14 juillet 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel de ville d'Orange, jeudi 14 juillet 1983.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Il y a déjà quelques mois, M. le ministre de la défense, `Charles Hernu` qui se trouve ici-même, m'avait soumis divers projets pour l'organisation d'une grande manifestation aérienne à l'occasion de ce 14 juillet, répondant ainsi à un an de distance à la démonstration navale à laquelle j'avais assisté à Toulon l'an dernier.
- Cela était bien dû à notre armée de l'air et dans le choix qui m'a été proposé, j'ai non pas préféré - ce serait injuste pour les autres - mais tout naturellement été guidé vers Orange non seulement à cause de l'importance de sa base aérienne, mais aussi en raison de l'ensemble du dispositif qui autour de cette ville, dans ce département ou les départements voisins, représente une force considérable sur le -plan de notre défense `plateau d'Albion`.
- Et puis, je dois le dire, j'ai souhaité me retrouver à Orange où je suis venu souvent, monsieur le maire. Je ne viens pas toujours avec des flons-flons, des voitures officielles, des drapeaux. C'est une ville qu'on aime connaître, où l'on aime flâner, où la beauté vous attend à chaque coin de rue. De telle sorte que votre invitation si courtoise m'a été très sensible. C'est pour moi une occasion que j'apprécie beaucoup, me rendant sur le territoire d'une commune, que d'être reçu par les élus du peuple dans la maison du peuple.
- Vous l'avez souhaité. Il n'était pas question pour moi de m'y refuser. D'ailleurs pourquoi l'aurais-je fait ? Si mon emploi du temps m'avait contraint à passer plus vite, je l'aurais regretté. Mais voilà que mon emploi du temps, pour une fois, m'a permis de passer ici. Je m'en réjouis.\
Vous avez, monsieur le maire `M. Pini`, évoqué les problèmes de la vie quotidienne à Orange. Cela ressemble, avec des singularités, à ce que l'on rencontre partout en France et à ce que l'on rencontre bien au-delà de la France, partout où l'on se trouve soumis à une crise - c'est-à-dire à une mutation - qui secoue les sociétés occidentales.
- Alors, on s'attaque, vous vous attaquez, nous nous attaquons à ces problèmes, chacun avec ses moyens, chacun ses idées. Mais moi, quelle est ma responsabilité, monsieur le maire ? Elle est celle de la France et, pour moi, si j'ai naturellement mes propres choix, j'entends ne pas me séparer de ceux qui ont des choix différents, d'entendre ce qu'ils me disent, de savoir ce qu'ils pensent. C'est très important si l'on veut représenter la France dans sa diversité que l'histoire a faite si évidente. Au point qu'il suffit de vous regarder pour me rendre compte, à trois mois de distance `élection municipale 1983`, combien la France peut connaître de variations selon les situations, selon les humeurs, selon aussi les convictions. Il est bon qu'il soit toujours possible que notre peuple détermine à échéance régulière ce qui doit être son destin.\
Mais, les catégories socio-professionnelles que vous avez évoquées méritent toutes intérêt. Il y a les travailleurs de l'industrie qui souffrent particulièrement et qui sont aujourd'hui les plus exposés à la compétition ouverte dans le monde entier qu'il s'agit d'accepter et d'affronter pour vaincre avec nos meilleurs moyens. Cette compétition est très exigeante. Elle exige en particulier une rapide transformation de nos structures et il m'arrive souvent de dire que plus tôt on aurait commencé auparavant, plus se serait simple aujourd'hui. Mais de toute façon, c'est toujours très compliqué comme le prouve par exemple le travail de ces ouvriers que je rencontrais sur la place de l'hôtel de ville - travail menacé, travail souvent perdu qui frappe une grande partie de notre jeunesse. C'est pour moi un souci éminent et donc un objectif majeur que de pouvoir répondre à cette offensive du malheur par une vue claire, déterminée et énergique de l'avenir qui reste à construire.
- Il en est de même des agriculteurs. Oui, je vois les producteurs de fruits, de légumes. On est dans une saison où l'on s'inquiète à quinze jours près de ce que deviendra le marché, où l'on observe à la loupe des plans de campagne, où l'on croit toujours que tout est définitif - je veux dire dans le pessimisme - alors qu'à quinze jours près des actions intelligentes et concertées entre les élus locaux et nationaux, les représentants des structures professionnelles, permettent toujours de corriger le tir et de parvenir à servir l'intérêt général. Après tout, l'année dernière a été la meilleure année qu'on ait connue dans l'agriculture en général, pas pour tout le monde, mais en moyenne dans l'ensemble de la France depuis dix ans. Je ne sais ce qu'il en sera cette année. Ce sera peut-être plus difficile mais de toute façon, nous avons déjà largement remonté la pente puisque ce qui était négatif est devenu largement positif l'an dernier. Fassent les hommes responsables, fassent aussi les éléments, que nous puissions nous retrouver en 1983 dans une situation de progrès.
- Nous sommes dans une ville que je crois très active, monsieur le maire, et j'ai bien saisi dans vos propos que vous ne voulez pas - je vous comprends - être seulement une ville de tourisme bien que cela fût nécessaire. Je connais certains d'entre vous. Je pense qu'il y a dans cette pièce bien des responsables qui sont acharnés à servir les intérêts d'Orange par le développement de ses admirables spectacles qui, dans des lieux aussi beaux, attirent tant de milliers de gens. Mais, ça ne peut vous suffire. Il est évident que l'année, ça dure douze mois et il est très important pour vous que le commerce local puisse se développer normalement.\
Personnellement, je suis de ceux qui croient qu'avec de la constance, de la persévérance et du courage, sans oublier une réelle lucidité, nous nous avançons au milieu des périls vers un développement favorable de notre économie. On traverse la tempête. Je suis là, moi aussi, pour la traverser. Je reçois les embruns. Je suis même celui qui les reçoit peut-être le plus. Cela ne me laisse pas indifférent, mais cela ne change en rien ma détermination. Je dois vous le dire : en rien du tout. Personne n'y pourra rien. Je continuerai ma tâche et nous parviendrons tous ensemble, si vous voulez bien m'y aider, à dominer les éléments contraires. Cela dépend de la volonté humaine et cette volonté, elle est également partagée, que l'on soit d'un bord ou de l'autre, quand on est Français comme nous le sommes tous ici.
- J'ai été sensible, je vous l'ai dit tout à l'heure monsieur le maire `M. Pini`, à votre invitation. Vous me direz, c'est classique. Un Président de la République passe par les chemins voisins et quand on a le sens républicain et vous l'avez, on lui dit "venez là, passez nous voir". Dans l'-état de passion - souvent d'intolérance - où se trouve l'opinion, j'ai apprécié votre courtoisie et je tiens à lui rendre hommage. Cela ne prive aucun d'entre nous, etvous en particulier, de l'entière liberté de pensée et d'action, dont vous usez d'ailleurs largement. Cela ne me prive pas non plus de la mienne mais j'avoue éprouver pour les quelques moments que je passe avec vous une sorte de plaisir d'être avec des élus de ce si beau département pour lequel j'ai beaucoup d'affection et qui, une fois de plus, m'aura reçu comme il convenait. Cette fois-ci, je vous parle en qualité de Président de la République française et je suis très honoré d'avoir pu apposer ma signature après quelques autres et avant d'autres dans les annales de votre cité.\