24 juin 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant la communauté française, Madrid, jeudi 24 juin 1982.

Mesdames, messieurs et chers compatriotes,
- Je me réjouis d'avoir pu vous rencontrer ce matin. Dans tous les pays où je me rends pour y représenter la France, je tiens à maintenir cette tradition d'une rencontre que je crois utile entre les Français qui vivent à l'étranger et le Président de la République française.
- Les liens des Français et des Espagnols sont multiples. Très nombreux sont ceux et celles d'entre vous qui vivent ici depuis longtemps, qui sont intégrés à la vie espagnole tout en restant fidèles à leur pays d'origine en raison des liens culturels, des liens politiques, de toute l'histoire qui, depuis plusieurs siècles, à la fois pèse sur nous mais aussi sert de base aux relations du temps contemporain.
- J'attache une importance particulière à cette rencontre. Je vais juste vous dire quelques mots maintenant, et tout à l'heure je resterai avec vous de façon à pouvoir, autant qu'il sera possible, circuler parmi vous et vous connaître un peu, ce qui me permettra peut-être de mieux comprendre, de mieux saisir la façon dont vous vivez et aussi les problèmes que vous vous posez.\
D'une façon générale, je pense qu'il était nécessaire d'organiser avec les autorités responsables espagnoles une confrontation, une explication, car depuis déjà de longues années, les relations de nos deux pays, sur quelques points sensibles et importants, sont délicates, mot délicat lui-même pour exprimer ce que d'une façon non délicate je peux lire chaque matin dans la presse de ce pays.
- Les conversations qui ont été menées permettent de penser qu'avec une volonté politique claire, nous pouvons tout à fait dominer les différends qui se sont accumulés. Ce n'est pas facile. Les intérêts de la France et de l'Espagne, parce que ce sont deux pays voisins et, en certains domaines semblables, qui produisent les mêmes biens, se trouvent dans une compétition que ne ressentent pas de la même façon les pays du nord de l'Europe du Marché commun `CEE`. C'est précisément parce que se pose cette dialectique entre deux pays proches par tant d'éléments de leur vie politique, de leur vie affective, de leur vie nationale qu'il faut l'aborder de front. J'imagine que les Françaises et les Français qui vivent en Espagne ressentent plus et mieux que quiconque ce que je veux dire par là.\
Je ne sais naturellement qui vous êtes individuellement, même si je connais quelques uns d'entre vous. Enfin, il n'est pas nécessaire de faire un gros effort d'imagination pour savoir que vous représentez un kaléidoscope de professions, de tendances, de tempéraments. Vous êtes des Français. Pour la plupart d'entre vous, vous venez de France et vous êtes typiques de la France dans sa diversité, l'essentiel étant de préserver - je m'y efforce et je n'ai pas tellement de mal pour cela - les fondements de notre unité nationale. J'éprouve un égal plaisir à rencontrer celles et ceux d'entre vous qui, au-delà de nos différences et même de nos divergences, sont l'essence même de notre pays, de mon pays. Quelle que soit l'expérience vécue, quels que soient les choix personnels, quelle que soit l'idée que chacun se fait de l'intérêt du pays, il est heureusement un certain nombre de domaines - les plus importants - où nous savons tous ensemble de quelle façon il convient d'agir dans les contradictions du monde où nous sommes.
- Je suis venu, donc, passer un peu plus de deux journées. Les conversations avec Sa Majesté le roi d'Espagne, avec le président du gouvernement, avec les principaux responsables des formations politiques, parlementaires, à la fois sont très importantes, mais ce serait sans doute insuffisant pour prétendreconnaître, dans la profondeur, la relation franco - espagnole. J'ai besoin aussi de votre avis, de votre opinion. Vous ne me l'exprimerez pas commodément ce matin, un peu quand même. J'ajoute qu'avec beaucoup de Français que j'ai pu rencontrer davantage, je me suis informé autant que je l'ai pu.
- Je suis venu avec ma femme qui se présente à vous à mes côtés, accompagné de quatre membres du gouvernement et quelques uns de mes collaborateurs. Je remercie madame Delaye d'avoir bien voulu nous recevoir dans cette maison de France. Nous ici tous, tout à fait chez nous. Je souhaite que la France et l'Espagne se comprennent mieux. On me dit souvent il y a des phantasmes entre nos deux pays. C'est peut-être vrai. Vous savez, les problèmes, il faut les traiter dans leur réalité, directement et carrément plutôt que se réfugier dans les méandres d'une psychologie douteuse. Alors ces problèmes, on les a pris à bras-le-corps. Et c'est dans la vie quotidienne que nous ferons la démonstration de ce qu'il est possible de faire et je suis, de ce point de vue, tout à fait résolu et optimiste dans la démarche aujourd'hui -entreprise.\
Je vous remercie, mesdames et messieurs, mes chers compatriotes. Je ne traite pas ici de vos problèmes tels qu'ils m'ont été soumis dans les inévitables notes écrites que reçoit tout responsable politique. Les problèmes particuliers de tels groupes sociaux-professionnels par exemple.
- Vous êtes peut-être moins que d'autres - je ne sais si je dis juste - qui sont plus éloignés de France ou qui ont moins de structures à leur disposition, absorbés par les graves difficultés que doivent affronter les enfants des Français de l'étranger sur le-plan de l'éducation, de l'instruction et de la conduite de leurs études. Mais il n'en reste pas moins que vous êtes à l'extérieur. Certains depuis très longtemps. Je crois même savoir que plusieurs milliers de dizaines d'entre vous, les Français d'Espagne, détiennent la double nationalité, c'est-à-dire qu'ils sont tout à fait dans la famille espagnole tout en étant restés dans la famille française. Puis d'autres sont là depuis dix ans, d'autres accomplissent une tâche provisoire, représentant soit la fonction publique, soit de grands intérêts privés. C'est-à-dire que si l'on peut parler d'un corps cohérent de Français d'Espagne, on s'égarerait si l'on imaginait qu'il n'y a pas, entre eux, mille et une différences dont la charge de la République est de se préoccuper.
- J'espère que les quelques quarts d'heure dont nous disposons vont nous permettre d'avancer dans ce sens et je vous dis, sans hausser la voix davantage, qu'il nous est très aisé lorsque nous sommes ensemble de dire tout simplement : Vive la France.\