28 novembre 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'Institut Weizmann des sciences, ses relations avec la France et sur la recherche et la coopération scientifique au niveau international, Paris, Palais de l'Élysée, le 28 novembre 1988.

Mesdames,
- Messieurs,
- Je remercie le Professeur André Lwoff et le Président de l'Institut Weizmann, Monsieur Arych Dvoretzky, pour les paroles aimables qu'ils viennent de prononcer. Je remercie également le grand violoniste Schlomo Mintz, qui a accepté de venir dans cette assemblée de savants pour sceller l'alliance entre la plus belle musique et la science la plus avancée.
- Cette cérémonie inhabituelle dans ce Palais de l'Elysée, transpose l'ordonnance d'une manifestation académique qui aurait pu se tenir aussi bien dans un haut lieu de la science. Soyez remerciés en tous cas d'être venus ici, et si nombreux.
- Une manifestation d'une telle solennité n'a de justification que l'hommage rendu, au-delà du Président de la République française, à un pays, la France, et à ses idéaux universels de paix, de justice et de liberté.
- Elle est pour moi l'occasion, par un juste retour des hommages, de célébrer cette institution originale qu'est l'Institut Weizmann, et cette féconde coopération que l'Institut a établie, avec les plus brillants instituts de recherche français.
- Elle est aussi l'occasion de rappeler combien je crois en la force de la science pour faciliter l'avènement d'une société de création et de communication qui, si elle n'efface pas les différences, fait progresser cependant les sociétés humaines, fait communiquer les hommes et éloigne par là-même les conflits surannés.\
l'Institut Weizmann est une étonnante aventure de l'esprit : sa création a précédé celle de l'Etat d'Israël. Au XVIIIème siécle c'est un Etat déjà formé qui, en France, en Grande-Bretagne, plus tard en Russie, a créé des académies qui, pour reprendre les mots de Francis Bacon, s'assignaient pour fin de "connaître les causes et les mouvements secrets des choses, de reculer les bornes de l'empire humain en vue de réaliser toutes les choses possibles".
- Dans la première moitié d'un XXème siècle bouleversé par la guerre et le totalitarisme, l'intuition du fondateur de l'Institut, le grand chimiste Chaïm Weizmann, dont on connaît la part décisive qu'il prit à la création de l'Etat d'Israël, aura été que l'assemblée des savants devait précéder l'Etat, que la recherche scientifique devait donner son âme à cet Etat et qu'elle devait marquer les valeurs de la société en formation.
- La force de cette intuition se mesure aujourd'hui à sa fécondité. L'Institut Weizmann, quelque 55 ans après sa création, est devenu l'une des plus brillantes institutions scientifiques du monde. Ce qui me frappe dans l'histoire de ce centre hors du commun, c'est qu'elle est une sorte de résumé de tout ce qui constitue maintenant ce que j'appellerais la "politique de la science" des grands pays industrialisés.
- Au point de départ, les pionniers travaillaient surtout sur des thèmes de recherche appliquée, privilégiant les problèmes liés à l'économie d'un pays à forte dominante agricole. A l'arrivée, on trouve un ensemble pluri-disciplinaire, avec un mélange intime de recherche fondamentale et de recherche appliquée à des domaines qui se sont diversifiés tout autant que l'économie du pays.
- En chemin, l'Institut découvre l'importance de la recherche dans la formation supérieure, créant l'Ecole supérieure Feinberg, accueillant des étudiants pour des thèses de doctorat. Ils pressent l'importance de la fonction de valorisation d'un organisme de recherche, et il est parmi les premiers à créer un parc industriel où se sont épanouies de nombreuses sociétés de haute technologie dont le dynamisme est la fierté d'Israël.
- Les chercheurs de l'Institut ont ainsi réussi à construire, à défricher les territoires de la connaissance, à lutter sans relâche contre l'aridité, contre la stérilité, ils ont su mobiliser les énergies. Refuser de céder au découragement, mettre en commun des talents avec le sens de l'intérêt collectif, telles sont les leçons que nous donne votre démarche.
- La renommée mondiale de l'Institut Weizmann est à la mesure de cette réussite assez exceptionnelle. Il fait partie de ces pôles d'excellence qui attirent des chercheurs du monde entier. Il est le pivot d'un réseau international de centres de recherche.
- Cette ouverture aux échanges avec l'extérieur était une idée naturelle chez les grands esprits qui ont fondé l'Institut. L'itinéraire personnel de Chaïm Weizmann résume ce mélange d'enracinement et d'internationalisme vrai. Lui-même naît en Biélorussie, étudie à Manchester, en Suisse, rencontre Louis Pasteur à Paris, enseigne à Genève, s'établit en Grande-Bretagne, pour devenir plus tard le premier Président de l'Etat d'Israël. C'est une sorte de savant hors-frontières : les bouleversements du XXème siècle ont produit des Einstein, des Weizmann, ces sortes de personnalités dont le prestige et l'influence s'inscrivent d'emblée à l'échelle du monde, au travers des aventures de l'Histoire. Il n'est pas étonnant que ces citoyens du monde aient établi des réseaux denses de relations dans tous les grands pays scientifiques.\
Je dirai quelques mots maintenant de la relation si forte qui unit l'Institut Weizmann et la France. Cette relation est symbolisée par ces affiches que nous avons pu voir dans nos rues et qui présentent ensemble deux figures emblématiques de la science moderne, Louis Pasteur et Chaïm Weizmann, comme pour prolonger les dialogues passionnés qu'ils ont dû échanger lors de leurs rencontres à Paris.
- Cette coopération est forte dans les grands domaines de recherche qui correspondent aux priorités reconnues. Elle est déjà établie avec l'Institut National de la Recherche Agronomique sur des thèmes agricoles ou agronomiques. Elle s'établit maintenant avec le Centre national de la recherche scientifique et avec l'Université de Paris VI sur le thème si prometteur des semi-conducteurs. Mais les domaines d'élection de notre coopération sont la biologie et les sciences médicales. C'est à ces sujets-là que l'Institut Weizmann consacre la plus grande partie de ses ressources. C'est ce qui unit l'Institut Pasteur et l'Institut Weizmann. Il y a plus de dix ans, Jacques Monod, Michaël Sela, ont eu l'idée de créer le Conseil Pasteur-Weizmann dont le Professeur André Lwoff assume aujourd'hui la présidence. Entre les deux Instituts s'est ainsi établie une collaboration très forte sur le thème de la prévention des maladies infectieuses et des vaccins synthétiques. Et cette collaboration s'est étendue à de nombreux autres thèmes de la recherche biologique et médicale. Faut-il citer les recherches menées en commun sur les maladies comme le cancer sur les neuro-sciences, la neuro-pharmacologie, la virologie. Elle débouche maintenant sur des projets à vocation plus industrielle comme la mise au point de sondes génétiques pour la détention des maladies héréditaires, ou la mise au point de vaccins synthétiques, ou encore, débordant le cadre des biotechnologies, sur des secteurs importants pour les industries de la santé comme la reconnaissance des formes ou les prothèses médicales.
- Cette énumération n'est pas exhaustive : elle n'apprendra pas grand chose à un certain nombre d'entre vous. Mais il est bon d'établir, dans son authenticité - pour bien montrer comme cela par étapes, à quelques grandes occasions de rencontres - le travail accompli par quelques hommes de grand talent qui ont consacré leur existence, comme c'est le cas de Weizmann, à la science, à la recherche, bref à l'humanité en même temps qu'à la naissance d'un peuple sur une terre. C'est aussi le cas de Pasteur, reconnu comme l'un des maîtres de la médecine et de la recherche moderne et qui en plus a su préserver à travers le temps une sorte de rayonnement qui est loin de s'éteindre. Cette énumération donne une idée de foisonnement extraordinaire £ elle donne bien, je le crois, l'image de l'Institut Weizmann, de ses réalisations et de ses recherches.
- Pour profiter de la dynamique ainsi créée, je me souviens d'avoir soutenu, en 1984, la constitution de l'association franco-israélienne pour la recherche scientifique et technologique `AFIRST` en vue de développer de nouveaux échanges et de faire émerger de nouveaux sujets de coopération. Cette association est aujourd'hui présidée, du côté français, par le Professeur François Gros, du côté israëlien par le Professeur Ephraïm Katzir, ancien Président de l'Etat d'Israël, ce qui augure assez bien de son succès.\
Vous êtes mesdames et messieurs, de ceux qui croient comme moi, que l'investissement dans l'intelligence et dans la recherche, apportera une partie - une partie seulement, mais une partie nécessaire - de la réponse aux questions angoissantes sur l'avenir de nos sociétés. Cet investissement ignore les frontières, les différences entre systèmes politiques ou sociaux, bien qu'ils doivent tenir compte de la qualité de ces systèmes et surtout de leur finalité, tous ne se valent pas. Ils portent la promesse d'une vie meilleure pour chacun, d'un environnement mieux maîtrisé pour tous, d'une société moins inégalitaire £ il marque une foi dans le destin de l'homme, la croyance que l'homme est capable en fin de compte de se maîtriser lui-même, s'il ne peut maîtriser son destin, au moins sa vie intérieure et sa capacité à comprendre le monde et les autres. Parce qu'il a une vocation universelle, il appelle la mise en commun des ressources de tous les pays et la multiplication des échanges de chercheurs. C'est pour cela que j'ai tenu à célébrer tout particulièrement, à l'occasion de cette cérémonie, cette sorte d'"Internationale" de la science qu'est l'Institut Weizmann, et à célébrer aussi ce qu'il a déjà réalisé pour le rapprochement entre les peuples.
- Et lorsque j'entendais, à l'instant, dans les deux allocutions qui m'ont précédé, la lecture de ce diplôme, l'éloge que je recevais, j'en prenais le meilleur, j'en laissais aussi un peu dans la mesure où je sais bien qu'aucun homme ne peut à lui seul incarner ou représenter les grands thèmes qui animent nos vies. Mais malgré tout je ne pouvais m'empêcher d'éprouver comme un sentiment de connivence et d'entente intérieure avec ceux qui s'exprimaient.\
Je voudrais ajouter, pour finir, que la cérémonie d'aujourd'hui se situe dans un moment de notre histoire où revient à notre mémoire le souvenir des grandes actions qui illustrèrent la première Révolution française dont nous fêterons bientôt le bicentenaire, tous les combats qu'ont livrés les philosophes des Lumières pour l'émancipation des hommes et pour les progrès de la connaissance. Les révolutionnaires ont été, croyez-moi, dans leurs grandes oeuvres, fidèles aux idées qui les ont nourris. C'est en 1789 qu'ils ont émancipé les Juifs de France. Ils ont donné à la science une place prééminente dans l'organisation de la société. Ils ont proclamé longtemps avant que cela ne fût mis en oeuvre, la fin de l'esclavage. Ils ont donné aux sciences la place la première pour le développement de la société et de l'économie du pays. Bref, ils ont voulu assurer le triomphe de la raison sur l'obscurantisme. Je ne dirai pas qu'ils aient absolument réussi dans cette oeuvre, mais qui réussirait, seul le temps qui viendra, la longue patience des générations et des générations pourra faire cette démonstration. Mais chacune et chacun de ceux qui auront marqué un chaînon de ce long combat auront symbolisé, signifié, illustré, la longue peine des hommes et leurs capacités profondes à comprendre le monde.
- Comment aujourd'hui ne pas souhaiter rester fidèle à tous ces grands messages venus du passé et illustrés dans le présent. Comment ne pas espérer que les principes que nous célébrons inspireront les peuples dans leur recherche de la paix, dans leur respect du droit, et pour dicter leur conduite à ceux qui gouvernent et qui se trouvent le plus souvent affrontés dans des camps opposés, alors qu'ils affirment ou qu'ils prétendent - alors qu'ils croient le plus souvent - incarner pour eux-mêmes, cette marche que nous célébrons.
- Ainsi l'hommage rendu à la science trouvera son accomplissement dans la justice rendue aux peuples qui souffrent, qui se combattent, qui se cherchent sans se trouver, qui se trouveront un jour je l'espère. C'est à quoi en tout cas, mon pays, ce qui est beaucoup plus important, souhaite désormais s'appliquer.
- Mesdames et messieurs, madame et messieurs les Présidents, je vous remercie de votre accueil, de l'honneur qui m'est fait, de ce diplôme qui m'est remis. Je pense que dans la vie d'un homme il y a comme cela quelques jalons que la mémoire ensuite peut retrouver pour ramasser le temps d'une vie, avec ce qu'elle comporte de difficultés, et parfois ces moments d'arrêt où l'on se retrouve en soi.\