24 mars 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du déjeuner offert par M. Andrew Young, maire d'Atlanta, samedi 24 mars 1984.

Madame,
- Mesdames et messieurs,
- Quand j'entrais dans cet hôtel tout à l'heure, une personne m'a demandé : pourquoi êtes-vous venu à Atlanta ? et je lui ai répondu pour quatre raisons : la première parce que c'est la Géorgie et la Géorgie nous apparaît, et je crois que c'est vrai, comme l'un de ces Etats qui se préparent le mieux à la grande compétition moderne. C'est un Etat qui prend place avec énergie, intelligence et esprit d'invention dans l'économie des Etats d'Amérique et au-delà, parmi les collectivités humaines qui produisent, qui cherchent et qui trouvent. Et il y a la capitale, enfin, la grande ville, Atlanta, si moderne dans ses ambitions et dont les racines plongent dans l'histoire. Histoire tragique, histoire heureuse, l'un des moments les plus importants de l'histoire de votre pays pour le petit européen que j'étais, lisant l'histoire, découvrant aussi au travers de la littérature romanesque tout ce que pouvait ressentir, selon l'endroit où ils se trouvaient, les habitants de Géorgie, j'avais la tête pleine de cet air déchirant de Louis Armstrong "Georgia, on my mind".
- Et j'ai depuis cette époque, il y a quand même quelques temps de cela, plus d'un demi-siècle, une image de la Géorgie qui est restée dans mon esprit. J'étais venu une fois, il y a dix-sept ans pour voir et pour apprendre et je m'étais promis de revenir sans me douter que ce serait pour représenter la France. Je me réjouis de cette circonstance qui ajoute de la gravité à notre rencontre.\
La deuxième raison, elle est évidente, c'est la patrie de Martin Luther King, c'est-à-dire d'un des hommes qui ont marqué par leur message les temps modernes et dont le sacrifice a donné à sa vie et à son message une ampleur douloureuse, mais qui signifie bien que lorsque l'on choisit de défendre ses idées et sa foi, ce choix peut aller jusqu'au sacrifice de sa vie. Et cela reste un enseignement vivant que perpétuent ses amis, ses disciples et qui impressionne, bien au-delà, un peuple qui, sans toujours partager ses idéaux, ne s'en incline pas moins devant ce grand exemple.
- La troisième raison, qu'on me pardonne de le dire, c'est le Maire d'Atlanta, Andrew Young, car sa renommée a franchi les frontières comme représentant des Etats-Unis d'Amérique et aussi comme individu ayant des pensées originales sur la vie du monde, porteur d'une certaine façon de considérer la société des hommes. C'est pour moi un grand plaisir que d'avoir fait sa connaissance ici et de lui avoir remis tout à l'heure, discrètement, la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur, qu'il porte là, cette petite tache rouge sur son veston : cette croix, c'est le premier ordre national, le grand ordre national de la France, créé par Napoléon 1er, accordé pendant quelques dizaines d'années aux soldats puis, après, à tous ceux qui illustraient mon pays ou qui, à l'étranger, illustraient l'action ou la pensée de l'homme.
- Et je suis très content de voir que Andrew Young a accepté très simplement cette distinction qui n'est pas faite pour flatter une vanité mais pour marquer un acte important, reconnaissance à l'égard d'un homme qui le mérite et signification de l'amitié très forte qui unit votre pays et le mien.\
Quant à la quatrième raison, c'est qu'Atlanta est accueillante pour les Français. Même s'ils ne sont pas très nombreux, ils représentent quelque chose d'utile dans le développement de cette ville et, de plus en plus, j'entends dire qu'on souhaite, en France, accroître les relations avec la Géorgie et Atlanta £ on m'a demandé à Paris la ligne d'avion qui permettrait d'aller à Atlanta, je ne sais pas si cela se fera... mais en tout cas les industriels français me l'ont demandé à Paris et j'ai déjà entendu dire qu'on le désirait à Atlanta.
- Il faut dire que la façon dont vous avez agi pour le développement de votre Etat et de votre région, à-parti d'une aviation vivante assurant les liaisons commerciales et humaines, est connue bien au-delà de vos frontières et vous situe parmi les places les plus avancées aux Etats-Unis d'Amérique.
- Je crois que ces Français se trouvent bien ici, qu'ils aiment Atlanta £ je peux leur apporter un signe d'amitié de leur patrie, la France, en m'adressant aussi à tous les franco - américains, à tous ces ménages dont la vie, désormais exprime et la France et les Etats-Unis d'Amérique. Je souhaite qu'ils sachent que ces deux cultures associées représentent une chance pour le monde. On a assez dit ce qu'est l'amitié entre les Etats-Unis d'Amérique et la France, j'ai dit cela à Washington, je le répèterai, c'est une amitié très forte.\
Notre politique n'est pas identique, pourquoi le serait-elle ? Nos deux pays, bien qu'unis par l'Histoire et l'histoire d'aujourd'hui, sont loin l'un de l'autre £ comme je le disais hier, ils ne sont pas au même endroit et quand on est assis dans une pièce, comme vous ici, si vous êtes ici, vous n'avez pas tout à fait le même spectacle que si vous êtes là, mais vous êtes dans la même salle £ et nous, nous sommes dans la même alliance, "Alliance atlantique`, même si notre angle de vue ne peut pas être toujours le même. L'essentiel est, lorsqu'il s'agit de problèmes vitaux pour nos pays, pour la liberté et pour les droits de l'Homme, que nous soyons toujours rassemblés et c'est ce qui se produit, lorsqu'il est bien question de l'amitié entre nos peuples, de la liberté et des droits de l'Homme.
- Et puis, les problèmes internationaux sont rudes et nous souhaitons, en France, que les tensions s'apaisent entre l'Est et l'Ouest, que le dialogue s'ouvre mais nous savons qu'il ne faut jamais aborder ces problèmes autrement que par un échange de concessions, jamais par la faiblesse d'un seul, de telle sorte qu'il faut avancer en ayant la paix devant soi, sans obéir à quelque inspiration de haine ou de rancune, mais en sachant que le monde se construira si l'on sait parler clairement.
- Monsieur le maire et vous, madame, qui m'avez si gentiment accueilli, je vous souhaite beaucoup de bonheur dans votre famille et dans vos espérances. A vous tous, mesdames et messieurs, je souhaite le succès, la réussite, le bon service de votre pays. Je terminerai en disant que si j'ai pu contribuer aussi peu que ce fut à renforcer l'amitié qui nous lie, j'aurai pour revenir, une autre fois, une cinquième raison qui sera tout simplement celle-ci : retrouver des amis.\