6 novembre 1987 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au "Quotidien du peuple" et à Radio Pékin le vendredi 6 novembre 1987, sur les relations franco-chinoises, le désarmement et les relations monétaires internationales.

QUESTION.- Monsieur le Président, vous oeuvrez depuis de très longues années pour le développement des relations amicales entre la France et la Chine. Dans quelques jours, répondant à votre invitation, le Président de la République populaire de Chine Li Xiannian effectuera une visite en France. Il s'agit de la première visite d'Etat d'un chef de l'Etat chinois dans votre pays. Ce sera sans doute un événement important dans l'histoire des relations entre nos deux pays. Comment voyez-vous monsieur le Président, cette visite du Président Li Xiannian et qu'attendez-vous de cette visite ?
- LE PRESIDENT.- C'est en effet la première visite d'un chef d'Etat chinois et je tiens à souligner son importance. Nous serons très heureux de recevoir M. Li Xiannian qui représente vraiment dans sa personne toute l'histoire de la Chine populaire. Cette visite, d'une importance tout à fait particulière, devrait marquer le point où nous en sommes dans nos relations avec la Chine. Mais ce n'est pas la première visite d'une personnalité importante. Rien qu'au cours de ces dernières années, nous avons reçu le Secrétaire général du Parti communiste chinois, nous avons reçu le Premier ministre et de multiples personnalités, de grand intérêt, sont venues nous voir à Paris tandis que des Français se rendaient en Chine populaire.
- J'ai moi-même prêté une extrême attention aux relations avec votre pays que je connais depuis 1961, ce qui représente maintenant 26 années et où je suis retourné à deux reprises. J'ai souhaité, dès que j'ai été élu Président de la République, reprendre les relations que j'avais déjà engagées à un autre titre et nous avons mis sur pied un voyage d'Etat que j'ai effectué dans votre pays, vous le savez, dans d'excellentes conditions.
- Je crois que nos deux pays sont faits pour s'entendre sur les plus grands problèmes de la politique générale, de la politique internationale et je pense que nous allons pouvoir en parler.\
QUESTION.- Quand vous disiez tout à l'heure que les relations d'amitié et de coopération entre nos deux pays, sont depuis toujours excellentes, elles ont connu un nouveau développement surtout depuis votre visite, la dernière visite que vous avez effectuée en Chine en 1983, alors comment appréciez-vous concrètement monsieur le Président les rapports actuels entre nos deux pays sous leurs différents aspects : aspect culturel, économique, politique, diplomatique bien sûr et quelles seront leurs perspectives d'avenir ?
- LE PRESIDENT.- Ces relations sont nombreuses, elles ont gagné en intensité, sur le -plan commercial notamment. En peu de temps, nous avons accru nos relations commerciales de 85 %. Elles ne sont pas quand même suffisantes à mes yeux. Nous pourrions faire un effort sensible mais cela est précisément l'objet de nos conversations et je n'ai aucune raison d'être pessimiste en raison du très bon accueil que reçoivent les envoyés de la France chaque fois qu'il s'agit de ces problèmes.
- Vous savez que la France est le quatrième pays exportateur du monde et il n'arrive qu'au 11ème rang en Chine, ce qui prouve que nos diplomates d'une part, mais plus encore nos chefs d'entreprises et nos hommes d'affaires doivent apprendre à connaître mieux la Chine. Et la Chine doit apprendre à s'ouvrir davantage encore à nos productions. Comme tout cela est discuté d'une façon très amicale avec une très grande connaissance, qui tend à s'accroître sans cesse, de la réalité chinoise ici et de la réalité française chez vous, je suis absolument sûr que nous devrions, en trois ou quatre ans développer considérablement ces échanges.\
`Relations culturelles franco-chinoises"
- Sur le -plan culturel, c'est déjà fait même si nous avons encore de grands progrès à faire pour les traductions en langue française des oeuvres chinoises, en langue chinoise des oeuvres françaises mais sur le -plan du spectacle, du théâtre, de toutes les représentations scéniques, sur les modes culturels de toutes sortes que représentent les formes de fabrication, de production française, je crois qu'au cours de ces dernières années on a pu observer que la Chine était très désireuse de s'ouvrir au génie français. J'ai moi-même souhaité et je me plaindrais plutôt que cela mette du temps - j'en parlerai au gouvernement français - qu'il existât à Paris une Maison de la Chine qui permette le développement culturel, de même qu'en Chine puisse exister une maison représentant notre pays. Tout cela est à notre portée. Je crois pouvoir dire qu'après la déjà lointaine reconnaissance du gouvernement de Chine populaire par le général de Gaulle, reconnaissance sur laquelle j'avais beaucoup insisté alors que j'étais parlementaire (je me souviens d'être intervenu au Sénat à l'époque pour demander au gouvernement français de se dépêcher de le faire) je n'ai pas manqué de suivre l'évolution de nos rapports et je continuerai de le faire.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais que vous précisiez un peu sur le -plan politique, vous disiez tout à l'heure que nos deux pays sont faits pour coopérer sur le -plan international alors je voudrais que vous précisiez un peu, c'est-à-dire la France et la Chine travaillent l'une et l'autre à la sauvegarde de la paix mondiale et au développement universel. Donc, quels sont les points communs selon vous monsieur le Président que la Chine et la France partagent dans leurs analyses des grands problèmes internationaux ? Et comment à votre avis, devront-elles renforcer leur coopération dans ce domaine ?
- LE PRESIDENT.- Les similitudes sont nombreuses. J'ai eu l'occasion d'en parler aux dirigeants chinois depuis déjà 6 ans et demi et je me suis toujours réjoui de cette rencontre de nos positions dans la plupart des grands problèmes qui intéressent la vie du monde, pas tous bien entendu mais la plupart. D'abord par -rapport au problème de la paix et de la guerre. Il est regrettable que le monde soit aujourd'hui partagé entre deux blocs militaires. La France, située sur le continent européen, membre de l'Alliance atlantique, et qui a vécu deux guerres mondiales, doit bien entendu veiller à ses conditions de sécurité. Il n'empêche que nous regrettons cette évolution du monde coupé en deux pendant si longtemps. Nous nous réjouissons aujourd'hui de voir les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique se rapprocher pour engager la première conversation sur un véritable désarmement. Il y en a eu beaucoup d'autres avant, mais cela n'a jamais abouti qu'à un surarmement. C'est pourquoi, parlant de ce sujet, j'ai souvent dit que je ne pouvais vraiment qu'approuver la démarche de MM. Gorbatchev et Reagan. De ce point de vue, je sais que le gouvernement de la Chine souhaite également que le désarmement puisse s'accélérer. J'ai fait des observations à ce sujet car on met quelquefois en cause l'armement nucléaire de la France comme d'ailleurs l'armement nucléaire de la Chine ou celui de la Grande-Bretagne. J'ai dit que, bien entendu, la France ne se refuserait pas à prendre part à un désarmement général mais qu'avant de s'engager dans cette négociation, il faudrait que les deux plus grandes puissances militaires fassent des progrès considérables dans la destruction ou la disparition de leur propre armement. Je pense qu'ils vont commencer par des armes intermédiaires, mais c'est loin d'être suffisant. Il faudra continuer et à ce moment-là la France en tout cas sera disponible, comme je l'ai déclaré d'ailleurs à la tribune des Nations unies en 1983. D'autres similitudes existent dans l'affirmation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, dans le souci qu'a la France d'aborder chaque conflit régional pour essayer non pas de l'isoler mais de le traiter en tant que tel afin que tout conflit local ou régional ne devienne pas un conflit international, ramené à la seule relation Est-Ouest. Je pense que la Chine sur ce -plan-là partage cette opinion, même si nous n'avons pas toujours les mêmes points de vue par -rapport à tel ou tel conflit local. Je dois dire que nous nous rencontrons souvent au Conseil de sécurité où nous sommes parmi les membres permanents et s'il arrive parfois que nos points de vue diffèrent, ce qui est normal pour deux grands pays, nous nous rencontrons souvent sur les points les plus importants.\
QUESTION.- Profitant de l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui, nous vous demandons, monsieur le Président, de développer pour nous vos points de vue sur le monde financier qui est agité de grands remous ces derniers temps, nous vous demandons d'exposer vos vues sur la création d'un nouveau système monétaire que vous avez tout récemment évoqué.
- LE PRESIDENT.- Ce que l'on doit d'abord dire, c'est que le simple constat de la situation présente est absolument désolant. Il a existé pendant 25 ans un système monétaire international. Il valait ce qu'il valait, mais il a quand même permis d'assurer une très grande période d'expansion en tout cas pour les pays occidentaux. La disparition de ce système en 1971 `fin de l'accord de Bretton Woods`, a laissé place à une jungle d'intérêts, à une lutte, à une concurrence souvent entre pays amis. Mais lorsqu'il s'agit des intérêts, si l'on n'a pas de vue politique vaste, si l'on se laisse aller à de simples confrontations quotidiennes, cela va de mal en pis et le système monétaire international est aujourd'hui livré à l'aventure. On le constate bien sur le -plan du taux de change et sur le -plan de la crise boursière, crise économique en vérité.
- Je souhaite donc que l'on arrive à un accord entre les plus grandes monnaies pour essayer de limiter les marges de fluctuations, pour disposer de disponibilités et pour que les banques centrales interviennent d'une façon cohérente. Cela suppose naturellement aussi que l'on s'entende sur des baisses sensibles d'intérêts réels, sur les équilibres budgétaires et commerciaux nécessaires à toute bonne marche des affaires financières et économiques du monde. C'est comme cela que je vois ce problème, avec un aspect particulier qui touche simplement l'Europe.
- Et j'aurais dû vous dire à la question précédente, que l'un des points sur lesquels j'ai rencontré souvent l'approbation chinoise, c'est sur la construction de l'Europe, sur le sentiment qu'a la Chine que pour l'équilibre mondial, le développement de l'Europe autour de la Communauté économique européenne, représentait un facteur de stabilité et de progrès. Et je réinsiste sur ce point : j'ai constamment trouvé parmi les dirigeants chinois des hommes d'Etat responsables qui ont - comment dirais-je - contribué à ce que l'on comprenne dans le monde cette démarche.
- Je reviens maintenant à l'Europe, sur le -plan particulier de la monnaie, pour dire qu'à l'intérieur du système monétaire international que j'appelle de mes voeux, se développe un véritable système monétaire européen, il existe déjà, mais il reste flou dans certaines données. Il faut une monnaie européenne, et pour créer cette monnaie européenne - si théoriquement elle existe, elle reste un peu abstraite, c'est ce que l'on appelle l'écu - je demande que cette monnaie puisse servir aux échanges normaux et que l'Europe prenne conscience d'elle-même autour d'une monnaie commune.\
QUESTION.- Est-ce que vous avez quelques mots à dire à nos auditeurs de la radio chinoise, nous vous remercions ?
- LE PRESIDENT.- Vous ne m'auriez pas posé cette question, je l'aurais évoquée moi-même, car comment répondre à votre micro sans parler à nos auditeurs, un langage direct et personnel. J'ai eu grand intérêt, grand plaisir à visiter certaines parties de la Chine, à rencontrer beaucoup de Chinois, et depuis ce temps-là, j'ai entretenu des relations d'amitié personnelles avec nombre de vos compatriotes. Alors, maintenant que plus nombreux encore, ils seront en mesure de m'entendre, je peux leur dire que je souhaite à votre peuple grande réussite, bonheur et paix. C'est un des plus grands peuples civilisés de la terre, une des plus anciennes formes de civilisation, un pays qui a beaucoup de courage, qui a su surmonter des épreuves immenses. Je veux donc que les Chinois m'entendent, les citoyens Chinois, du nord au sud, de l'est à l'ouest, m'entendent leur dire les voeux que je forme pour eux et l'expression de l'amitié que je leur porte.\