19 octobre 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert par M. le Président de la République du Mexique et Mme Lopez Portillo, Mexico, lundi 19 octobre 1981

Monsieur le président,
- Madame,
- Il y a quelques heures seulement que je suis votre hôte et j'ai cependant l'impression de me trouver depuis longtemps sur la terre de Quetzacoalt. Voilà qui me pousse à souligner d'emblée un point commun à nos deux nations : sur le territoire de chacun de nos pays s'est épanoui un dialogue des cultures qui a contribué à l'originalité de nos consciences nationales et, donc, à l'université des messages que le Mexique, comme la France, ont donné et continuent d'adresser au monde.
- Nous avons déjà eu l'occasion au-cours d'un premier tête-à-tête, de vérifier à quel point nos vues étaient proches sur le grand sujet du dialogue Nord-Sud.
- Je voudrais, d'abord, saluer la lucidité dont vous avez fait preuve en prenant, avec mon ami le chancelier KREISKY, l'initiative de réunir la conférence de Cancun qui catalyse l'espoir de tous les hommes de bonne volonté. Il était en effet fondamental qu'une impulsion politique fût donnée au dialogue entre les pays industrialisés et le reste du monde. Votre pays, à la fois très jeune et très ancien, admirablement doté par la nature en ressources énergétiques, fort de la fierté et du savoir-faire de sa population, aurait pu ressentir moins que d'autres la nécessité d'un tel dialogue. Vous n'en avez que plus de mérite d'avoir offert cette possibilité à un certain nombre de nations en fonction de leur importance ou de leur caractère représentatif. A vrai dire, cette générosité ne devrait pas étonner de la part d'un homme comme vous, monsieur le président, qui, à la face des nations, a lancé l'idée que les énergies non renouvelables de la planète devraient constituer le patrimoine de l'humanité et non le trésor égoiste de tel ou tel pays. Et je rendrai hommage à votre ténacité. Il vous a fallu, en effet, vaincre la tragique indifférence du plus grand nombre, puisque nous ne sommes pas très nombreux encore à comprendre que les destins du Sud et du Nord sont inextricablement liés.\
La France entend contribuer au développement du tiers monde, ce développement qui n'est pas à nos yeux une menace mais une chance à saisir. Ce choix ne procède pas d'une intention charitable mais d'une volonté politique autant que d'une vision à long terme de nos propres intérêts. C'est pourquoi nous opposons à la fallacieuse et stérile -opposition entre pays développés et sous-développés, tous frappés par la crise, l'idée d'un co-développement généralisé. Je l'ai déjà dit, l'esprit de solidarité ne se partage pas. Le globe terrestre ne se coupe pas en deux par le millieu de l'équateur. L'interdépendance économique et politique entre pays du Nord et pays du Sud nous autorise, que dis-je, nous contraint à reconnaître que nous ne sortirons pas de la crise seuls. Le "Pour qui sonne le glas ? ne vaut pas que pour les individus, il vaut pour nos nations. C'est-à-dire que nous ne considérons par la coopération avec le tiers monde comme une rubrique à part, encore moins comme on ne sait quel service d'assistance sociale élargie, mais comme une partie intégrante d'une stratégie cohérente ou la dimension économique est inséparable de la dimension politique. Car tel est l'enjeu : il ne peut pas y avoir de paix dans un monde où les deux tiers des êtres humains n'ont pas accès au minimum vital.
- La conférence de Cancun offre une chance historique à la paix dans le monde. Elle sera, en premier lieu, l'occasion d'un échange de vues entre les chefs d'Etat ou de gouvernement qui y participeront.\
La France souhaite que les négociations globales qui s'étaient enlisées aux Nations unies soient relancées d'ici la fin de l'année. Mon pays attache, par ailleurs, une très grande importance au développement de l'action multilatérale dans le secteur de l'énergie.
- Nous sommes également d'accord pour penser avec vous, monsieur le président, qu'un certain nombre de pays partageant la même idée de l'homme, doivent concentrer leurs efforts sur l'une des régions où le besoin de justice est le plus urgent : l'Amérique centrale, si cruellement déchirée. Vous avez donné l'exemple en mettant en oeuvre avec le Venezuela un plan intelligent, désintéressé et pratique d'aide pétrolière.
- Mon pays et d'autres nations européennes pourraient aussi contribuer à la solution des problèmes économiques et financiers qui s'y posent, notamment dans le domaine agricole et alimentaire. La France, quant à elle, est prête à apporter son aide amicale et désintéressés.
- Sur un autre -plan, nous nous sommes exprimés, vous et nous au sujet du drame que vit le peuple salvadorien, par une déclaration de caractère politique qui ouvrira, je le souhaite de tout coeur, les voies de la négocation. Les principes qui inspirent la démocratie française en plein renouveau nous dictent une attitude sans compromis vis-à-vis des atteintes aux droits des peuples, où que ce soit dans le monde, à son Occident comme à son Orient. J'espère que cet appel solennel et conjoint du Mexique et de la France permettra d'éviter la perte de nombreuses vies humaines et de restaurer la stabilité politique dans et par la justice sociale.
- Les pays les plus faibles et les plus pauvres ne peuvent rester sans danger, pour l'ensemble du monde, l'objet passif d'un conflit entre les très grandes puissances. Je dis cela pour des raisons de principe et au nom d'une certaine idée de l'homme, puisque je pense profondément que chaque peuple a le droit de déterminer lui-même sa voie, sa vérité, ses différences.\
Je m'aperçois que je n'ai pas encore évoqué les relations bilatérales. C'est qu'il n'y a guère de problèmes entre nos deux pays : nos relations politiques sont excellentes, nos relations culturelles, qui s'accroissent chaque jour, sont fécondes et anciennes. Quant à nos relations économiques, qu'il s'agisse de commerce ou d'investissements, vous me permettrez simplement un image : vous savez quue j'ai une prédilection particulière pour les roses £ ce sont de belles fleurs, mais il faut les cultiver, et même la rose de l'amitié franco - mexicaine a besoin de jardiniers méticuleux et attentifs, résistants aux intempéries et capables de travailler sous n'importe quel temps. Travaillons-y dès maintenant, ensemble, avec calme et détermination.
- L'épithète d'exemplaire a, peut-être, perdu un peu de sa valeur, dans la mesure où ce terme a été souvent galvaudé dans de nombreuses réunions internationales. Je puis néanmoins vous assurer que j'ai donné les indications nécessaires pour que la coopération entre nos deux pays soit vraiment exemplaire et je veillerai à ce que ce mot retrouve toute sa signification.
- Je voudrais, pour terminer, vous remercier, monsieur le président, de m'avoir donné le privilège de m'exprimer devant vous et devant tous vos invités, avant cette conférence historique à laquelle votre nom restera attaché et au succès de laquelle je lève mon verre. Je le fais en votre honneur, monsieur le président, en l'honneur de madame Carmen Romano de LOPEZ PORTILLO et en formant le voeu que se développent toujours plus étroitement des relations amicales et fraternelles entre la République française et les Etats Unis du Mexique.\