23 octobre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du dîner offert par Sa Majesté la Reine Elisabeth II et par son Altesse royale le Duc d'Edimbourg, Londres, Palais de Buckingham, mardi 23 octobre 1984.

Madame,
- Les mots de bienvenue que vous venez de prononcer nous touchent et nous honorent, ma femme et moi. Ils ne sauraient mieux exprimer l'importance des affinités qui après des siècles de voisinage et d'histoire mêlés rapprochent aujourd'hui nos deux peuples, nos deux pays. Je voudrais à mon tour vous dire le plaisir que j'ai à me trouver ici ce soir à Londres, dans ce Palais, répondant à votre invitation. Ce plaisir, je l'éprouve en tant que Président de la République accomplissant la quatrième visite d'Etat d'un chef de l'Etat français en Grande-Bretagne en moins de trente-cinq ans. Mais j'éprouve aussi, à-titre personnel, beaucoup de joie à me retrouver sur ce sol que J'ai connu aux heures les plus sombres, en 1943 et 1944. Et comment ne pas me souvenir ! Il y avait à la tête de votre pays des responsables qui n'ont jamais cédé, entrainant la résolution du peuple tout entier, mais aussi trouvant dans ce peuple tout entier leur propre résolution. Vous l'avez rappelé, certains parmi mes compagnons d'alors sont présents ce soir. Compagnons britanniques, en-particulier, et ils se souviennent avec moi. J'avais déjà, dans mon enfance, appris de ma famille à estimer, à aimer même votre pays et ses grande traditions. Quand, à mon tour, combattant de la France libre, j'ai pu connaître ce qu'était votre hospitalité, j'ai mesuré les vertus fières de votre peuple et son courage et sa ténacité. Cela, madame, je ne l'ai jamais oublié, chaque fois notamment, qu'il a fallu considérer la situation de votre pays, son rôle dans l'Histoire, le sens à donner aux relations entre la Grande-Bretagne et la France. La guerre et maintenant, la crise on frappé, mais je n'ai jamais douté de votre peuple. Cette pensée guide mon action en ce 80ème anniversaire de l'Entente cordiale, en ce 40ème anniversaire du débarquement allié que, vous l'avez rappelé, nous avons célébré ensemble le 6 juin dernier sur les côtes de Normandie.\
L'amitié entre deux peuples comme les nôtres est une précieuse conquête. Nous sommes venus la célébrer mais surtout en dire l'actualité. Nos vieux pays qui sont jeunes aussi, ne peuvent rester des phares pour le monde qu'à la condition de savoir être encore, comme aux siècles passés, les lieux privilègiés d'une rencontre entre modernité et tradition, science et culture, renouveau et fidélité.
- Je dirai demain, devant votre Parlement qui me fait l'honneur de me recevoir, comment j'envisage ainsi, au nom de la France, d'aller plus loin dans cette -recherche en-commun d'une entente cordiale pour les temps à venir. Nous avons à établir entre nos entreprises, nos chercheurs, nos universités, nos artistes, nos administrations, nos villes, nos régions, des habitudes naturelles et beaucoup plus régulières de coopération. Dira-t-on que nos liens, dans les domaines les plus divers, sont déjà suffisamment établis et fructueux ? Sans doute pas et l'on ne peut s'en contenter. Et pourtant nous avons devant nous bien des chantiers communs. Parlerai-je - est-ce permis - du tunnel sous la Manche, si longtemps attendu et que les technologies nouvelles rendent plus aisément réalisable ? Parlerai-je des télécommunications dont la maîtrise est essentielle à la sauvegarde de notre souveraineté ? Le champ est vaste, si vaste, de ce que nous pouvons entreprendre.\
Comme vous venez de le dire, Madame, cette recherche de notre propre prospérité s'inscrit dans un monde en plein bouleversement, où les désordres de toute -nature menacent la paix et accentuent les déséquilibres. Il nous appartient d'oeuvrer ensemble pour que le désarmement, le développement, la stabilité politique, la justice sociale soient partout assurés, pour que s'étende le règne de la démocratie, de la liberté et des droits de l'homme si menacés, si méprisés, pis encore bafoués, torturés comme le sont tant et tant de femmes et d'hommes sur la terre.
- Il nous sera plus facile d'influer sur le -cours du monde - l'histoire tragique de ce siècle le montre - si nous savons édifier une Europe forte, andacieuse en même temps que respectueuse des nations et des Etats qui la composent, une Europe, je le dis de toute ma conviction, qui a besoin de l'apport de la Grande-Bretagne. Là-dessus beaucoup a été fait : j'ai présent à l'esprit notre coopération pour Airbus, pour la recherche nucléaire, pour la conquête spatiale, que sais-je encore, notre accord de Fontainebleau que vous avez bien voulu citer. J'ai la certitude qu'il faut persévérer.
- Lors des prochains jours, j'aurai l'occasion de parler plusieurs fois et de détailler ces sujets avant de vous revoir, madame, et vous monseigneur, jeudi soir à la Résidence de France.
- Mais, dès maintenant, en réponse à vos aimables et profondes paroles, à mon tour je lève mon verre à votre santé, madame, à celle de votre famille, de tous les êtres qui vous sont chers, à l'amitié vivante entre nos peuples, à l'avenir qui verra, je l'espère, nos nations, nos deux nations travailler en-commun dans le monde - nous le faisons déjà - pour maintenir la paix et défendre les valeurs de la démocratie.\