18 décembre 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de l'inauguration de l'autoroute A40 Mâcon-Genève près de Nantua, jeudi 18 décembre 1986.

C'est pour moi une véritable joie que de me trouver parmi vous. Lorsque l'invitation m'est parvenue, j'ai pensé que c'était une occasion finalement rare en raison de la qualité des travaux que de marquer le progrès continu de la France.
- En effet, ce chantier est exceptionnel en France et en Europe : quatre années de travail, plusieurs centaines de personnes, une cinquantaine de sociétés, entreprises de la région, grands groupes nationaux, tous conjuguant leurs efforts. Rien ne fut facile, on l'imagine. Traversée du Jura, franchissement de la Cluse de Nantua, topographie tourmentée de l'une des plus belles régions de notre pays, que de talents a-t-il fallu à nos ingénieurs, à nos travailleurs pour surmonter les contraintes de la géologie et pour se plier aux exigences nécessaires du respect du site. Tous, vous méritez nos félicitations, notre reconnaissance, celle de la Nation pour une réalisation au-delà de son intérêt économique essentiel, fait honneur à notre génie national et prendra désormais sa place parmi tant d'autres dans ce que notre patrimoine technique national a de meilleur.
- Au delà de nos frontières, c'est notre savoir faire qui sort grandi de l'entreprise. Déjà me disait-on de nombreuses délégations d'experts venues du monde entier, notamment de Chine et du Japon étudient, et je n'en doute pas, admirent le travail accompli, ici, à Nantua.
- Pour avoir parcouru ces quelques quarante kilomètres, je peux dire que le résultat est déjà impressionnant. L'enchaînement des viaducs et des tunnels, la perception des reliefs procurent aux voyageurs qui effectuent ce parcours des émotions rares et lui permettent de découvrir des paysages magnifiques, - ils sont magnifiques croyez-moi par tous les temps, - sans que l'environnement qu'il fallait préserver n'en soit à aucun moment altéré. Ce chantier qui a représenté plus de 2 milliards de francs d'investissement n'est pas achevé. Un dernier tronçon de 12 kilomètres, le plus difficile m'a-t-on dit, entre Sillans et Chatillon de Michaille achèvera la construction de ce nouveau grand axe routier européen qui reliera toute l'Europe du Nord à l'Europe du Sud-Est £ la jonction avec l'autoroute du Mont-Blanc interviendra dans 3 ans. C'est dire la difficulté de ce qu'il reste à faire et je mesure à l'examen de ce qui vient d'être fait l'adéquation entre la réalité et le surnom de cet ouvrage, l'autoroute des Titans.
- Ce projet grandiose va modifier l'économie du département de l'Ain, cela vient d'être souligné par M. le président du Conseil général `Jacques Boyon`. Il va d'abord rendre aux habitants des villes contournées, sans pour autant qu'ils y perdent en avantages économiques, un peu de la qualité de vie qui leur avait été enlevée du fait des nuisances de toute -nature occasionnées par la circulation £ quiconque est venu par là, - ce qui est mon cas - a pu le constater et ceux qui vivent sur place ont dû bien en souffrir. C'est déjà le cas depuis un an pour Bourg-en-Bresse, et ce sera demain le cas pour Nantua et pour Pont-d'Ain £ des milliers d'emplois de service vont également être créés. Tout autour, des entreprises industrielles et commerciales seront attirées par les possibilités nouvelles de communication et viendront s'implanter.\
Mais cette autoroute dont j'ai souhaité l'achèvement rapide a une dimension qui dépasse votre région, mesdames et messieurs.
- Les grands équipements restent l'une des principales priorités de demain. Nous sommes responsables de l'évolution de notre pays £ non seulement au jour le jour mais aussi dans le long terme et nous devons rester attentifs à la façon dont les activités et les hommes s'installent, se déplacent, se développent. La cohésion nationale, croyez-moi, c'est aussi un développement plus équilibré des régions et la mise en valeur des chances de chacun. Or celles de la région Rhône-Alpes sont grandes. C'est Fernand Braudel qui a montré combien la prospérité de la Champagne et l'essor des foires au Moyen-Age résultaient de la rencontre en ces lieux des grands mouvements commerciaux qui reliaient l'Europe du Sud, Gênes et Venise, à l'Europe du Nord, Bruges et Anvers. Eh bien, demain en ce XXème siècle finissant, Rhône-Alpes se trouve plus que jamais au coeur des grands itinéraires du Vieux Continent et accomplit, je le crois, aujourd'hui, sa vocation déjà ancienne de terre de rencontre entre le monde méditerranéen et l'Europe du Nord au centre géographique de l'Europe des Douze.\
Le fait pour cette région de se trouver au carrefour des grands échanges qui vont relier Londres, et ce sera plus vrai encore lorsque le projet Transmanche aura été mené à son terme, vous savez qu'il est commencé, Bruxelles et Cologne à Genève, Milan, Rome, Venise, l'Asie mineure, cela constitue un formidable atout.
- A vous désormais, habitants de l'Ain d'en tirer le plus grand avantage, pour vous-même et pour la France. Chacun y trouvera son compte et d'abord l'Europe car dans aucun des pays qui la compose, l'aménagement du territoire ne peut-être désormais pensé au seul niveau national. Réseaux d'autoroutes, TGV, réseaux de télécommunications doivent être conçus à cette échelle européenne. Concrètement jour après jour, l'Europe se construira autour de grands projets dans l'industrie, les hautes technologies, l'aéronautique, l'espace, les grands moyens de communication qui rapprochent les hommes. C'est ainsi que nous atteindrons cette unité des Douze de la Communauté qui est l'une des finalités essentielles du récent Acte unique qui relie ensemble les différentes pièces du puzzle européen.
- Nous le vivons, mesdames et messieurs, l'histoire se fait chaque jour comme nos existences et la mise en service en ce 18 décembre d'un tel équipement contribuera puissamment à resserrer les liens entre nos peuples.
- La France dans cette perspective a une chance particulière qui s'appelle tout simplement la géographie. Pour aller d'Allemagne en Espagne, d'Angleterre en Italie, eh bien il faut emprunter nos routes, nos autoroutes, nos voies ferrées. Constatations banales, certes, mais formidables chances économiques qu'il nous faut valoriser. Ce n'est pas la moindre raison pour laquelle j'ai tant voulu l'élargissement de l'Europe à l'Espagne et au Portugal. Les grands projets d'infrastructure se poursuivent et même s'accélèrent. Le rythme de lancement de sections nouvelles d'autoroutes dépassera 200 kilomètres en 1987 et je sais le prix qu'attache à ce programme, monsieur le ministre de l'équipement `Pierre Méhaignerie`. On atteindra ainsi les objectifs fixés par le IXème Plan à son terme, comme prévu, Paris - Clermont-Ferrand et Paris - Nantes seront achevées, Calais sera relié à Reims et à l'Allemagne et des progrès substantiels auront été accomplis sur l'itinéraire Tarbes - Bayonne conformément aux engagements pris. Ces réalisations font progresser l'économie, celle des régions, celle des villes qui se trouvent proches de ce parcours mais aussi la sécurité, la sécurité des hommes à laquelle nous attachons tous l'importance qu'on imagine car les autoroutes sont beaucoup plus sûres que les voies routières traditionnelles.
- Quant au TGV, le TGV atlantique sera mis en service au deuxième semestre 1989, il desservira plus de 15 millions de Français. A ce TGV atlantique j'ai beaucoup tenu pour qu'il soit retenu dans les programmations, de même le TGV Nord couplé au projet Transmanche et qui entre désormais dans une phase décisive puisque les représentants des gouvernements français, allemand, belge et hollandais se réuniront la semaine prochaine, à cette fin et j'espère qu'un accord se fera pour que soit menée à bien cette étape concrète de la construction européenne.\
Alors, sera réalisé le premier réseau de transport intégré européen à grande vitesse. Voilà qui bouleversera cette géographie de l'Europe, cette géographie de la France, qui réduira les distances au sein de l'hexagone, qui désenclavera des régions entières, qui modifiera jusqu'à nos habitudes. Personne ne peut s'y tromper. Il s'agit là, ce que nous célébrons en cet instant, sous cette voute, il s'agit là d'un progrès considérable. La France est riche de sa diversité. Cette toile que tissent les grands réseaux permet dès maintenant et plus encore naturellement demain de libérer les initiatives, de mobiliser les hommes, de faire émerger de nouveaux pôles de développement. Le territoire s'aménage continuement depuis des siècles, nous savons que les choses s'accélèrent, qu'il convient de voir loin pour faire sans retard les choix de l'avenir : l'Etat en la matière a son rôle à jouer et qui est essentiel, tracer une perspective d'ensemble, répartir les rôles, faire converger les moyens, éviter les disparités trop criantes.
- Comment mobiliser nos forces vives si des pans entiers du territoire étaient négligés ou mis à l'écart ? On le voit bien, ici a contrario ces grands travaux créent des emplois, facilitent les échanges, donnent aux régions qui les accueillent des potentialités nouvelles de développement, permettent aussi à nos entreprises et c'est particulièrement le cas ici à Nantua, de réaliser des prouesses qui serviront de référence lorsqu'il s'agira de présenter des projets dans le monde et d'exporter notre technique. C'est dire qu'ils concourent à la réussite de la France ce qui justifiait tout à l'heure l'expression de ma gratitude.
- Mesdames et messieurs, transformer la géographie, la réalité vivante de notre pays sans dénaturer ses paysages, aménager le territoire national quelle ambition ! Quelle ambition pour notre temps !
- Oui, je me réjouis qu'elle trouve ici-même sur ce site magnifique et pour cette région un point d'application aussi évident et aussi nécessaire. Que soit rendue justice à celles et à ceux qui en ont été les maîtres d'oeuvre.\