25 mars 2017 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, en hommage à l'homme politique socialiste, Henri Emmanuelli, à Mont de Marsan le 25 mars 2017.


Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le président de l'Assemblée nationale,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs les élus landais,
Chère Antonia,
Cher Antoine,
Chère Laetitia,
Je suis venu ici pour parler d'Henri EMMANUELLI. Il était né à Eaux-Bonnes dans le Béarn, pas loin de chez Cyrano dont il avait sans autorisation repris le panache.
C'est ainsi qu'il était parti à l'abordage pour conquérir des places électorales, pour dénoncer les puissants, pour moquer les Parisiens, pour secouer les timorés, pour effrayer les droitiers mais aussi pour séduire les récalcitrants et faire tomber les citadelles les mieux gardées. Il le faisait avec toutes les armes qu'il pouvait trouver mais dont la plus secrète était son cur.
Tel était Henri EMMANUELLI, un alliage fait d'acier trempé et de larmes sincères £ un mélange de certitudes en granit et de tendresse en argile £ un homme de vérité et de compromis £ un ami indomptable à la fidélité inaltérable. Il était là toujours au bon endroit, chaque fois que l'essentiel était en jeu comme aujourd'hui.
Henri EMMANUELLI était un combattant. Il croyait en la force des idées, celles qui donnent un sens au monde et un espoir de le changer. Il voulait les mettre au pouvoir non pour lui-même mais pour les autres, car il pensait que le but de toute vie politique, ce n'est pas d'être quelqu'un, c'est de servir à quelque chose.
Il voulait une société plus juste où l'égalité serait réelle, où l'argent serait à sa place et le progrès partagé par tous. Cet idéal, il avait trouvé un nom pour le nommer, c'était le socialisme.
Henri EMMANUELLI était fier d'appartenir au parti de JAURES, de BLUM, de MITTERRAND. Ce parti, il l'avait rejoint en 1971. Il l'avait avec d'autres reconstruit. Il l'avait préparé patiemment à l'alternance de 1981 et puis ensuite, il l'avait animé, il l'avait dirigé, il l'avait servi jusqu'au sacrifice, renonçant à ses mandats pour payer une dette qui n'était pas la sienne.
Henri EMMANUELLI était un enfant de l'Ossau, de cette montagne où comme chantait Jean FERRAT, les gens avaient tous « l'âme bien née ». Il avait l'âme bien née. Il avait dans ses ancêtres des bergers, des ouvriers, des Corses, des Béarnais. D'un tel mélange, il ne pouvait sortir qu'un homme entier et c'est ce qu'il était.
Henri EMMANUELLI n'était pas un héritier, il n'était pas né avec une fortune, mais avec des valeurs. Très tôt, il avait appris qu'il fallait respecter le travail et que rien n'était jamais acquis sans la volonté humaine. Orphelin de père à 11 ans, il n'avait jamais oublié les sacrifices que sa mère avait dû faire, ni la conscience qu'il avait d'être différent, différent même des autres enfants.
Il n'avait jamais oublié non plus que c'était la République qui lui avait permis de s'élever car c'était elle, son école, ses professeurs, ses bourses, qui lui avaient permis d'aller jusqu'à Sciences Po, non pas parce que c'était l'école de ses rêves, mais parce que c'était une étape indispensable pour être admis dans le monde.
Henri EMMANUELLI rappelait non sans provocation il en usait , ni malice il en avait , qu'il avait été banquier. Non pour vanter quelque bonus qu'il aurait reçu dans ces circonstances, à l'époque, le mot n'était même pas connu. Non, il l'évoquait pour dire qu'il connaissait la finance, qu'il ne fallait ni la redouter ni céder à ses charmes, qu'elle devait tout simplement être maîtrisée et mise au service de l'économie réelle. Et c'est ce qu'il faisait notamment depuis 2012 à la présidence de la Commission de surveillance de la Caisse des Dépôts et des Consignations. Et il essayait de bouger cette grande institution £ il lui aurait fallu sans doute plus de temps pour y parvenir mais l'esprit était là !
Il trouva dans les Landes une terre d'adoption. Elu à 33 ans député, il le resta près de 40. Il avait su gagner la confiance des Landais, votre confiance, des femmes, des hommes durs à la tache, réticents à se donner au premier venu, même venu du Béarn, attachés à des valeurs, le courage et l'authenticité.
Henri EMMANUELLI avait fini par ressembler à son département dont il avait pris la présidence en 1982.
Il voulait que les Landes soit une terre de solidarité. Son dernier grand projet, il a été évoqué avant moi, était ce village expérimental qu'il avait développé près de Dax pour accueillir les malades d'Alzheimer.
Il voulait aussi que les Landes soit une terre de modernité. Il avait été le premier à faire entrer l'informatique au collège et à son initiative, le projet fut repris par le gouvernement dans tous les établissements du pays. Il l'a poursuivi avec le plan « un collégien un ordinateur portable ». L'idée était venue d'ici.
Il voulait que les Landes soit une terre d'activité. Il croyait en l'action publique mais il encourageait l'initiative privée. Il aidait les entreprises mais il savait leur demander des contreparties. Il acceptait le marché mais c'était pour stimuler la concurrence. Il était fier de rappeler à chaque occasion qu'il avait préservé la gestion en régie de l'eau du département des Landes.
Il administrait avec sérieux sa collectivité £ il chassait l'endettement qu'il réclamait parfois à Paris car il se moquait lui-même d'être en contradiction.
François MITTERRAND l'avait très tôt remarqué, pas seulement parce qu'il partageait avec lui la même passion landaise mais parce qu'il savait que c'était un roc qui ne se laissait pas déplacer dès la première bourrasque. Il avait aussi repéré son sens de l'Etat et c'est ainsi qu'en 1981, il l'avait appelé à rentrer dans le gouvernement de Pierre MAUROY comme secrétaire d'Etat des départements d'Outre-mer.
Henri EMMANUELLI avait alors perçu les tensions qui traversaient ces territoires et le besoin de reconnaissance, de dignité, d'égalité qui s'y exprimait. Il disait qu'il ne devait pas y avoir « une démocratie en métropole et une sous-démocratie en Outre-mer ».
Il présenta alors devant le Parlement la première loi relative à la commémoration de l'abolition de l'esclavage et c'est à lui que l'on doit que c'est un jour férié dans les départements d'Outre-mer.
Ministre du Budget en 1983, il fut directement associé au tournant de la rigueur. Il le fit sans état d'âme car il avait compris que se jouaient alors la crédibilité de la gauche, la souveraineté de la France et la construction de l'Europe. Mais pour lui, d'ailleurs comme pour moi, le redressement n'a de sens que s'il permet ensuite la redistribution £ la compétitivité n'a de portée que si elle favorise l'emploi £ et si des sacrifices doivent être demandés, c'est à ceux qui ont le plus et non pas à ceux qui ont le moins.
Il pourfendait les « pères la rigueur » qui on le sait maintenant ne sont pas toujours des parangons de vertu.
Henri EMMANUELLI voulait que la gauche gouverne. Il n'était pas de ceux qui se contentent de la laisser agir localement ou de ceux qui aspirent il y en a toujours à une opposition tranquille et rédemptrice parce que lui, il savait que ce confort-là, c'était plus de précarité pour celles et ceux qui souffrent.
Avec la droite, il était impitoyable £ avec la gauche, il était intraitable £ avec tous, il était exigeant parce qu'il l'était aussi de lui-même.
Ferme sur les principes, Henri EMMANUELLI pouvait être souple sur les modalités, dogmatique parfois, pragmatique toujours.
L'important pour lui et c'est là l'essentiel c'est d'avancer, c'est de tenter, c'est ce qu'il disait en évoquant ceux qui sont trop prudents, trop timorés £ pour lui, il fallait toujours oser.
Ses adversaires le disaient sectaire, il les laissait dire, ça l'amusait £ il lui arrivait même de le revendiquer quand on l'oubliait. Il préférait faire peur que pitié £ il avait raison. Il pratiquait l'énervement avec talent et la colère avec méthode pour mieux composer ensuite et chercher le bon compromis toujours, à la fin, celui qui élève, celui qui unit, celui qui fédère, celui qui rassemble. Il récusait les aventures solitaires et s'il se laissait aller au jeu des courants et des sensibilités dans le parti qui était le sien, c'était pour défendre ses convictions, jamais pour diviser ou pour rompre.
A ceux qui pointaient l'existence de plusieurs cultures à gauche, il avait répondu que « si la gauche veut être une force d'alternance, alors les socialistes doivent arriver à faire soit dans leur formation politique, soit autour d'eux, la synthèse entre les différentes cultures ». Ce message reste vrai. Il avait su le montrer en toutes circonstances. En 1994, dans un congrès célèbre à Liévin, il avait appelé à la candidature de Jacques DELORS £ en 1995, pour assurer la présence de Lionel JOSPIN au second tour, il avait su faire le geste élégant qui avait permis ce résultat. Puis après 2002, pour accompagner le long mouvement vers l'alternance qui me permet aujourd'hui de parler en votre nom.
Henri EMMANUELLI était un grand parlementaire, bretteur redoutable, orateur affûté, contradicteur mordant. Henri EMMANUELLI était aussi respectueux du débat d'idées, du pluralisme. Il était conscient que les talents mais aussi parfois les médiocrités appartiennent à tous les groupes parlementaires et, en homme de caractère, il repérait les caractères. Il les saisissait comme un photographe, notamment à l'occasion des interminables séances de nuit et c'est là qu'il avait noué des amitiés indéfectibles qui n'avaient d'ailleurs pas de frontières.
Président de l'Assemblée nationale, il avait acquis un grand prestige comme président aussi de la Commission des finances car il connaissait tout de la technique parlementaire et de la matière fiscale, ce qui le rendait redoutable dans l'échange qu'il ne valait mieux pas solliciter. L'imprudent, l'impertinent, le téméraire qui l'avait défié, pouvait voir sa réputation abîmée pour longtemps à l'Assemblée nationale car Henri EMMANUELLI savait mettre les rieurs de son côté et il y en a toujours sur tous les bancs.
Henri EMMANUELLI avait des convictions fortes £ c'était un Européen, un Européen chagriné, un amoureux déçu. A l'époque du traité de Maastricht, Henri EMMANUELLI avait écrit un « plaidoyer pour l'Europe » où il plaidait c'était en 1992 pour une institution fédérale et il dénonçait une construction communautaire qui ne serait présentée que comme « une nécessité ou le fruit d'un calcul contraint ».
En 2005, plut tôt que d'autres, il avait perçu l'angoisse des classes populaires devant une construction européenne qu'elles ne comprenaient plus. Il voulait l'Europe mais il la voulait sociale quand elle n'était plus qu'économique £ il la voulait politique quand elle n'était que trop monétaire £ il la voulait tourner vers le progrès et pas seulement vers le marché.
Mais son scepticisme de l'avait jamais conduit au souverainisme parce que son idée et c'est la nôtre est que la France est toujours plus grande dans l'Union européenne que seule, cherchant un destin de second ordre £ que la gauche est, elle-même, toujours plus forte quand elle est arrimée à la sociale-démocratie européenne plutôt que lorsqu'elle vogue sans idées vers l'alternative, sans capacité de former une majorité.
La culture d'Henri EMMANUELLI, c'était le monde, avec cette technologie qui révolutionne les usages et dont il était un promoteur, avec ses révolutions énergétiques, numériques auxquelles il voulait préparer la France, avec aussi l'exemple du département des Landes pour que nous puissions les réussir, ces révolutions.
Il n'ignorait pas les dogmes et les dangers, les menaces qui nous entourent avec le terrorisme, les conflits aux frontières, le retour des empires, le poids des égoïsmes, des nationalismes. Henri EMMANUELLI pouvait avoir des rêves mais il était réaliste sur le monde tel qu'il est £ il savait que la France devait se défendre, que la République devait se protéger et que la laïcité devait s'affirmer partout, surtout si elle était contestée ou contournée.
Henri EMMANUELLI était profondément républicain £ il l'était par l'histoire, la sienne, mais aussi celle de notre pays, par l'école, par le suffrage, par les mandats. En 1998 précisément lorsqu'il n'avait plus rien, il avait décidé de se lancer dans l'aventure d'un journal £ il l'avait appelé « Le quotidien de la République », comme pour montrer qu'à ses yeux, quoi qu'il puisse arriver, la République est toujours ce qui nous unit à la fin.
Mesdames et Messieurs,
Henri EMMANUELLI était un homme libre, un homme qui avait décidé de sa vie du début jusqu'à la fin, un homme qui avait forgé lui-même son destin. Il l'avait buriné, comme son visage. Il ne devait rien à personne. Il choisissait souverainement et durablement ses attachements. Il admirait François MITTERRAND, il ne lui demandait rien en retour £ il lui suffisait d'être fidèle à l'homme mais aussi à ses leçons la constance, la persévérance, la cohérence et puis le rassemblement comme stratégie.
Cette ligne de conduite est immuable £ en sortir, c'est se perdre £ y revenir, garder le fil, c'est reprendre le cours d'une histoire qui est longue et qui exige des responsables politiques qu'ils ne considèrent pas les idées comme des arguments encombrants et des valeurs comme des vestiges d'un temps ancien. C'est avec des boussoles que l'on peut aller vers le Nouveau Monde si l'on ne veut pas s'échouer sur les récifs qui aujourd'hui ont pour nom égoïsme, nationalisme, extrémisme.
Henri EMMANUELLI ne mâchait pas ses mots, il ne cherchait pas à plaire De ce point de vue, il y parvenait. Il refusait les allégeances, les modes, les conformismes £ il se réfugiait dans les Landes quand les humeurs de Paris l'indisposaient (c'est-à-dire souvent) £ il grognait mais il suivait toujours et il m'a toujours suivi.
Il aimait éperdument sa famille comme tous ceux qui lui ont demandé beaucoup de sacrifices £ il était fier de la réussite de ses enfants, il s'émerveillait de ses petits-enfants £ il pensait qu'il ne vieillirait jamais et que rien ne pourrait jamais l'atteindre. Alors quand la maladie est venue sournoisement le ronger, il a lutté pour préserver sa liberté, comme Cyrano £ d'abord debout, ensuite assis, enfin allongé jamais couché. Il a rendu les ultimes coups avec le glaive de l'espérance £ celui qui avait châtié tant d'esprits chagrins, chassé tant de préjugés rétrogrades, avec cet amour de la vie qui est aussi son amour de la France. Il avait écrit un jour : « A ceux qui portent à ma patrie le même amour que l'on porte à une mère adorée ou une fille chérie, je voudrais dire : ne soyez ni des fils jaloux ni des pères abusifs, accordez-lui le droit de vivre sa vie et aimez-la suffisamment pour lui donner le droit d'aimer à son tour » £ telle était sa conception de l'émancipation et de la liberté.
Henri EMMANUELLI est parti avant une grande échéance mais il a adressé à ses amis et au-delà de vous, aux Français, ce dernier message : être fidèlement libre et librement fidèle £ et penser que le temps est le seul juge de l'action humaine.
Si Dieu existe et qu'Henri l'a rejoint, il aura fort à faire avec lui mais que Henri sache bien que la République aujourd'hui le salue et ne l'oubliera jamais.