13 mars 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien avec la presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de sa rencontre avec M. Mikhail Gorbatchev, Président du Praesidium du Soviet suprême, à Moscou le mercredi 13 mars 1985.

J'ai donc passé la journée à Moscou pour la raison que vous savez. J'ai participé au début de l'après-midi aux cérémonies des obsèques de M. Tchernenko £ après quoi j'ai pu recevoir diverses personnalités, d'abord M. Mulroney, le Premier ministre canadien, ensuite M. Nakasone, le Premier ministre japonais. J'avais rendez-vous avec M. Rajiv Gandhi. Cette rencontre n'a pas pu avoir lieu par le fait des retards parfaitement compréhensibles dans l'emploi du temps de M. Gorbatchev qui ont conduit jusqu'à la fin de l'après-midi à ce que nous attendions de part et d'autre. M. Rajiv Gandhi m'a envoyé son ministre des affaires étrangères et nous avons rappelé que nous aurons l'occasion de nous voir au mois de juin à Paris. Je recevrai M. Rajiv Gandhi avec plaisir. Et j'ai rencontré M. Gorbatchev comme prévu aux alentours de 19 heures £ j'en arrive.
- Un entretien de ce type, vous l'imaginez aisément, s'inscrit dans une longue suite de rendez-vous. Il ne permet pas tous les développements qu'en d'autres circonstances nous tiendrons. Cependant, en l'espace de trois quarts d'heure, M. Gorbatchev a tenu à aborder quelques problèmes de fond touchant essentiellement le probléme du désarment, des armes classiques, des armes nucléaires ou des nouvelles formes d'armes dans l'espace £ donc conférence de Genève, dispositions de la France, détente - c'est le terme qu'il a employé lui-même ce matin lors de son discours, aux obsèques - et j'ai répondu en répétant les données principales de la politique extérieure de la France dans ce domaine. Vous les connaissez, je n'insiste pas.
- Une rencontre telle que celle-ci comporte un climat, un ton, une façon d'être et c'est cela surtout qui comptait. Nous aurons l'occasion de nous revoir puisque j'ai réitéré à M. Gorbatchev l'invitation que j'avais faite précédemment à M. Tchernenko, invitation qui avait été acceptée. Voilà l'essentiel de ce que je puis vous dire.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quelle impression avez-vous retirée, de votre entretien avec M. Gorbatchev ?
- LE PRESIDENT.- Sur la personne ou sur le contenu de l'entretien ?
- QUESTION.- Sur sa personne ?
- LE PRESIDENT.- Vous avez pu l'apercevoir comme moi-même. Je l'avais rencontré l'an dernier lors de ma visite d'Etat en Union soviétique. C'est un homme solide, calme, à l'esprit délié, qui a déjà la pratique des affaires et qui aborde sa fonction, me semble-t-il, avec la volonté de saisir l'événement pour que les quelques grandes questions qui obscurcissent la situation mondiale soient traitées avec audace, et précision. C'est l'impression que j'ai retirée de cette relation, trop brève pour cependant me permettre de conclure sans risque de me tromper.\
QUESTION.- Vous avez parlé d'un ton et d'une atmosphère. Vous les définiriez comment, ce ton et cette atmosphère ?
- LE PRESIDENT.- Directs, précis, intéressants.
- QUESTION.- Vous avez dit "audace" dans le domaine des relations internationales. Est-ce-que c'est une audace qui peut aller dans le sens de la détente, par exemple, ou d'une plus grande fermeté ?
- LE PRESIDENT.- L'objectif tel qu'il est affirmé est celui de la détente. Il semble bien que ce soit la note principale qui ressorte du discours ou de la conversation. Quant à la méthode pour y parvenir, attendons avant d'en juger.
- QUESTION.- Est-ce que vous avez l'impression, monsieur le Président, que M. Gorbatchev a une façon différente d'aborder les problèmes internationaux ?
- LE PRESIDENT.- Il y apporte, j'en ai le sentiment, un certain nombre d'éléments d'appréciation personnelle qui cependant s'inscrivent, on le conçoit aisément, dans une continuité que personne, j'imagine, à la tête de ce grand pays, ne changera et, sans aucun doute, enfin tel que je le ressens, une volonté d'aborder carrément les problèmes avec ses partenaires.
- QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous considérez, qu'à partir du moment où M. Gorbatchev est en place, il faut accorder une signification politique au changement de personnel au Kremlin ?
- LE PRESIDENT.- Oui et non. Croire que la venue d'un homme nouveau peut suffire à modifier une politique construite patiemment à travers plusieurs décennies, ce serait une erreur. Croire que les décisions politiques et le gouvernement d'un grand pays sont indifférents à la qualité d'une personne, ce serait une autre erreur. Alliez ces deux éléments et vous comprendrez à travers le temps qui vient ce qui vient de se passer aujourd'hui à Moscou.\
QUESTION.- Monsieur le Président, qu'est-ce qui vous a incité à venir aux obsèques de M. Tchernenko et à ne pas venir à celles de M. Andropov ?
- LE PRESIDENT.- Je ne connaissais pas M. Andropov, j'avais été reçu il y a peu, vous vous en souvenez, par M. Tchernenko dans une visite d'Etat. J'avais invité M. Tchernenko, je viens de le rappeler, à se rendre en France. J'ai pensé qu'il était normal de venir à Moscou, d'autant plus qu'il y a beaucoup de choses à dire entre dirigeants soviétiques et dirigeants français. C'était une occasion, sans doute particulière, qui ne permet pas tout, mais utile pour avoir des conversations directes avec celui qui est désormais responsable.
- QUESTION.- M. Gorbatchev vous a-t-il laissé entendre qu'il viendrait en France avant la fin de l'année ?
- LE PRESIDENT.- Je ne peux pas le dire. Cette réitération d'une invitation je l'ai faite, avant de quitter M. Gorbatchev. Il l'a acceptée en tout cas : quant à se voir quand ? Je ne saurais le dire. Cela se discutera entre les ministres des affaires extérieures et les ambassadeurs.\