10 juin 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du dîner offert en l'honneur de la visite du général Eyadema, Président du Togo, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 10 juin 1985.

Monsieur le président,
- C'est avec la simplicité qui convient aux amis très proches que je vous dirai d'abord le plaisir que nous éprouvons à vous recevoir ici ce soir. L'amitié franco - togolaise a derrière elle une longue histoire et elle est toujours très vivante. J'en ai reçu moi-même d'inoubliables témoignages lors de mon séjour dans votre pays, il y a maintenant plus de deux ans. Sans doute nos relations personnelles étaient-elles déjà fondées sur l'estime et l'amitié mutuelles, mais j'ai trouvé en vous un chef d'Etat responsable qui, toujours défenseur des intérêts de son pays, savait placer sa relation avec la France au premier rang.
- Je souhaite que la visite d'Etat que vous commencez aujourd'hui, vous apporte par delà la solennité du cérémonial les preuves de l'estime et de la considération que nous inspire votre action. Vous, qui depuis dix-huit ans, assurez la responsabilité de votre pays. Les lignes de force de cette action sont claires. Elles révèlent la double ambition qui vous anime, assurer l'unité et la prospérité du peuple togolais, mais aussi développer la solidarité régionale et contribuer aux règlements des conflits en Afrique.\
En une génération que de chemins parcourus. Tout en respectant la personnalité des quarante ethnies qui composent votre pays, vous avez réussi en montrant à chacune les avantages d'un destin commun, vous avez réussi à cristalliser dans la conscience collective du nord au sud un sentiment national qui s'affirme de jour en jour. Et que cet acquis fondamental ait été obtenu dans un climat de paix civile assez exceptionnel n'est pas votre moindre mérite et vous vous êtes attaché au développement de votre pays.
- Dans notre monde marqué par les fluctuations brutales des cours des matières premières et des monnaies, le Togo, comme d'autres, a été successivement victime de l'illusion née il y a dix ans d'une flambée des prix, puis de la réalité de la dette aggravée par les hausses du dollar et des taux d'intérêts.
- Alors avec un grand courage et beaucoup de lucidité, vous avez fait face et votre pays a préservé ses atouts. Nous mesurons au spectacle des drames que vivent d'autres régions du monde, tout ce qu'il a fallu d'énergie et de sacrifices pour que votre pays y parvienne. Les premiers résultats sont là, la consolidation de l'économie et des finances togolaises est en bonne voie, l'autosuffisance alimentaire est assurée, épargnant à vos compatriotes ces désastres qui détruisent ailleurs tant de peuples et dont nous avons pu voir récemment les images insoutenables.
- Forger une nation, assurer son développement, auraient pu suffire à votre ambition, mais le Togo ne vise pas simplement une paix ou des avantages limités à lui-même. Vous vous êtes donné pour vocation d'être une terre de rencontre, de dialogue, de conciliation avec l'énergie que nous vous connaissons, vous oeuvrez au renforcement des solidarités : le mois prochain Lomé accueillera, une fois encore, une fois de plus, une conférence internationale, en l'occurence celle des seize Présidents de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest. Votre capitale qui s'est illustrée par les importants accords passés entre la Communauté européenne et l'Afrique `CEE - ACP`, joue de plus en plus un rôle fondamental sur le développement du continent africain.\
Des conflits qui déchirent l'Afrique, nous avons déjà eu l'occasion de parler, nous poursuivrons ces entretiens, je me bornerai donc, ce soir, à rappeler en quelques mots la position de mon pays sur deux sujets qui nous tiennent à coeur : l'Afrique australe et le Tchad.
- C'est vrai qu'en Afrique du Sud, il n'est pas acceptable que se perpétue un système de ségrégation qui bafoue la dignité humaine. Cette révolte qui monte des cités noires doit être entendue avant qu'il ne soit trop tard. Et comment accepter que se perpétue l'occupation de la Namibie, quelles que soient les apparences ou les raisons dont s'affuble la puissance occupante. Dans cette région comme ailleurs, les responsables doivent comprendre qu'aucun conflit ne trouvera de solution sans que soient satisfaites les aspirations légitimes des hommes à la justice, des peuples à l'indépendance, des Etats à la souveraineté et à l'intégrité territoriale. Cette remarque vaut pour le Tchad.
- Vous savez que la France assume dans ce pays des responsabilités historiques, mais que de dissentiments ! Les accords qui liaient la France il y a dix ans avec ce pays ont été déliés par la suite. L'urgence, devant la menace de la perte définitive de l'indépendance du Tchad a provoqué l'intervention de la France. Cela ne nous conduit pas à penser que nous ayons des droits, simplement pour assurer la paix et l'équilibre, particulièrement de l'Afrique noire, et pour que cesse toute agression militaire, toute occupation indue, nous continuons de dire que la France se considérait comme engagée étant entendu que rien ne vaudrait si les efforts n'étaient pas poursuivis, entre les tchadiens eux-mêmes pour aboutir à leur réconciliation nationale.
- Il est avec beaucoup de pays d'Afrique, un certain nombre de pays d'Afrique noire, des accords, des accords de sécurité, de coopération. Je puis répéter ici que la France, déjà, dans le passé, aujourd'hui, demain encore, restera fidèle à tous ses engagements. Je profite de votre présence ici pour l'affirmer de nouveau, ce n'était pas utile, sans doute, une fois suffisait pour le dire, mais, le répéter n'est pas plus facheux.\
Monsieur le Président, je concluerai, en revenant au thème que j'évoquais d'entrée de jeu, parce qu'il m'est cher : celui de l'amitié franco - togolaise. Cette amitié vous doit beaucoup. Vous l'avez, au fil des années et avec une constance inébranlable, cultivée, développée, enrichie. Vous avez su dans des circonstances parfois délicates prouver que la France pouvait, en confiance, faire appel à vous et vous savez que l'amitié de la France ne fera pas défaut au Togo.
- J'ai parlé de la solidarité et cela est fondé sur des accords librement négociés. Rien ne m'importe plus que de respecter le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Et cette solidarité s'exprime aussi sur le -plan économique. Nous avons bien l'intention de continuer, chaque fois que cela sera nécessaire et en tout cas votre parole sera toujours entendue chez nous.
- Notre coopération bilatérale va bien. Dans les enceintes internationales, nous nous retrouvons aisément pour plaider les mêmes causes. Qu'il s'agisse du Fonds monétaire, du Club de Paris, de la Banque mondiale dont le fonds spécial pour l'Afrique créé largement à l'initiative de mon pays devrait selon nous bénéficier en priorité à un certain nombre de pays qui en ont le plus grand besoin. Oui, la France a déjà dit ce qu'elle devait dire dans ces instances pour le Togo. Car nous sommes conscients du caractère exemplaire de l'-entreprise de redressement et de développement engagée sous votre autorité.
- Je forme des voeux chaleureux pour le plein succès de votre action, pour vous-même, pour les vôtres que vous voudriez bien transmettre à votre famille, Mme Eyadema, mes souvenirs et mes hommages que nous lui devons, vos enfants que nous avons eu la joie de connaître, voeux de santé et de prospérité. Pour vous aussi, mesdames et messieurs, qui êtes venus depuis là-bas jusqu'ici pour participer à ces cérémonies, à cette visite d'Etat que chacune et que chacun d'entre vous sachent que la France vous reçoit de grand coeur. Mesdames et messieurs, je vous invite à lever vos verres en l'honneur du Président Eyadema, en l'honneur des éminentes personnalités qui l'accompagnent, en l'honneur du peuple togolais ami, auquel je souhaite bonheur, prospérité et paix, vive la France, vive le Togo.\