12 septembre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel préfectoral des Palmistes, sur les conséquences de la décentralisation pour la Guyane et l'industrie aérospatiale, Cayenne, le jeudi 12 septembre 1985.

Monsieur le maire,
- Messieurs les présidents,
- Mesdames et messieurs,
- En effet, monsieur le maire, j'avais grand plaisir en arrivant à Cayenne de rencontrer celui que j'avais connu naguère et qui aujourd'hui, responsable du développement de cette ville, vient de s'exprimer au nom de tous les élus pour accueillir le chef de l'Etat.
- Je sais qui j'ai devant moi, les élus et bien entendu autour d'eux un certain nombre de personnalités qui représentent l'Etat. Ces élus, vous venez de le faire remarquer monsieur le maire, ont reçu, de l'un des gouvernements que j'ai constitués, des pouvoirs nouveaux considérables. La loi de décentralisation représente une réforme en profondeur comme la France n'en n'avait pas connue depuis deux siècles.
- Vous avez besoin de ressources complémentaires, c'est évident et MM. les présidents du Conseil régional, du Conseil départemental auront certainement l'occasion de m'en parler au cours de ce bref séjour en Guyane.
- Cependant, je tiens à affirmer ici ce qui est vrai partout, à savoir, que, conformément à la loi de décentralisation, les ressources qui devraient être transférées par l'Etat aux collectivités locales l'ont été intégralement selon le partage qui s'imposait. Ceci est contrôlé chaque année par une commission spéciale composée d'une majorité d'élus, qui plus est, d'une majorité d'élus qui, sur le -plan politique, se situe dans l'opposition et cette opposition a chaque fois tenu à constater à l'unanimité que l'Etat avait tenu ses engagements.
- Il n'empêche qu'en fait, un département comme celui-ci peut légitimement, en raison de toute l'histoire que vous venez de rappeler se plaindre ou craindre de ne pas disposer des moyens suffisants pour les équipements indispensables au progrès de la population comme au développement économique et technique. C'est un souci que vous avez eu raison de souligner devant moi.
- Il y a déjà plusieurs décennies, qu'à des titres divers, je me suis préoccupé des problèmes dits "d'outre-mer", je me réjouis à cette occasion de rencontrer sur place ceux qui vivent quotidiennement ces problèmes.\
Vous avez parlé du contrat de plan à la fois pour constater ce que vous n'y trouvez pas mais aussi pour vous féliciter de ce qui s'y trouve. Il a été négocié entre l'Etat et la Région. Les arguments de part et d'autre ont été entendus même s'ils n'ont pu tous être retenus, et parmi les éléments que vous énonciez j'en reconnaissais certains, celui qui touche en particulier au patrimoine ou au réseau hospitalier. Vous savez qu'actuellement nous sommes en -train de discuter pour qu'en effet, et vous aviez raison de le dire, on hâte l'allure pour que l'Etat rétrocède aux collectivités locales : régions, départements, communes, les réserves et la propriété du sol dont ils ont le plus grand besoin pour mener leur politique, sans quoi ils n'en auraient pas le moyen.
- Je dirai et répéterai à MM. les ministres ici présents, qui le savent, que c'est l'une de leur tâche prioritaire que de hâter le moment où chacun se sentira chez soi. Sur le -plan hospitalier, j'observais en lisant des documents pendant que le Concorde `avion` m'amenait ici à tire-d'aile, que des crédits importants venaient d'être consentis à l'hôpital de Cayenne, pour ne citer que le principal.
- Sur le-plan scolaire, j'ai été frappé de ce que vous venez de m'indiquer, l'apport métropolitain n'est pas nul. Mais en effet votre besoin devient cruellement exigeant, de même que pour le bâtiment, vous avez bien dit mille logements ici-même pendant dix ans. Cela tient bien entendu de la difficulté de rassembler les crédits nécessaires. Mais quand on pense à la somme de difficultés humaines qui s'en suivent pour la vie de famille, pour le développement des individus, pour l'équilibre de la société, j'aperçois combien est criante cette nécessité d'accroître le nombre de logements.\
De même sur le -plan agricole, au delà de cette ville, on assiste à un grand essor de la culture du riz. Je crois que vous êtes aujourd'hui le premier département français avec une capacité d'extension tout à fait remarquable qu'il est même impossible d'apprécier aujourd'hui.
- De même que ce qu'on appelle la francisation de la pêche, un terme un peu bizarre, car après tout il s'agit tout simplement de reconquérir notre dû, de disposer des moyens de la pêche et de faire valoir notre droit là où nous sommes, droit dont nous avons laissé l'usage à d'autres qui ont su s'équiper mieux et plus vite. A nous de rattraper ce retard dans la compétition internationale. J'ai constaté très souvent cette défaillance, il faut le dire, pas simplement ici en Guyane mais aussi dans beaucoup de pays très amis de la France. Dans l'ensemble de l'Afrique où la pêche a été longtemps ignorée comme l'un des moyens économiques modernes parmi les plus remarquables. Et bien on va s'y mettre ! ! On a commencé de s'y mettre, vous le savez bien.\
Je pourrais continuer ainsi pendant longtemps, mais vous avez parlé de Kourou, chacun sait ici et vous en avez l'orgueil légitime, que Kourou est une grande réussite internationale, française, européenne avec un rayonnement et des prolongements internationaux qu'il est inutile de souligner devant vous qui connaissez ces problèmes pour les vivre. J'y serai dans un moment pour une occasion solennelle et grandiose `lancement de la quinzième fusée Ariane` qui marquera une fois de plus, la capacité de l'intelligence, la valeur de la technique et donc des techniciens, leur ténacité. Pendant la fin de ce siècle et le début de l'autre, vous serez en mesure de réaliser point par point l'un des programmes les plus ambitieux du monde. Déjà vous concurrencez les techniques les plus sophistiquées. Il faut en remercier les créateurs, les artisans, les acteurs de chaque jour.
- Je tiens à le dire ici d'autant plus que la puissance publique, l'Etat, contribue et va contribuer plus encore par des apports nouveaux de crédits - je crois qu'il s'agit de 70 MF - à la possibilité d'équiper, d'organiser les infrastructures et d'améliorer les communications. Kourou, ce petit village de quelque 600 habitants il n'y a pas si longtemps, devenu une ville de 10000 habitants voit l'avenir s'ouvrir largement, sans oublier les retombées que cela représente pour l'économie de la Guyane. Les retombées, ce terme, qui s'applique bien lorsqu'il s'agit d'économie, mais qui s'applique moins lorsqu'il s'agit des hommes, sans parler des progrès inhérents à cette présence par le fait que de plus en plus, par des moyens civils et par des moyens militaires, nous allons disposer des équipements scolaires éducatifs, qui vont former des élites nouvelles particulièrement recrutées dans les milieux guyanais, participant ainsi, au développement de la culture moderne qui, pour une large part, est une culture technique.\
Cela s'ajoutera mesdames et messieurs à un fond culturel qui vous est propre : ce mariage, cette symbiose de plusieurs cultures pour n'en former plus qu'une, au travers des apports originels multiples, avec cependant des éléments dominants et l'apport venu de la lointaine métropole.
- Vous représentez un moyen, type d'expression qui n'est pas remplaçable. Même si vous vous sentez très éloignés et parfois isolés - peut-être avez-vous parfois le sentiment d'être oubliés - même si votre densité démographique est faible comparée à tant d'autres, vous savez bien et, en tout cas, j'en ai la conviction, et je veux vous la communiquer, que vous représentez en tant que telle une réalité qui est vous par elle-même, qui ne peut pas être assimilée aux autres. Elle est complémentaire des formes d'expression qui font la France un peu partout dans le monde.
- De par votre situation géographique, vous représentez, en même temps, pour nous tous une ouverture considérable sur le monde extérieur, d'abord sur le continent américain. La décentralisation dont vous venez de bénéficier doit permettre de plus en plus aux élus régionaux et départementaux d'accéder à la responsabilité dans la discussion internationale pour les problèmes qui vous concernent. Sachez que c'est une idée que je nourris depuis déjà plusieurs décennies et qu'il faudra bien mettre en pratique pour que la Guyane tout en étant intimement la France, soit elle-même dans sa spécificité. Le mot est faible, dans sa réalité historique profonde qu'il ne faut pas négliger £ car, si on la négligeait, elle se rappellerait à notre attention dans des conditions politiques que chacun finalement aurait à regretter. D'abord respecter la dignité des peuples et reconnaître la force, la puissance et la pérennité des cultures telles que l'histoire les a formées.\
Je me réjouis une fois de plus messieurs les présidents, monsieur le maire, mesdames et messieurs, de cette occasion qui m'a été donnée par le lancement qui sera exécuté tout à l'heure à Kourou. Initialement n'avait été prévue que cette étape au centre spatial guyanais, démarche porteuse d'une signification bien précise qu'il est inutile d'expliquer : la fierté de la France, sa réussite.
- Kourou est l'un des exemples qui montrent que la France et l'Europe ont désormais une réalité qui les place parmi les données importantes du monde d'aujourd'hui et nous n'en sommes qu'au début. J'ai sur ce -plan de grandes ambitions. Il faut que l'Europe et que les pays qui la constituent sachent qu'à la fois ils doivent préserver ce qu'ils sont et tous ensemble reprendre la place qui devrait être toujours la leur sur la scène du monde. Eh bien Kourou est l'un des plus beaux exemples que je puisse fournir pour illustrer ce qui m'apparaît comme une ligne directrice de notre politique.\
Vous m'avez fait l'honneur et le plaisir de participer à cette brève rencontre. Venant à Kourou donc en Guyane, comment ne serais-je pas passé par Cayenne ? On a donc à ma demande insistante aménagé le calendrier de cette visite malgré les problèmes difficiles que posent les décalages horaires. Me voilà parmi vous, ayant pu tout de même parcourir d'un regard une partie de la population qui s'était déplacée pour accueillir le Président de la République et vous maintenant qui représentez cette population, celle-ci et au-delà la Guyane tout entière.
- La France, la République, la Guyane, voilà trois termes indissociables, encore faut-il que chacun de ces éléments affirme : la France oui c'est notre pays, lui seul a la dimension qui peut permettre de porter plus loin les travaux, les réussites et les espoirs de chacune des parties qui la composent.
- La République, parce que sans la démocratie la France ne serait pas ce qu'elle est et n'offrirait pas le visage qui est le sien aussi bien dans le sein des nations civilisées, mais aussi parmi celles qui sont les plus proches des pays en voie de développement, des problèmes posés par ce développement dans l'ensemble du tiers monde, par le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La Guyane, parce que vous êtes la Guyane et que ce que vous êtes est nécessaire pour les autres, ceux que je viens de quitter de l'autre côté de l'Atlantique, ceux que je vais retrouver de l'autre côté du Pacifique, ceux auprès desquels je serai dimanche, les Français de la métropole.
- Merci messieurs les présidents, monsieur le maire, merci mesdames et messieurs. En quelques minutes, il est impossible de dire tout ce que l'on a dans l'esprit, mais ces minutes sont suffisantes pour que l'on comprenne ce que l'on a dans le coeur et aussi l'expression d'une volonté qui est à la fois dans le bon sens du terme une volonté politique et qui est, je puis le dire, en raison même de mes fonctions, notre volonté nationale. Merci.
- Vive la Guyane,
- Vive la République et vive la France.\