10 mars 2017 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration à la presse de M. François Hollande, Président de la République, sur la construction européenne face à la montée de l'extrême droite, à Bruxelles le 10 mars 2017.


Journaliste : Sur la déclaration de Rome, on attend de la part des chefs d'Etat, dans un climat politique de grande fatigue européenne, une grande ambition, quels sont les mots que vous pourriez prononcer pour redonner un peu de souffle au projet européen, un nouvel élan ?
LE PRESIDENT : D'abord l'Europe doit être fière. Fière de ce qu'est son histoire. Depuis 60 ans, elle a été capable d'avoir une très grande aventure qui a été d'abord de construire la paix, de faire un grand marché, d'assurer la cohésion entre les peuples et de donner l'Europe en exemple pour livrer au monde ce qu'il y a de mieux en matière de solidarité.
Mais il y a des faiblesses. Il y a des difficultés. L'Europe a montré qu'elle n'était pas capable de prendre les décisions au bon moment. Qu'est-ce qu'elle doit faire pour les prochaines années ? Elle doit montrer qu'elle est unie - c'est une première condition - et qu'elle a des valeurs. On ne peut pas avancer si l'on n'a pas d'idéaux à apporter pour les peuples qui constituent l'Europe et pour tous ceux qui nous regardent.
Ensuite, il faut que l'on soit capable d'avancer plus vite à quelques-uns notamment pour la sécurité, pour la défense, pour l'emploi, pour la jeunesse, pour la culture, pour la recherche £ être capable à quelques pays d'aller plus vite et plus fort sans perdre la solidarité d'ensemble et la cohésion à 27 £ puisque maintenant l'Europe va travailler à 27.Voilà le sens de ce que nous devons faire.
Journaliste : Est-ce que le concept d'Europe à plusieurs vitesses figurera dans la déclaration ? Pour le moment il inquiète un peu les pays de l'Est.
LE PRESIDENT : Il ne s'agit pas d'avoir plusieurs vitesses, et il ne s'agit pas d'exclure qui que ce soit. Il s'agit d'être capable pour ceux qui le voudront, et sans que les Traités aient besoin d'être révisés, sur la défense, sur la sécurité, sur l'union économique et monétaire c'est-à-dire sur la zone euro, l'harmonisation fiscale, sociale pour que l'on puisse avoir une véritable convergence, d'être capable d'aller plus vite et d'aller plus loin sans fermer la porte à qui que ce soit. Il ne faut surtout pas retenir des formules qui pourraient exclure, mais on ne peut pas non plus admettre qu'un pays quel qu'il soit puisse empêcher les autres de vouloir avancer plus rapidement. Voilà l'esprit qui doit être le nôtre.
Journaliste : Et la formule « puissance politique » réclamée par des personnalités de la société civile comme COHN-BENDIT ou politique comme monsieur VERHOFSTADT ?
LE PRESIDENT : Oui je la retiens. Je pense que l'Europe doit s'affirmer comme une puissance non pas pour dominer le monde, mais pour aider le monde à trouver son équilibre, la préservation de son environnement et également la démocratie et la paix. Face à des menaces protectionnistes, face à de l'isolationnisme, face à des empires qui resurgissent, l'Europe est non seulement une nécessité mais une force qui est au service du monde. L'Europe est la première puissance économique du monde, personne ne le sait, en tout cas pas suffisamment. Mais il ne suffit pas d'avoir une économie forte, même si elle comporte également beaucoup de précarité et d'inégalités, il faut avoir une puissance politique. C'est ce que je vais plaider. L'Europe est une force politique puissante. Pour ceux qui s'interrogent sur ce à quoi sert l'Europe, il faut se poser une seule question et y apporter une réponse : est-ce que l'on est plus fort ensemble ou pas ? L 'Europe permet de faire à 27 ce que l'on ne serait pas capable de faire tout seul, y compris pour régler les problèmes, pour lutter contre le terrorisme, pour lutter contre les inégalités, contre la pauvreté et même contre l'immigration : contre tout ce qui peut être un défi. On est mieux ensemble et on est plus fort à plusieurs. C'est tout simple.
Journaliste : Quel serait votre message aux jeunes Européens qui militent en ce moment, qui se rassemblent un peu partout dans les capitales européennes, à Paris, à Francfort pour demander une refondation ?
LE PRESIDENT : Je dirais qu'ils doivent dire une seule chose à ceux qui doutent parce que qu'il faut aller convaincre ceux qui doutent et pas simplement aller voir ceux qui sont déjà certains qu'il faut faire l'Europe : imaginez ce que serait l'Europe sans l'Europe ? L'Europe sans l'Union ? Regardez les livres d'histoire, cela peut être déjà une première expérience, mais surtout regardez avec le monde tel qu'il est, avec les menaces que nous connaissons, avec les risques. Qu'est-ce que serait un grand pays comme la France sans l'Union européenne ? Posez-vous cette question dans chacun de vos pays. C'est en faisant cette petite recherche, ce petit travail que l'on arrive à emmener vers cette solution qui s'appelle l'Europe et pour laquelle il y a quand même beaucoup de générations qui se sont parfois battues pour y parvenir.
Journaliste : Que dites-vous aux dirigeants européens par rapport à la montée de l'extrême droite ?
LE PRESIDENT : Le Front national, l'extrême droite est une menace qui existe dans beaucoup de pays européens, pas simplement en France. Il se trouve qu'il y a des élections dans quelques jours en France. Donc ce que j'attends de tous les Européens, des chefs d'Etat et de gouvernement, c'est de bien faire comprendre pourquoi il faut faire l'Europe et chasser les égoïsmes nationaux, parce que si chacun vient ici chercher son seul intérêt, ce sera autant d'arguments pour les souverainistes, les nationalistes, les extrémistes pour plaider pour une sortie de l'Union européenne et de la zone euro.
En tout cas ce que j'ai à faire, c'est de montrer aux Français, leur faire la démonstration que non seulement l'Europe peut être un progrès pour tous, mais que le défaut d'Europe, l'absence d'Europe, la sortie de l'Europe seraient d'abord pour chacune et chacun un risque supplémentaire. Cela ne veut pas dire que toute autre solution politique est forcément meilleure - je le crois, c'est ce que je plaide - mais cela veut dire que j'en connais une qui serait la pire de toutes : c'est celle que proposent les souverainistes, les protectionnistes et les extrémistes.
Merci.