouvera sa véritable espérance.
- Dois-je rappeler un projet franco-égyptien de création d'un institut de recherche contre les maladies du foie en Afrique et de lutte contre le cancer qui verra prochainement le jour. Le principe en a été arrêté, entre les ministres des affaires étrangères de nos deux pays. Il constitue, je crois, un bel exemple de coopération dans le domaine médical au profit de ce continent.\
Quant à la négociation qui commence et dont j'ai déjà parlé pour le renouvellement de la convention de Lomé qui lie les pays de l'Europe des Douze aux pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, elle doit être l'occasion de nouveaux progrès. J'y insiste. Et si j'ai évoqué tout à l'heure l'adaptation du Stabex et du Sysmin à l'ampleur de la crise du prix des matières premières, ce n'est pas par hasard. La future convention devra aussi jouer un rôle éminent dans la promotion de la recherche scientifique. Enfin, j'ajoute que d'autres moyens financiers devront y figurer, particulièrement des facilités communautaires d'ajustement structurel complétant les aides multilatérales ou bilatérales qui existent déjà.
- Je crois que l'on ne peut sous-estimer les virtualités qu'offre la naissance du marché unique européen, rassemblant pour 1993, 320 millions d'Européens. La Communauté des 320 millions d'Européens liés dans un pacte fondamental peut prendre une importance déterminante, sans être obligée de recourir à des tiers, pour reconnaître à l'Afrique le droit d'exploiter justement ses richesses humaines et matérielles avec le relais puissant de cette Europe en voie de création.\
Il est clair qu'il n'y aura pas de croissance, qu'il n'y aura pas de développement, et là j'aborde un autre sujet, tant que la paix et la stabilité n'auront pas été durablement établies.
- Comment croire en effet que les ressources nécessaires seront dégagées pour améliorer les conditions de vie des populations du continent, tant que des conflits armés ou des menaces extérieures mobiliseront des moyens financiers parfois considérables ?
- J'observe à cet égard, comme vous, une évolution récente qui donne quelque raison d'espérer que nous allons vers une diminution des tensions.
- C'est vrai que des perspectives nouvelles s'ouvrent pour la solution de différends anciens, par le retrait des forces en présence, par la consultation des populations plutôt que par l'usage des armes. Gardons-nous de considérer que les affrontements appartiennent au passé et que leurs causes profondes ont d'ores et déjà disparu. Mais il n'empêche que la situation évolue vers un apaisement progressif et que nous devons tous nous engager à soutenir et à encourager l'évolution qui va dans cette direction.
- Je dois dire que l'organisation des Nations unies mène à cet égard une action décisive, sous l'impulsion courageuse de son Secrétaire général M. Perez de Cuellar et que l'organisation de l'unité africaine joue un rôle décisif aussi dans la recherche de solutions aux conflits régionaux que connaît le continent.
- Eh bien, j'accueille avec espoir l'évolution constatée dans la recherche du règlement de quelques conflits qui affectent l'Afrique. Pour ce qui touche au Sahara occidental, qui a pesé si longtemps, qui continue de peser sur les relations entre les Etats du Maghreb, y a-t-il d'autre voie que celle du dialogue, sans cesse poursuivi, et du respect du droit de chacun de choisir son destin ? On s'oriente vers la consultation des populations, sous contrôle international. Il y a là une voie ouverte que la bonne volonté de ceux qui s'affrontaient devrait permettre désormais de dégager. Et puis on pense qu'au-delà, la naissance d'un grand Maghreb réconcilié oeuvrant de toutes ses forces à sa prospérité comme à la prospérité des autres, deviendra par la suite possible.\
Je pense aussi, comment ne le ferais-je pas, quand on a suivi tous les débats de ces années dernières, je pense aussi au Tchad, qui se reconstruit sur les décombres d'une guerre, que chacun paraît s'accorder à voir dépassée. Pouvions-nous imaginer, il y a seulement quelques mois, en tout cas, lorsque nous étions réunis à Lomé, que le Tchad et la Libye rétabliraient leurs relations diplomatiques ? C'est un grand succès pour le Président Hissène Habré, pour les soldats et le peuple tchadien qui ont reconquis par leur courage, leur ténacité et leur patriotisme, l'indépendance et l'unité de leur pays. C'est également le succès de l'Afrique et des chefs d'Etat - ici présents - et de quelques autres auxquels je rends hommage qui ont mis leur énergie et leur volonté au service d'un règlement pacifique.
- Et je me réjouis que la France, de son côté, ait pu concourir par ses hommes et par ses moyens à contenir l'agression, à restaurer l'Etat, à redresser l'économie. Chacun a fait son devoir et je forme des voeux pour que, désormais, la paix entre dans les esprits et dans les coeurs pour parachever l'entreprise.
- Enfin, une étape a été heureusement franchie, d'autres doivent suivre, les armes se sont tues, on va travailler à la suite, et quand je dis "on", je pense naturellement d'abord aux chefs des Etats souverains qui se trouvent directement en cause.
- Autre sujet de satisfaction, des signes sérieux d'un retour à la paix apparaissent dans l'Afrique australe. La Namibie est en passe d'accéder enfin à l'indépendance. Enfin ! Je souhaite que rien ne vienne y faire obstacle car les obstacles n'ont pas manqué jusqu'ici, y compris les plus inattendus. Je souhaite que l'Angola et la Namibie, pays souverains, pourront enfin consacrer à leurs populations les ressources que les conflits détournaient jusqu'à présent de cette fin. Et encore, il s'agit d'une victoire de l'Afrique. Là encore je salue la part de plusieurs d'entre vous. N'est-ce pas à Brazzaville qu'ont été négociés, que viennent de se conclure, il y a si peu, quelques heures, quelques jours, les accords porteurs d'un avenir de paix.
- Oh, certes, rien ne sera vraiment acquis tant que subsistera, à l'extrême sud du continent, le système d'apartheid, facteur d'injustices, de violence, d'aliénation des droits des millions d'êtres humains qui luttent afin que soit reconnue leur dignité d'hommes libres, je pense à Nelson Mandela qui a valeur de symbole et dont j'admire le courage, et à tous ceux qui ont accepté, qui acceptent tant de sacrifices par amour de la liberté. J'espère aussi que l'Afrique du Sud comprendra que tous ses fils, quelle que soit leur origine, ont un droit égal à vivre sur son sol, dans le respect mutuel de leurs droits légitimes.\
J'ai déjà eu l'occasion de dire ce que je pensais des décisions prises à Alger, nous voici toujours en Afrique, puis à Genève, on s'en éloigne un peu, par les dirigeants palestiniens. Nous sommes aux franges de l'Asie, mais cela nous touche tous car il est très important que l'OLP ait proclamé la création d'un Etat palestinien, qu'elle ait adhéré aux résolutions 181, 242, 338 des Nations unies, qu'elle ait admis le droit d'exister d'Israël, qu'elle ait condamné le terrorisme. Ainsi a-t-elle, à mes yeux, acquis la représentativité que certains lui déniaient et que la France lui reconnaît. Ainsi les conditions paraissent-elles remplies pour que puisse se tenir la conférence internationale que j'appelle de mes voeux depuis plusieurs années. Et j'enregistre comme un réel progrès la décision très récente des Etats-Unis d'Amérique au vu des décisions courageuses, il faut le dire, prises par le principal dirigeant de l'OLP, M. Yasser Arafat. La France est l'amie des peuples arabes. Elle entretient des relations également confiantes et cordiales avec l'Etat d'Israël £ il n'y a pas de contradictions dans notre démarche, nous cherchons la concorde, l'équilibre et le salut de chacun dans des frontières reconnues, garanties afin que la paix soit la garantie suprême pour chacun et pour tous. Elle ne choisit pas un camp, la France, elle entend préserver sa capacité d'intervenir, ici et là, pour donner les avis que sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité lui permet de transformer en acte et elle en tirera les conséquences pour elle-même, selon les termes qu'elle définira.\
Enfin, au terme d'une année comme toutes les autres, riche d'événements internationaux, les uns heureux, les autres moins, que retiendrons-nous ? Mettrons-nous l'accent sur les préoccupations devant la persistance des difficultés économiques, serons-nous plus sensibles aux espoirs de paix et de stabilité dont nous voyons les signes avant-coureurs ?
- Eh bien, je le redis avant de conclure, la paix et la stabilité en Afrique sont nécessaires pour qu'elle mobilise les forces dans le combat pour l'amélioration des conditions de vie de ses peuples, pour reprendre le chemin du progrès, de la croissance pour que la population participe chaque jour davantage à la vie publique et que s'instaure la pratique quotidienne de la démocratie à tous les niveaux des Etats, pour que le respect des droits de l'homme auxquels j'en appelle partout ou je me rends, serve de plus en plus de référence suprême et intangible à l'organisation de nos sociétés, aux relations de l'Etat et des individus. Cette règle universelle ne peut souffrir d'exception. Elle doit être présente à nos esprits en cet instant solennel comme en toute circonstance.
- Mesdames, messieurs, chers amis, contribuons tous, dans la mesure de nos moyens et de notre influence à cette oeuvre. Oeuvre de paix, prologue indispensable à la bataille du développement.
- Bon nombre d'entre nous, à l'invitation du Président Abdou Diouf, se retrouveront avec d'autres, venus d'autres continents, dans six mois à Dakar, pour le Sommet des pays ayant en commun l'usage de la langue française. Comment ne saluerai-je pas, ici même, tous ceux qui, parlant d'autres langues, participent à part entière à nos assises, et enrichissent de leurs cultures diverses nos débats et notre réflexion. Et comment ne dirai-je pas aux francophones l'affection et les liens particuliers qui nous unissent. Qui parle la même langue a déjà franchi de longues distances dans la compréhension humaine. Songez-y !
- Les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont peut-être plus rudes mais ils sont aussi ceux de l'humanité tout entière.
- Voulez-vous que je vous cite les menaces qui pèsent sur l'environnement ? Celles que fait planer sur notre patrimoine génétique une maîtrise insuffisante des applications de la science, les risques de banalisation et de prolifération des armes nucléaires ou chimiques ? Pour n'évoquer que ces dangers-là. Cela impose une conscience, une action solidaires. Nous sommes tous en première ligne dans le combat quotidien pour épargner à nos peuples les chemins de la détresse, de la peur ou plus simplement et c'est aussi grave de la désillusion.
- Rarement autant de conditions favorables n'auront été réunies pour le développement. Voyons, je cite, j'énumère, simplement j'énumère, et chaque point mériterait un long, une longue étude et bien d'autres discours. Le renouveau du dialogue est-ouest, les perspectives du désarmement et plus que les perspectives, le début déjà enregistré, la fin ou l'atténuation des conflits régionaux, ce qui permettra une réduction sensible des dépenses militaires. Et si en plus - et c'est notre combat, inlassable, dont nous allons nous entretenir pendant ces deux journées - si en plus la raison l'emportait dans la gestion des échanges, des monnaies, je vous le dis la prospérité de tous, au nord comme au sud, à l'est comme à l'ouest, la prospérité serait à notre portée. C'est en tout cas chers amis, messieurs les Présidents, mesdames et messieurs, ce à quoi je vous invite, au moment où s'achève mon année de présidence. Mais il me reste à dire mes voeux pour celle qui commence et qu'assume désormais le Roi du Maroc, auquel nous devons déjà cet accueil, et dont nous connaissons les mérites. Il me sera d'autant plus facile de terminer en disant ces mots qui ne sont pas que rituels, qui expriment ma pensée, comme ils expriment mes sentiments : Merci au Maroc, notre hôte et notre ami, et vive l'Afrique, vive l'amitié des peuples d'Afrique et de France, merci à tous !\
- Messieurs les Présidents,
- Mesdames et messieurs,
- A l'ouverture de cette XVème conférence des chefs d'Etat d'Afrique et de France, mes premiers mots seront pour remercier Sa Majesté le Roi du Maroc, le peuple marocain, les habitants de Casablanca pour leur belle hospitalité.
- Et je suis certain d'être l'interprète de tous en vous exprimant, Majesté, nos sentiments de gratitude et la satisfaction que nous avons d'être dans cette ville.
- C'est la première fois que nous nous réunissons dans cette partie de l'Afrique, ce Maghreb qui se construit et dont les liens avec l'Afrique - au sud du Sahara - comme avec l'Europe, sont chaque jour plus étroits et plus fermes. Nos rencontres annuelles ont fait la preuve de leur utilité, de leur valeur : non seulement pour les relations entre vos pays et la France mais aussi pour une meilleure compréhension entre les peuples d'Afrique. C'est pourquoi il nous faut analyser avec lucidité la situation de votre continent, et au-delà, de ce qu'on appelle le tiers monde.
- Je n'admets pas comme inéluctable, et vous ne l'admettez pas non plus, l'aggravation des conditions de vie des deux tiers de l'humanité, ni le décalage croissant entre le développement des pays dits du Nord et ceux du Sud.
- Depuis bientôt huit ans, je répète dans toutes les enceintes nationales et internationales où il m'est donné d'affirmer les positions de la France, que la solidarité entre les uns et les autres, sous toutes les formes possibles, n'est pas seulement un devoir mais aussi qu'il y va de l'intérêt bien compris de tous les partenaires. Produire, échanger, consommer, chacun faisant valoir à leur juste prix ses biens et son travail, chacun apportant les fruits de son intelligence, de son imagination, les richesses de sa culture, cinq milliards d'êtres humains prenant pleinement leur part au développement planétaire, qui ne voit le formidable progrès qui en résulterait pour tous ?
- Mais j'observe en même temps l'accumulation des déséquilibres et la stagnation, quand ce n'est pas la régression, des flux de ressources internationales qui vont vers le Sud. Et je pressens là, ainsi que je le déclarais il y a peu à la tribune des Nations unies, la cause la plus pernicieuse d'un déséquilibre qui précipitera, s'il dure, le monde vers un désordre sans limite. Le plus haut degré d'urgence s'attache à conjurer ce malheur. Or, que constatons-nous en Afrique ? Depuis 1980 en Afrique subsaharienne, le revenu par habitant a baissé de 25 % en termes réels, les investissements et les importations ont été réduits de moitié, les recettes d'exportation sont passées de 49 milliards de dollars en 1979-81 à 35 milliards en 1986-87.
- Alors que votre continent est celui qui dépend le plus de l'exportation des produits de base, sa part, dans le commerce mondial, a reculé de 9 % en 1967 à moins de 5 % en 1986.
- Conséquence inéluctable de cet affaiblissement sur le marché international, la situation financière de l'Afrique est devenue le plus souvent dramatique. L'encours de la dette atteint aujourd'hui un poids insupportable : 200 milliards de dollars pour l'ensemble du continent, plus de 140 milliards de dollars pour la région subsaharienne. Et toujours de 1981 à 1987, le service effectif de la dette africaine a doublé en valeur et son pourcentage par rapport aux recettes d'exportation a triplé.\
Comment être plus net que le secrétaire général des Nations unies, dans un rapport récent, à mi-parcours de l'exécution du programme spécial des Nations unies : "la situation économique de l'Afrique connaît une détérioration continue et les pays de ce continent ne pourront continuer indéfiniment leurs efforts impressionnants s'ils sont confrontés à des situations extérieures défavorables et s'ils ne bénéficient pas d'un soutien accru de la communauté internationale".
- Alors, il nous reste à examiner de quelle façon on peut combattre cette évolution. Qu'est-ce que chacun d'entre nous peut faire ? Et je parlerai bien entendu pour mon pays ! Eh bien, je pense que nous avons besoin d'un environnement économique qui mette un terme aux obstacles de tous ordres qui s'opposent au développement des pays du Sud, qui contrarient la lutte contre la pauvreté £ je m'en expliquerai dans un moment £ nous avons besoin d'un système monétaire plus stable, de relations commerciales plus harmonieuses, qui reposent aussi sur une appréciation plus exacte de l'apport des matières premières que possède l'Afrique et que les pays industriels utilisent. Nous avons besoin de mécanismes de résorption de la dette lorsque celle-ci est telle qu'elle interdit aux peuples d'espérer, lorsqu'elle brise les énergies créatrices, lorsqu'elle ruine les efforts accomplis £ et nous avons enfin besoin d'un renforcement très important des flux financiers, publics et privés, bilatéraux ou multilatéraux, vers les pays en développement.
- Bref, nous avons besoin d'en finir avec un système qui a transposé les anciennes formes de domination coloniale dans la pratique économique et financière des grandes compagnies, sous un discours humanitaire qui dissimule trop souvent la simple loi des rapports de force.
- Les richesses de l'Afrique, ses matières premières sont évaluées unilatéralement par ceux qui les achètent, qui jouent en plus de la valeur des monnaies pour en réduire encore le prix, et je comprends la révolte de ceux dont les dettes s'accroissent d'elles-mêmes plus vite qu'ils ne les remboursent.\
Eh bien, j'entends que la France agisse avec détermination sur chacun de ces fronts. Et je pense, en premier lieu, aux échanges. J'observe que deux négociations internationales sont en cours aujourd'hui qui auront une influence, je l'espère, significative sur vos exportations. La Communauté européenne a, dès l'origine, insisté sur la prise en compte de vos intérêts dans les négociations commerciales multilatérales, celles que l'on appelle l'Uruguay Round, les négociations du GATT, qui viennent de faire l'objet d'un examen à Montréal. La France a plaidé pour que vos besoins soient véritablement reconnus et je ne cesse de rappeler à cet égard la nécessité d'un traitement spécial et différencié pour les pays en voie de développement et la priorité qu'il convient d'accorder à la libération des produits tropicaux.
- La deuxième négociation en cours concerne la convention de Lomé. Nous devons ensemble saisir l'occasion de cette renégociation pour renforcer et améliorer notre coopération. Je pense en particulier aux mécanismes de stabilisation des recettes d'exportation Stabex et Sysmin dont nous connaissons les imperfections : insuffisance de ressources face à l'ampleur de la chute des prix des matières premières, trop grande rigidité des règles de calcul, des pertes de recette. Malgré tout et malgré leurs défauts, ces deux systèmes Stabex et Sysmin, continuent aujourd'hui d'être les seuls instruments de ce type qui fonctionnent dans le monde. Aussi peut-on les améliorer mais faut-il les préserver tout en les adaptant ?
- Ce n'est qu'en agissant à la racine, sur les mécanismes de fixation des prix des matières premières et des monnaies, en comprenant qu'il est de l'intérêt des pays riches de faire de l'Afrique, indépendamment de l'effort des peuples africains, un grand partenaire économique, solvable, ce n'est que comme cela qu'on règlera les immenses difficultés de l'heure, et je dois dire que mon pays s'y emploie depuis des années et continuera de s'y employer.
- Pour ce qui touche à la dette, j'ai proposé cette année vous le savez, à Toronto, aux grands pays industrialisés qui s'étaient réunis, d'assouplir sensiblement les conditions de remboursement pour les pays les plus pauvres. L'accord qui est intervenu à Toronto, entre les sept Etats les plus industrialisés, a été rapidement élargi à l'ensemble des pays du club de Paris. De sorte que les premières applications concrètes ont déjà eu lieu. La France, quant à elle, a choisi la formule la plus favorable, celle qui consiste à annuler le tiers des échéances sur ses créances publiques, discutées au club de Paris. J'ai bien dit le tiers, quelles que soient les procédures choisies. Et la France respectera de toute façon, quelles que soient les positions des autres, cet engagement pour elle-même. Je répète donc qu'elle annulera effectivement le tiers des créances qu'elle détient sur les pays concernés.
- Plus récemment, en septembre dernier, j'ai proposé, au profit des pays débiteurs, qu'on appelle à "revenu intermédiaire" la création d'un fonds chargé de garantir le paiement des intérêts ou de toute autre forme de rémunération aux banques qui auraient accepté de convertir leurs créances commerciales en instruments financiers, dans des conditions permettant une réduction significative de l'encours de la dette. Les pays développés réserveraient au financement de ce fonds l'usage de leurs parts d'émission nouvelle de droits de tirage spéciaux. Bref, grâce à ce procédé, sans léser les intérêts des créanciers, ou au contraire en les servant, on ne contraindrait pas les pays débiteurs, écrasés par ce poids, d'accroître leur crise économique, avec les conséquences sociales ou politiques que cela comporte.\
On pensera que ces propositions restent insuffisantes. Et je comprends ces critiques ou ces observations. Simplement je dois vous faire observer que la France ne peut à elle seule assumer une charge qui revient à l'ensemble des pays plus riches que les autres. Il faut que ceux-là aussi s'associent à notre démarche. Et je comprends ces critiques car nombreux sont vos pays aux prises avec des difficultés considérables, qu'ils voudraient voir atténuer plus vite. Mais j'ai volontairement adopté une démarche progressive afin qu'elle puisse être acceptée par un maximum de partenaires et que ceux-ci s'engagent dans des voies, sinon les mêmes, du moins similaires, afin de permettre une amélioration durable.
- Rappellerai-je aussi avec quelle insistance, l'an dernier à Venise, la France a pressé ses partenaires industriels de respecter l'objectif fixé par les institutions internationales de 0,7 % du produit national brut comme pourcentage minimum d'aide publique des pays industriels avancés au développement.
- Mon pays consacrera l'an prochain 0,54 % de son produit national brut à cette aide. Ce n'est pas encore suffisant. Mais il se situe et de loin, au premier rang des grands pays industrialisés, dont certains traînent à 0,25 pour cent, de leur produit national brut. Et la France ne se considère pas comme quitte de ses devoirs. Tout particulièrement à l'égard de ses amis les Etats africains.
- Nous avons joué, nous Français, un rôle actif en faveur d'un renforcement des moyens des organismes multilatéraux d'aide au développement, d'une meilleure prise en compte des besoins de l'Afrique au sein de ces organismes. La France consacre plus des deux tiers de son aide bilatérale à cet objet, dont 60 % directement à la région subsaharienne. Et si certains pays procèdent parfois à des mesures spectaculaires, l'examen des chiffres montre bien ce qu'il en est dans la réalité. Lui-même affecté par les conséquences de la crise mondiale, mon pays continuera jusqu'aux limites de ses possibilités, à vous apporter son soutien entier et déterminé.
- Pourquoi ai-je rappelé ces faits sinon pour réaffirmer que j'entends que nous allions plus vite et plus loin et que nous ne nous déroberons pas à nos responsabilités.\
Chers amis, je sais que vos gouvernements ont fait beaucoup au cours de ces dernières années pour tenter de redresser leur économie. Il a été consenti cet effort, presque partout, avec courage et détermination.
- Quelles que soient les modalités retenues et en dépit de ces efforts, l'ajustement, ce fameux ajustement devenu le maître mot de la plupart des experts ne peut pas être séparé du développement. Les besoins sont immenses. Y répondre de façon satisfaisante est vital pour éviter une marginalisation de votre continent, marginalisation actuellement en cours.
- Ce danger existe, il est là, vous le vivez. Aussi, appelons à resserrer les rangs, révisons, quand il le faut, les comportements, remettons en cause les modèles passés, mais agissons de concert.
- Pourquoi l'Afrique ne serait-elle pas capable de conquérir sa juste place dans l'économie mondiale ? Mais comment assurer son avenir, si elle ne mobilise pas toutes ses ressources et toutes ses capacités, si elle ne libère pas suffisamment le dynamisme de sa jeunesse, de sa population ?
- Sur cette voie, les pays d'Afrique, leurs gouvernements, leurs peuples, nous trouverons à leurs côtés, demain comme aujourd'hui. J'ai confiance, j'ai foi dans votre capacité à maîtriser le destin.
- Voyez, il n'y a pas si longtemps, d'autres continents ou sous-continents ont semblé sans espoir et perdus, alors que leur décollage a été depuis lors, considérable. Il sert même parfois d'exemple que l'on nous offre.
- J'ai la conviction que le tour de l'Afrique avec son immense potentiel humain et naturel viendra, à la condition qu'elle sache trouver elle-même aussi le chemin d'une croissance continue et durable.\
Dans l'immédiat, je considère qu'il est temps de mobiliser toutes les ressources de l'intelligence pour lutter contre les drames que la nature impose à l'homme. Voilà un problème concret. J'ai eu l'occasion de le dire à New York, devant l'Assemblée générale des Nations unies. L'élan de solidarité qui s'est affirmé récemment devant des catastrophes comme celle d'Arménie, du Bangladesh, du Sud-Soudan, de Colombie, doit être complété par des actions structurelles qui conduisent à maîtriser pour longtemps les causes de ces drames.
- L'Afrique, par exemple, en de nombreuses parties de son sol, est menacée par le désert. C'est un sujet qui m'intéresse depuis de longues années. Rappelez-vous, certains d'entre vous, la sauvegarde d'abord puis l'expansion de la forêt. Et je souhaite que ce problème soit étudié de façon à décider quels grands travaux pourraient être lancés, si besoin est. Par exemple si les pays visés en sont d'accord, un observatoire du Sahara devrait être créé. Les conditions en sont remplies afin de suivre les évolutions climatiques, de coordonner les recherches, d'élaborer des schémas d'aménagement.
- De la même façon, un effort considérable doit être accompli, entrepris dans la lutte anti-acridienne par une coordination régulière au sein de la FAO et la mise à la disposition des pays victimes de moyens aériens adaptés dans le cadre de ce qu'on appelle les éco-forces. La France est déjà prête à prendre sa part de cet effort commun.
- Dans beaucoup de domaines, des réussites ont déjà été obtenues, en particulier par des chercheurs africains. Certains d'entre vous me disaient hier soir leur satisfaction devant la présence de jeunes gens de leur pays qui prennent part à des expériences les plus avancées de la haute technologique. Eh bien cette réussite-là il faut la mettre en valeur. Il n'est pas normal que de trop nombreux chercheurs africains ne puissent faire leur carrière sur leur propre continent, qu'ils puissent mettre leur intelligence au service des problèmes spécifiques de l'Afrique. Il ne faut pas qu'ils s'évadent uniquement vers l'extérieur, il faut aussi qu'ils reviennent. Et dans le cadre de la nouvelle convention de Lomé, je réfléchis actuellement à ce qui pourrait être tenté pour favoriser la promotion de la recherche en Afrique, et comme je le disais à l'instant, le retour des chercheurs africains dans leur pays.
- Il ne faut pas que votre continent soit un désert humain. Je le répète, c'est par le travail et par l'intelligence de vos frères que ce continent trouvera sa véritable espérance.
- Dois-je rappeler un projet franco-égyptien de création d'un institut de recherche contre les maladies du foie en Afrique et de lutte contre le cancer qui verra prochainement le jour. Le principe en a été arrêté, entre les ministres des affaires étrangères de nos deux pays. Il constitue, je crois, un bel exemple de coopération dans le domaine médical au profit de ce continent.\
Quant à la négociation qui commence et dont j'ai déjà parlé pour le renouvellement de la convention de Lomé qui lie les pays de l'Europe des Douze aux pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, elle doit être l'occasion de nouveaux progrès. J'y insiste. Et si j'ai évoqué tout à l'heure l'adaptation du Stabex et du Sysmin à l'ampleur de la crise du prix des matières premières, ce n'est pas par hasard. La future convention devra aussi jouer un rôle éminent dans la promotion de la recherche scientifique. Enfin, j'ajoute que d'autres moyens financiers devront y figurer, particulièrement des facilités communautaires d'ajustement structurel complétant les aides multilatérales ou bilatérales qui existent déjà.
- Je crois que l'on ne peut sous-estimer les virtualités qu'offre la naissance du marché unique européen, rassemblant pour 1993, 320 millions d'Européens. La Communauté des 320 millions d'Européens liés dans un pacte fondamental peut prendre une importance déterminante, sans être obligée de recourir à des tiers, pour reconnaître à l'Afrique le droit d'exploiter justement ses richesses humaines et matérielles avec le relais puissant de cette Europe en voie de création.\
Il est clair qu'il n'y aura pas de croissance, qu'il n'y aura pas de développement, et là j'aborde un autre sujet, tant que la paix et la stabilité n'auront pas été durablement établies.
- Comment croire en effet que les ressources nécessaires seront dégagées pour améliorer les conditions de vie des populations du continent, tant que des conflits armés ou des menaces extérieures mobiliseront des moyens financiers parfois considérables ?
- J'observe à cet égard, comme vous, une évolution récente qui donne quelque raison d'espérer que nous allons vers une diminution des tensions.
- C'est vrai que des perspectives nouvelles s'ouvrent pour la solution de différends anciens, par le retrait des forces en présence, par la consultation des populations plutôt que par l'usage des armes. Gardons-nous de considérer que les affrontements appartiennent au passé et que leurs causes profondes ont d'ores et déjà disparu. Mais il n'empêche que la situation évolue vers un apaisement progressif et que nous devons tous nous engager à soutenir et à encourager l'évolution qui va dans cette direction.
- Je dois dire que l'organisation des Nations unies mène à cet égard une action décisive, sous l'impulsion courageuse de son Secrétaire général M. Perez de Cuellar et que l'organisation de l'unité africaine joue un rôle décisif aussi dans la recherche de solutions aux conflits régionaux que connaît le continent.
- Eh bien, j'accueille avec espoir l'évolution constatée dans la recherche du règlement de quelques conflits qui affectent l'Afrique. Pour ce qui touche au Sahara occidental, qui a pesé si longtemps, qui continue de peser sur les relations entre les Etats du Maghreb, y a-t-il d'autre voie que celle du dialogue, sans cesse poursuivi, et du respect du droit de chacun de choisir son destin ? On s'oriente vers la consultation des populations, sous contrôle international. Il y a là une voie ouverte que la bonne volonté de ceux qui s'affrontaient devrait permettre désormais de dégager. Et puis on pense qu'au-delà, la naissance d'un grand Maghreb réconcilié oeuvrant de toutes ses forces à sa prospérité comme à la prospérité des autres, deviendra par la suite possible.\
Je pense aussi, comment ne le ferais-je pas, quand on a suivi tous les débats de ces années dernières, je pense aussi au Tchad, qui se reconstruit sur les décombres d'une guerre, que chacun paraît s'accorder à voir dépassée. Pouvions-nous imaginer, il y a seulement quelques mois, en tout cas, lorsque nous étions réunis à Lomé, que le Tchad et la Libye rétabliraient leurs relations diplomatiques ? C'est un grand succès pour le Président Hissène Habré, pour les soldats et le peuple tchadien qui ont reconquis par leur courage, leur ténacité et leur patriotisme, l'indépendance et l'unité de leur pays. C'est également le succès de l'Afrique et des chefs d'Etat - ici présents - et de quelques autres auxquels je rends hommage qui ont mis leur énergie et leur volonté au service d'un règlement pacifique.
- Et je me réjouis que la France, de son côté, ait pu concourir par ses hommes et par ses moyens à contenir l'agression, à restaurer l'Etat, à redresser l'économie. Chacun a fait son devoir et je forme des voeux pour que, désormais, la paix entre dans les esprits et dans les coeurs pour parachever l'entreprise.
- Enfin, une étape a été heureusement franchie, d'autres doivent suivre, les armes se sont tues, on va travailler à la suite, et quand je dis "on", je pense naturellement d'abord aux chefs des Etats souverains qui se trouvent directement en cause.
- Autre sujet de satisfaction, des signes sérieux d'un retour à la paix apparaissent dans l'Afrique australe. La Namibie est en passe d'accéder enfin à l'indépendance. Enfin ! Je souhaite que rien ne vienne y faire obstacle car les obstacles n'ont pas manqué jusqu'ici, y compris les plus inattendus. Je souhaite que l'Angola et la Namibie, pays souverains, pourront enfin consacrer à leurs populations les ressources que les conflits détournaient jusqu'à présent de cette fin. Et encore, il s'agit d'une victoire de l'Afrique. Là encore je salue la part de plusieurs d'entre vous. N'est-ce pas à Brazzaville qu'ont été négociés, que viennent de se conclure, il y a si peu, quelques heures, quelques jours, les accords porteurs d'un avenir de paix.
- Oh, certes, rien ne sera vraiment acquis tant que subsistera, à l'extrême sud du continent, le système d'apartheid, facteur d'injustices, de violence, d'aliénation des droits des millions d'êtres humains qui luttent afin que soit reconnue leur dignité d'hommes libres, je pense à Nelson Mandela qui a valeur de symbole et dont j'admire le courage, et à tous ceux qui ont accepté, qui acceptent tant de sacrifices par amour de la liberté. J'espère aussi que l'Afrique du Sud comprendra que tous ses fils, quelle que soit leur origine, ont un droit égal à vivre sur son sol, dans le respect mutuel de leurs droits légitimes.\
J'ai déjà eu l'occasion de dire ce que je pensais des décisions prises à Alger, nous voici toujours en Afrique, puis à Genève, on s'en éloigne un peu, par les dirigeants palestiniens. Nous sommes aux franges de l'Asie, mais cela nous touche tous car il est très important que l'OLP ait proclamé la création d'un Etat palestinien, qu'elle ait adhéré aux résolutions 181, 242, 338 des Nations unies, qu'elle ait admis le droit d'exister d'Israël, qu'elle ait condamné le terrorisme. Ainsi a-t-elle, à mes yeux, acquis la représentativité que certains lui déniaient et que la France lui reconnaît. Ainsi les conditions paraissent-elles remplies pour que puisse se tenir la conférence internationale que j'appelle de mes voeux depuis plusieurs années. Et j'enregistre comme un réel progrès la décision très récente des Etats-Unis d'Amérique au vu des décisions courageuses, il faut le dire, prises par le principal dirigeant de l'OLP, M. Yasser Arafat. La France est l'amie des peuples arabes. Elle entretient des relations également confiantes et cordiales avec l'Etat d'Israël £ il n'y a pas de contradictions dans notre démarche, nous cherchons la concorde, l'équilibre et le salut de chacun dans des frontières reconnues, garanties afin que la paix soit la garantie suprême pour chacun et pour tous. Elle ne choisit pas un camp, la France, elle entend préserver sa capacité d'intervenir, ici et là, pour donner les avis que sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité lui permet de transformer en acte et elle en tirera les conséquences pour elle-même, selon les termes qu'elle définira.\
Enfin, au terme d'une année comme toutes les autres, riche d'événements internationaux, les uns heureux, les autres moins, que retiendrons-nous ? Mettrons-nous l'accent sur les préoccupations devant la persistance des difficultés économiques, serons-nous plus sensibles aux espoirs de paix et de stabilité dont nous voyons les signes avant-coureurs ?
- Eh bien, je le redis avant de conclure, la paix et la stabilité en Afrique sont nécessaires pour qu'elle mobilise les forces dans le combat pour l'amélioration des conditions de vie de ses peuples, pour reprendre le chemin du progrès, de la croissance pour que la population participe chaque jour davantage à la vie publique et que s'instaure la pratique quotidienne de la démocratie à tous les niveaux des Etats, pour que le respect des droits de l'homme auxquels j'en appelle partout ou je me rends, serve de plus en plus de référence suprême et intangible à l'organisation de nos sociétés, aux relations de l'Etat et des individus. Cette règle universelle ne peut souffrir d'exception. Elle doit être présente à nos esprits en cet instant solennel comme en toute circonstance.
- Mesdames, messieurs, chers amis, contribuons tous, dans la mesure de nos moyens et de notre influence à cette oeuvre. Oeuvre de paix, prologue indispensable à la bataille du développement.
- Bon nombre d'entre nous, à l'invitation du Président Abdou Diouf, se retrouveront avec d'autres, venus d'autres continents, dans six mois à Dakar, pour le Sommet des pays ayant en commun l'usage de la langue française. Comment ne saluerai-je pas, ici même, tous ceux qui, parlant d'autres langues, participent à part entière à nos assises, et enrichissent de leurs cultures diverses nos débats et notre réflexion. Et comment ne dirai-je pas aux francophones l'affection et les liens particuliers qui nous unissent. Qui parle la même langue a déjà franchi de longues distances dans la compréhension humaine. Songez-y !
- Les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont peut-être plus rudes mais ils sont aussi ceux de l'humanité tout entière.
- Voulez-vous que je vous cite les menaces qui pèsent sur l'environnement ? Celles que fait planer sur notre patrimoine génétique une maîtrise insuffisante des applications de la science, les risques de banalisation et de prolifération des armes nucléaires ou chimiques ? Pour n'évoquer que ces dangers-là. Cela impose une conscience, une action solidaires. Nous sommes tous en première ligne dans le combat quotidien pour épargner à nos peuples les chemins de la détresse, de la peur ou plus simplement et c'est aussi grave de la désillusion.
- Rarement autant de conditions favorables n'auront été réunies pour le développement. Voyons, je cite, j'énumère, simplement j'énumère, et chaque point mériterait un long, une longue étude et bien d'autres discours. Le renouveau du dialogue est-ouest, les perspectives du désarmement et plus que les perspectives, le début déjà enregistré, la fin ou l'atténuation des conflits régionaux, ce qui permettra une réduction sensible des dépenses militaires. Et si en plus - et c'est notre combat, inlassable, dont nous allons nous entretenir pendant ces deux journées - si en plus la raison l'emportait dans la gestion des échanges, des monnaies, je vous le dis la prospérité de tous, au nord comme au sud, à l'est comme à l'ouest, la prospérité serait à notre portée. C'est en tout cas chers amis, messieurs les Présidents, mesdames et messieurs, ce à quoi je vous invite, au moment où s'achève mon année de présidence. Mais il me reste à dire mes voeux pour celle qui commence et qu'assume désormais le Roi du Maroc, auquel nous devons déjà cet accueil, et dont nous connaissons les mérites. Il me sera d'autant plus facile de terminer en disant ces mots qui ne sont pas que rituels, qui expriment ma pensée, comme ils expriment mes sentiments : Merci au Maroc, notre hôte et notre ami, et vive l'Afrique, vive l'amitié des peuples d'Afrique et de France, merci à tous !\