14 novembre 1986 - Seul le prononcé fait foi
Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de la séance d'ouverture de la 13ème conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique, notamment sur les relations franco-africaines et l'aide au développement, Lomé, vendredi 14 novembre 1986.
Monsieur le président de la République togolaise,
- Messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement,
- Mesdames et messieurs,
- Pour l'ouverture de cette XIIIème conférence des chefs d'Etat d'Afrique et de France je veux d'abord remercier le Président Eyadéma, ainsi que le peuple togolais pour la qualité de l'accueil et l'hospitalité qu'il nous réserve à Lomé. En recevant de cette façon le Président de la République française, c'est au représentant d'un peuple ami, heureux de cette occasion de réaffirmer ses sentiments, que vous faites honneur.
- Le choix de Lomé est lourd de sens, car le nom de cette ville évoque le double symbole de la coopération entre l'Europe et les pays d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique, et de la coopération entre pays du Sud dans le -cadre de la Communauté économique des états de l'Afrique de l'ouest. Ce choix me donne aussi - permettez cette allusion personnelle - le plaisir de vous revoir, monsieur le Président, dans votre capitale où vous m'avez reçu en 1983 avec une chaleur que je n'ai pas oubliée. En votre personne, je retrouve un chef d'Etat écouté dont je connais l'amitié pour la France et le dévouement à la cause africaine. Je retrouve aussi celui qui dirige le Togo depuis vingt ans et qui a assuré son équilibre intérieur en même temps qu'il a accru son audience internationale.
- Messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement, j'apprécie hautement l'occasion qui m'est donnée de poursuivre avec vous l'utile dialogue noué lors de nos précédentes rencontre. Notre conférence est toujours un rendez-vous important : sans formalisme institutionnel, sans ordre du jour, elle nous permet de discuter librement entre membres d'une même famille des problèmes du monde d'aujourd'hui, nos liens d'amitié, notre héritage commun, nos vues d'avenir, tout nous invite à en débattre au fond et en confiance.
- Cette année, plus encore que d'habitude peut-être, il nous faut, comme vous l'avez fait, monsieur le président, procéder à une analyse lucide du monde tel qu'il est, du monde tel qu'il va, en même temps qu'il nous faut définir ensemble les nouveaux axes de l'action à poursuivre pour améliorer la situation économique et la sécurité des régions qui nous concernent.
- C'est de ces sujets que je vous voudrais maintenant vous entretenir.\
Parlons d'abord de l'économie, qui pour une large part, conditionne la politique. La crise économique mondiale est loin d'être achevée, et pourtant il y a quelques mois, un certain optimisme prévalait partout, comme je l'ai constaté à l'occasion du sommet de Tokyo. Tout y concourrait : une croissance économique soutenue de l'Amérique du Nord et de la zone Pacifique, une décrue mondiale des taux d'intérêts, une baisse générale de l'inflation dans les pays dits du Nord, un début de concertation pour réduire les fluctuations des monnaies, une prise de conscience accrue des dangers du protectionnisme et des problèmes posés par l'endettement du tiers monde.
- Et pourtant, bien que ces faveurs positifs n'aient pas disparu, l'optimisme s'est tempéré : le monde développé reste confronté à ses propres problèmes, et en particulier celui des sous-emplois. De grands pays industriels, incapables de réduire les déséquilibres de leur budget et de leur commerce extérieur, sont menacés de voir leur croissance se ralentir sérieusement.
- L'évolution des taux d'intérêt marque le pas, et alourdit la charge des emprunts. Les protectionnismes ont la vie dure, rendant plus difficile encore l'accès du Nord des produits du Sud. Le système monétaire international demeure soumis à de fortes turbulences : en un an, le yen a augmenté de 50 % par -rapport au dollar et de 17 % par rapport à l'écu.
- Dans le tiers monde, vous le savez bien, les menaces sont toujours là. La baisse du pétrole, qui a allégé le fardeau des pays non-producteurs, pose d'autres problèmes, et parfois dramatiques, aux pays producteurs, bien entendu, en Amérique latine, au Moyen Orient, et sur votre continent, au Nigeria, au Cameroun, au Gabon, que sais-je.
- Les variations des cours des matières premières dans la jungle des marchés libres déstabilisent des économies de plus en plus tributaires de ces exportations.
- Enfin, devant le tarissement de l'aide internationale, plusieurs pays du sud ont à verser plus pour le service de leur dette extérieure, qu'ils ne recoivent de capitaux nouveaux.
- Au total, le système actuel, à l'échelle planétaire, fait chaque jour la preuve de son inefficacité : plus d'inégalités, moins de croissance, plus de gaspillage, moins de ressources. L'écart entre les pays industrialisés et les pays en développement s'accroît. Et même, au sein du tiers monde, les différences tendent à se creuser entre les pays les moins avancés, où le revenu par habitant baisse, et les autres qui amorcent un développement, tels l'Inde, la Chine, la Corée, Singapour, ou même le Brésil qui dégage cette année le troisième excédent commercial mondial.\
Parmi les pays les plus touchés par la crise figurent, nous y sommes, ils sont nos voisins, les pays d'Afrique sub-saharienne : leur développement économique s'est encore ralenti dans la dernière décennie, le taux de croissance y est tombé de 1,3 % en 1960 - 1970 à 0,8 % en 1970 - 1980. Alors que, pour l'ensemble des pays en développement, ces taux étaient respectivement de 3,5 % et de 2,7 %. Vous devinez bien que derrière l'abstraction de ces chiffres, se dissimulent d'intolérables tragédies.
- Pourquoi cette spécificité des problèmes de l'Afrique ? Vous répondez, vous, nos amis africains, vous-mêmes à cette question. J'avais déjà souligné l'an passé l'importance de la résolution adoptée à ce propos en 1985 au sommet de l'Organisation de l'unité africaine, et les propos de M. le Président de la République togolaise viennent de les actualiser. Ce travail a été prolongé cette année par la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies, première session consacrée à un continent et non à un problème. Elle a montré à quel point les Africains eux-mêmes prenaient en main leur destinée. Je rends ici hommage à l'action du précédent Président de l'OUA, le Président Abdou Diouf, qui a voulu cette session, à celle du Président actuel en exercice, le Président Sassou Nguesso.
- Dans ces textes, vous avez courageusement exprimé votre diagnostic. Vous avez mis en cause, je cite : "l'inadaptation des stratégies et des politiques économiques, les déficiences de la gestion, la faiblesse persistante de la productivité, la lourdeur des structures étatiques, le poids des valeurs, des pratiques et des comportements sociaux qui freinent le développement". Bref, vous n'avez rien masqué d'une réalité douloureuse.
- Tout n'est pas de votre propre responsabilité. Plus que d'autres les économies africaines souffrent de l'instabilité des prix des matières premières et des désordres du système économique du monde industrialisé. Soulignons, notamment, que l'excès de la spécialisation de l'Afrique dans la production des matières premières devient, à la limite, dangereuse. Pour 31 pays d'Afrique sur 47, les matières premières, loin d'être le sang vital du Sud, selon l'expression de la commission Brandt, représentent aujourd'hui plus de 70 % de leurs exportations. Or, depuis plusieurs années, les recettes baissent en raison de la diminution des cours des oléagineux, du café, du thé, des bananes, du coton, cours fixés au Nord sur des marchés libres.
- Quand ces cours chutent, les budgets deviennent infinançables. Vous nous en faites la confidence tous les jours. L'exode rural s'accélère, la production alimentaire domestique ne suffit plus à nourrir les populations tandis que les capitaux disparaissent. En conséquence, L'Afrique sub-saharienne a du mal à dégager l'épargne nécessaire pour financer le projet industriel mobilisateur : l'Afrique manque de capital.
- A ces difficultés économiques s'ajoutent, vous le savez, les calamités naturelles, la sécheresse hier, les criquets aujourd'hui, qui aggravent la désertification obligeant femmes et enfants à une quête quotidienne de nourriture et à des marches harassantes.\
Enfin, à ces problèmes, s'ajoutent et se combinent une exceptionnelle crise financière. Sans doute, la dette extérieure africaine est-elle moins lourde que celles d'autres continents, elle est loin des records latino-américains, sans doute les remboursements ne représentent que 27 % des recettes d'exportation de l'Afrique contre 40 % de celles de l'Amérique latine. Le service de la dette atteindra cependant cette année 12 milliards de dollars. Et, à la différence de ce qui se passe en Amérique latine, la part de cette dette, dont le remboursement ne peut être rééchelonné parce que venue d'organisations multilatérales, augmente rapidement.
- Pour de nombreux pays africains qui m'entendent, le remboursement des emprunts dépasse maintenant le montant des crédits nouveaux qu'ils reçoivent. Aussi, au moment où prêteurs et investisseurs privés se désengagent de l'Afrique, au moment où l'Occident attire l'essentiel des capitaux en surplus, sans pour autant réduire ses déséquilibres, l'endettement de l'Afrique devient le goulet d'étranglement de son développement.
- Comment ces pays pourraient-ils dans cette anarchie de l'économie mondiale faire progresser leur société ? Il n'y a pas de réponse simple à ces questions.\
La réalité actuelle des rapports Nord - Sud conduit à réexaminer ce qui a été fait en commun pendant ces dernières années et à réfléchir à ce qu'il convient d'entreprendre pour demain. C'est l'un des objets de notre conférence car depuis des années dans tous les forums internationaux, la France plaide inlassablement pour qu'on réponde plus fermement aux besoins de l'Afrique. Elle a été, récemment, le principal artisan de la création du Fonds spécial pour l'Afrique pour compenser les insuffisances de l'AID. Ce fonds a dépensé en 1986 un milliard et demi de dollars et la France, je dois le dire, est fière d'avoir joué le rôle de chef de file des contributeurs.
- N'oublions pas non plus que la France a, logiquement, agi par elle-même. Je dois le rappeler. Quand en 1981, il a été décidé de donner une impulsion majeure à l'aide publique française au développement qui est passé de 0,36 % du produit national brut français à 0,55 % cinq ans plus tard, l'objectif de 0,7 % recommandé par les institutions internationales devrait être atteint aussi rapidement que possible. En tout cas, nous ne cessons pas de nous y diriger. De même que j'avais annoncé, en septembre 1981 à la conférence de Paris, que l'aide de la France aux pays les moins avancés serait portée à 0,15 % du produit national brut en 1985. Cet objectif a été atteint dès 1984, soit un an - je le souligne - avant la date prévue. Ceci nous place, nous la France, au premier rang des grands pays industrialisés. (Ils sont dépassés, cependant, par deux pays de moindre importance, mais qui ne sont pas négligeables, loin de là, ce sont les Pays-Bas et la Suède) et cet effort continue en 1986.
- Je le répète, l'essentiel de cet effort supplémentaire a été consacré à l'Afrique : alors que notre aide bilatérale a progressé au total entre 80 `1980` et 84 `1984` de 47 %, l'aide consacrée à l'Afrique sub-saharienne a augmenté de 64 %. Pour mieux aider au développement, la France a centré son aide sur l'agriculture, l'énergie, et les industries de base. Notamment le développement rural a recueilli le plus gros de cette aide, soit 35 % du concours du Fonds d'aide et de coopération et 44 % des prêts de la Caisse centrale de coopération économique.
- Enfin, nous avons sensiblement augmenté notre participation aux agences multilatérales d'aides et nous avons fait lors des sommets industrialisés qui ont lieu chaque année, des propositions précises pour engager une action de lutte contre la famine et la sécheresse en Afrique.
- Efforts sans doute utiles et efficaces, mais insuffisants. Une extrapolation des tendances actuelles conduit à craindre, pour les dix ans qui viennent, une augmentation des déséquilibres entre nations et entre continents, et donc si l'on n'y prend garde, à un approfondissement de la crise mondiale.
- D'une part, les excédents financiers de certains pays du Nord semblent devoir aller prioritairement combler les déficits budgétaires d'autres pays du Nord, au lieu de servir à satisfaire les besoins du Sud et même certains besoins d'investissements nécessaires du Nord. Et par un étrange paradoxe, le monde développé va vers le vieillissement tandis qu'au Sud la croissance démographique ne ralentit pas. En Afrique, la population progresse au taux de près de 3 % par an. En dépit d'une forte mortalité infantile contre laquelle nous luttons, vous luttez, et d'une faible espérance de vie, la production agricole augmente moins vite que la population. Et si cela devait se prolonger, l'Afrique qui ne couvre aujourd'hui ses besoins alimentaires qu'à hauteur de 75 %, ne le ferait plus qu'à 60 % à la fin du siècle.\
Je vous expose ces choses, que vous savez, messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement, mais il est parfois nécessaire, comme l'a fait le Président Eyadéma, comme je le fais maintenant, de rassembler l'ensemble des données. Ces explications sont peut-être longues et parfois difficiles. Elle doivent être faites de temps en temps à autre pour que nous puissions fixer nos esprits sur la réalité du mal et sur les remèdes à choisir.
- Il ne faut pas oublier que l'agriculture et l'industrie de demain exigeront la maîtrise de techniques de plus en plus complexes. Seuls les pays capables de consacrer à la formation et à la recherche une large part de leur revenu national pourront acquérir et développer ces techniques. L'avenir des pays du Sud repose sur des transferts de technologie. Ceux-ci ne se diffusent pas et, comme par ailleurs, le système de formation à l'Afrique, notamment l'enseignement technique et professionnel, ne progresse pas autant que nécessaire, les progrès scientifiques ne se diffusent pas assez vite dans la société africaine. Certains chefs d'Etat et de gouvernement nous parlent souvent de ce problème, alors qu'ils disposent des intelligences nécessaires, des intelligences parfaitement capables de maîtriser ces sciences.\
Je ne suis pas par -nature pessimiste, et rien n'est impossible quand la volonté d'agir existe, quand générosité et intelligence se mettent de la partie. Mais il faut savoir que le XXème siècle ne finira pas sans violence, d'autres violences encore, si on ne met pas pour résoudre ces problèmes raison et volonté, solidarité, enthousiasme. Il faut savoir et répéter - c'est ce que je fais intentionnellement aujourd'hui - que deux dangers principaux menacent l'humanité, le sous-développement et les menaces nucléaires et qu'ils se nourrissent l'un l'autre. La misère entretient la violence, le surarmement freine la croissance. De tout temps me dira-t-on l'humanité a connu des menaces de ce type. Mais, elles atteignent - reconnaissons-le - un niveau suicidaire.
- Quel cruel rendez-vous de l'histoire... Pour la première fois, l'homme peut faire sauter la planète... alors qu'au même moment, il a, par son travail, découvert les moyens de nourrir toute l'humanité, de guérir les maladies auparavant mortelles, de faire connaître aux hommes les bienfaits du savoir. Quelle voie choisir messieurs, quelle voie choisirons-nous ? Celle de chacun pour soi, qui conduit au malheur de tous ? Ou bien celle de la solidarité qui conduit dans chacun de nos pays, et à l'échelle du monde, à la paix et au sens de la responsabilité ?
- C'est notre rôle que d'avertir nos peuples, et de leur proposer des chemins de raison. Voilà pourquoi, je le répète à l'envie, une part de l'avenir du monde sera celui que nous ferons.\
Pour ce qui est de l'Afrique, vous vous en occupez vous-mêmes et c'est très bien ainsi. Le mois dernier encore, les ministres de l'économie et du plan de plusieur pays africains se sont réunis à Addis Abeba pour une intéressante session de la commission économique pour l'Afrique consacrée aux mesures à prendre pour le redressement du continent. De grands efforts vous attendent : vous vous y êtes attelés avec courage. Eh bien, il nous faut continuer. Nous Français, de notre côté, nous sommes prêts à concevoir et à construire avec vous, un monde plus juste, un monde plus ordonné, dans la mesure de nos moyens.
- Outre notre engagement global que j'ai rappelé, de consacrer une part croissante de notre produit national brut à l'aide, nous sommes prêts à approfondir notre action en particulier dans le domaine agricole, à concentrer nos efforts sur les plus démunis. Il ne faut pas oublier que la France elle-même se trouve frappée par la crise mondiale, que nous demandons à son peuple un effort considérable.
- Cela exigera de faire plus pour la protection des sols, de l'eau, de la flore. Conformément aux conclusions de la Conférence Silva qui, au début de cette année à Paris, a fixé les principales orientations de cette action, l'accent doit être mis sur la formation et sur la prévision des phénomènes naturels. A ce sujet, la France entend, grâce au satellite SPOT, porter une contribution particulière à la connaissance des phénomènes de désertification, et plus généralement du potentiel naturel. Nous nous sommes également engagés à doubler en cinq ans l'aide que nous consacrons à cette lutte contre la désertification. Mais aucune action bilatérale, aussi ample qu'elle soit, ne suffira sans un dialogue Nord-Sud dans sa globalité. On tirera les leçons de ce qui s'est passé depuis la conférence de Cancun, il y a cinq ans, et même un peu plus. Compte tenu des illusions, des rêves, des succès et des limites, nous devons nous inscrire dans un -cadre, je le répète volontairement, aussi global que possible : parce que le problème de la dette ne peut pas être réglé par une succession de moratoires. Et qu'il exige une vision mondiale de ces enjeux, financiers et économiques pour le Sud, comme pour le Nord, parce qu'une stabilisation du cours des produits de base suppose une étroite coordination internationale dans l'analyse des marchés présents et futurs, parce que le volume et la répartition de l'aide internationale elle-même nécessite aussi une telle approche afin de hiérarchiser les besoins, de répartir les efforts, de définir les quantités, parce que, au total, l'avenir du monde tout entier dépend de celui du tiers monde. Et, comme il m'arrive souvent de le dire - et je l'ai exprimé lors du 40ème anniversaire de la FAO - si vous sombrez, vous les pays du tiers monde, nous sombrerons tous avec vous.\
En effet, la plupart des pays du tiers monde, et en premier lieu ceux d'Afrique, ont quand même pris des mesures multiples, des initiatives courageuses. Comment imaginer la situation des pays les plus pauvres, qui ne peuvent avoir comme seul horizon, pour les 15 années qui viennent que la stagnation économique. Leurs sacrifices ne sont supportables que s'il existe des perspectives, notamment par la reprise de la croissance dans les pays du monde. C'est pourquoi je me permets de vous indiquer les cinq directions que je vois à l'action des pays industrialisés en faveur du développement.
- La première tâche des pays les plus riches est d'assurer une croissance élevée et durable en résolvant d'abord leurs propres problèmes de structure, en réduisant leurs déficits.
- La deuxième est d'augmenter leur aide publique au développement, celle des Etats, comme celles des organismes internationaux, et de l'orienter en priorité vers les pays les plus pauvres. Concrètement, je souhaite que les ressources de la prochaine AID approchent ou atteignent les 12 milliards de dollars, si souvent réclamés, que le capital de la Banque mondiale soit augmenté et que la communauté internationale oriente la moitié des financements de la huitième AID vers l'Afrique, particulièrement au Sud du Sahara.
- La troisième est d'ouvrir leurs marchés. A quoi servirait en effet une aide accrue si les pays bénéficiaires ne peuvent écouler leurs produits sur les marchés des pays développés, et à des conditions raisonnables.
- La quatrième est de faire oeuvre d'imagination pour trouver de vraies solutions au problème de la dette, problème fort difficile, pour que les crédits privés et publics alimentent à nouveau, à des conditions sérieuses, les économies des pays endettés. Sans doute - enfin, je le pense - l'avenir passe-t-il par une vision plus généreuse, plus ouverte, de la consolidation de ces créances. Mais, il appartient aux experts d'y réfléchir et d'engager le débat.
- Cinquième direction, le désarmement. Le Président Eyadéma vient de le souligner très justement, tous ces déséquilibres actuels sont aggravés par le surarmement général. Et il est exact que si 5 % des dépenses englouties dans les armes étaient consacrées au développement, on commencerait déjà à sortir le monde de la misère et de la peur. Il existe plusieurs propositions françaises dans ce sens : l'une qui remonte à une dizaine d'années, l'autre que j'ai exprimée devant l'Assemblée générale des Nations unies et qui a été rappelée récemment. La France est prête, pour sa part, à en parler. L'année prochaine, nous fêterons le quarantième anniversaire du plan Marshall qui fut la marque après la guerre d'une vraie générosité - je peux employer ce terme - et d'un intérêt bien compris de la part des Etats-Unis d'Amérique. Je crois le moment venu pour le Nord tout entier de faire de même à l'échelle de la planète, dans l'intérêt du Nord et du Sud. C'est une position que la France a plusieurs fois reprise, que j'ai exprimée, qui a été récemment et solennellement rappelée par M. le Premier ministre `Jacques Chirac` français. Nous pourrions y réfléchir ensemble, d'ici à notre prochain sommet. Je crois que c'est un rendez-vous nécessaire.\
Au total, qui ne voit les conséquences politiques à l'intérieur des Etats comme au sein de la communauté internationale, qu'aurait notre incapacité et celle du monde entier à maîtriser tous ces enjeux ? Qui ne voit les menaces qui font peser les crises politiques qu'il faudrait affronter, qu'il s'agisse des foyers actuels de conflits : Tchad, Sahara occidental, Afrique du sud, d'autres encore, qu'il s'agisse des conflits qui déchirent d'autres régions de la planète, ou qu'il s'agisse des rapports Est-Ouest. Les pays africains - je le dis après vous, mon cher Président et ami - ont plus que jamais besoin de paix et de sécurité. Où irait l'Afrique, s'il fallait rectifier les frontières des pays qui la composent en raison des appétits territoriaux de tel ou tel Etat ? C'est la carte tout entière de l'Afrique qui exploserait. La réponse relève du simple bon sens : que les pays africains vivent en paix à l'intérieur de leurs frontières. L'Organisation de l'unité africaine s'y emploie, et je ne me substitue pas à elle. Et j'en profite pour rendre un deuxième hommage à l'action inlassable de ceux qui l'Ont animé, notamment récemment, et je répète le nom du Président Abdou Diouf et du Président Sassou Nguesso.
- La France, en accord avec la Charte des Nations unies et avec celle de l'OUA partage cette préoccupation. Et elle entend contribuer au maintien des indépendances, de l'unité, de la souveraineté. Certains de vos pays ont conclu avec la France des accords de défense, c'est le cas du pays qui nous reçoit, où la France a dépêché des forces dès lors que son Président s'adressait à elle. De nombreux messages de soutien de toutes provenances ont été reçus par le Président Eyadéma, qui témoignent de l'estime dans laquelle le tiennent ses pairs et aussi le sens qu'ils ont du droit international. Des troupes françaises ont été envoyées au Tchad - cela n'était pas désiré par nous - bien qu'il n'y ait pas d'accord de défense entre nos deux pays. Mais, si nous n'avions pas d'obligations morales ou juridiques, nous avions des obligations politiques à l'égard de l'Afrique, comme à l'égard de ce pays ami, dont l'effort est considérable pour parvenir à son unité et à son redressement. Nous avons mis en place des dispositifs appelés "MANTA", "EPERVIER". Ils ont été particulièrement dissuasifs. Le jour viendra où ce pays fera, j'en suis convaincu - et j'exprime la volonté de la France - la démonstration de la vanité des entreprises qui le menacent, le jour où le patriotisme de chacun de ses fils l'emportera sur les querelles d'hier. Alors on verra clairement où se trouve l'origine d'un conflit qui se trouve, aujourd'hui, devenu international.
- Vous avez pu percevoir le mouvement de réconciliation qui s'amorce, qui ne cesse de s'amplifier. L'adption d'une résolution au dernier sommet de l'OUA demandant la réactivation du "Comité ad hoc" de médiation sur le conflit frontalier tchado-libyen va dans le même sens. Combien d'entre vous n'ont pas ménagé leur efforts... Je ne voudrais pas citer tel ou tel nom de peur d'être injuste à l'égard des autres : les missions confiées à divers d'entre vous, au Président du Congo, au Président du Gabon, mais j'arrête là parce que vous êtes plusieurs ici à avoir pris une part active et déterminante pour parvenir à réconcilier des frères déchirés. Je suis sûr d'être l'interprète de tous les chefs d'Etat présents pour souhaiter au Tchad le retour à la paix et à la liberté.\
Vous avez évoqué, monsieur le Président, la question de l'apartheid, problème complexe. Il est aisé d'en percevoir la difficulté puisque depuis des décennies une minorité s'est ancrée dans une mentalité de combat que nous estimons être d'injustice. C'est vrai, l'apartheid est condamnable et doit disparaître. Nous avons pour orgueil, en France, de nous considérer comme une patrie des Droits de l'homme, et nous ne pouvons admettre qu'un Etat s'édifie sur la ségrégation. Et nous protestons inlassablement pour que, là, comme ailleurs, la dignité humaine soit rétablie. Nous ne sommes pas des redresseurs de tort. Nous souhaitons que l'avenir de l'Afrique du Sud soit déterminée par les Sud-Africains par tous les Sud-Africains, contre toute ségrégation.
- Car l'actuelle crispation des attitudes ne peut qu'engendrer un surcroit de violence et mettre en péril le développement et la stabilité de toute la région, en même temps qu'elle pose un problème de conscience pour tous les hommes sur la terre.
- Il faut que chacun sache que la répression, loin de faciliter le retour au calme, radicalise les positions, annihile les efforts partisans d'une solution pacifique. Que chacun sache que la paix ne viendra que de la réconciliation nationale, du dialogue, de la libération des prisonniers politiques - je pense bien entendu à ce nom symbole de Nelson Mendela - de la levée des restrictions aux libertés. La France, avec ses partenaires occidentaux, a pris à cette fin, un certain nombre de mesures après avoir été à l'origine de la résolution 569 du Conseil de Sécurité des Nations unies. Elle a décidé un certain nombre de mesures que vous connaissez. Enfin, elle est prête à accroître son aide aux populations sud-africaines dans des domaines aussi variés que la formation, la santé, l'assistance judiciaire, pour que viennent enfin et le plus tôt possible, les temps de la dignité.
- Je ne ferai pas l'énumération des conflits, ils sont trop nombreux, et je ne veux pas prolonger outre mesure cette allocution. Sur le Sahara occidental, vous le savez, la France entend respecter, le droit international tel qu'il a été reconnu par les Nations unies, le droit des populations à l'autodétermination sur le contrôle international, c'est-à-dire une simple règle de justice, et nous n'entendons pas nous poser en arbitre d'un conflit dont les racines se trouvent dans l'histoire elle-même, tout simplement le droit pour chacun.\
Permettez-moi avant de terminer, de faire -état du fait que l'année 1986 a été, à nos yeux, marquée d'une étape importante dans l'évolution d'une réalité qui unit beaucoup d'entre nous : la francophonie. Lors de leur réunion à Paris, du 17 au 19 février, quarante chefs d'Etat et de gouvernement, - beaucoup, nombre d'entre vous, messieurs et chers amis - ont élaboré des projets qui traduisent une volonté de valoriser de ce que le Président Senghor a appelé, je le cite : "la civilisation de l'universel".
- Nous avons un légitime orgueil de ce que la culture française représente dans le monde. Mais nous savons fort bien que la francophonie est encore quelque chose de plus, la fusion de la culture française et des expressions nationales nourries de la langue française mais aussi de leur propre culture. Un dictionnaire vient de paraître qui montrera l'apport considérable des pays comme les vôtres à notre culture commune.\
Messieurs, au total, la coopération entre le Nord et le Sud entre dans une phase nouvelle : elle est faite d'espérances. Il s'agit maintenant que nous soyons, nous-mêmes, les artisans du renouveau. Rien ne se fera de grand sans une mobilisation des enthousiasmes, sans des échanges vécus entre nos jeunesses, nos artistes, nos créateurs, nos musiciens, nos intellectuels, sans la coopération de nos entreprises, de nos syndicats, de nos associations, de nos organisations gouvernementales. C'est eux qui sont capables d'inventer les formes neuves, les échanges constructifs, fructueux pour les uns comme pour les autres. Les jeunesses du monde se sont vraiment rassemblées, croyez-moi, autour de l'idée de développement qui soulève de grandes espérances. Pour nos dirigeants, elle constitue un soutien et un aiguillon. Il nous appartient d'en être dignes. Soyons plus encore que par le passé à l'écoute de cette jeunesse. Apportons à l'échelle des continents la preuve que rien ne peut se faire sans que les cultures se croisent et se nourrissent l'une l'autre, sans que s'inventent, hors des ambitions de pouvoir ou de fortunes, ces nouvelles formes de l'universel.
- Mes chers collègues, il y a presque déjà quatre ans, je disais dans cette maison du Rassemblement du peuple togolais - je me cite moi-même aujourd'hui pardonnez-moi - "faire que le continent africain soit fort et libre, c'est le soustraire aux compétitions qui pourraient le déchirer et c'est décourager par avance les mêmes tentatives ailleurs dans le monde". Mais je voudrais tout simplement répéter ce qui a été dit, ici même, car cela reste d'actualité. C'est notre refus, celui de la France, celui des Etats d'Afrique, c'est notre refus des déséquilibres et des injustices, sources de conflits et de misère. C'est notre souhait de tout faire pour que nous laissions aux prochaines générations un monde plus libre, plus serein et plus accueillant.
- Je me suis exprimé longuement dans cette séance solennelle, pour que mes paroles, après celles du Président Eyadéma, aillent au-delà de cette salle et soient entendues par les peuples d'Afrique, si possible par les peuples du tiers monde. Nous n'avons pas tant d'occasions de fixer les positions de base de nos pays. C'est ce que je fais pour le mien. Je traduis la volonté générale de la France, l'action de son gouvernement, et je crois pouvoir le dire, sa mission historique. Où aurais-je pu trouver, messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement, chers collègues et chers amis, et vous mesdames et messieurs, une tribune plus adaptée pour renouveler cet engagement, ce serment, cette volonté, que celle du sommet des chefs d'Etat d'Afrique et de France dans la ville de Lomé, au Togo ? Je vous remercie.
- Vive la France, Vive le Togo, Vive l'Afrique.\
- Messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement,
- Mesdames et messieurs,
- Pour l'ouverture de cette XIIIème conférence des chefs d'Etat d'Afrique et de France je veux d'abord remercier le Président Eyadéma, ainsi que le peuple togolais pour la qualité de l'accueil et l'hospitalité qu'il nous réserve à Lomé. En recevant de cette façon le Président de la République française, c'est au représentant d'un peuple ami, heureux de cette occasion de réaffirmer ses sentiments, que vous faites honneur.
- Le choix de Lomé est lourd de sens, car le nom de cette ville évoque le double symbole de la coopération entre l'Europe et les pays d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique, et de la coopération entre pays du Sud dans le -cadre de la Communauté économique des états de l'Afrique de l'ouest. Ce choix me donne aussi - permettez cette allusion personnelle - le plaisir de vous revoir, monsieur le Président, dans votre capitale où vous m'avez reçu en 1983 avec une chaleur que je n'ai pas oubliée. En votre personne, je retrouve un chef d'Etat écouté dont je connais l'amitié pour la France et le dévouement à la cause africaine. Je retrouve aussi celui qui dirige le Togo depuis vingt ans et qui a assuré son équilibre intérieur en même temps qu'il a accru son audience internationale.
- Messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement, j'apprécie hautement l'occasion qui m'est donnée de poursuivre avec vous l'utile dialogue noué lors de nos précédentes rencontre. Notre conférence est toujours un rendez-vous important : sans formalisme institutionnel, sans ordre du jour, elle nous permet de discuter librement entre membres d'une même famille des problèmes du monde d'aujourd'hui, nos liens d'amitié, notre héritage commun, nos vues d'avenir, tout nous invite à en débattre au fond et en confiance.
- Cette année, plus encore que d'habitude peut-être, il nous faut, comme vous l'avez fait, monsieur le président, procéder à une analyse lucide du monde tel qu'il est, du monde tel qu'il va, en même temps qu'il nous faut définir ensemble les nouveaux axes de l'action à poursuivre pour améliorer la situation économique et la sécurité des régions qui nous concernent.
- C'est de ces sujets que je vous voudrais maintenant vous entretenir.\
Parlons d'abord de l'économie, qui pour une large part, conditionne la politique. La crise économique mondiale est loin d'être achevée, et pourtant il y a quelques mois, un certain optimisme prévalait partout, comme je l'ai constaté à l'occasion du sommet de Tokyo. Tout y concourrait : une croissance économique soutenue de l'Amérique du Nord et de la zone Pacifique, une décrue mondiale des taux d'intérêts, une baisse générale de l'inflation dans les pays dits du Nord, un début de concertation pour réduire les fluctuations des monnaies, une prise de conscience accrue des dangers du protectionnisme et des problèmes posés par l'endettement du tiers monde.
- Et pourtant, bien que ces faveurs positifs n'aient pas disparu, l'optimisme s'est tempéré : le monde développé reste confronté à ses propres problèmes, et en particulier celui des sous-emplois. De grands pays industriels, incapables de réduire les déséquilibres de leur budget et de leur commerce extérieur, sont menacés de voir leur croissance se ralentir sérieusement.
- L'évolution des taux d'intérêt marque le pas, et alourdit la charge des emprunts. Les protectionnismes ont la vie dure, rendant plus difficile encore l'accès du Nord des produits du Sud. Le système monétaire international demeure soumis à de fortes turbulences : en un an, le yen a augmenté de 50 % par -rapport au dollar et de 17 % par rapport à l'écu.
- Dans le tiers monde, vous le savez bien, les menaces sont toujours là. La baisse du pétrole, qui a allégé le fardeau des pays non-producteurs, pose d'autres problèmes, et parfois dramatiques, aux pays producteurs, bien entendu, en Amérique latine, au Moyen Orient, et sur votre continent, au Nigeria, au Cameroun, au Gabon, que sais-je.
- Les variations des cours des matières premières dans la jungle des marchés libres déstabilisent des économies de plus en plus tributaires de ces exportations.
- Enfin, devant le tarissement de l'aide internationale, plusieurs pays du sud ont à verser plus pour le service de leur dette extérieure, qu'ils ne recoivent de capitaux nouveaux.
- Au total, le système actuel, à l'échelle planétaire, fait chaque jour la preuve de son inefficacité : plus d'inégalités, moins de croissance, plus de gaspillage, moins de ressources. L'écart entre les pays industrialisés et les pays en développement s'accroît. Et même, au sein du tiers monde, les différences tendent à se creuser entre les pays les moins avancés, où le revenu par habitant baisse, et les autres qui amorcent un développement, tels l'Inde, la Chine, la Corée, Singapour, ou même le Brésil qui dégage cette année le troisième excédent commercial mondial.\
Parmi les pays les plus touchés par la crise figurent, nous y sommes, ils sont nos voisins, les pays d'Afrique sub-saharienne : leur développement économique s'est encore ralenti dans la dernière décennie, le taux de croissance y est tombé de 1,3 % en 1960 - 1970 à 0,8 % en 1970 - 1980. Alors que, pour l'ensemble des pays en développement, ces taux étaient respectivement de 3,5 % et de 2,7 %. Vous devinez bien que derrière l'abstraction de ces chiffres, se dissimulent d'intolérables tragédies.
- Pourquoi cette spécificité des problèmes de l'Afrique ? Vous répondez, vous, nos amis africains, vous-mêmes à cette question. J'avais déjà souligné l'an passé l'importance de la résolution adoptée à ce propos en 1985 au sommet de l'Organisation de l'unité africaine, et les propos de M. le Président de la République togolaise viennent de les actualiser. Ce travail a été prolongé cette année par la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies, première session consacrée à un continent et non à un problème. Elle a montré à quel point les Africains eux-mêmes prenaient en main leur destinée. Je rends ici hommage à l'action du précédent Président de l'OUA, le Président Abdou Diouf, qui a voulu cette session, à celle du Président actuel en exercice, le Président Sassou Nguesso.
- Dans ces textes, vous avez courageusement exprimé votre diagnostic. Vous avez mis en cause, je cite : "l'inadaptation des stratégies et des politiques économiques, les déficiences de la gestion, la faiblesse persistante de la productivité, la lourdeur des structures étatiques, le poids des valeurs, des pratiques et des comportements sociaux qui freinent le développement". Bref, vous n'avez rien masqué d'une réalité douloureuse.
- Tout n'est pas de votre propre responsabilité. Plus que d'autres les économies africaines souffrent de l'instabilité des prix des matières premières et des désordres du système économique du monde industrialisé. Soulignons, notamment, que l'excès de la spécialisation de l'Afrique dans la production des matières premières devient, à la limite, dangereuse. Pour 31 pays d'Afrique sur 47, les matières premières, loin d'être le sang vital du Sud, selon l'expression de la commission Brandt, représentent aujourd'hui plus de 70 % de leurs exportations. Or, depuis plusieurs années, les recettes baissent en raison de la diminution des cours des oléagineux, du café, du thé, des bananes, du coton, cours fixés au Nord sur des marchés libres.
- Quand ces cours chutent, les budgets deviennent infinançables. Vous nous en faites la confidence tous les jours. L'exode rural s'accélère, la production alimentaire domestique ne suffit plus à nourrir les populations tandis que les capitaux disparaissent. En conséquence, L'Afrique sub-saharienne a du mal à dégager l'épargne nécessaire pour financer le projet industriel mobilisateur : l'Afrique manque de capital.
- A ces difficultés économiques s'ajoutent, vous le savez, les calamités naturelles, la sécheresse hier, les criquets aujourd'hui, qui aggravent la désertification obligeant femmes et enfants à une quête quotidienne de nourriture et à des marches harassantes.\
Enfin, à ces problèmes, s'ajoutent et se combinent une exceptionnelle crise financière. Sans doute, la dette extérieure africaine est-elle moins lourde que celles d'autres continents, elle est loin des records latino-américains, sans doute les remboursements ne représentent que 27 % des recettes d'exportation de l'Afrique contre 40 % de celles de l'Amérique latine. Le service de la dette atteindra cependant cette année 12 milliards de dollars. Et, à la différence de ce qui se passe en Amérique latine, la part de cette dette, dont le remboursement ne peut être rééchelonné parce que venue d'organisations multilatérales, augmente rapidement.
- Pour de nombreux pays africains qui m'entendent, le remboursement des emprunts dépasse maintenant le montant des crédits nouveaux qu'ils reçoivent. Aussi, au moment où prêteurs et investisseurs privés se désengagent de l'Afrique, au moment où l'Occident attire l'essentiel des capitaux en surplus, sans pour autant réduire ses déséquilibres, l'endettement de l'Afrique devient le goulet d'étranglement de son développement.
- Comment ces pays pourraient-ils dans cette anarchie de l'économie mondiale faire progresser leur société ? Il n'y a pas de réponse simple à ces questions.\
La réalité actuelle des rapports Nord - Sud conduit à réexaminer ce qui a été fait en commun pendant ces dernières années et à réfléchir à ce qu'il convient d'entreprendre pour demain. C'est l'un des objets de notre conférence car depuis des années dans tous les forums internationaux, la France plaide inlassablement pour qu'on réponde plus fermement aux besoins de l'Afrique. Elle a été, récemment, le principal artisan de la création du Fonds spécial pour l'Afrique pour compenser les insuffisances de l'AID. Ce fonds a dépensé en 1986 un milliard et demi de dollars et la France, je dois le dire, est fière d'avoir joué le rôle de chef de file des contributeurs.
- N'oublions pas non plus que la France a, logiquement, agi par elle-même. Je dois le rappeler. Quand en 1981, il a été décidé de donner une impulsion majeure à l'aide publique française au développement qui est passé de 0,36 % du produit national brut français à 0,55 % cinq ans plus tard, l'objectif de 0,7 % recommandé par les institutions internationales devrait être atteint aussi rapidement que possible. En tout cas, nous ne cessons pas de nous y diriger. De même que j'avais annoncé, en septembre 1981 à la conférence de Paris, que l'aide de la France aux pays les moins avancés serait portée à 0,15 % du produit national brut en 1985. Cet objectif a été atteint dès 1984, soit un an - je le souligne - avant la date prévue. Ceci nous place, nous la France, au premier rang des grands pays industrialisés. (Ils sont dépassés, cependant, par deux pays de moindre importance, mais qui ne sont pas négligeables, loin de là, ce sont les Pays-Bas et la Suède) et cet effort continue en 1986.
- Je le répète, l'essentiel de cet effort supplémentaire a été consacré à l'Afrique : alors que notre aide bilatérale a progressé au total entre 80 `1980` et 84 `1984` de 47 %, l'aide consacrée à l'Afrique sub-saharienne a augmenté de 64 %. Pour mieux aider au développement, la France a centré son aide sur l'agriculture, l'énergie, et les industries de base. Notamment le développement rural a recueilli le plus gros de cette aide, soit 35 % du concours du Fonds d'aide et de coopération et 44 % des prêts de la Caisse centrale de coopération économique.
- Enfin, nous avons sensiblement augmenté notre participation aux agences multilatérales d'aides et nous avons fait lors des sommets industrialisés qui ont lieu chaque année, des propositions précises pour engager une action de lutte contre la famine et la sécheresse en Afrique.
- Efforts sans doute utiles et efficaces, mais insuffisants. Une extrapolation des tendances actuelles conduit à craindre, pour les dix ans qui viennent, une augmentation des déséquilibres entre nations et entre continents, et donc si l'on n'y prend garde, à un approfondissement de la crise mondiale.
- D'une part, les excédents financiers de certains pays du Nord semblent devoir aller prioritairement combler les déficits budgétaires d'autres pays du Nord, au lieu de servir à satisfaire les besoins du Sud et même certains besoins d'investissements nécessaires du Nord. Et par un étrange paradoxe, le monde développé va vers le vieillissement tandis qu'au Sud la croissance démographique ne ralentit pas. En Afrique, la population progresse au taux de près de 3 % par an. En dépit d'une forte mortalité infantile contre laquelle nous luttons, vous luttez, et d'une faible espérance de vie, la production agricole augmente moins vite que la population. Et si cela devait se prolonger, l'Afrique qui ne couvre aujourd'hui ses besoins alimentaires qu'à hauteur de 75 %, ne le ferait plus qu'à 60 % à la fin du siècle.\
Je vous expose ces choses, que vous savez, messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement, mais il est parfois nécessaire, comme l'a fait le Président Eyadéma, comme je le fais maintenant, de rassembler l'ensemble des données. Ces explications sont peut-être longues et parfois difficiles. Elle doivent être faites de temps en temps à autre pour que nous puissions fixer nos esprits sur la réalité du mal et sur les remèdes à choisir.
- Il ne faut pas oublier que l'agriculture et l'industrie de demain exigeront la maîtrise de techniques de plus en plus complexes. Seuls les pays capables de consacrer à la formation et à la recherche une large part de leur revenu national pourront acquérir et développer ces techniques. L'avenir des pays du Sud repose sur des transferts de technologie. Ceux-ci ne se diffusent pas et, comme par ailleurs, le système de formation à l'Afrique, notamment l'enseignement technique et professionnel, ne progresse pas autant que nécessaire, les progrès scientifiques ne se diffusent pas assez vite dans la société africaine. Certains chefs d'Etat et de gouvernement nous parlent souvent de ce problème, alors qu'ils disposent des intelligences nécessaires, des intelligences parfaitement capables de maîtriser ces sciences.\
Je ne suis pas par -nature pessimiste, et rien n'est impossible quand la volonté d'agir existe, quand générosité et intelligence se mettent de la partie. Mais il faut savoir que le XXème siècle ne finira pas sans violence, d'autres violences encore, si on ne met pas pour résoudre ces problèmes raison et volonté, solidarité, enthousiasme. Il faut savoir et répéter - c'est ce que je fais intentionnellement aujourd'hui - que deux dangers principaux menacent l'humanité, le sous-développement et les menaces nucléaires et qu'ils se nourrissent l'un l'autre. La misère entretient la violence, le surarmement freine la croissance. De tout temps me dira-t-on l'humanité a connu des menaces de ce type. Mais, elles atteignent - reconnaissons-le - un niveau suicidaire.
- Quel cruel rendez-vous de l'histoire... Pour la première fois, l'homme peut faire sauter la planète... alors qu'au même moment, il a, par son travail, découvert les moyens de nourrir toute l'humanité, de guérir les maladies auparavant mortelles, de faire connaître aux hommes les bienfaits du savoir. Quelle voie choisir messieurs, quelle voie choisirons-nous ? Celle de chacun pour soi, qui conduit au malheur de tous ? Ou bien celle de la solidarité qui conduit dans chacun de nos pays, et à l'échelle du monde, à la paix et au sens de la responsabilité ?
- C'est notre rôle que d'avertir nos peuples, et de leur proposer des chemins de raison. Voilà pourquoi, je le répète à l'envie, une part de l'avenir du monde sera celui que nous ferons.\
Pour ce qui est de l'Afrique, vous vous en occupez vous-mêmes et c'est très bien ainsi. Le mois dernier encore, les ministres de l'économie et du plan de plusieur pays africains se sont réunis à Addis Abeba pour une intéressante session de la commission économique pour l'Afrique consacrée aux mesures à prendre pour le redressement du continent. De grands efforts vous attendent : vous vous y êtes attelés avec courage. Eh bien, il nous faut continuer. Nous Français, de notre côté, nous sommes prêts à concevoir et à construire avec vous, un monde plus juste, un monde plus ordonné, dans la mesure de nos moyens.
- Outre notre engagement global que j'ai rappelé, de consacrer une part croissante de notre produit national brut à l'aide, nous sommes prêts à approfondir notre action en particulier dans le domaine agricole, à concentrer nos efforts sur les plus démunis. Il ne faut pas oublier que la France elle-même se trouve frappée par la crise mondiale, que nous demandons à son peuple un effort considérable.
- Cela exigera de faire plus pour la protection des sols, de l'eau, de la flore. Conformément aux conclusions de la Conférence Silva qui, au début de cette année à Paris, a fixé les principales orientations de cette action, l'accent doit être mis sur la formation et sur la prévision des phénomènes naturels. A ce sujet, la France entend, grâce au satellite SPOT, porter une contribution particulière à la connaissance des phénomènes de désertification, et plus généralement du potentiel naturel. Nous nous sommes également engagés à doubler en cinq ans l'aide que nous consacrons à cette lutte contre la désertification. Mais aucune action bilatérale, aussi ample qu'elle soit, ne suffira sans un dialogue Nord-Sud dans sa globalité. On tirera les leçons de ce qui s'est passé depuis la conférence de Cancun, il y a cinq ans, et même un peu plus. Compte tenu des illusions, des rêves, des succès et des limites, nous devons nous inscrire dans un -cadre, je le répète volontairement, aussi global que possible : parce que le problème de la dette ne peut pas être réglé par une succession de moratoires. Et qu'il exige une vision mondiale de ces enjeux, financiers et économiques pour le Sud, comme pour le Nord, parce qu'une stabilisation du cours des produits de base suppose une étroite coordination internationale dans l'analyse des marchés présents et futurs, parce que le volume et la répartition de l'aide internationale elle-même nécessite aussi une telle approche afin de hiérarchiser les besoins, de répartir les efforts, de définir les quantités, parce que, au total, l'avenir du monde tout entier dépend de celui du tiers monde. Et, comme il m'arrive souvent de le dire - et je l'ai exprimé lors du 40ème anniversaire de la FAO - si vous sombrez, vous les pays du tiers monde, nous sombrerons tous avec vous.\
En effet, la plupart des pays du tiers monde, et en premier lieu ceux d'Afrique, ont quand même pris des mesures multiples, des initiatives courageuses. Comment imaginer la situation des pays les plus pauvres, qui ne peuvent avoir comme seul horizon, pour les 15 années qui viennent que la stagnation économique. Leurs sacrifices ne sont supportables que s'il existe des perspectives, notamment par la reprise de la croissance dans les pays du monde. C'est pourquoi je me permets de vous indiquer les cinq directions que je vois à l'action des pays industrialisés en faveur du développement.
- La première tâche des pays les plus riches est d'assurer une croissance élevée et durable en résolvant d'abord leurs propres problèmes de structure, en réduisant leurs déficits.
- La deuxième est d'augmenter leur aide publique au développement, celle des Etats, comme celles des organismes internationaux, et de l'orienter en priorité vers les pays les plus pauvres. Concrètement, je souhaite que les ressources de la prochaine AID approchent ou atteignent les 12 milliards de dollars, si souvent réclamés, que le capital de la Banque mondiale soit augmenté et que la communauté internationale oriente la moitié des financements de la huitième AID vers l'Afrique, particulièrement au Sud du Sahara.
- La troisième est d'ouvrir leurs marchés. A quoi servirait en effet une aide accrue si les pays bénéficiaires ne peuvent écouler leurs produits sur les marchés des pays développés, et à des conditions raisonnables.
- La quatrième est de faire oeuvre d'imagination pour trouver de vraies solutions au problème de la dette, problème fort difficile, pour que les crédits privés et publics alimentent à nouveau, à des conditions sérieuses, les économies des pays endettés. Sans doute - enfin, je le pense - l'avenir passe-t-il par une vision plus généreuse, plus ouverte, de la consolidation de ces créances. Mais, il appartient aux experts d'y réfléchir et d'engager le débat.
- Cinquième direction, le désarmement. Le Président Eyadéma vient de le souligner très justement, tous ces déséquilibres actuels sont aggravés par le surarmement général. Et il est exact que si 5 % des dépenses englouties dans les armes étaient consacrées au développement, on commencerait déjà à sortir le monde de la misère et de la peur. Il existe plusieurs propositions françaises dans ce sens : l'une qui remonte à une dizaine d'années, l'autre que j'ai exprimée devant l'Assemblée générale des Nations unies et qui a été rappelée récemment. La France est prête, pour sa part, à en parler. L'année prochaine, nous fêterons le quarantième anniversaire du plan Marshall qui fut la marque après la guerre d'une vraie générosité - je peux employer ce terme - et d'un intérêt bien compris de la part des Etats-Unis d'Amérique. Je crois le moment venu pour le Nord tout entier de faire de même à l'échelle de la planète, dans l'intérêt du Nord et du Sud. C'est une position que la France a plusieurs fois reprise, que j'ai exprimée, qui a été récemment et solennellement rappelée par M. le Premier ministre `Jacques Chirac` français. Nous pourrions y réfléchir ensemble, d'ici à notre prochain sommet. Je crois que c'est un rendez-vous nécessaire.\
Au total, qui ne voit les conséquences politiques à l'intérieur des Etats comme au sein de la communauté internationale, qu'aurait notre incapacité et celle du monde entier à maîtriser tous ces enjeux ? Qui ne voit les menaces qui font peser les crises politiques qu'il faudrait affronter, qu'il s'agisse des foyers actuels de conflits : Tchad, Sahara occidental, Afrique du sud, d'autres encore, qu'il s'agisse des conflits qui déchirent d'autres régions de la planète, ou qu'il s'agisse des rapports Est-Ouest. Les pays africains - je le dis après vous, mon cher Président et ami - ont plus que jamais besoin de paix et de sécurité. Où irait l'Afrique, s'il fallait rectifier les frontières des pays qui la composent en raison des appétits territoriaux de tel ou tel Etat ? C'est la carte tout entière de l'Afrique qui exploserait. La réponse relève du simple bon sens : que les pays africains vivent en paix à l'intérieur de leurs frontières. L'Organisation de l'unité africaine s'y emploie, et je ne me substitue pas à elle. Et j'en profite pour rendre un deuxième hommage à l'action inlassable de ceux qui l'Ont animé, notamment récemment, et je répète le nom du Président Abdou Diouf et du Président Sassou Nguesso.
- La France, en accord avec la Charte des Nations unies et avec celle de l'OUA partage cette préoccupation. Et elle entend contribuer au maintien des indépendances, de l'unité, de la souveraineté. Certains de vos pays ont conclu avec la France des accords de défense, c'est le cas du pays qui nous reçoit, où la France a dépêché des forces dès lors que son Président s'adressait à elle. De nombreux messages de soutien de toutes provenances ont été reçus par le Président Eyadéma, qui témoignent de l'estime dans laquelle le tiennent ses pairs et aussi le sens qu'ils ont du droit international. Des troupes françaises ont été envoyées au Tchad - cela n'était pas désiré par nous - bien qu'il n'y ait pas d'accord de défense entre nos deux pays. Mais, si nous n'avions pas d'obligations morales ou juridiques, nous avions des obligations politiques à l'égard de l'Afrique, comme à l'égard de ce pays ami, dont l'effort est considérable pour parvenir à son unité et à son redressement. Nous avons mis en place des dispositifs appelés "MANTA", "EPERVIER". Ils ont été particulièrement dissuasifs. Le jour viendra où ce pays fera, j'en suis convaincu - et j'exprime la volonté de la France - la démonstration de la vanité des entreprises qui le menacent, le jour où le patriotisme de chacun de ses fils l'emportera sur les querelles d'hier. Alors on verra clairement où se trouve l'origine d'un conflit qui se trouve, aujourd'hui, devenu international.
- Vous avez pu percevoir le mouvement de réconciliation qui s'amorce, qui ne cesse de s'amplifier. L'adption d'une résolution au dernier sommet de l'OUA demandant la réactivation du "Comité ad hoc" de médiation sur le conflit frontalier tchado-libyen va dans le même sens. Combien d'entre vous n'ont pas ménagé leur efforts... Je ne voudrais pas citer tel ou tel nom de peur d'être injuste à l'égard des autres : les missions confiées à divers d'entre vous, au Président du Congo, au Président du Gabon, mais j'arrête là parce que vous êtes plusieurs ici à avoir pris une part active et déterminante pour parvenir à réconcilier des frères déchirés. Je suis sûr d'être l'interprète de tous les chefs d'Etat présents pour souhaiter au Tchad le retour à la paix et à la liberté.\
Vous avez évoqué, monsieur le Président, la question de l'apartheid, problème complexe. Il est aisé d'en percevoir la difficulté puisque depuis des décennies une minorité s'est ancrée dans une mentalité de combat que nous estimons être d'injustice. C'est vrai, l'apartheid est condamnable et doit disparaître. Nous avons pour orgueil, en France, de nous considérer comme une patrie des Droits de l'homme, et nous ne pouvons admettre qu'un Etat s'édifie sur la ségrégation. Et nous protestons inlassablement pour que, là, comme ailleurs, la dignité humaine soit rétablie. Nous ne sommes pas des redresseurs de tort. Nous souhaitons que l'avenir de l'Afrique du Sud soit déterminée par les Sud-Africains par tous les Sud-Africains, contre toute ségrégation.
- Car l'actuelle crispation des attitudes ne peut qu'engendrer un surcroit de violence et mettre en péril le développement et la stabilité de toute la région, en même temps qu'elle pose un problème de conscience pour tous les hommes sur la terre.
- Il faut que chacun sache que la répression, loin de faciliter le retour au calme, radicalise les positions, annihile les efforts partisans d'une solution pacifique. Que chacun sache que la paix ne viendra que de la réconciliation nationale, du dialogue, de la libération des prisonniers politiques - je pense bien entendu à ce nom symbole de Nelson Mendela - de la levée des restrictions aux libertés. La France, avec ses partenaires occidentaux, a pris à cette fin, un certain nombre de mesures après avoir été à l'origine de la résolution 569 du Conseil de Sécurité des Nations unies. Elle a décidé un certain nombre de mesures que vous connaissez. Enfin, elle est prête à accroître son aide aux populations sud-africaines dans des domaines aussi variés que la formation, la santé, l'assistance judiciaire, pour que viennent enfin et le plus tôt possible, les temps de la dignité.
- Je ne ferai pas l'énumération des conflits, ils sont trop nombreux, et je ne veux pas prolonger outre mesure cette allocution. Sur le Sahara occidental, vous le savez, la France entend respecter, le droit international tel qu'il a été reconnu par les Nations unies, le droit des populations à l'autodétermination sur le contrôle international, c'est-à-dire une simple règle de justice, et nous n'entendons pas nous poser en arbitre d'un conflit dont les racines se trouvent dans l'histoire elle-même, tout simplement le droit pour chacun.\
Permettez-moi avant de terminer, de faire -état du fait que l'année 1986 a été, à nos yeux, marquée d'une étape importante dans l'évolution d'une réalité qui unit beaucoup d'entre nous : la francophonie. Lors de leur réunion à Paris, du 17 au 19 février, quarante chefs d'Etat et de gouvernement, - beaucoup, nombre d'entre vous, messieurs et chers amis - ont élaboré des projets qui traduisent une volonté de valoriser de ce que le Président Senghor a appelé, je le cite : "la civilisation de l'universel".
- Nous avons un légitime orgueil de ce que la culture française représente dans le monde. Mais nous savons fort bien que la francophonie est encore quelque chose de plus, la fusion de la culture française et des expressions nationales nourries de la langue française mais aussi de leur propre culture. Un dictionnaire vient de paraître qui montrera l'apport considérable des pays comme les vôtres à notre culture commune.\
Messieurs, au total, la coopération entre le Nord et le Sud entre dans une phase nouvelle : elle est faite d'espérances. Il s'agit maintenant que nous soyons, nous-mêmes, les artisans du renouveau. Rien ne se fera de grand sans une mobilisation des enthousiasmes, sans des échanges vécus entre nos jeunesses, nos artistes, nos créateurs, nos musiciens, nos intellectuels, sans la coopération de nos entreprises, de nos syndicats, de nos associations, de nos organisations gouvernementales. C'est eux qui sont capables d'inventer les formes neuves, les échanges constructifs, fructueux pour les uns comme pour les autres. Les jeunesses du monde se sont vraiment rassemblées, croyez-moi, autour de l'idée de développement qui soulève de grandes espérances. Pour nos dirigeants, elle constitue un soutien et un aiguillon. Il nous appartient d'en être dignes. Soyons plus encore que par le passé à l'écoute de cette jeunesse. Apportons à l'échelle des continents la preuve que rien ne peut se faire sans que les cultures se croisent et se nourrissent l'une l'autre, sans que s'inventent, hors des ambitions de pouvoir ou de fortunes, ces nouvelles formes de l'universel.
- Mes chers collègues, il y a presque déjà quatre ans, je disais dans cette maison du Rassemblement du peuple togolais - je me cite moi-même aujourd'hui pardonnez-moi - "faire que le continent africain soit fort et libre, c'est le soustraire aux compétitions qui pourraient le déchirer et c'est décourager par avance les mêmes tentatives ailleurs dans le monde". Mais je voudrais tout simplement répéter ce qui a été dit, ici même, car cela reste d'actualité. C'est notre refus, celui de la France, celui des Etats d'Afrique, c'est notre refus des déséquilibres et des injustices, sources de conflits et de misère. C'est notre souhait de tout faire pour que nous laissions aux prochaines générations un monde plus libre, plus serein et plus accueillant.
- Je me suis exprimé longuement dans cette séance solennelle, pour que mes paroles, après celles du Président Eyadéma, aillent au-delà de cette salle et soient entendues par les peuples d'Afrique, si possible par les peuples du tiers monde. Nous n'avons pas tant d'occasions de fixer les positions de base de nos pays. C'est ce que je fais pour le mien. Je traduis la volonté générale de la France, l'action de son gouvernement, et je crois pouvoir le dire, sa mission historique. Où aurais-je pu trouver, messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement, chers collègues et chers amis, et vous mesdames et messieurs, une tribune plus adaptée pour renouveler cet engagement, ce serment, cette volonté, que celle du sommet des chefs d'Etat d'Afrique et de France dans la ville de Lomé, au Togo ? Je vous remercie.
- Vive la France, Vive le Togo, Vive l'Afrique.\