27 mars 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Intervention de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de la table ronde entre les responsables agricoles américains et français, à Peoria dans l'Illinois, mardi 27 mars 1984.

Monsieur le ministre,
- Mesdames et messieurs,
- Deux réflexions d'abord.
- Il est assez paradoxal que les deux plus grands producteurs du monde, les Etats-Unis d'Amérique et la Communauté économique européenne `CEE`, discutent de contingents, de restrictions, de protection, de taxes, et se querellent dans le -cadre d'une politique générale qui est une politique d'amitié alors que, comme le Président de la Fédération des syndicats agricoles français `François Guillaume, FNSEA` vient de le dire, il y a deux milliards de consommateurs qui, ou bien meurent de faim, ou bien sont sous-alimentés.
- Naturellement, cette remarque préliminaire ne peut pas servir de réponse aux questions posées aujourd'hui parce qu'il faudrait du temps pour mettre un plan d'aide en place. Mais, parce qu'il y faudrait du temps, il faudrait vite le décider.\
Entrons maintenant dans le vif de notre sujet.
- J'entends bien, j'ai entendu, au-cours de mon voyage, des critiques exprimées par des personnalités américaines à l'égard de ce qu'on appelle le protectionnisme européen et j'entendais, il n'y a pas si longtemps, alors que je me trouvais dans une assemblée européenne, des critiques adressées à la politique d'expansion américaine.
- Ma première proposition est celle-ci : il faut s'expliquer. Et cette rencontre, je l'espère, sera le prélude a diverses confrontations, franches et amicales, mais claires afin que l'on sache de quoi on parle. Et je pense qu'en dehors des administrations, il serait très utile que les professionnels américains et européens organisent des rencontres de ce type.
- Je commencerai par vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'on ne peut pas accuser la Communauté européenne de protectionnisme parce qu'elle existe. En effet, elle existe £ elle dispose d'une union douanière et d'une préférence pour ses produits. C'est vrai, cela est un acte public qui existe maintenant depuis de longues années mais qui a fait l'objet, en contrepartie, de négociations avec les Etats-Unis d'Amérique et bien d'autres. C'est ce que l'on appelle en-particulier les accords GATT, de telle sorte que la situation présente est le résultat de concessions mutuelles afin de corriger, pour les Américains, les avantages d'une zone protégée, celle de l'Europe. Mais, ces avantages ont déjà été consentis au point que les Etats-Unis d'Amérique échappent aux accords GATT pour une très grande quantité de productions agricoles.
- Nous parlons donc pour l'instant d'une situation contractuelle. Ce qui existe en Europe est le résultat de conversations avec vous et ce qui existe aux Etats-Unis d'Amérique est le résultat de conversations avec nous.
- Bien entendu, aucun contrat, aucune série d'accords n'empêchera les partenaires d'aller plus loin dans un sens ou dans l'autre. Et c'est là qu'il faut être vigilant pour éviter que l'un ou l'autre des grands ensembles représentant les Etats-Unis d'Amérique d'un côté et l'Europe agricole de l'autre, peu à peu n'exagère, c'est-à-dire ne mène une politique mondiale contraire à l'esprit des accords.\
Vous connaissez, monsieur le secrétaire d'Etat, et vous, messieurs les professionnels américains, très bien votre dossier. Je ne vais pas le plaider à votre place. J'ai déjà assez à faire avec le mien, mais je vais vous faire mes observations qui n'auront rien d'agressif et qui sont des constatations.
- Premièrement, la balance de nos échanges agricoles est très excédentaire en votre faveur de l'ordre de 6 à 8 milliards de dollars. Ce n'est pas si mal !
- Deuxième observation : vous nous vendez cinq fois plus qu'on ne vous achète. Ce n'est pas mal non plus !
- Troisièmement : plus de la moitié des exportations agricoles américaines entrent en Europe, en franchise de taxe et de prélèvement. S'il fallait donc aux Etats-Unis d'Amérique une protection supplémentaire, où irions-nous ? Nous, en Europe, pouvons-nous laisser accroître ces chiffres ? Cela ne serait pas très raisonnable.
- En Europe, nous soutenons certains produits, nous garantissons des prix, c'est vrai, c'est même très officiel. C'est la base de notre communauté économique £ mais vous en faites autant et je ne vous en accuse pas. Ne nous en accusez pas. Nous y consacrons à peu près la même chose. Celà représente de votre côté 20 milliards de dollars. Avec ces 20 milliards de dollars, vous soutenez vos prix agricoles, donc vous demandez cet argent à l'ensemble des contribuables américains. Eh bien, nous, nous faisons la même chose. S'il y a faute, elle est déjà pardonnée.\
Ensuite, il y a des subventions aux exportations. Oui, vous, vous subventionnez par exemple vos ventes de farine, on l'a constaté en Egypte. Nous, nous subventionnons un certain nombre d'autres choses. Vous faites des prêts à crédits bonifiés à l'exportation. Cela nous arrive. Vous soutenez des prix, le lait par exemple, nous aussi, pas assez, même, nous disent les professionnels actuellement en Europe. Vous faites des compensations, des paiements compensatoires pour les céréales, pour le riz. Nous ne pratiquons pas vraiment cette méthode, nous en avons d'autres, vous contingentez nos exportations, vous faites des quotas pour ce que nous vous vendons, c'est vrai pour les produits laitiers, c'est vrai pour le sucre, c'est vrai pour la viande bovine par exemple. C'est le résultat des accords GATT. Je ne proteste pas, mais les accords GATT ont été faits parce que la Communauté existait. Nous sommes donc a égalité. Vous avez même une loi, votre "public law 480", qui sert à diffuser d'autres aides.
- Voilà, je veux simplement dire que nous protégeons, vous et nous, un certain nombre de marchés pour sauver la vie de nos agriculteurs et des familles d'agriculteurs. C'est donc un motif louable. Le problème est de savoir si nous, ou vous, protégeons trop ? Et pour le savoir, il faut en discuter. Ou bien, nous nous débarrassons de tout le protectionnisme des deux côtés, ou bien nous alignons les protections pour qu'elles soient comparables et à peu près justes et égales. Les professionnels peuvent d'abord en discuter pour arriver à une sorte de traité amical et le gouvernement, ensuite, s'en chargera mais à ce moment-là, nous retrouverons M. Block et nous trouverons en vous un défenseur ardent et très compétent des intérêts américains, plus que des intérêts européens. C'est d'ailleurs aprèS tout votre rôle normal et le mien est de faire le contraire. Mais je vous remercie quand même d'avoir bien voulu m'entendre.\
(M. John Blok suggère que les Etats-Unis et la CEE parlent de leurs relations agricoles au sein du GATT et que les agriculteurs américains et français viennent davantage en aide aux pays moins développés).
- LE PRESIDENT : Je suis d'accord avec ces conclusions. Mais, je vous préviens que si je vous renvoie les dirigeants professionnels agricoles, ils ne sont pas commodes...(rires).
- Puis-je dire encore un mot ? Il me semble que ces rencontres, ces débats, devraient avoir un caractère spécifique et ce ne serait pas une bonne méthode que de les organiser à l'intérieur du GATT. Il faut que cet échange se fasse autour des problèmes agricoles.\