5 juillet 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel de ville de Clermont-Ferrand, jeudi 5 juillet 1984.

Monsieur le maire.
- Mesdames et messieurs.
- Ainsi s'achève ou presque une journée qui m'a permis de faire quelques détours en Auvergne, de rencontrer divers publics, une population dont je connais les qualités, que je ne rencontre pas pour la première fois. Cantal, Haute-Loire, Puy-de-Dôme maintenant avec une possibilité qui m'a été donnée d'échanges approfondis, sérieux, utiles pour moi avec les uns, les autres, les élus bien entendu, les dirigeants agricoles, les représentants de syndicats ouvriers, bien d'autre encore. Vous surprendrais-je ? Je suis content de ma journée.
- J'ai entendu des opinions diverses. Il suffit de regarder la carte de la géographie politique de la France pour se rendre compte de ce qu'était ce voyage. Et je m'en suis réjoui.
- Il est très important pour moi que de pouvoir entendre la voix de ce qui fait la France et en cette heure, monsieur le maire et cher ami, Roger Quilliot, vous qu'en effet je connais depuis vingt ans, avec lequel j'ai tant travaillé, qui étiez il y a peu membre du gouvernement, que vous avez quitté parce que vous le vouliez bien, ayant choisi, pour le temps que j'ignore, une autre route sans que jamais nous oublions ce que vous aviez été capable de faire au service du pays. J'ai donc beaucoup de raisons de me réjouir d'être avec vous, ce soir, dans ce bel hôtel de ville et de pouvoir rencontrer les Français de toute sorte, Françaises, Français, dont la pensée est une composante de l'ensemble que vous venez d'évoquer depuis tant de siècles que la France existe. Elle est restée semblable à elle-même et rien de ce que je dois connaître, chef de l'Etat, n'aura été ignoré de ceux qui m'ont précédé. A cela près que chaque problème prend la couleur du temps, des modes, des soucis, des transformations superficielles ou bien en profondeur, d'une société qui bouge, d'un monde en crise, des antagonismes qui s'exaspèrent. Mais si l'on veut bien comprendre la France et le peuple français, ilfaut savoir qu'il est des constances, des permanences de l'histoire. Je les vis avec vous et jamais je ne me laisse emporter par l'idée que cela me s£-erait réservé. J'ai à accomplir ma tâche à mon tour comme d'autres l'ont fait, à ma façon, bien entendu, tendant à exprimer le mieux possible le voeu de ceux qui m'ont choisi avant d'autres, mais la permanence de la France dans sa réalité, sa richesse, son pluralisme. Tout cela fait la France que j'aime. On a bien le droit d'avoir ses préférences, mais nul ne doit être exclu qui ne s'exclut lui-même.\
Vous avez évoqué la démocratie et le respect des autres en indiquant, à contrario, à quel point vous répugnez à l'expression de certaines pensées pour l'accomplissement de certains actes qui ont marqué notre jeunesse, le goût de la violence pour la violence, de la domination, des droits fondamentaux de l'homme. Et tout ce qui explique ma démarche, la vôtre, c'est bien cela. Ces droits de l'homme, si souvent cités, si souvent bafoués. Ces libertés dont tant se servent comme d'un drapeau pour s'opposer à l'autre. Alors que le plus souvent, je l'ai dit aujourd'hui, je distingue derrière un amour de la liberté qui n'est jamais immodéré un prétexte pour protéger des privilèges. Mais les libertés le sont, celles qui permettent à l'homme, à la femme, à l'enfant de vivre un peu mieux, de se sentir un peu plus soi-même, un peu plus conforme à ce qui est ressenti à l'intérieur de soi. Je crois qu'on l'a fait, on le fait tous les jours.
- Par quoi a-t-on commencé il y a trois ans `1981`, sinon par mettre à bas tout un système judiciaire d'exception, pour restaurer les vraies valeurs et les nécessités de la justice dans le pays. Par quoi avons-nous commencé, sinon par, non pas restituer, mais conférer aux citoyens d'autres droits : ceux de la responsablilité par la décentralisation que vous évoquiez à l'instant, aux travailleurs plus de droits dans l'entreprise, droits souvent méconnus et par les uns et les autres et par les travailleurs eux-mêmes et qui apprennent peu à peu -et cela change déjà le paysage français - les droits, droit à la connaissance, droit à l'explication, à la formation économique, droit au débat, droit de plus en plus aux responsabilités, surtout dans le secteur public où il est plus aisé au pouvoir d'agir.
- Les libertés ? Et vous allez croire, -personne ne le croit d'ailleurs vraiment- et vous allez croire que dans quelques domaines, soudain pris de je ne sais quelle frénésie, le pouvoir élu par le peuple, qui n'a pour objet que de répondre aux aspirations populaires et de s'inscrire dans une lignée historique marquée toujours par des conquêtes populaires pour la liberté de l'homme, croire que soudain nous allons changer de route pour obéir à je ne sais quelle envie, à je ne sais quel besoin de réprimer ou de priver qui que ce soit de ce qu'il aime, de ce qu'il veut ? Si j'avais senti, si je sentais cette menace, je serais le premier à m'y opposer, cette menace viendrait-elle de mes plus proches amis ! Mais elle n'est pas là. Elle n'est pas là. C'est donc une sorte d'accusation mutuelle, de suspiscion comme si les diverses parties de la France n'étaient capables - elles le sont, elles le seront de plus en plus si on le veut - d'engager le dialogue qui permettra sinon l'accord, du moins la compréhension et le respect, je veux dire le respect mutuel. Mais c'est vrai de la presse et c'est vrai de l'école, c'est vrai de tout ce qui contribue à la formation de la conscience et du savoir. Il s'agit bien dans les deux cas de la même chose, la conscience et le savoir et croyez-moi, Monsieur le maire, vous qui avez précisément participé à l'élaboration des mesures en cause que je rappelais à l'instant, ce serait le meilleur de nous-mêmes que nous dissiperions au passage si nous ne restions pas fidèles à cet enseignement.\
C'est pourquoi je me sens très à l'aise avec vous comme tout au long de cette journée, à Aurillac, dans la ferme que je visitais près d'Aurillac, dans une maison de vacances, avec des jeunes enfants qui jouaient, se formaient, s'éveillant à quelques kilomètres du Puy, au Puy-même, comme maintenant à Clermont-Ferrand, demain encore à Clermont-Ferrand avec les assemblées régionales, puis dans le département de l'Allier. La diversité même des lieux que je vous cite montre bien que si je vous le dis, c'est que je me sens à l'aise avec vous et heureux de vous rencontrer, de vous retrouver, c'est l'expression de ma pensée.
- J'ai bien entendu ici ou là quelques échos, des passions et des passions antagonistes, de la désaprobation, des échos de la querelle qui occupe tant la France. Mais je n'ai à aucun moment éprouvé le sentiment que je pouvais être en cause même si bien entendu, poussé par la passion politique, on le cherche.
- Non, je suis responsable de la France tout entière et de tous les Français. Je le répête, il faut sans cesse le répéter. Je dois assurer l'équilibre et la permanence de la République qui s'est donnée des lois. Ces lois je les respecte, même quand je ne les ai pas approuvées. C'est la loi suprême, c'est ainsi et si je m'impose ces règles, ce n'est pas pour accepter que d'autres les enfreignent.
- Il faut bien que vous vous rendiez compte mesdames et messieurs que la France peut beaucoup pour aborder la fin de siècle et le début de l'autre. Elle peut beaucoup : je vois cette Auvergne, cette ville si vivante qui a connu si grand développement, qui se modernise dans l'esthétique respectée, qui aborde par ses universités ardentes tous les domaines de l'esprit, qui, par ses travailleurs qui se sentent souvent menacés, mais cependant une ville puissante, forte, riche de réserves, d'imagination, d'intelligence et de travail, je vois cette ville qui vit et qui grandit, capitale d'une région beaucoup et plus que cela, capitale, en France, parmi les quelque capitales dont la signification demeure dans les grands sens mêmes de l'histoire.
- Oui je me sens très bien à Clermont-Ferrand et c'est pour moi une joie que d'avoir pu parcourir vos rues sous ce beau soleil dont vous ne prétendez pas qu'il est quotidien mais qui est celui de la saison qui nous accueille, la gaité même, ce que l'on peut tirer de l'existence fût-elle difficile.\
C'est en Auvergne, oui, que j'éprouve aussi la force de ce pays. Malgré une crise qui le frappe depuis dix ans, obligé de faire reculer l'espoir de jour en jour avec ce que cela suppose de sacrifices pour les plus démunis, l'effort de ceux qui ont dû toujours le faire depuis le début de l'ère industrielle, toujours les mêmes, les mêmes catégories sociales, les mêmes couches socio-professionneelles... C'est dur que d'être obligé de supporter la déchirure de restructurations industrielles indispensables qui se comptent en pertes d'emplois. C'est dur, c'est difficile que de voir ici et là son pouvoir d'achat affaibli. C'est dur, c'est difficile que ce supporter tout cela tandis que l'on observe encore le maintien de tant d'inégalités, d'injustices, le maintien de tant de privilèges. Oui, c'est dur et pourtant, on peut corriger peu à peu ces inégalités. Il faut s'y attacher en veillant bien entendu à ne pas renverser non plus l'ordre des valeurs. On peut agir sur bien des -plans mais rien ne sera possible sans le travail, l'effort et la volonté nationale.
- Je n'émettrai à Clermont-Ferrand aucune promesse ! J'ai défini il y a déjà longtemps la ligne à suivre, la route. Sur cette route je reste, dans la même direction. Je ne change pas mais je tiens compte de plus en plus de ces milliers, de ces millions de Français que j'ai pris en charge et qui pensent autrement.
- Voilà bien l'ambivalence de ma charge : le Président de tous, élu par la moitié ou plus de la moitié sans doute, sans quoi on ne le serait pas. Alors n'oublions pas, comme le disait à l'instant Roger Quilliot, qu'il est quelques domaines dans lesquels nous nous sentons bien ensemble et que se sont les principaux. La paix, oui la paix, l'équilibre mondial et la présence de la France, sa grandeur, le respect qu'elle inspire, l'attachement que lui vaut la plupart des peuples du tiers monde au point d'en avoir fait au cours de ces derniers temps, le pays vers lequel se portait davantage l'espérance, chercher à dire le droit sans l'imposer, choisir toujours le côté de ceux qui ont besoin de croire en l'avenir. Cela n'appartient à personne mais à tous, à vous tous quelle que soit l'origine politique dont vous vous réclamez.
- Et puis il est d'autres valeurs, celles du progrès industriel, agricole, qui passent par la capacité de l'entreprise, son don d'imagination, ses initiatives qu'il faut savoir respecter, par l'Etat aussi qui doit jouer le rôle qui reste le sien ce qu'il fait, qu'il doit remplir entièrement, sans dépasser les bornes de ce qu'il doit faire, parce que notre société est ainsi faite que de l'initiative mêlée, publique et privée, naîtra, commence à naître, l'harmonie d'où viendra la puissance de production, d'échanges et finalement la création des richesses nécessaires pour que chacun retrouve et l'emploi et le salaire et, au-delà, toutes les chances de l'avenir pour les enfants qui naissent.\
Mesdames et messieurs, merci de votre accueil. Vous avez abordé monsieur le maire un problème fiscal parce que vous vouliez souligner l'intérêt que vous portez à cette dernière conquête qui s'appelle tout simplement la responsabilité des collectivités locales, la décentralisation. Mot un peu barbare. C'est un stade supérieur de liberté que de pouvoir, là où l'on vit et là où l'on travaille, décider pour soi-même. En effet, il faut éviter toute mesure, fut-elle juste à bien des points de vue, qui ferait régresser cette conquête récente. C'est un des raisons pour lesquelles j'ai demandé au Premier ministre `Pierre Mauroy` de faire des propositions équilibrées dans la réduction des prélèvements obligatoires, de façon à pouvoir, sur au moins deux ans, peut être trois, obtenir les résultats que nous recherchons sans réduire en quoi que ce soit une liberté conquise. J'en parlerai plus longuement lorsque je m'adresserai aux Assemblées régionales.
- Mesdames et messieurs vous représentez ici Clermont-Ferrand, Clermont-Ferrand présente dans les rues, il y a quelques quarts d'heures. Vous représentez l'Auvergne que je salue, l'Auvergne coeur du pays, dont la présence remonte aux premiers temps de l'unité française, aux premières heures. Celle qui croit à la patrie et celle qui lui apporte le meilleur d'elle-même, oui l'Auvergne toujours présente lorsqu'il faut combattre pour le meilleur de la Patrie.
- Je salue en vos personnes Clermont-Ferrand, l'Auvergne et il est très facile de dire, pour conclure, ces quelques mots si souvent répétés mais qui gardent tout leur sens :
- Vive Clermont-Ferrand, Vive le Puy-de-Dôme et l'Auvergne.
- Vive la République, Vive la France.\