29 octobre 1987 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, au Conseil général de la Loire, notamment sur la décentralisation et l'importance du développement régional pour la mise en oeuvre du marché communautaire en 1992, Saint-Etienne, jeudi 29 octobre 1987.
Monsieur le Président,
- Mesdames et messieurs,
- Depuis quelques temps déjà, cette visite autant que sa préparation m'apparaissait comme une visite agréable pour moi et, je l'espère, utile pour tous. J'étais bien passé par là, à titre privé ou personnel, mais je regrettais de n'avoir pu, depuis plus de 6 ans, venir rendre hommage sur place à la population et rencontrer les élus de cette population de la Loire. Voilà, c'est fait ou presque. Cela se fait en cette journée d'octobre 1987.
- Je vous remercie, monsieur le Président pour vos propos d'accueil qui allaient plus loin qu'un seul mot de convenance. Il se trouve que nous nous connaissons depuis longtemps puisque notre génération, même s'il y a quelque différence d'âge, a vécu et éprouvé les drames de la France, drames surmontés depuis maintenant plusieurs décennies, à commencer par la guerre, l'occupation et donc, M. Neuwirth, par la Résistance. Nos pas se sont croisés, et bien des amitiés communes se sont créées dans le malheur mais aussi dans l'espoir. L'espoir, c'était aussi une qualité de notre âge, la force de la jeunesse qui avait parfaitement compris les profondeurs de l'événement que nous vivions et les devoirs imposés. Par la suite, nous nous sommes retrouvés au Parlement et, ce n'est un secret pour personne, pas du même côté. Je dois dire - ce qui n'est pas le cas le plus répandu - par dessus ces barrières, ces frontières, il nous est arrivé souvent de nous tendre la main, peut-être pour beaucoup à cause de ce que je viens de dire à l'instant, c'est-à-dire l'affinité du choix initial, qui avait commandé nos vies lorsque nous avions vingt ans.
- Chacun a affirmé haut son drapeau, déployé son énergie et a dû affronter les responsabilités que le suffrage électif commande. Et là, c'était aussi une nouvelle façon d'apprendre à vivre ensemble. Il faut bien vivre ensemble ! Vous l'avez d'ailleurs fort bien dit et vous en avez dit les raisons.\
Elu du peuple, vous avez géré, vous gérez, plus encore qu'hier et j'ai retenu votre développement sur la décentralisation qui fait de vous `Lucien Neuwirth`, et du Conseil général de la Loire, un responsable déterminant de la vie, des travaux, de l'avenir de vos concitoyens. J'ai été, moi-même, Président d'un Conseil général pendant quelques dix-sept années, carrière interrompue en 1981, et j'aimais ce que je faisais tout en souffrant un peu du manque d'aise de cette époque. Ce n'est pas que je nourrissais quelques ressentiments à l'égard de la fonction publique et spécialement de la fonction d'autorité de celui qui représente l'Etat et qui doit le représenter dans chaque département. Nous avons la chance de disposer en France d'une administration préfectorale de premier -plan, et je dis cela en connaissance de cause, puisqu'il y a bien longtemps `1954 - 1955` - je vous prie de ne pas vous en souvenir - j'étais ministre de l'intérieur. C'était aussi au temps de ma jeunesse ou presque, comme le Sénat, le Sénat où j'ai siégé avant de revenir me mêler, je ne sais pourquoi, des combats plus durs, ou du moins plus ouverts, de l'Assemblée nationale.\
La décentralisation ! Vous avez vous-même `Lucien Neuwirth` situé votre propos sur ce terrain-là et je m'y arrêterai un moment.
- Celle que j'ai voulue et contribué à réaliser, par les gouvernements qui se sont succédés, procédait d'une certaine approche de notre société, de l'idée que j'en avais, des connaissances que j'avais pu acquérir au travers du temps qui m'avait été donné. Je suis de ceux qui ont tout à fait approuvé et qui continuent d'approuver la démarche qui a réussi à rassembler notre nation autour d'un Etat fort. Je ne combats pas le message, ou l'héritage, de ceux qui ont bâti la France, et parfois durement, en écartant les féodalités ou les excessifs provincialismes qui s'identifiaient le plus souvent à des choix différents, à des choix historiques, à des choix politiques, à des choix spirituels. Il fallait rassembler, cela a été fait et cela correspondait, vous le savez bien, monsieur le Président, mesdames et messieurs, au profond tempérament des Français, et particulièrement de sa classe dirigeante.
- L'Etat s'est bâti, s'est développé en même temps que la nation. La France est l'une des trois plus anciennes nations d'Europe, dotée de structures propres, avec la Grande-Bretagne et l'Espagne, et on pourrait ajouter le Portugal. Nous plongeons nos racines dans un passé lointain et cette tradition s'est poursuivie à travers plusieurs de nos Rois, qui peuvent servir de prototype à cette démarche nationale, que ce soit Louis XI, Louis XIII, ou plutôt Richelieu, Louis XIV, le nouveau pouvoir constituant de la Révolution française avant Bonaparte. Et il faut le dire, tout le long du XIXème siècle et tout le début du XXème, la Troisième République a agi de la sorte, peut-être plus longtemps qu'il ne convenait, car on aurait dû observer, comme vous venez de le faire sur un autre -plan, celui de l'économie et de l'industrie, - sur lequel je reviendrai, dans un instant -, que les moyens techniques de communication et donc de gouvernement, que les moyens donnés au pouvoir central pour suivre les affaires de chaque coin de France, s'étaient développés de telle sorte que l'on pouvait commencer à relayer l'autorité et à retrouver à la source-même notre inspiration populaire. Ce qui avait été nécessaire et qu'il ne faut pas renier dans la construction de la France, pouvait devenir nuisible à la pérennité française. Une administration devenue trop forte, et trop centralisée, un pouvoir d'Etat assuré de ses arrières, la naissance d'une nouvelle couche de responsables de la nation parfois trop éloignés des réalités locales, le règlement des affaires sur dossier plutôt que par la connaissance du terrain, tout cela était une évolution qui au travers du dernier siècle risquait d'assécher la sève de la nation française. D'autant plus que l'on conquérait, à mesure que se développait ce XIXème siècle, où les luttes sociales ont succédé aux luttes politiques ou bien les ont accompagnées, ou bien les ont suscitées, d'autant plus que naissaient et se déterminaient des espaces nouveaux de liberté. Et qu'est-ce que cela veut dire la liberté ? Sinon l'accession de chaque collectivité, mais plus encore de chaque individu, dans sa personne, à un nouveau degré de responsabilité.\
`Suite sur la décentralisation`
- Quel individu peut vraiment prétendre affirmer sa liberté, sa liberté intérieure, s'il ne se sent pas responsable de la conduite de sa vie. Et ce qui est vrai de beaucoup de démarches philosophiques ou spirituelles, l'est aussi de la conduite d'une nation. Il fallait que les Français puissent comprendre et admettre que désormais bon nombre d'affaires publiques, les leurs, celles qui les touchaient le plus directement, pouvaient être traitées par eux-mêmes. Les conditions du savoir et de la diffusion du savoir, la multiplicité des connaissances, certaines réformes capitales, comme celles qui ont vu la naissance de l'école publique, le développement de l'université au travers des deux grandes guerres mondiales, la connaissance, mais aussi la nouvelle rencontre des Français, affrontés aux drames et à la tragédie et qui, au-delà de leurs divisions historiques et naturelles ou sociales, économiques, ont soudain compris, pare qu'il le fallait, qu'ils étaient soldats du même combat, appris à se reconnaître, tout cela étant mis sur la table, pourquoi aurait-on perpétué un système qui faisait que l'on déléguait à d'autres, et pas toujours représentatifs du peuple dans ses réalités quotidiennes, le soin de décider pour soi.
- Je ne vais pas m'attarder sur ce sujet, je ne suis pas venu traiter de la décentralisation, mot d'ailleurs un peu lourd. Il aurait fallu en trouver un autre. Le génie français fera cette découverte un de ces jours. Je préfère moi le terme, mais il est également un peu trop compliqué, de la responsabilité partagée, redistribuée et partagée. J'ai été maire moi-même, d'une petite commune `Château-Chinon` à côté de celle de Saint-Etienne et je n'ose même pas comparer -, mais enfin c'est une responsabilité entière et Président du Conseil général, petite collectivité à côté de la vôtre, environ 250000 habitants dans le département de la Nièvre, mais tout de même, cela représente des femmes, des hommes, des enfants jusqu'aux personnes de grand âge et à chaque stade de la vie, des hommes, des femmes qui produisent, qui travaillent, qui inventent, qui créent. Pourquoi auraient-ils été interdits de choisir eux-mêmes les voies du présent, les voies de l'avenir, pourquoi auraient-ils été frappés d'incapacité comme on le ferait d'un mineur ou bien de quelqu'un qui n'aurait pas l'esprit. Alors, on l'a fait, processus lentement compris et lentement assimilé, en raison de la force des habitudes. Au fond, le général de Gaulle s'est brisé là-dessus `régionalisation`. Sans doute, y avait-il d'autres raisons, ce n'est pas le moment d'examiner tous ces aspects, mais il a compris lui-même qu'il convenait, au travers d'une loi qui pouvait être contestée, mais dont l'idée même était celle, je crois, que je viens d'exprimer, d'essayer de rapprocher les intérêts, les hommes, les femmes de la décision. Il a fallu beaucoup de peine pour y parvenir et nous ne sommes pas au terme, nous ne sommes pas au bout.\
`Suite sur la décentralisation`
- Je me suis réjoui d'entendre des voix autorisées, gouvernementales, répéter, "il faut faire encore plus de décentralisation" et je me réjouis encore plus lorsque j'entends dire cela de la bouche de ceux qui, quelques années plus tôt, avaient moins d'enthousiasme. Cela prouve que l'idée fait des progrès. Décentraliser, à condition monsieur le Président que dans le même moment, l'Etat, la puissance publique veuille bien conduire un autre phénomène qui porte un nom aussi compliqué et aussi peu poétique : la déconcentration, c'est-à-dire que ces fonctionnaires locaux puissent disposer de plus de pouvoirs, sans être contraints de demander des permissions, tous les quatre matins, au pouvoir central.
- De ce point de vue-là, cela marche lentement. J'avais dû rappeler mes amis Pierre Mauroy et Laurent Fabius, et je pense que le gouvernement actuel conformément aux intentions de M. Chirac va continuer de pousser dans ce sens. Alors on en sera dans un nouveau stade, dans une sorte de nouvelle France, vous avez parlé de nouvelle Loire, vous étiez habilité à en parler, mais une France vraiment nouvelle puisqu'une multitude de collectivités locales, quelques 36000 communes, une centaine de départements en métropole et 22 régions et quatre autres Outre-mer, jouissent désormais des compétences nécessaires.\
`Suite sur décentralisation et déconcentration`
- Cela permet de faire, de plus en plus, et nous n'en sommes qu'au début, dans tous les autres domaines, économique, social, culturel. Ce sont les gens qui vivent là, comme on dit à la base, qui devront être mis en mesure, sans tomber dans les excès qui finalement ne seraient qu'anarchiques, mais la raison est là aussi, qui diront "eh bien voilà, moi ça m'intéresse parce que je vis là". Lorsque j'ai dit, au risque que l'on me fasse quelques reproches, ici ou là, pas partout, "et les immigrés ? Ils vivent là eux aussi". Bien entendu, il ne s'agit pas que les immigrés se substituent, lorsqu'ils sont restés, de leur propre choix, relevant d'une souveraineté étrangère. La Constitution d'ailleurs le dit : ce sont les citoyens français qui décident. C'est normal. Mais là, sur place, lorsque ces travailleurs, qui prennent part au développement de votre ville ou de votre département - et vous avez tenu à le rappeler -, ils ont besoin aussi d'avoir de la lumière, d'avoir un bout de route qui les amène chez eux, d'avoir des égoûts, ils ont besoin d'avoir .... la suite est longue.
- Ils ne peuvent pas avoir d'avis là-dessus ? Il faut qu'ils soient conduits à s'exprimer à ce sujet. Ils n'en demandent pas davantage. Je demande simplement que l'on soit logique avec nous-mêmes, d'autant plus que beaucoup de pays comme la Grande-Bretagne, la Hollande, les pays Scandinaves et bien d'autres ont là-dessus une immense avance sur nous. Voila, il faut que les moeurs évoluent, à condition de ne pas se tromper, de ne pas tout mélanger. Le pouvoir politique, c'est le pouvoir qui exprime la volonté nationale. Et de ce point de vue, on sait ce que veulent dire ces termes qui sont la marque même de notre histoire.\
Vous avez parlé de la nouvelle Loire. Que de fois il m'est arrivé de penser à cette ville où nous sommes `Saint-Etienne` et à ce département, parmi ceux qui, dans la phase précédente, apparaissaient comme les plus actifs, les mieux placés, les plus capables, sur le -plan du travail, de la production, des réalisations de toutes sortes. Que de femmes et d'hommes sont sortis de vos rangs, qui ont illustré le pays et une classe ouvrière, particulièrement qualifiée et courageuse, et des cadres de toutes sortes. Et voilà que parce que vous aviez cette sorte d'équipement, victimes de votre ressource, victimes de vos investissements précédents et pourtant nécessaires, voilà que vous avez été pris à contre-pied, de plein fouet, - vous n'êtes pas les seuls en France -, mais particulièrement ici par ce que l'on appelle la crise et qui n'est que la nécessaire adaptation de notre société aux formes nouvelles et notamment technologiques.
- Faire cesser la crise, cela veut dire gagner tout le temps possible. Ce n'est pas facile de faire bouger une société, de vaincre des habitudes de pensées et d'actions, de rapprocher les bords de la plaie, de faire qu'entre l'ancienne révolution industrielle et la nouvelle, on arrive à réduire les délais de telle sorte que l'on puisse rapidement ouvrir portes et fenêtres sur l'avenir et guérir ce mal du chômage. Eh bien, je suis vraiment très heureux de vous féliciter, vous toutes, vous tous, et en particulier les responsables, du courage avec lequel, après avoir si j'ose dire compté les décombres, vous vous êtes dit "eh bien, on ne va pas en rester là, on ne va pas se contenter de regretter, de déplorer, on va construire". Et la Loire se construit, et on peut dire qu'elle se construit elle-même.
- Sans doute a-t-elle été capable de convaincre les autres pouvoirs en France de contribuer à cette renaissance, mais j'aperçois dans ce département et sur tous les -plans que j'ai cités, depuis les terrains de l'art, de la création, de l'esprit jusqu'à l'accomplissement des techniques les plus modernes, j'aperçois que cette transformation que vous avez décrite, monsieur le Président, c'est bien la réalité d'aujourd'hui, ou plutôt ces deux réalités se confondent encore.
- Je suis sûr qu'à travers vos rues, vos routes, vos villages, ont peut apercevoir à tout moment des cassures ou bien des transitions brutales. Il vous reste à accomplir un bon bout de chemin. Mais le moment est venu où la disposition des hommes, leur volonté, leur engagement, et leur intelligence, s'est déterminée, où les élus, les responsables de l'administration, tous ont été capables de surmonter d'inévitables divergences, dont j'ajouterai qu'elles sont bonnes en soi, car c'est du débat, et donc de la contradiction, que doit naître la nécessaire synthèse. Ce serait absurde que d'imaginer, je le disais tout à l'heure à la mairie, un monde clos, idéal, dans lequel il ne passerait aucun courant d'air, dans lequel il n'y aurait aucune corrosion des éléments. Non ! Une société n'est pas comme cela. Notre société, c'est une confrontation d'intérêts et d'intérêts le plus souvent - pas toujours - légitimes, naturels, qui relèvent de l'histoire et des relations sociales, des situations de fortune. Voilà, comme je le dis un peu partout, à compter d'un certain moment, on le fait et là, pour la renaissance de la Loire, c'est un de ces moments là. Les responsables en tout cas, doivent avoir le courage de dire : "Vous êtes ce que vous êtes, on ne va pas abolir vos différences, ce ne serait pas bon pour la démocratie, ni pour la France, mais on a besoin de vivre, on a besoin de renaître pour vivre, on a besoin d'être fort pour l'avenir incertain de compétition, vers lequel nous sommes lancés, alors, mettons en commun ce que nous avons de meilleur". Surtout avec la perspective de 1992.\
`Suite sur le marché communautaire de 1992`
- Je me permettrai de souligner que, si j'en parle avec une ferveur particulière, c'est aussi parce que je l'ai voulu et que je l'ai négocié, dans des conditions très rudes, après plusieurs échecs qui nous ont conduits de capitales en capitales, puis de Milan à Luxembourg, avant de parvenir à un accord avec nos onze autres partenaires - à l'époque ils n'étaient que neuf, puisque l'Europe dans l'intervalle est passée de dix à douze, mais l'Espagne et le Portugal ont été très présents dans ces débats. Est-ce qu'on va être capable de persévérer dans la construction d'un marché commun, c'est-à-dire de bâtir un marché unique où non seulement les marchandises et les personnes, les idées, bien entendu, circuleront librement, donc en -état de concurrence, mais en plus seront harmonisés les statuts juridiques, commerciaux, fiscaux, les assurances, les transports, dans tous les domaines. Alors, aussitôt, qu'est-ce qu'on fait, on regarde, et on regarde quoi ? Les carences ! On voit les défaillances et on dit on n'y arrivera jamais !
- Et on se dit comment la France s'en tirera-t-elle lorsqu'elle sera en devoir de supporter la rude concurrence de ses voisins, de ses amis, souvent plus avancés qu'elle, dans telle ou telle discipline.
- Il faudra aussitôt se redresser, et dire mais il est d'autres disciplines où nous sommes les meilleurs et celles où nous ne le sommes pas, devenons-le ! Est-ce possible en quelques années ? Mais oui ! Nous avons le niveau d'éducation et d'enseignement, de formation des femmes et des hommes qui peut répondre à la demande, et s'il n'y répond pas eh bien, faisons-le ! Et cela peut se faire rapidement.
- On a vu d'autres pays réussir des performances - pour employer un terme sportif - qui permettent d'espérer, en tout cas, quand on veut, un pays comme la France, un département comme la Loire, dont le passé est riche et fort, quand on veut, on peut ! Puisqu'il s'agit après tout d'une compétition humaine, ces autres aussi, ils peuvent si ils veulent. Il faut vouloir davantage. C'est une épreuve de volonté, mesdames et messieurs, puisque nous avons les outillages, nous avons les matières premières - pas toutes -, pas le pétrole, alors on cherchait des idées, mais on peut se demander si la meilleure idée n'était pas finalement de ne pas avoir de pétrole, mais cela c'est une réflexion au passage. Avec les temps qui courent, il y a autre chose. Il faut se servir de ce que l'on a, il ne faut pas croire que les matières premières n'appartiennent qu'aux autres. Après tout, pendant des siècles, nous avons vendu nos matières premières et nous continuons, quand ce ne serait que le blé, toute une matière due au talent de nos agriculteurs, etc, etc...
- Eh bien, je vous demande, mesdames et messieurs, d'être prêts, de vous tenir prêts pour cette échéance et pour celles qui suivront. Elle est capitale. C'est un changement d'histoire, pour une Europe qui sera en même temps une Europe nouvelle. Ce sera mon dernier mot, au risque de me répéter, mais les circonstances m'y contraignent. Comment voulez-vous que nous résistions aux crises qui se propagent, qui viennent pour une large part de l'extérieur, même si nous n'avons pas à rejeter ce qui pourrait relever de nos propres carences ?\
Ces crises qui se propagent, qui viennent des pays les plus actifs et les plus dynamiques, les Etats-Unis d'Amérique, le Japon, et puis l'Allemagne, soudain veulent s'isoler. C'est le fameux "chacun pour soi", que j'ai évoqué depuis quelques jours pour le condamner. Mais au moins, qu'en Europe, nous soyons capables de bâtir une monnaie commune, et donc une économie apte à remplir ces obligations de 1992, d'une société politique dotée de ses institutions et de son pouvoir politique, autour de ses moyens de défense commune, qu'il faudra du temps pour mettre en place, car nous ne sommes pas sortis de l'après guerre, ni du partage de Yalta ou bien de Téhéran, celui qui depuis les dernières années de la guerre mondiale continue de commander le sort de l'Europe et des Européens.
- Voilà donc cette nouvelle Loire à laquelle je propose déjà d'avancer le pas vers cette France renouvelée par les institutions que je viens d'exposer, puis, par quelques autres, et surtout par un -état d'esprit, de conquête, de volonté, de renaissance. Et puis l'Europe aussi, cela fait beaucoup de choses à faire, oui, cela fait beaucoup de choses à faire, parce que tout se tient. Il faut bien se dire que, crise financière, crise boursière, crise monétaire, si cela n'est pas stoppé, arrêté, cela se traduira en crise économique nouvelle, en récession, en retour de l'inflation. Je ne vais pas dessiner un tableau de désastres, mais enfin, il n'est que temps de demander aux organisations internationales, et aux responsables du monde, et en particulier de l'Europe, de saisir la difficulté majeure qu'ils rencontrent à bras-le-corps et d'apporter les réponses que toute génération a su apporter, lorsque cette génération était digne d'assumer l'histoire de son pays ou de la société de son temps.\
Je crois aux vertus de l'effort, mesdames et messieurs. L'effort, ce n'est pas par définition agréable, mais il porte en lui sa récompense. Vous avez entrepris cet effort, monsieur le Président, mesdames et messieurs les conseillers généraux, mesdames et messieurs les maires, ici présents. Je m'en réjouis. Je me permets de vous adresser un signe, comment dirais-je, de solidarité. Vous n'avez pas besoin d'encouragements, mais partout où je serai moi-même, croyez-moi, je me dirai quand même, c'est une chance que d'avoir pu prendre part au redressement de la France, engagé, non pas avec telle querelle-là, cette sorte de dispute sur le droit de propriété, d'un rétablissement, que chaque gouvernement après l'autre reprend comme un refrain, "avant moi il n'y avait rien, avec moi il y a tout, il y aura tout", qu'est-ce que cela veut dire ? Ce qui est vrai, c'est que nous avons à affronter un avenir proche, même immédiat avec toutes les forces de la France, que nous avons à sortir définitivement d'une époque dépassée, dans l'équipement industriel notamment, que nous avons à inventer une façon d'être et une façon de vivre. Dans ce département, parce qu'il a été plus éprouvé que d'autres, les femmes et les hommes ont été conduits à réfléchir sur ce qu'il convenait de faire et à s'engager personnellement. Croyez-moi, monsieur le Président pour ce que vous me disiez tout à l'heure, c'est une chance immense. Ce matériau-là, vous l'avez. Vous avez les intelligences et vous avez le travail. Je vous en prie, mettez tout cela en oeuvre, plus encore que vous ne l'avez fait, et cependant Saint-Etienne et la Loire sont des références pour moi.
- Voilà, c'est ce que j'avais à vous dire. Et encore, ce discours, si on peut appeler cela comme ça, s'est greffé sur les quelques réflexions de monsieur le Président du Conseil général de la Loire `L. Neuwirth`. C'est donc un vrai dialogue. Je ne savais pas exactement, il y a une heure, de quoi il retournerait mais je savais bien que de toute façon, l'accueil serait celui que je reçois parce que quand même je connais mon pays et je connais ses hommes et particulièrement la qualité de ceux qui sont responsables dans ce département. J'aurais bien d'autres choses à vous dire, mais il faut s'en tenir là. D'abord parce que je dois me rendre ailleurs, dans la journée, parce que la journée n'a que le nombre d'heures habituelles, et parce que demain aussi, il y a autre chose à faire. Après tout, après avoir chanté les louanges de la décentralisation, il me semble que je peux partir tranquillement, puisque vous êtes là, mesdames et messieurs. Alors comme je le disais hier, à une assemblée "Allez-y et gagnez votre bataille " Ce sera une façon de gagner la bataille pour la France à laquelle vous appeliez tout à l'heure, monsieur le Président.
- Vive Saint-Etienne !
- Vive le département de la Loire !
- Vive la République !
- Vive la France !\
- Mesdames et messieurs,
- Depuis quelques temps déjà, cette visite autant que sa préparation m'apparaissait comme une visite agréable pour moi et, je l'espère, utile pour tous. J'étais bien passé par là, à titre privé ou personnel, mais je regrettais de n'avoir pu, depuis plus de 6 ans, venir rendre hommage sur place à la population et rencontrer les élus de cette population de la Loire. Voilà, c'est fait ou presque. Cela se fait en cette journée d'octobre 1987.
- Je vous remercie, monsieur le Président pour vos propos d'accueil qui allaient plus loin qu'un seul mot de convenance. Il se trouve que nous nous connaissons depuis longtemps puisque notre génération, même s'il y a quelque différence d'âge, a vécu et éprouvé les drames de la France, drames surmontés depuis maintenant plusieurs décennies, à commencer par la guerre, l'occupation et donc, M. Neuwirth, par la Résistance. Nos pas se sont croisés, et bien des amitiés communes se sont créées dans le malheur mais aussi dans l'espoir. L'espoir, c'était aussi une qualité de notre âge, la force de la jeunesse qui avait parfaitement compris les profondeurs de l'événement que nous vivions et les devoirs imposés. Par la suite, nous nous sommes retrouvés au Parlement et, ce n'est un secret pour personne, pas du même côté. Je dois dire - ce qui n'est pas le cas le plus répandu - par dessus ces barrières, ces frontières, il nous est arrivé souvent de nous tendre la main, peut-être pour beaucoup à cause de ce que je viens de dire à l'instant, c'est-à-dire l'affinité du choix initial, qui avait commandé nos vies lorsque nous avions vingt ans.
- Chacun a affirmé haut son drapeau, déployé son énergie et a dû affronter les responsabilités que le suffrage électif commande. Et là, c'était aussi une nouvelle façon d'apprendre à vivre ensemble. Il faut bien vivre ensemble ! Vous l'avez d'ailleurs fort bien dit et vous en avez dit les raisons.\
Elu du peuple, vous avez géré, vous gérez, plus encore qu'hier et j'ai retenu votre développement sur la décentralisation qui fait de vous `Lucien Neuwirth`, et du Conseil général de la Loire, un responsable déterminant de la vie, des travaux, de l'avenir de vos concitoyens. J'ai été, moi-même, Président d'un Conseil général pendant quelques dix-sept années, carrière interrompue en 1981, et j'aimais ce que je faisais tout en souffrant un peu du manque d'aise de cette époque. Ce n'est pas que je nourrissais quelques ressentiments à l'égard de la fonction publique et spécialement de la fonction d'autorité de celui qui représente l'Etat et qui doit le représenter dans chaque département. Nous avons la chance de disposer en France d'une administration préfectorale de premier -plan, et je dis cela en connaissance de cause, puisqu'il y a bien longtemps `1954 - 1955` - je vous prie de ne pas vous en souvenir - j'étais ministre de l'intérieur. C'était aussi au temps de ma jeunesse ou presque, comme le Sénat, le Sénat où j'ai siégé avant de revenir me mêler, je ne sais pourquoi, des combats plus durs, ou du moins plus ouverts, de l'Assemblée nationale.\
La décentralisation ! Vous avez vous-même `Lucien Neuwirth` situé votre propos sur ce terrain-là et je m'y arrêterai un moment.
- Celle que j'ai voulue et contribué à réaliser, par les gouvernements qui se sont succédés, procédait d'une certaine approche de notre société, de l'idée que j'en avais, des connaissances que j'avais pu acquérir au travers du temps qui m'avait été donné. Je suis de ceux qui ont tout à fait approuvé et qui continuent d'approuver la démarche qui a réussi à rassembler notre nation autour d'un Etat fort. Je ne combats pas le message, ou l'héritage, de ceux qui ont bâti la France, et parfois durement, en écartant les féodalités ou les excessifs provincialismes qui s'identifiaient le plus souvent à des choix différents, à des choix historiques, à des choix politiques, à des choix spirituels. Il fallait rassembler, cela a été fait et cela correspondait, vous le savez bien, monsieur le Président, mesdames et messieurs, au profond tempérament des Français, et particulièrement de sa classe dirigeante.
- L'Etat s'est bâti, s'est développé en même temps que la nation. La France est l'une des trois plus anciennes nations d'Europe, dotée de structures propres, avec la Grande-Bretagne et l'Espagne, et on pourrait ajouter le Portugal. Nous plongeons nos racines dans un passé lointain et cette tradition s'est poursuivie à travers plusieurs de nos Rois, qui peuvent servir de prototype à cette démarche nationale, que ce soit Louis XI, Louis XIII, ou plutôt Richelieu, Louis XIV, le nouveau pouvoir constituant de la Révolution française avant Bonaparte. Et il faut le dire, tout le long du XIXème siècle et tout le début du XXème, la Troisième République a agi de la sorte, peut-être plus longtemps qu'il ne convenait, car on aurait dû observer, comme vous venez de le faire sur un autre -plan, celui de l'économie et de l'industrie, - sur lequel je reviendrai, dans un instant -, que les moyens techniques de communication et donc de gouvernement, que les moyens donnés au pouvoir central pour suivre les affaires de chaque coin de France, s'étaient développés de telle sorte que l'on pouvait commencer à relayer l'autorité et à retrouver à la source-même notre inspiration populaire. Ce qui avait été nécessaire et qu'il ne faut pas renier dans la construction de la France, pouvait devenir nuisible à la pérennité française. Une administration devenue trop forte, et trop centralisée, un pouvoir d'Etat assuré de ses arrières, la naissance d'une nouvelle couche de responsables de la nation parfois trop éloignés des réalités locales, le règlement des affaires sur dossier plutôt que par la connaissance du terrain, tout cela était une évolution qui au travers du dernier siècle risquait d'assécher la sève de la nation française. D'autant plus que l'on conquérait, à mesure que se développait ce XIXème siècle, où les luttes sociales ont succédé aux luttes politiques ou bien les ont accompagnées, ou bien les ont suscitées, d'autant plus que naissaient et se déterminaient des espaces nouveaux de liberté. Et qu'est-ce que cela veut dire la liberté ? Sinon l'accession de chaque collectivité, mais plus encore de chaque individu, dans sa personne, à un nouveau degré de responsabilité.\
`Suite sur la décentralisation`
- Quel individu peut vraiment prétendre affirmer sa liberté, sa liberté intérieure, s'il ne se sent pas responsable de la conduite de sa vie. Et ce qui est vrai de beaucoup de démarches philosophiques ou spirituelles, l'est aussi de la conduite d'une nation. Il fallait que les Français puissent comprendre et admettre que désormais bon nombre d'affaires publiques, les leurs, celles qui les touchaient le plus directement, pouvaient être traitées par eux-mêmes. Les conditions du savoir et de la diffusion du savoir, la multiplicité des connaissances, certaines réformes capitales, comme celles qui ont vu la naissance de l'école publique, le développement de l'université au travers des deux grandes guerres mondiales, la connaissance, mais aussi la nouvelle rencontre des Français, affrontés aux drames et à la tragédie et qui, au-delà de leurs divisions historiques et naturelles ou sociales, économiques, ont soudain compris, pare qu'il le fallait, qu'ils étaient soldats du même combat, appris à se reconnaître, tout cela étant mis sur la table, pourquoi aurait-on perpétué un système qui faisait que l'on déléguait à d'autres, et pas toujours représentatifs du peuple dans ses réalités quotidiennes, le soin de décider pour soi.
- Je ne vais pas m'attarder sur ce sujet, je ne suis pas venu traiter de la décentralisation, mot d'ailleurs un peu lourd. Il aurait fallu en trouver un autre. Le génie français fera cette découverte un de ces jours. Je préfère moi le terme, mais il est également un peu trop compliqué, de la responsabilité partagée, redistribuée et partagée. J'ai été maire moi-même, d'une petite commune `Château-Chinon` à côté de celle de Saint-Etienne et je n'ose même pas comparer -, mais enfin c'est une responsabilité entière et Président du Conseil général, petite collectivité à côté de la vôtre, environ 250000 habitants dans le département de la Nièvre, mais tout de même, cela représente des femmes, des hommes, des enfants jusqu'aux personnes de grand âge et à chaque stade de la vie, des hommes, des femmes qui produisent, qui travaillent, qui inventent, qui créent. Pourquoi auraient-ils été interdits de choisir eux-mêmes les voies du présent, les voies de l'avenir, pourquoi auraient-ils été frappés d'incapacité comme on le ferait d'un mineur ou bien de quelqu'un qui n'aurait pas l'esprit. Alors, on l'a fait, processus lentement compris et lentement assimilé, en raison de la force des habitudes. Au fond, le général de Gaulle s'est brisé là-dessus `régionalisation`. Sans doute, y avait-il d'autres raisons, ce n'est pas le moment d'examiner tous ces aspects, mais il a compris lui-même qu'il convenait, au travers d'une loi qui pouvait être contestée, mais dont l'idée même était celle, je crois, que je viens d'exprimer, d'essayer de rapprocher les intérêts, les hommes, les femmes de la décision. Il a fallu beaucoup de peine pour y parvenir et nous ne sommes pas au terme, nous ne sommes pas au bout.\
`Suite sur la décentralisation`
- Je me suis réjoui d'entendre des voix autorisées, gouvernementales, répéter, "il faut faire encore plus de décentralisation" et je me réjouis encore plus lorsque j'entends dire cela de la bouche de ceux qui, quelques années plus tôt, avaient moins d'enthousiasme. Cela prouve que l'idée fait des progrès. Décentraliser, à condition monsieur le Président que dans le même moment, l'Etat, la puissance publique veuille bien conduire un autre phénomène qui porte un nom aussi compliqué et aussi peu poétique : la déconcentration, c'est-à-dire que ces fonctionnaires locaux puissent disposer de plus de pouvoirs, sans être contraints de demander des permissions, tous les quatre matins, au pouvoir central.
- De ce point de vue-là, cela marche lentement. J'avais dû rappeler mes amis Pierre Mauroy et Laurent Fabius, et je pense que le gouvernement actuel conformément aux intentions de M. Chirac va continuer de pousser dans ce sens. Alors on en sera dans un nouveau stade, dans une sorte de nouvelle France, vous avez parlé de nouvelle Loire, vous étiez habilité à en parler, mais une France vraiment nouvelle puisqu'une multitude de collectivités locales, quelques 36000 communes, une centaine de départements en métropole et 22 régions et quatre autres Outre-mer, jouissent désormais des compétences nécessaires.\
`Suite sur décentralisation et déconcentration`
- Cela permet de faire, de plus en plus, et nous n'en sommes qu'au début, dans tous les autres domaines, économique, social, culturel. Ce sont les gens qui vivent là, comme on dit à la base, qui devront être mis en mesure, sans tomber dans les excès qui finalement ne seraient qu'anarchiques, mais la raison est là aussi, qui diront "eh bien voilà, moi ça m'intéresse parce que je vis là". Lorsque j'ai dit, au risque que l'on me fasse quelques reproches, ici ou là, pas partout, "et les immigrés ? Ils vivent là eux aussi". Bien entendu, il ne s'agit pas que les immigrés se substituent, lorsqu'ils sont restés, de leur propre choix, relevant d'une souveraineté étrangère. La Constitution d'ailleurs le dit : ce sont les citoyens français qui décident. C'est normal. Mais là, sur place, lorsque ces travailleurs, qui prennent part au développement de votre ville ou de votre département - et vous avez tenu à le rappeler -, ils ont besoin aussi d'avoir de la lumière, d'avoir un bout de route qui les amène chez eux, d'avoir des égoûts, ils ont besoin d'avoir .... la suite est longue.
- Ils ne peuvent pas avoir d'avis là-dessus ? Il faut qu'ils soient conduits à s'exprimer à ce sujet. Ils n'en demandent pas davantage. Je demande simplement que l'on soit logique avec nous-mêmes, d'autant plus que beaucoup de pays comme la Grande-Bretagne, la Hollande, les pays Scandinaves et bien d'autres ont là-dessus une immense avance sur nous. Voila, il faut que les moeurs évoluent, à condition de ne pas se tromper, de ne pas tout mélanger. Le pouvoir politique, c'est le pouvoir qui exprime la volonté nationale. Et de ce point de vue, on sait ce que veulent dire ces termes qui sont la marque même de notre histoire.\
Vous avez parlé de la nouvelle Loire. Que de fois il m'est arrivé de penser à cette ville où nous sommes `Saint-Etienne` et à ce département, parmi ceux qui, dans la phase précédente, apparaissaient comme les plus actifs, les mieux placés, les plus capables, sur le -plan du travail, de la production, des réalisations de toutes sortes. Que de femmes et d'hommes sont sortis de vos rangs, qui ont illustré le pays et une classe ouvrière, particulièrement qualifiée et courageuse, et des cadres de toutes sortes. Et voilà que parce que vous aviez cette sorte d'équipement, victimes de votre ressource, victimes de vos investissements précédents et pourtant nécessaires, voilà que vous avez été pris à contre-pied, de plein fouet, - vous n'êtes pas les seuls en France -, mais particulièrement ici par ce que l'on appelle la crise et qui n'est que la nécessaire adaptation de notre société aux formes nouvelles et notamment technologiques.
- Faire cesser la crise, cela veut dire gagner tout le temps possible. Ce n'est pas facile de faire bouger une société, de vaincre des habitudes de pensées et d'actions, de rapprocher les bords de la plaie, de faire qu'entre l'ancienne révolution industrielle et la nouvelle, on arrive à réduire les délais de telle sorte que l'on puisse rapidement ouvrir portes et fenêtres sur l'avenir et guérir ce mal du chômage. Eh bien, je suis vraiment très heureux de vous féliciter, vous toutes, vous tous, et en particulier les responsables, du courage avec lequel, après avoir si j'ose dire compté les décombres, vous vous êtes dit "eh bien, on ne va pas en rester là, on ne va pas se contenter de regretter, de déplorer, on va construire". Et la Loire se construit, et on peut dire qu'elle se construit elle-même.
- Sans doute a-t-elle été capable de convaincre les autres pouvoirs en France de contribuer à cette renaissance, mais j'aperçois dans ce département et sur tous les -plans que j'ai cités, depuis les terrains de l'art, de la création, de l'esprit jusqu'à l'accomplissement des techniques les plus modernes, j'aperçois que cette transformation que vous avez décrite, monsieur le Président, c'est bien la réalité d'aujourd'hui, ou plutôt ces deux réalités se confondent encore.
- Je suis sûr qu'à travers vos rues, vos routes, vos villages, ont peut apercevoir à tout moment des cassures ou bien des transitions brutales. Il vous reste à accomplir un bon bout de chemin. Mais le moment est venu où la disposition des hommes, leur volonté, leur engagement, et leur intelligence, s'est déterminée, où les élus, les responsables de l'administration, tous ont été capables de surmonter d'inévitables divergences, dont j'ajouterai qu'elles sont bonnes en soi, car c'est du débat, et donc de la contradiction, que doit naître la nécessaire synthèse. Ce serait absurde que d'imaginer, je le disais tout à l'heure à la mairie, un monde clos, idéal, dans lequel il ne passerait aucun courant d'air, dans lequel il n'y aurait aucune corrosion des éléments. Non ! Une société n'est pas comme cela. Notre société, c'est une confrontation d'intérêts et d'intérêts le plus souvent - pas toujours - légitimes, naturels, qui relèvent de l'histoire et des relations sociales, des situations de fortune. Voilà, comme je le dis un peu partout, à compter d'un certain moment, on le fait et là, pour la renaissance de la Loire, c'est un de ces moments là. Les responsables en tout cas, doivent avoir le courage de dire : "Vous êtes ce que vous êtes, on ne va pas abolir vos différences, ce ne serait pas bon pour la démocratie, ni pour la France, mais on a besoin de vivre, on a besoin de renaître pour vivre, on a besoin d'être fort pour l'avenir incertain de compétition, vers lequel nous sommes lancés, alors, mettons en commun ce que nous avons de meilleur". Surtout avec la perspective de 1992.\
`Suite sur le marché communautaire de 1992`
- Je me permettrai de souligner que, si j'en parle avec une ferveur particulière, c'est aussi parce que je l'ai voulu et que je l'ai négocié, dans des conditions très rudes, après plusieurs échecs qui nous ont conduits de capitales en capitales, puis de Milan à Luxembourg, avant de parvenir à un accord avec nos onze autres partenaires - à l'époque ils n'étaient que neuf, puisque l'Europe dans l'intervalle est passée de dix à douze, mais l'Espagne et le Portugal ont été très présents dans ces débats. Est-ce qu'on va être capable de persévérer dans la construction d'un marché commun, c'est-à-dire de bâtir un marché unique où non seulement les marchandises et les personnes, les idées, bien entendu, circuleront librement, donc en -état de concurrence, mais en plus seront harmonisés les statuts juridiques, commerciaux, fiscaux, les assurances, les transports, dans tous les domaines. Alors, aussitôt, qu'est-ce qu'on fait, on regarde, et on regarde quoi ? Les carences ! On voit les défaillances et on dit on n'y arrivera jamais !
- Et on se dit comment la France s'en tirera-t-elle lorsqu'elle sera en devoir de supporter la rude concurrence de ses voisins, de ses amis, souvent plus avancés qu'elle, dans telle ou telle discipline.
- Il faudra aussitôt se redresser, et dire mais il est d'autres disciplines où nous sommes les meilleurs et celles où nous ne le sommes pas, devenons-le ! Est-ce possible en quelques années ? Mais oui ! Nous avons le niveau d'éducation et d'enseignement, de formation des femmes et des hommes qui peut répondre à la demande, et s'il n'y répond pas eh bien, faisons-le ! Et cela peut se faire rapidement.
- On a vu d'autres pays réussir des performances - pour employer un terme sportif - qui permettent d'espérer, en tout cas, quand on veut, un pays comme la France, un département comme la Loire, dont le passé est riche et fort, quand on veut, on peut ! Puisqu'il s'agit après tout d'une compétition humaine, ces autres aussi, ils peuvent si ils veulent. Il faut vouloir davantage. C'est une épreuve de volonté, mesdames et messieurs, puisque nous avons les outillages, nous avons les matières premières - pas toutes -, pas le pétrole, alors on cherchait des idées, mais on peut se demander si la meilleure idée n'était pas finalement de ne pas avoir de pétrole, mais cela c'est une réflexion au passage. Avec les temps qui courent, il y a autre chose. Il faut se servir de ce que l'on a, il ne faut pas croire que les matières premières n'appartiennent qu'aux autres. Après tout, pendant des siècles, nous avons vendu nos matières premières et nous continuons, quand ce ne serait que le blé, toute une matière due au talent de nos agriculteurs, etc, etc...
- Eh bien, je vous demande, mesdames et messieurs, d'être prêts, de vous tenir prêts pour cette échéance et pour celles qui suivront. Elle est capitale. C'est un changement d'histoire, pour une Europe qui sera en même temps une Europe nouvelle. Ce sera mon dernier mot, au risque de me répéter, mais les circonstances m'y contraignent. Comment voulez-vous que nous résistions aux crises qui se propagent, qui viennent pour une large part de l'extérieur, même si nous n'avons pas à rejeter ce qui pourrait relever de nos propres carences ?\
Ces crises qui se propagent, qui viennent des pays les plus actifs et les plus dynamiques, les Etats-Unis d'Amérique, le Japon, et puis l'Allemagne, soudain veulent s'isoler. C'est le fameux "chacun pour soi", que j'ai évoqué depuis quelques jours pour le condamner. Mais au moins, qu'en Europe, nous soyons capables de bâtir une monnaie commune, et donc une économie apte à remplir ces obligations de 1992, d'une société politique dotée de ses institutions et de son pouvoir politique, autour de ses moyens de défense commune, qu'il faudra du temps pour mettre en place, car nous ne sommes pas sortis de l'après guerre, ni du partage de Yalta ou bien de Téhéran, celui qui depuis les dernières années de la guerre mondiale continue de commander le sort de l'Europe et des Européens.
- Voilà donc cette nouvelle Loire à laquelle je propose déjà d'avancer le pas vers cette France renouvelée par les institutions que je viens d'exposer, puis, par quelques autres, et surtout par un -état d'esprit, de conquête, de volonté, de renaissance. Et puis l'Europe aussi, cela fait beaucoup de choses à faire, oui, cela fait beaucoup de choses à faire, parce que tout se tient. Il faut bien se dire que, crise financière, crise boursière, crise monétaire, si cela n'est pas stoppé, arrêté, cela se traduira en crise économique nouvelle, en récession, en retour de l'inflation. Je ne vais pas dessiner un tableau de désastres, mais enfin, il n'est que temps de demander aux organisations internationales, et aux responsables du monde, et en particulier de l'Europe, de saisir la difficulté majeure qu'ils rencontrent à bras-le-corps et d'apporter les réponses que toute génération a su apporter, lorsque cette génération était digne d'assumer l'histoire de son pays ou de la société de son temps.\
Je crois aux vertus de l'effort, mesdames et messieurs. L'effort, ce n'est pas par définition agréable, mais il porte en lui sa récompense. Vous avez entrepris cet effort, monsieur le Président, mesdames et messieurs les conseillers généraux, mesdames et messieurs les maires, ici présents. Je m'en réjouis. Je me permets de vous adresser un signe, comment dirais-je, de solidarité. Vous n'avez pas besoin d'encouragements, mais partout où je serai moi-même, croyez-moi, je me dirai quand même, c'est une chance que d'avoir pu prendre part au redressement de la France, engagé, non pas avec telle querelle-là, cette sorte de dispute sur le droit de propriété, d'un rétablissement, que chaque gouvernement après l'autre reprend comme un refrain, "avant moi il n'y avait rien, avec moi il y a tout, il y aura tout", qu'est-ce que cela veut dire ? Ce qui est vrai, c'est que nous avons à affronter un avenir proche, même immédiat avec toutes les forces de la France, que nous avons à sortir définitivement d'une époque dépassée, dans l'équipement industriel notamment, que nous avons à inventer une façon d'être et une façon de vivre. Dans ce département, parce qu'il a été plus éprouvé que d'autres, les femmes et les hommes ont été conduits à réfléchir sur ce qu'il convenait de faire et à s'engager personnellement. Croyez-moi, monsieur le Président pour ce que vous me disiez tout à l'heure, c'est une chance immense. Ce matériau-là, vous l'avez. Vous avez les intelligences et vous avez le travail. Je vous en prie, mettez tout cela en oeuvre, plus encore que vous ne l'avez fait, et cependant Saint-Etienne et la Loire sont des références pour moi.
- Voilà, c'est ce que j'avais à vous dire. Et encore, ce discours, si on peut appeler cela comme ça, s'est greffé sur les quelques réflexions de monsieur le Président du Conseil général de la Loire `L. Neuwirth`. C'est donc un vrai dialogue. Je ne savais pas exactement, il y a une heure, de quoi il retournerait mais je savais bien que de toute façon, l'accueil serait celui que je reçois parce que quand même je connais mon pays et je connais ses hommes et particulièrement la qualité de ceux qui sont responsables dans ce département. J'aurais bien d'autres choses à vous dire, mais il faut s'en tenir là. D'abord parce que je dois me rendre ailleurs, dans la journée, parce que la journée n'a que le nombre d'heures habituelles, et parce que demain aussi, il y a autre chose à faire. Après tout, après avoir chanté les louanges de la décentralisation, il me semble que je peux partir tranquillement, puisque vous êtes là, mesdames et messieurs. Alors comme je le disais hier, à une assemblée "Allez-y et gagnez votre bataille " Ce sera une façon de gagner la bataille pour la France à laquelle vous appeliez tout à l'heure, monsieur le Président.
- Vive Saint-Etienne !
- Vive le département de la Loire !
- Vive la République !
- Vive la France !\