22 novembre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de l'inauguration des nouveaux bâtiments de la Légion d'honneur, Paris, vendredi 22 novembre 1985.

Je m'adresse aux professeurs et à Mme la Directrice, bien entendu encore, et par priorité à M. le Grand Chancelier de la Légion d'Honneur mais c'est aussi à vous que je parle. Avant d'arriver dans cette salle, je ne savais pas que j'avais à vous dire quelques mots. Je le ferai cependant pour bien marquer l'importance de l'événement. C'est un événement qui touche à votre vie de chaque jour, vous qui enseignez et vous qui apprenez.
- Cela a été entrepris à l'initiative de M. le Grand Chancelier, parce que vous commenciez à être à l'étroit dans ces vieux et beaux bâtiments dont on tirait le meilleur, mais qui ne suffisaient plus, à la fois pour le nombre des élèves, leur confort, mais aussi je pense pour la capacité d'enseigner avec tous les moyens que la vie moderne nous procure. Il fallait concilier plusieurs éléments, qui ne sont pas facilement conciliables puisque vous êtes là dans des bâtiments qui ont valeur historique et valeur esthétique qu'il convenait de respecter. Rien de plus dommage que de voir dans tant de lieux de France d'admirables monuments soit défigurés, soit diminués dans leur valeur esthétique par un environnement fâcheux. C'était donc le souci qui nous a animés dès le premier jour lorsque M. le Grand Chancelier à la fois m'a suggéré de se lancer dans cette aventure et d'autre part sur la base de plans que des architectes ont très intelligemment menés à bien. Faire oeuvre originale, sans détonner. Cette oeuvre originale supposait des bâtiments qui ne dépassent pas un certain niveau pour ne pas déformer l'harmonie de l'ancien, avec la nécessité de préserver la lumière du jour pour votre vie à vous, à chaque moment de la journée et aussi le dessin de quelques volumes qui permettent à l'environnement, aux jardins et au-delà, de compléter l'harmonie désirée. C'est ce que je suis venu voir ce matin, accompagné de ma femme et de quelques-uns de mes collaborateurs parmi ceux qui ont pris part à la mise en oeuvre de ces nouveaux bâtiments. J'ai donc pu voir un certain nombre de classes, circuler à travers les couloirs ou les lieux de communications, donc apprécier la disposition générale et la disposition particulière, comment sont orientées les classes, sur quoi elles donnent, l'isolement nécessaire, la tranquillité, et cependant la nécessité d'y réunir un certain nombre d'élèves. J'avoue que j'ai été étonné en bien par la qualité du matériel qui donne à l'enseignement de professeurs déjà eux-mêmes très maîtres de leur discipline, une capacité et un moyen nouveaux. Tous ou toutes m'ont dit que vous-mêmes aviez plus d'attachement, plus d'intérêt au travail dès lors qu'à la fois votre curiosité était éveillée et que votre participation personnelle était accrue, ce qui, il est vrai, est l'un des secrets de l'enseignement, à condition qu'on le puisse. Madame la directrice, sans doute auriez-vous désiré depuis longtemps faire tout cela mais quand on n'en a pas les moyens, on ne peut plus compter que sur la constance et l'ingéniosité de ceux qui enseignant et quelquefois eux-mêmes se sentent malheureux de ne pas avoir l'instrument qu'il faudrait. Au total qu'est-ce qu'on cherche ? A ce que vous appreniez mieux, avec plus d'agrément, plus vite les cas échéant et plus profondément.\
Psychologiquement, moralement aussi, les effets de nouveaux bâtiments, de belle allure, de belle architecture, dans un environnement harmonieux, cela facilite la relation enseignants-enseignés, la relation humaine tout simplement, la capacité d'échanges. Vous savez toutes, parce qu'on vous l'a dit, que bien des problèmes se sont posés avec l'énorme afflux d'enfants dans l'enseignement secondaire au lendemain de la dernière guerre mondiale, il y a quarante ans. Tout cela a posé des problèmes considérables à ceux qui avaient la charge des affaires publiques. On était habitué à avoir cet afflux dans le domaine primaire, mais pas dans le domaine secondaire, pas non plus dans le domaine supérieur. Alors cela a été le surnombre, la surcharge du travail des enseignants par voie de conséquence et la relation entre ces deux éléments nécessaires, celui qui apprend et celui qui enseigne, s'est gâtée, s'est compliquée, s'est aigrie. Et entre la notion très ancienne de ce qu'on appelle un cours magistral où le professeur dit, comme je le fais pour l'instant, derrière un pupitre surélevé, certaines solennités, voilà ce qu'il faut faire et le laisser-aller de ce qui ne serait plus qu'une camaraderie, parfois même déplacée, il fallait trouver juste ce qu'il fallait pour préserver l'autorité nécessaire de celui qui sait, et qui apprend aux autres à savoir et celui qui apprend et qui mérite d'être respecté et estimé. Un enfant, puis une jeune fille, c'est déjà un être qui pense, qui a conscience d'être et qui établit une relation avec les autres et qui doit être comprise.
- Tous ces éléments matériels qui se sont développés autour de cette construction, monsieur le Grand Chancelier, au fond, on pourrait dire que c'est leur unique objet : on n'a pas construit là par goût de construire, de dépenser de l'argent, de se dire, "bien je laisserai quelque chose de plus". C'est une ambition noble mais qui quelquefois peut être inutile. Non c'est parce qu'il fallait répondre à tous ces besoins que je viens de rapidement décrire que la justification de ce nouveau bâtiment se trouve tout à fait établie.
- Vous pourrez avoir plus d'élèves, madame, mais ce n'est pas non plus l'objectif désiré parce que dans ce cas-là, on pourrait toujours aller plus loin... Mais surtout ces élèves, les anciens puis les nouveaux, pourront indiscutablement poursuivre leurs études avec une meilleure préparation et peut-être dans un -état d'esprit qui leur fera sentir l'importance et l'intérêt de l'étude. Car c'est très intéressant, d'ailleurs toute l'histoire de l'humanité ne s'expliquerait pas s'il n'y avait pas l'intérêt de l'esprit pour pénétrer toute une série de mystères, ou de ce que l'on croyait être des mystères, qui sont tout simplement, enfin pour certains d'entre eux, les mystères de la nature, la matière : qu'est-ce que c'est, où sommes nous ?
- C'est donc une chose très importante que vous faites ici, en étant élève à la Légion d'honneur, vous formez votre esprit à des disciplines qui seront nécessaires pour votre vie si vous voulez que votre vie serve à quelque chose\
Je félicite les architectes, les corps de métiers qui ont abouti heureusement à donner à ce travail l'allure qu'il a. J'ai l'impression qu'il y a eu un grand soin du fini et puis c'est dans la pratique que vous apprécierez si les choses ont bien correspondu à la volonté initiale et à ce moment-là, eh bien vous corrigerez, vous ferez ce qu'il faudra faire, la vie est faite comme cela, rien n'est établi du premier jour.
- Voilà, je n'ai rien d'autre à vous dire, d'ailleurs devais-je nécessairement m'exprimer ? On croit qu'un Président de la République, cela sert surtout à cela et on se trompe. Je n'ai pas la manie de m'exprimer partout, et même très souvent, je me demande pourquoi... J'espère que vous ne me poserez pas la question quand je me serai arrêté, j'ai dit ce qui me venait comme cela à l'esprit, en me trouvant devant vous, je suis heureux de retrouver un bon nombre d'ailleurs de ceux qui appartiennent, qui dirigent même le Conseil de l'Ordre de la Légion d'Honneur, qui participent disons à votre vie, qui se soucient de vous, qui s'y intéressent, autour de M. le Grand Chancelier, autour de Mmes les Directrices, autour de vos professeurs et je vous souhaite bon travail, bonne chance et bonne existence dans l'établissement rénové où nous sommes. Merci.\