13 octobre 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de son voyage en Lorraine, à l'hôtel de ville de Longwy, mardi 13 octobre 1981

Chers amis,
- Ce matin, j'ai exposé, devant le conseil régional et le comité économique et social de Lorraine, la politique pour l'emploi que le Gouvernement met en oeuvre sous l'impulsion du Premier ministre, Pierre MAUROY, qui assume sa tâche avec la conviction et le courage que le pays lui reconnaît.
- Le succès de cette politique dont nous attendons des régions comme celle-ci qu'elles la relaient efficacement, repose sur la mobilisation de toutes les énergies et, pour y parvenir, il nous faut établir et développer le dialogue et la concertation. Et c'est une façon pour moi d'engager un dialogue que de me trouver, en cet après-midi, avec vous. J'ai souhaité venir en Lorraine, j'ai souhaité venir à Longwy, j'ai souhaité tenir dans cette commune ce rassemblement qui me permet de m'adresser bien au-delà de vous aux Lorrains et aux Français.
- Tel était en-tout-cas le but de ce premier voyage en province, au-titre de mes fonctions de Président de la République française élu le 10 mai dernier. Je voulais être à l'écoute de notre peuple, des travailleurs, entendre l'expression de vos besoins, saisir vos ambitions. J'ai pu mesurer quelles étaient les difficultés et les chances de la France et, où pouvais-je mieux m'en rendre -compte qu'en Lorraine, dans cette région dont je retiens qu'elle représente à la fois un symbole et un espoir pour le pays.\
Oui le symbole, c'est Longwy, c'est toute la Lorraine durement frappée par la crise, victime d'une politique d'abandon ou de laisser-faire. Ce que nous décrivions, ce que je décrivais, hier comme inacceptable, tout le monde le reconnaît aujourd'hui : le déclin de la sidérurgie, les mines de fer fermées, le textile en difficulté, c'est le tissu économique et social de la Lorraine déchiré.
- Certes d'autres régions ont connu un sort difficile, mais combien est douloureuse la situation de la vôtre qui fut le berceau industriel de la France et dont l'avenir paraissait resplendissant il y a encore quelques vingt ans.
- Il faut bien citer quelques chiffres pour ceux qui oublient aisément les responsabilités qui furent les leurs £ en voici quelques uns de ces chiffres qui illustrent l'évolution de votre économie régionale.
- De 1974 à 1980, la production d'acier de la Lorraine est tombée de 14 millions de tonnes à un peu plus de 9 millions, entraînant la suppression de 15 000 postes de travail £ l'extraction du minerai de fer a chuté en sept ans de 52 millions de tonnes à 28 millions et les mines ont perdu la moitié de leurs effectifs £ l'industrie textile a connu la suppression de 8 000 emplois entre 1975 et 1980 £ l'agriculture, elle aussi, est touchée, puisque le revenu brut des agriculteurs a encore régressé de 10 % l'an dernier. On le voit, le bilan est lourd, la Lorraine a été en quelque sorte sinistrée par la crise et ce n'est pas en quelques mois que l'on peut réparer les dommages causés par une politique qui a duré tant d'années.\
Quand on sait que le nombre des chômeurs dépasse, dans cette région, le nombre de 72 000, on mesure le coût social d'un capitalisme sauvage et d'une division internationale du travail imposée par de grandes firmes multinationales étrangères qui décident des échanges sur la scène du monde.
- Vous avez connu ici les drames des fermetures d'usines, des licenciements, l'obligation de quitter le pays pour aller chercher ailleurs un emploi que l'on vous refusait sur place et vous avez vécu l'injustice d'une société qui ne se rendait même plus -compte qu'en privant des femmes et des hommes de leur droit au travail, elle s'attaquait à leur dignité. Vous avez refusé cette injustice, vous avez été les pionniers du changement, car vous avez été les premiers à lancer un avertissement à ceux qui ignoraient la politique sociale tout occupés qu'ils étaient à se livrer à de savants cours d'économie pollitique dont on constate aujourd'hui les amers résultats. La leçon vaut d'être méditée : il n'est pas d'économie solide, il n'y a pas de relations sociales équilibrées dans un pays, si l'on méconnaît les besoins des travailleurs et si on leur refuse le droit à la négociation et à la responsabilité.\
A ceux qui étaient au premier rang des victimes d'une société injuste, je suis venu dire ici qu'ils doivent être maintenant au premier rang dans la reconstruction de notre économie. Cette reconstruction, elle se fera avec eux et pour eux, avec vous et pour vous. Avec vous, c'est le sens des nouveaux droits des travailleurs qui permettront d'étendre la démocratie à la vie politique, à la vie économique et sociale.
- Je le dis avec force, les travailleurs, tous les travailleurs, ouvriers, employés, cadres, doivent devenir enfin des citoyens à part entière dans l'entreprise où ils passent le plus clair de leur temps. Il est des réformes qui semblent évidentes tant elles ont été réclamées de toutes parts et depuis longtemps : la diffusion de l'information économique aux salariés, l'élargissement des pouvoirs du comité d'entreprise, l'amélioration des conditions de travail, d'hygiène, de sécurité, la réduction de la durée du travail, oui, les 35 heures, il faudra bien y parvenir, la formation professionnelle considérée comme l'instrument privilégié de promotion et de qualification, autant de dispositions simples qui doivent se traduire dans les faits et le plus tôt possible.\
Mais, mesdames et messieurs, la reconstruction de la France doit se faire aussi pour vous et c'est l'objet de la politique de relance et de solidarité dont j'ai demandé la mise en oeuvre.
- Cette politique part d'une idée également simple : le refus de la fatalité du chômage et la lutte contre la vie chère. Il n'est pas une mesure arrêtée par le Gouvernement qui ne s'inspire de l'engagement que j'ai pris devant les Français : d'abord l'emploi. C'est la bataille prioritaire et tout est prêt, aujourd'hui, pour que cette bataille soit engagée et conduite avec succès.
- Le Gouvernement a mis pour cela en chantier les réformes nécessaires, il faut gagner la guerre économique dans laquelle nous sommes aujourd'hui.
- J'énumère :
- - les nationalisations d'abord. Les entreprises publiques, au nombre desquelles figurent les entreprises sidérurgiques, Sacilor-Sollac et Sollac, je tiens à le redire ici, et Usinor seront le fer de lance de la rénovation industrielle et de la reconquête du marché intérieur et, par conséquent, de la bataille pour l'emploi et je n'oublie pas les mines de fer. Les mines de fer se trouvent, par la nationalisation, des entreprises principales, qui vont se trouver aux trois quarts nationalisées £ le dernier quart représentait des intérêts étrangers, qu'il s'agira de négocier. Et j'ajoute que Sacilor-Sollac, Usinor et la nationalisation de Péchiney et donc des aciers fins spéciaux, regroupés dans une même entreprise autour de vos entreprises, cela nous permettra de disposer de l'instrument de la restructuration industrielle, qui ne sera possible que grâce-à votre -concours et au travail de tous.\
Nationalisation, décentralisation. Déjà un projet de loi a été adopté en première lecture, cela devra permettre aux régions et donc à la Lorraine, de disposer de moyens financiers, administratifs, politiques pour une action industrielle et agricole efficace.
- Vous êtes majeurs, mesdames et messieurs, il n'est pas nécessaire de toujours monter à Paris pour savoir ce qu'il convient de faire ici, à Longwy, à Metz, à Nancy, dans l'ensemble de la région Lorraine, comme partout en France. Bien entendu il faut que l'Etat remplisse sa fonction, vous ne pourriez rien sans lui, puisqu'il représente la nation. Mais la responsabilité, la décision, doivent de plus en plus appartenir à ceux qui vivent au pays et qui entendent y travailler, y vivre, y rester.\
Nationalisation, décentralisation, budget. Le budget, a été ordonné autour de la bataille de l'emploi. Le déficit qu'il comporte est volontaire. Il est d'aillleurs inférieur à celui de nos principaux partenaires, inférieur au déficit budgétaire japonais, il vous permettra de relancer ou d'orienter la relance et l'investissement. Les actions les plus favorisées seront la recherche, le développement industriel et le logement et je note que la Lorraine doit être, surtout sur-le-plan minier, ce n'est pas si loin d'ici, dotée de moyens financiers comparables avec ceux des autres régions, je pense en-particulier à la région du Nord, pour pouvoir s'équiper et préparer l'ensemble des opérations minières.
- J'ai cité la recherche et ce point mérite réflexion, car la reconquête de notre marché intérieur, oui, vous entendez bien la reconquête de notre marché intérieur aujourd'hui envahi par des productions étrangères, je ne cherche pas à les écarter par principe, c'est le jeu de la concurrence. Mais tout de même une relance de la consommation, un peu plus de moyens, 35 milliards qui seront diffusés auprès des catégories les plus modestes, cela permettra la relance d'une consommation, qui à son tour permettra de rallumer le moteur de la production des industries françaises. Un chef d'entreprise m'a cité, à Epinal, pour le déplorer, que le taux de pénétration du textile importé est passé de 33 à 52 % au-cours des septs dernières années. Il est vrai que si l'on ne modernise pas nos industries et si l'on ne planifie pas nos objectifs commerciaux, on ne parviendra pas à affronter sérieusement la concurrence internationale.\
Cette concurrence et ces difficultés dûes à la faiblesse du franc, notre monnaie, parmi d'autres causes, dont nous avons hérité de nos prédécesseurs, à conduit le Gouvernement à un réajustement monétaire dans-le-cadre européen. Ce réajustement doit servir à stimuler nos exportations et à aider la reconquête de plusieurs secteurs de ce marché intérieur, dont je viens de parler £ nous repartirons ainsi du bon pied.
- Mesdames et messieurs, la bataille économique se joue sur le front des prix et c'est pourquoi j'ai demandé que tout soit fait pour limiter la hausse à 10 % l'an prochain. C'était 14 % lorsque nous sommes arrivés et nous ne pourrons pas infléchir ce pourcentage en 1981. Mais il faut que 1982 voit s'amorcer la chute de cette hausse des prix afin de préserver le pouvoir d'achat des Français et en premier lieu le pouvoir d'achat des travailleurs. L'inflation n'est-elle pas, comme je l'ai dit souvent, un impôt supplémentaire sur les pauvres et une subvention supplémentaire pour les riches ?\
Symbole de l'échec d'une politique, la Lorraine, je l'ai ressenti profondément durant ces deux jours, est aussi une terre d'espoir.
- L'espoir c'est celui d'une région de travail, de courage, de résistance, d'une population qui refuse l'assistance parce qu'elle entend participer, en première ligne comme toujours dans son histoire, au redressement national.
- La chance de notre politique, vous le savez, réside dans l'adhésion populaire. Les travailleurs savent que la justice et la solidarité dictent nos choix. La réforme de notre fiscalité, la priorité donnée aux bas revenus vont dans ce sens et il faudra poursuivre. L'appel à l'effort ne peut être entendu que s'il est justement réparti. Et j'en appelle à l'effort de tous, rien ne se fera sans cette capacité d'un peuple à se mobiliser. L'effort c'est dur, mais il n'est pas normal non plus qu'à travers les générations, n'est-ce pas Longwy, n'est-ce pas la Lorraine, ce soit toujours les mêmes cas sociaux qui paient l'essentiel de cet effort, pour ne récolter que la plus petite part du produit national.\
L'espoir c'est aussi une façon d'aborder l'avenir. Que ceux qui doutaient il y a peu de temps encore, rejoignent son camp, le camp de l'espoir, le nôtre. Et j'entends rassembler l'ensemble des Français, nul n'est exclu, dès lors qu'il prête la main à la renaissance nationale où qu'il soit, quelque dépit qu'il ait de l'évolution politique, ou quelque joie qu'il en éprouve. Tous sont appelés à se rassembler pour faire de la France le grand pays moderne, fort et uni qui apportera dans de meilleurs conditions la fin de ce siècle et l'autre qui suivra. Oui j'entends rassembler les Français. Il n'y aura pas de groupes victimes. Il n'y aura pas de secteurs condamnés.
- Il n'y aura pas de groupes victimes : car nous ne saurions tolérer les affrontements ni les revanches. Mais, comment pourrions-nous admettre que certains restent volontairement sur le bord de la route ?
- Il n'y aura pas de secteurs condamnés : qu'il s'agisse, dans votre région, de la sidérurgie, qu'il nous fait sauvegarder, développer, des mines de fer dont l'exploitation doit être poursuivie au-prix d'un grand effort que supportera notamment la collectivité nationale car il faut développer les technologies qui en l'espace de 3 à 4 ou 5 ans nous permettront d'améliorer la teneur du minerai afin que vous soyiez en mesure d'affronter victorieusement la compétition internationale £ nous assurerons la transition. L'industrie du bois, richesse sacrifiée depuis trop, l'industrie textile, victime d'une politique à courte vue £ oui j'attends qu'elles répondent, l'une et l'autre, les unes et les autres, aux besoins du pays.\
L'espoir de la Lorraine, ce doit être aussi l'espoir de toute la France, celui d'une nation qui se retrouve, qui refuse le déclin, décidée à se hisser à la pointe des nations industrielles. Nous avons besoin, je le dis encore, assuré d'être entendu, de toutes les forces de la France pour gagner la bataille de l'emploi.
- Bien entendu, il est normal que le débat démocratique suive son -cours dans nos assemblées et dans le pays que des idées contraires se fassent entendre. La liberté est assurée et c'est de cette contradiction que naîtra l'heureuse synthèse qui préparera les jours à venir.
- J'ai écouté avec le plus grand intérêt les élus de l'opposition `opposition politique`, hier à Nancy, aujourd'hui à Metz, exprimer leurs préoccupations, voire leurs critiques. C'est le dialogue républicain et je ferai tout ce qu'il faut pour le préserver au-delà des divergences normales dans une démocratie. Seulement il faut aussi que chacun comprenne qu'il est dans l'intérêt de tous que la France se porte mieux. Ce que j'ai entendu, ici et là, m'en a montré la nécessité. Et puisqu'il y va de l'intérêt national, je suis sûr que, de plus en plus nombreux, pour l'avenir de notre pays, nous saurons relever le défi.
- Voyez-vous l'ensemble des promesses faites pendant une campagne nationale devant le pays tout entier, m'engageant moi-même et engageant au-delà de ma personne les organisations qui m'apportaient leur soutien, les masses populaires en mouvement, ces promesses, je les ai tenues et je les tiendrai dans le délai qui m'est imparti et pour l'essentiel maintenant et le plus tôt possible afin que nous disposions de l'instrument sans lequel nous ne pourrions construire une politique.\
Que d'entreprises et de grandes entreprises, dépendant du capital privé, ont eu de grandes réussites. Oui c'est vrai. Le talent n'est pas réservé à telle ou telle couche sociale, ni l'intelligence, ni la compétence, et nous ne nierons pas l'histoire passée que nous assumons tout entière.
- Mais l'ensemble de ces entreprises n'ont pas doté la France du corps de bataille dont elle a besoin pour gagner la guerre économique qui nous est faite à travers le monde. C'est ce corps de bataille que j'entends constituer lorsque avec le Gouvernement et le Parlement nous élargissons le secteur public. Non seulement nous répondons à l'idée que nous nous faisons du développement et du devenir de notre société, mais aussi nous apportons à la nation le moyen de l'emporter là où se livre le combat. Les grandes batailles ne se gagnent plus ou ne se perdent plus, heureusement, sur les champs de bataille classiques, ni à Austerlitz, ni à Waterloo. Elles se livrent, se perdent ou se gagnent sur le terrain du travail, de l'économie, de l'agriculture, de l'industrie.
- Vous les jeunes, qui cherchez du travail, vous les anciens qu'on précipite hors des chemins de la production, vous femmes trop souvent hors d'-état en-raison de l'organisation sociale de participer à l'effort, vous trop souvent sous-payées, sous-traitées, formées pour des métiers que vous n'exerçez pas, exerçant des métiers pour lesquels vous n'avez pas été formées, ce qui permet de pratiquer les bas-salaires.
- Vous toutes et vous tous qui savez le -prix de la vie, la rudesse de l'effort, mais aimez le travail. Qui pourrait affirmer qu'une Lorraine ou qu'un Lorrain n'aime pas, pour sa vie personnelle, pour l'accomplissement de sa famille, pour sa dignité personnelle, l'instrument de travail ? C'est sur vous que je compte. Il y a partout en France des Françaises et des Français prêts à apporter le coup de main dont nous avons besoin ou à se serrer les coudes pour que tous ensemble nous réussissions le changement.\
Mais on me permettra de dire sur cette place, devant cette foule, sachant ce qu'elle a vécu et suvi au-cours de ces dernières années, je vous dirai intentionnellement vous, qui que vous soyez, vous êtes mes amis, ceux qui avez choisi non seulement un Président, mais surtout une politique, qui avez fait choix d'un certain avenir, dans une société d'égalité et de justice où nous allons ensemble bâtir plus que jamais la liberté. C'est à vous que je m'adresse, assuré qu'au-cours des mois et des années prochains nous resterons mobilisés £ oui il faut gagner, gagner pour la France, gagner pour la Lorraine, gagner pour vous, gagner pour nous.
- Merci à Longwy !
- Merci aux élus ! qui me reçoivent ici et qui m'entourent.
- Merci aux forces populaires ! hors desquelles nous ne serions rien.
- Et merci pour la France ! que nous allons construire ensemble.
- Vive la République !
- Vive la France !\