15 mai 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la réception du Rassemblement maçonnique international, Paris, Palais de l'Élysée, vendredi 15 mai 1987.

Monsieur le Grand Maître, cher Roger Leray,
- Mesdames et messieurs,
- Vous avez bien voulu m'informer de la tenue de vos assises et demander mon haut patronage £ j'y ai répondu très simplement, très rapidement, car il n'était évidemment pas question pour moi d'ignorer l'importance de cette manifestation.
- Un rassemblement de personnalités représentatives de nombreux pays, et surtout un rassemblement fondé sur la défense d'idées, de principes, le respect de l'homme, le souci de le former pour qu'il puisse affronter les épreuves de la vie, épreuves collectives, épreuves personnelles, éducation civique, tout cela composait un ensemble de données qui m'imposait, indépendamment de l'amitié que je porte à nombre d'entre vous, qui m'imposait donc de faciliter votre tâche si cela était possible.
- J'ai voulu y ajouter cette invitation, en réponse aux aimables invitations qui l'avaient précédée, et je lui donne bien le sens que vous avez exprimé. Le sens d'un combat, hors des compétitions politiques ordinaires, autour des grandes idées, des grands sujets, qui ont marqué et continueront de marquer longtemps l'histoire de l'humanité. Vous avez derrière vous une histoire, entremêlée avec celle des justes combats pour la liberté, l'égalité, la fraternité, pour l'information à commencer par l'école, la promotion de chaque individu en dépit des barrières sociales, des empêchements et des dominations, arc-boutés pour empêcher une évolution dans la justice. Je n'avais donc que des raisons proches de ma propre raison pour me réjouir de cette rencontre. Il n'y a pas lieu d'y revenir.
- J'ai bien vu qu'il y avait ici et là à propos de cette réunion quelques remous £ ils sont sans importance, d'autres que vous seraient les bienvenus, dès lors que la signification de leurs actes serait de même qualité. J'ai déjà eu de telles rencontres dans tous les domaines spirituels, dans tous les domaines philosophiques £ encore faut-il que le combat ait un sens qui soit compatible avec les desseins de la République et d'une certaine manière les intérêts de mon pays, de notre pays et rejoigne aussi une certaine idée de l'homme, de sa vie, de son destin, et de sa capacité à maîtriser l'événement et le cours des temps.\
Je vous remercie de vos propos, cher Roger Leray. Vous aviez bien voulu m'entretenir à diverses reprises du projet qui était le vôtre. Parmi vous, j'ai déjà aperçu quelques visages amis, même si je n'appartiens pas aux sociétés tout à fait respectables, illustrées par quelques grands noms, vous en avez cité certains et la liste aurait pu être plus longue £ par ce que j'en sais, j'estime essentiellement respectable et souhaitable que plus de femmes, que plus d'hommes encore, par les moyens qu'ils choisiront, s'efforcent de servir l'homme dans une société juste, pour une plus grande fraternité et pour une plus grande capacité d'organisation servant la liberté plutôt que l'opprimant.
- Tâche difficile ! Que de fois m'est-il arrivé de dire dans des réunions auxquelles je participais, que la liberté n'existait pas à l'état naturel et qu'il lui fallait des institutions, qu'il fallait donner ses chances à la liberté en l'organisant. Mais on voit tout de suite le risque correspondant, ceux qui organisent ont toujours tendance à trop organiser, et voilà qu'à son tour la liberté est menacée pour avoir été défendue. C'est une dialectique qui durera, mesdames et messieurs, autant que l'homme sur la terre, la dialectique du savoir et du pouvoir, de la domination et de l'esclavage, elle est en nous-mêmes, comment voulez-vous qu'elle ne se reflète pas aussi dans l'image d'une société, de toutes les sociétés quel que soit leur degré d'évolution, avec bien entendu, de considérables différences, selon l'état d'évolution et de civilisation des uns ou des autres.
- C'est pourquoi vous avez pu, cher Roger Leray, exprimant l'opinion sans doute de celles et ceux qui sont ici, déjà désigner quelques adversaires ou même ennemis, menaçants pour les notions sur lesquelles se fonde, ne peut que se fonder la démocratie, essentiellement le respect de l'autre, le respect de son droit et le souci de n'affirmer le sien que dans la mesure où il ne détruit pas le droit de l'autre. La naissance ou la renaissance, les relents de toute sorte qui apparaissent régulièrement, en France même, depuis ma propre jeunesse, j'ai vu comme cela le cycle des chances et des malchances, les épreuves et les joies, les dangers, les périls et aussi le salut. Contribuer à lutter pour une telle cause, je suppose bien que c'est l'objet de vos débats. Quels que soient vos oredres du jour, cela revient toujours à quelques idées simples qui expliquent votre engagement personnel, celui, après tout le temps passe vite et la vie est brève, de justifier cette vie par des engagements sublimes ou qui dépassent le sort d'une personne.
- Alors bonne chance ! Rien n'est jamais facile, mais plus seront nombreux ceux qui se sont engagés par les voies qu'ils choisiront, qui ne seront pas forcément les vôtres, plus ce sera pour nous tous, pour la République dont j'ai la charge principale et pour la France que je continue de voir comme un pays capable de montrer le chemin, une chance.
- Je vous remercie, mesdames et messieurs, je vous remercie, monsieur le Grand Maître. Soyez les bienvenus dans cette maison. Vous avez largement contribué à la fondation de la République et à son installation. Vous êtes donc parmi ceux auxquels je peux dire le plus aisément, vous êtes ici chez vous, restez-y au moins quelques quarts d'heure, cela nous donnera l'occasion de nous retrouver. Et à moi, cela donnera l'occasion de connaître ou de rencontrer femmes et hommes venus d'ailleurs, d'un peu partout, du monde entier, je crois. Voilà, c'est la France qui vous reçoit. Je vous le dis et je suis fier de la représenter. Merci.\