4 mars 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'université hébraique de Givat Ram, Jérusalem, jeudi 4 mars 1982

Monsieur le président de l'université,
- Monsieur le président de la Knesset,
- Monsieur le recteur,
- mesdames et messieurs,
- Il est pour moi particulièrement émouvant d'être ici parmi vous pour recevoir une telle marque d'estime. D'abord parce qu'être honoré pour son oeuvre est pour un homme ou responsable politique la marque d'une priorité accordée à l'oeuvre sur l'action, à la pensée sur le pouvoir, à laquelle je suis très sensible. J'ai d'ailleurs toujours imaginé qu'il n'y avait pas de vrai projet politique sinon enraciné dans un projet culturel et nourri d'une mémoire historique et mon travail d'écriture a toujours tenté de concilier ces exigences. Ensuite je suis flatté de recevoir ce titre de votre prestigieuse université hébraique de Jérusalem célèbre dans le monde entier pour la qualité des ses cours où ont enseigné depuis plus de 70 ans tant de grands physiciens, de grands écrivains, de grands juristes. Haut lieu de la recherche en sciences humaines, comme en sciences sociales, cette université est devenue un exceptionnel foyer de rencontres entre érudits, chercheurs et hommes de lettres de très nombreux pays. Précédant la naissance de l'Etat d'Israel d'un demi-siècle, elle a démontré sinon comme je le disais tout à l'heure la primauté du culturel sur le politique du moins de leur intime imbrication pour restituer à la politique ses lettres de noblesse.\
Mon pays dans cette université y est heureusement présent tant par la coopération des meilleures universités françaises que par une accueillante Maison de France où je viens de m'arrêter quelques instants avec plaisir. Les rencontres que j'y ai faites il y a quelques quarts d'heure m'ont permis de retrouver aussi bien M. le président de l'université que M. le président de l'association, enfin je dirai mon ami le directeur STEG, comme nous l'étions il n'y a pas si longtemps à Genève entourant de notre amitié et de notre admiration notre ami commun Albert COHEN.
- C'est ce jour-là que j'ai entendu pour la première fois les accents de ceux qui célébraient l'université hébraique à l'occasion de la remise d'un diplôme à l'un des plus grands écrivains français de ce siècle. Comment ne serais-je pas très ému aujourd'hui d'être à mon tour bénéficiaire de la même distinction.\
Enfin, je suis très sensible à la coincidence de cette cérémonie et de l'annonce de la création ici d'une chaire de sociologie politique portant le nom de Léon BLUM. Léon BLUM, quel meilleur patronage invoquer en effet pour l'enseignement de la sociologie politique, de celui de cet homme d'Etat, de ce leader socialiste, de cet humaniste passionné, pour les droits de l'homme et pour les droits des peuples. Quelle meilleure source d'inspiration que l'oeuvre politique et morale de ce grand témoin et de ce grand acteur, trente années durant, de la politique, de la pensée et du socialisme français et comment ne pas penser aussi dans cette ville à cette autre partie de la vie de Léon BLUM détenu, prisonnier, menacé, insulté, au Léon BLUM ce Français responsable des affaires de la France et si fier d'être juif et si attentif à tout ce qui touchait Israel.
- J'aperçois dans cette salle plusieurs de ceux qui au travers de ce dernier demi-siècle ont été les compagnons de Léon Blum, qui ont été ses soutiens dans l'épreuve, ses amis de toujours. J'imagine aisément ce que doit être leur pensée en cet instant. Vous avez eu raison, monsieur le président, monsieur le recteur, mesdames et messieurs de l'honorer, lui qui écrivait en 1948 dans ce message qu'il vous adressait à l'occasion de la réouverture de l'université : "Un socialiste ne peut qu'espérer de beaux fruits de la renaissance d'une culture juive".\
C'est pourquoi, je regarde avec confiance vers cette université de Jérusalem, foyer de méditation, laboratoire spirituel où le souci du bonheur terrestre ne prendra point certainement la deuxième place et où les Juifs n'oublieront pas leur merveilleuse destinée d'exalter le réel, de le hausser jusqu'au divin. Je suis sûr à mon tour que vous saurez dans l'enseignement de cette chaire et ailleurs, faire de ce lieu de réflexion et d'études un lieu utile pour la -recherche de la paix. Laboratoire spirituel, comme disait Léon BLUM. En tout cas, il aidera à penser la naissance d'une fraternité nouvelle entre les hommes et les peuples.
- Pour ma part, je retiendrai de cette visite et de l'honneur que vous me faites le symbole de l'indissoluble échange des cultures, celle d'Europe et celle d'Israel. Echange que le passé a rendu parfois lumineux et si souvent tragique. Echange qu'il appartiendra aux générations futures qui se préparent à prendre la relève sur les bancs de cette université et de toutes les autres, qu'il appartiendra d'approfondir. Echange aussi d'amitié, de liberté, de tolérance et de fraternité. Peut-t-on chercher ailleurs meilleure façon ?\