30 juin 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Hollande, Président de la République, dans "Les Echos" du 30 juin 2016, sur la décision des Britanniques de quitter l'Union européenne, la loi travail, la politique économique du gouvernement , la présidentielle aux Etats-Unis et sur le référendum concernant l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.


Q - Allez-vous dérouler le tapis rouge pour les investisseurs britanniques, comme l'avait fait David Cameron lors de la mise en place de la taxe à 75% ?
Je n'aurais pas l'indécence de lancer ce genre d'appel. Je me garderais de parler de « tapis rouge à dérouler » et mieux vaut faire attention à ce type de formules. Elles peuvent se retourner contre leur auteur... Mais la France doit être en situation d'accueillir tous les talents et tous les investissements.
Q - La place financière de Paris estime que la City doit perdre son passeport européen, qui permet à une banque implantée à Londres d'opérer sur tous les marchés financiers de la zone euro...
Ce n'est pas négociable. Le Royaume-Uni redevenant un pays tiers, le passeport financier européen devra disparaître, de même que ce sera la fin du passeport commercial et du passeport européen tout court. Autre point clef : les opérations de compensation en euros ne pourront plus se faire à Londres. Le Royaume-Uni a bénéficié pendant longtemps de dérogations alors même qu'il n'était pas dans la zone euro. Ce ne sera plus possible.
Il est légitime et logique que les banques françaises s'organisent et se préparent en conséquence. Et nous devons adapter nos règles y compris fiscales pour rendre la place financière de Paris plus attractive.
Q - N'est-ce pas contradictoire de vouloir créer une taxe sur les transactions financières ?
Nous travaillons avec plusieurs pays dont l'Allemagne sur le projet de TTF dans le cadre d'une coopération renforcée. Certains nous disaient que, si on introduisait cette taxe, des activités allaient partir à Londres, cet argument ne tient plus.
Q - Le Brexit va-t-il entraver la reprise en France ?
D'abord, il y a bien une reprise en France et un début d'inversion de la courbe du chômage. C'est un fait indiscutable. Notre croissance sera supérieure à 1,6% cette année, ce qui nous permettra de créer au moins 200.000 emplois. Le Brexit aura surtout un impact défavorable pour le Royaume-Uni et c'est par le biais d'une éventuelle récession outre-Manche qu'il peut y avoir un risque pour la zone euro et pour la France.
Nous devons les conjurer par un soutien encore plus consistant à l'investissement privé comme public. Et par une réponse européenne rapide et claire. Plus brève sera la période d'incertitude sur la place du Royaume-Uni dans l'Europe, plus limitées seront les conséquences du Brexit sur l'activité.
Q - Le sort de la loi El Khomri est un autre facteur d'incertitude. Les critiques persistent au sein de la majorité parlementaire...
Il n'y a aucune incertitude. La loi sera votée et promulguée dans les délais prévus. Je souhaite qu'une majorité puisse être trouvée. A défaut, il sera de nouveau recouru à l'article 49-3.
Q - Peut-il y avoir encore des modifications, notamment de l'article 2 sur les accords d'entreprise concernant l'organisation du travail ?
Non, l'article 2 sera maintenu dans sa rédaction actuelle. Mais le débat peut conduire à préciser le rôle des branches dans la réforme du code du Travail.
Q - Comment jugez-vous le rôle de la CGT dans ce conflit qui s'éternise ?
Elle a contesté le texte dans sa totalité puis ensuite certaines parties seulement. Elle a cherché la discussion à la fin du processus alors qu'elle l'avait évité au début et s'est lancée dans une suite de manifestations au risque de les épuiser.
Elle n'est pas responsable des violences, elle en a même été la victime. Il n'est pas acceptable que des groupes radicaux viennent systématiquement casser et dénaturer les mouvements dans lesquels ils tentent de s'introduire. C'est une responsabilité collective de les mettre hors d'état de nuire. Rien ne peut justifier la violence contre les biens et les personnes et en particulier les policiers qui assurent notre protection. De même dans une démocratie comme la nôtre, il est inadmissible de s'en prendre aux représentants de l'Etat comme aux locaux des partis, des syndicats ou des organisations professionnelles.
Q - Pourquoi la police ne parvient-elle pas à isoler ces casseurs ?
Sur des longs parcours, il est difficile d'appréhender ces petits groupes très bien organisés, d'autant que les forces de l'ordre doivent éviter de mettre en danger l'intégrité physique des manifestants.
Q - Après la loi travail, il y aura le budget 2017. L'impôt sur le revenu va-t-il baisser, comme vous l'aviez évoqué ?
J'avais dit au printemps dernier qu'une baisse supplémentaire d'impôt sur les ménages était possible, si nous disposions des marges de manoeuvre liées à l'amélioration de la croissance et sans remettre en cause notre objectif de réduction du déficit public à 2,7 % du PIB en 2017. Je reste sur la même position : si malgré le Brexit la croissance était de 1,7 % en 2017, ce geste fiscal, qui ne pourrait être supérieur à 2 milliards d'euros, viendrait s'ajouter aux allégements accordés depuis 2014 et qui ont d'ores et déjà concerné 12 millions de contribuables.
Q - La Cour des comptes juge élevé le risque que ne soit pas respecté l'objectif de déficit. Que lui répondez-vous ?
Comme chaque année à cette date, la Cour des comptes met en garde sur la tenue de nos objectifs. C'est son rôle. Cet avertissement vaut pour l'avenir. Quand je regarde nos résultats, je constate que nous avons tenu nos engagements. L'an dernier, nous avons même fait mieux puisque nous avons réduit le déficit plus fortement que prévu (3,6% au lieu de 3,8%).
Q - Les contribuables concernés seront-ils les mêmes, ceux des premières tranches du barème ?
Il est trop tôt pour le dire. Le Premier ministre me fera des propositions. Mais ma préférence irait vers une mesure ciblée pour les classes moyennes.
Q - Allez-vous rogner sur la troisième étape du pacte qui doit représenter 5 milliards de nouvelles baisses d'impôts et de charges en 2017 ?
Non, le quantum des 41 milliards d'allègements de prélèvements prévus par le Pacte de responsabilité sera intégralement respecté. Mais afin de muscler les créations d'emplois générées par la reprise, j'ai décidé, avec le Premier ministre, de consacrer les 5 milliards restants au relèvement du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi - qui sera porté à au moins 7% de la masse salariale - et à la baisse de l'impôt sur les sociétés des PME.
Q - Il n'y aura donc pas de suppression de la C3S...
Je veux donner toute sa force au CICE, qui est désormais pleinement compris et apprécié par les entreprises, notamment les PME et TPE, et qui a des effets rapides sur l'emploi, l'investissement et le pouvoir d'achat. Quant à l'impôt sur les sociétés, son taux sera en baisse pour les PME et une mesure d'allégement sera prévue pour les artisans qui ne bénéficient pas du CICE.
Q - La mesure aura-t-elle des effets en 2017 ou en 2018 ?
Les entreprises disposeront d'une créance dès 2017. Elle sera enregistrée dans leurs comptes, et celles qui le souhaitent bénéficieront d'un préfinancement de la BPI.
Q - Allez-vous demander davantage de contreparties au patronat ?
C'est le sens même du pacte. Et les partenaires sociaux doivent, dans les branches et les entreprises, évaluer régulièrement l'utilisation du CICE. Surtout s'il est relevé en 2017. Quant au Medef, il a manqué à ses responsabilités sur l'Unedic et prend une position dangereuse en n'appliquant pas la loi sur le compte pénibilité. Dans une démarche sociale si les acteurs se dérobent, il ne reste plus que l'Etat !
Q - Allez-vous la prolonger la prime à l'embauche dans les PME de moins de 250 salariés ?
Nous allons franchir dans quelques jours le seuil des 500.000 embauches dans le cadre de ce dispositif. C'est un succès au bénéfice de l'emploi et des entreprises et j'ai donc décidé de le prolonger sur l'ensemble de l'année 2017, comme d'ailleurs le mécanisme du suramortissement des investissements.
Q - Au-delà de 2017, que reste-t-il à faire, selon vous, pour moderniser l'économie française ?
En 4 ans nous avons considérablement modernisé l'économie française. Le coût du travail dans l'industrie est aujourd'hui devenu inférieur à celui de nos voisins allemands et sans perte de pouvoir d'achat pour les salariés, puisque ce résultat a été obtenu par des allégements de prélèvements.
Les lois sur la sécurisation de l'emploi de 2013, la réforme de la formation professionnelle et celle sur le dialogue social ont considérablement amélioré la négociation. Aujourd'hui, le projet de loi El Khomri prévoit une évolution progressive du Code du travail dans les prochaines années et introduit le compte personnel d'activité, qui sera une étape majeure dans la sécurisation des parcours professionnels.
Enfin, j'ai voulu donner une place très importante à l'innovation et à l'investissement. Et dans le même temps les déficits publics ont été réduits, les régimes de retraite ont été équilibrés et la protection sociale a été préservée sans mise en cause des droits des assurés sociaux.
Q - Vous vous déplacez ce jeudi au salon VivaTechnology, qui va ressembler des milliers de start-up. Quel regard portez-vous sur ce phénomène en France ?
La France, et chacun le découvre, est une nation de jeunes entreprises. La French Tech est une formule qui recouvre une réalité bien vivante ! Jamais autant de start-up n'ont vu le jour dans notre pays. 1 500 sont créées chaque année à Paris, la ville qui a le plus d'incubateurs en Europe. Jamais autant de fonds n'ont été investis dans les entreprises innovantes en France. Jamais autant de chercheurs et d'ingénieurs français n'ont été à ce point sollicités par le monde entier.
La France a pris une avance dans de nombreux domaines : les objets connectés, les plateformes, les services culturels. Ces succès démontrent la créativité de notre économie que le gouvernement a accompagnée et encouragée en favorisant un écosystème avec notamment le crédit d'impôt recherche élargi à l'innovation, avec l'alliance pour l'industrie du futur, avec la French Tech. VivaTechnology en est la plus éloquente illustration.
Q - Mais pourquoi la France et également l'Europe ont-elles tant de mal à faire grandir ces entreprises pour qu'elles deviennent des champions mondiaux à l'image de ce que sont capables de produire les Etats-Unis ?
La France a ses licornes, ces jeunes entreprises dont la valorisation dépasse le milliard de dollars. Mais c'est au niveau européen que nous devons nous organiser. L'Europe a les moyens de développer des champions dans la transition énergétique et le numérique à condition de ne pas empêcher les concentrations de ses entreprises face aux géants comme Google ou Facebook.
Nous devons constituer des grands groupes européens à partir d'un marché large et régulé et qui ne peut être l'addition des marchés nationaux. Ce qui exige un changement d'approche de la part de la Commission européenne sur l'application des règles de concurrence.
Q - Comment avez-vous réagi au choc de l'annonce du Brexit ?
Le choc a été d'autant plus fort qu'il n'avait pas vraiment été anticipé, y compris par les dirigeants britanniques qui avaient déclenché le référendum et surtout par ceux qui avaient appelé au Brexit. Il y a toujours une forme de naïveté qui consiste à penser, malgré les leçons de l'Histoire, que tout finira par s'arranger et que la raison et l'esprit européen l'emporteront sur le nationalisme et l'extrémisme.
L'Union n'est pas un processus irréversible et le vote britannique ramène à l'essentiel. Quelle Europe veut-on ? Et avec qui ? Depuis le scrutin, chacun mesure combien il est attaché à l'Europe malgré ses insuffisances et aussi combien il est douloureux de la quitter. La première victime du divorce, ce n'est pas l'Europe, c'est le Royaume-Uni. Et trop souvent, l'Europe, on l'aime quand on n'y est pas ou quand on n'y est plus. Eh bien, il faut la défendre pour ce qu'elle est : un espace de paix, de solidarité et d'avenir. A condition que l'Union protège les peuples. Un sursaut est nécessaire. L'immobilisme conduirait tôt ou tard à la dislocation.
Q - Le Royaume Uni va-t-il vraiment quitter l'Union ?
Oui. C'est sa décision. Elle doit être mise en oeuvre. Il n'y a pas de temps à perdre. C'est ce que le Conseil européen a exprimé avec clarté et dans l'unité des 27. Le respect dû aux Britanniques et à l'Europe justifie de procéder à la séparation. Toute autre réaction laisserait penser que chaque fois qu'un référendum donne un résultat qui ne convient pas, il faut en tout hâte en organiser un second.
L'Europe a besoin de stabilité et de sécurité pour mieux se concentrer sur ses priorités. Et il n'y aura de négociation avec le Royaume-Uni que dans le cadre de la séparation prévue par l'article 50 des traités. Et il n'y aura pour la Grande-Bretagne d'accès au marché unique que si les libertés de circulation des biens, des services, des capitaux, et des personnes sont garanties. On ne peut transiger là-dessus.
Quant à la France, elle continuera à avoir des rapports étroits avec ce grand pays ami qu'est le Royaume-Uni. Nous maintiendrons notre coopération de défense et de lutte contre le terrorisme tout comme notre action pour maîtriser l'immigration clandestine.
Q - Londres ne déclenchera l'article 50 sur la demande de sortie de l'UE que début septembre...
J'aurais préféré que ce soit immédiat, mais j'ai accepté ce calendrier, dès lors qu'il est connu et qu'il n'est pas négociable.
Q - Le Brexit est-il une victoire du peuple ou du mensonge ?
Le mensonge a pu abuser le peuple britannique. Il lui appartiendra d'en tirer le moment venu les conclusions envers les dirigeants qui l'ont fourvoyé. Mais son choix est irrévocable. La démocratie n'est pas une partie de poker surtout quand ceux qui jouent engagent des partenaires qui ne sont pas autour de la table.
Q - Comment juguler ce mouvement d'euroscepticisme qui risque d'affaiblir durablement l'UE ?
Cette montée du populisme en Europe n'a cessé de s'amplifier depuis une décennie. L'Europe doit regarder cette réalité en face. Au Conseil européen, j'ai demandé que l'Europe se concentre sur la sécurité, le contrôle des frontières extérieures, la lutte contre le terrorisme, la défense de notre continent, car les citoyens veulent d'abord être protégés.
Nous devons également bâtir une Europe puissante autour de la croissance, des investissements et de l'emploi dont la jeunesse doit être la première bénéficiaire. Sur la zone euro je veux engager notamment avec l'Allemagne une harmonisation sociale et fiscale.
Enfin, le fonctionnement de l'Europe doit changer sans qu'il soit nécessaire de bouleverser les traités. C'est la condition pour que l'Europe retrouve confiance dans son avenir et suscite à nouveau l'espérance.
Q - Le sentiment est que l'Allemagne n'a ni les mêmes ambitions ni le même rythme en tête...
Angela Merkel est consciente qu'une nouvelle impulsion est nécessaire. Elle est très attachée au couple franco-allemand. Il a fait ses preuves ces dernières années sur le règlement de la crise bancaire, sur la Grèce, sur l'Ukraine et même sur les réfugiés.
Nous n'allons pas attendre les élections de l'année prochaine pour prendre des initiatives. Ces rendez-vous en mai en France, en septembre 2017 en Allemagne, seront néanmoins l'occasion de faire valider par nos peuples les réformes qui nous semblent souhaitables en Europe et que nous leur présenterons.
Q - La France a-t-elle le poids pour impulser des réformes ? « La France de François Hollande n'est une référence pour personne », dit Alain Juppé...
Heureusement que la France a eu le poids politique pour éviter qu'en 2012 l'Europe amplifie encore l'austérité qui avaient été instaurée deux ans plus tôt, et notamment à l'initiative du gouvernement dont Alain Juppé était un membre important. Heureusement aussi que la France a pu imposer l'union bancaire malgré les réticences allemandes et qu'elle a pu encourager une politique monétaire plus accommodante à l'initiative de la Banque centrale.
Heureusement que la France a pu mettre tout son poids pour maintenir la Grèce dans la zone euro, alors qu'une partie de la droite nous demandait ici de l'écarter. Heureusement que la France a pu être suffisamment convaincante pour obtenir la solidarité de l'Europe après les attaques terroristes du mois de novembre et obtenir l'appui des pays membres à nos interventions en Afrique.
Heureusement que j'ai pu avec Mme Merkel rétablir les principes de Schengen qui avaient été suspendus pendant quelques mois. Et je revendique l'accord avec la Turquie alors que de 2007 à 2012 onze chapitres de négociation avaient été ouverts sans contrepartie !
Q - Que suggérez-vous précisément sur la zone euro ? Quelles harmonisations fiscales, quelles nouvelles étapes démocratiques ?
Il s'agit d'abord d'en finir avec des distorsions de concurrence en commençant par l'impôt sur les sociétés. Ensuite de créer un budget de la zone euro pour financer des investissements dans des secteurs stratégiques (numérique, transition énergétique...). Et de prévoir enfin une gouvernance économique sous le contrôle d'un Parlement de la zone euro.
Q - Un budget de la zone euro, est-ce vraiment réaliste ? Les Allemands n'en veulent pas...
La zone euro ne peut être une addition de règles et de disciplines, elle doit porter des politiques communes en faveur de la préparation de l'avenir. Il ne s'agit pas de créer un impôt supplémentaire. Des transferts sont possibles. Il doit être possible de lier nos efforts de défense et le respect des disciplines budgétaires indispensables.
Q - Quel est le calendrier que vous avez en tête ?
Les 27 ont fixé mercredi les règles qui doivent organiser le départ de la Grande-Bretagne. Aucune négociation ni discussion informelle n'aura lieu avec Londres tant que la demande formelle de divorce ne nous aura pas été adressée - procédure connue sous le nom d'article 50.
Ensuite, il y aura en septembre un Sommet spécial à Bratislava pour avancer sur l'avenir de l'Europe. Des décisions concrètes devront aussi être prises pour la sécurité, la croissance et les jeunes. Je veux aller vite. Attendre c'est renoncer. Le 60e anniversaire du Traité de Rome en mars prochain sera l'occasion d'illustrer l'unité des Européens autour de cette nouvelle impulsion.
Vouloir un débat démocratique sur les priorités de l'Union me paraît une nécessité. Mais j'écarte les faux-semblants. Proposer un nouveau traité d'ici 2017 est une illusion et une impasse. Demander un référendum c'est poser la question de l'appartenance de la France à l'Union, quelle que soit la formulation proposée.
Q - La question des migrations du travail, avec la directive sur les travailleurs détachés, a été au coeur du débat britannique mais pas seulement. Qu'est-ce qui doit changer selon vous ?
Mais qui a négocié cette directive ? Les libéraux et en premier lieu les Britanniques ! Qui voulait de la main d'oeuvre bon marché venant de l'Est de l'Europe ? La droite européenne et au premier chef les conservateurs anglais. Ils en paient le prix aujourd'hui. La France ne demande pas de remettre en cause la libre circulation des personnes mais de supprimer les abus par un encadrement strict des « détachements » et une sanction des employeurs indélicats. C'est une discussion difficile car les pays de l'Est sont hostiles. Nous devons y parvenir. Sinon les dérives sur le travail détaché vont ronger l'Europe.
Q - Que répondez-vous à ceux qui réclament en France un référendum sur l'Europe ?
Pourquoi organiser un tel tumulte et une telle confrontation, si ce n'est pour quitter l'Union européenne ? Les mensonges, les simplifications, les outrances et même les violences que l'on a constatées pendant la campagne référendaire au Royaume-Uni ne suffisent donc pas à ces apprentis sorciers? Il ne s'agit évidemment pas de se méfier du peuple. Mais le rendez-vous démocratique sur l'Europe, il aura lieu en France lors de la prochaine présidentielle. Le Front national, qui voulait jusqu'à maintenant abandonner l'euro, annonce désormais qu'il fera campagne pour que notre pays quitte l'Union européenne, comme le Royaume-Uni aujourd'hui. Et bien en 2017 ce débat devra être assumé. Et l'expérience britannique aura valeur d'exemple ou plutôt de contre-exemple.
Q - Dans quelle direction souhaitez-vous que l'Europe de la défense soit approfondie ?
La défense européenne a été déléguée à l'Otan. La France a veillé à toujours garder, sa propre autonomie de décision. Or un continent ne peut être respecté que s'il est puissant, économiquement mais aussi politiquement c'est-à-dire capable de se protéger, de se défendre et de se projeter. Les efforts de défense sont insuffisants en Europe, hormis celui de la France. Cette situation n'est plus acceptable. Chacun doit contribuer davantage à la sécurité de l'Europe. L'Allemagne est en train d'évoluer sur le sujet.
J'étudie avec intérêt les propositions de Thierry Breton pour créer un fonds européen de la défense. L'idée est de mutualiser des investissements y compris les dépenses liées à la sécurité de nos frontières.
Q - Les Allemands ont été déçus par les Français sur les réfugiés ...
Les Allemands ont agi dans l'urgence avec humanité, nous avons salué leur geste. Mais ce n'était pas tenable à moyen terme. Nous devions rétablir l'effectivité de Schengen et reprendre le contrôle de nos frontières en mettant des moyens supplémentaires, notamment des gardes côtes. L'accord avec la Turquie a permis de trouver un début de réponse. Mais la solution pérenne c'est Schengen et son renforcement.
Q - Etes-vous inquiet de voir Donald Trump arriver aux marches du pouvoir aux Etats-Unis ?
Ceux qui affirment que Donald Trump ne peut pas être le prochain président des Etats-Unis sont les mêmes qui prétendaient que le Brexit ne serait jamais voté.
Ses slogans diffèrent peu de ceux de l'extrême droite en Europe et en France : peur de la déferlante migratoire, stigmatisation de l'islam, mise en cause de la démocratie représentative, dénonciation des élites - alors même que Donald Trump, par sa fortune en est l'incarnation la plus évidente.
Q - Son entrée à la Maison-Blanche serait-elle dangereuse ?
Oui. Son élection compliquerait les rapports entre l'Europe et les Etats-Unis. Mais regardons au-delà de ce scénario et prenons conscience d'une tendance profonde et durable aux Etats-Unis : les Américains n'entendent plus être les gendarmes du monde. Leur horizon est moins notre continent que le Pacifique et l'Asie. Les Européens doivent le comprendre et s'organiser en conséquence, pour leur défense. Pour leur économie. Pour leur politique commerciale. Et pour la protection de leurs industries culturelles.
Q - La venue du secrétaire d'Etat John Kerry n'est pas une ingérence dans nos affaires ?
Le meilleur service que peuvent rendre les démocrates, c'est de faire élire Hillary Clinton.
Q - Quel jugement portez-vous sur les projets économiques de la droite ?
L'originalité n'est pas leur marque de fabrique. A croire qu'ils ne sont que la reproduction en plus brutal de programmes déjà présentés à l'occasion de scrutins parfois lointains. Mais ils me paraissent surtout inadaptés à la situation de notre pays et éminemment dangereux pour notre modèle social.
Remettre en cause les 35 heures alors même que nous trouvons des solutions pour que les négociations dans les entreprises permettent la meilleure organisation du travail sans remise en cause de la rémunération des heures supplémentaires ? Casser le contrat de travail, alors que nous faisons en sorte que la clarification des règles de licenciement permette désormais que l'on embauche en CDI plutôt qu'en CDD ? Bousculer les règles du départ à la retraite, alors que le régime général est équilibré et que les partenaires sociaux ont fait un effort exceptionnel pour rétablir la situation des régimes complémentaires ? Changer les modes d'organisation de l'assurance-maladie alors que nous avons réduit le déficit de l'assurance-maladie ? Promettre aux ménages les plus favorisés des avantages fiscaux, alors que la branche famille est tout juste à l'équilibre ?
Je trouve qu'il y a beaucoup d'inconséquences et peu de justice. Les programmes des candidats à la primaire, c'est plus de dépenses dans tous les domaines et moins d'impôts dans tous les autres.
Q - Vous ne faites aucune distinction entre les uns et les autres ?
Aucune. C'est sur d'autres sujets que se fait la différence, essentiellement sur l'Europe et sur l'identité nationale. Mais pour le reste, c'est, si je puis dire, un fonds commun de mauvais placement.
Q - Les deux gauches sont-elles « irréconciliables », selon la formule de Manuel Valls ?
Il y a une gauche de gouvernement. Celle-là, dans toute sa diversité, elle doit se rassembler. C'est son devoir £ sinon elle laissera la place à la droite ou à l'extrême droite. Et puis il y a une gauche de contestation. Elle a toujours existé. Elle conteste un système et ne pose pas réellement la question de l'exercice du pouvoir. L'expérience de Syriza en Grèce aurait pourtant pu l'éclairer. L'intransigeance de Podemos en Espagne a contribué à laisser la droite gouverner.
Le pire serait, dans une Europe minée par le populisme, de considérer que gouverner c'est trahir.
Q - Mais que dites-vous à ces électeurs de gauche qui se sentent trahis par votre politique ?
Est-ce qu'il y a un domaine depuis 2012 où les droits aient été amputés, les prestations réduites, la protection sociale entamée ? Y a-t-il une priorité - l'éducation, la culture, la santé ou autre - où l'on a fait le choix de l'austérité ? Non.
Après, est-ce que j'aurais pu faire davantage contre les excès de la finance ? Ce serait oublier que c'est à l'initiative de la France que l'Union bancaire a été mise en place au niveau européen et que nous avons marqué des points décisifs contre la fraude fiscale. J'avais annoncé clairement dans mon discours du Bourget qu'avant toute redistribution, il était impératif de rétablir la compétitivité et les comptes publics. C'était une question de survie pour notre pays. Si nous avions agi comme par le passé, la France aurait été déclassée car elle aurait été surclassée par ses partenaires et par les marchés. Et plus grave encore, notre appareil productif aurait sombré.
La trahison, c'eut été de laisser le pays dans l'état où je l'ai trouvé. Je m'en expliquerai devant les Français autant que nécessaire.
Q - Le procès en trahison n'a-t-il pas été alimenté par la déchéance de nationalité et la loi travail ?
L'extension de la déchéance aux auteurs de terrorisme, je l'avais proposée au lendemain des attentats du 13 novembre. Quand des Français ont massacré des Français parce qu'ils étaient Français. Je fais d'ailleurs observer qu'il y a eu cinq déchéances de nationalité en 2015 qui ont d'ailleurs été confirmées par le Conseil d'Etat. Personne dans le débat public n'avait remis en cause ces décisions.
Il est dommageable que l'opposition n'ait pas voulu adopter cette révision constitutionnelle parce que c'était l'occasion d'un rassemblement de notre pays. Sur la loi travail, je n'ai manqué à aucun de mes principes.
Q - Beaucoup à gauche le contestent...
Cette loi va permettre de donner au syndicalisme des moyens qu'il n'a jamais eu dans notre pays. Il est d'ailleurs étrange que le débat ne se soit pas porté là-dessus. Je ne parle pas simplement du mandatement, mais de la présence syndicale dans les entreprises. J'ai confiance dans le syndicalisme. Ce texte, c'est en réalité la prolongation des lois Auroux et de la première loi Aubry, qui avait fait de l'entreprise un lieu de négociation pour l'organisation du travail.
Quant à l'inversion de la hiérarchie des normes, le verrou me parait sérieux : seuls les syndicats représentant la majorité des salariés peuvent en prendre la responsabilité. Le travail du dimanche, déjà, avait été vécu par certains comme une transgression, mais les accords qui sont signés depuis le vote de la loi Macron permettent à des salariés d'être payés jusqu'à deux fois ou trois fois plus ce jour-là.
La conception que j'ai du progrès, ce n'est pas de figer des acquis mais de donner des droits et des libertés supplémentaires aux salariés.
Q - Jusqu'à quel point la stratégie politique d'Emmanuel Macron reste-t-elle compatible avec sa fonction de ministre ?
Sa démarche, c'est de convaincre les Français du bien-fondé de la politique que nous avons mise en place depuis 2012 et de réfléchir à celle que nous pourrions proposer en 2017, c'est-à-dire une politique favorable à l'initiative, à l'entrepreneuriat, à l'investissement, à la lutte contre la rente à un partage plus juste de ce qu'est la richesse collective. Emmanuel Macron met en oeuvre ces orientations dans la fonction qui est la sienne.
Q - Vu la crise de la représentation, n'est-il pas temps de réformer les institutions ?
Oui. Cette question sera forcément présente pendant la campagne présidentielle. Nous vivons en Europe et aux Etats-Unis une crise de la démocratie, là où précisément elle est née. La représentation politique doit être diversifiée, le non-cumul dans le temps introduit, les citoyens doivent être associés aux décisions qui les concernent. Un changement profond s'impose dans nos habitudes et nos pratiques.
De ce point de vue, la consultation concernant Notre-Dame-des-Landes, qui aurait pu être organisée plus tôt, est une bonne démarche pour délibérer de grands équipements. De même, je regrette que sur la loi travail nous n'ayons pas plus associé les salariés à l'élaboration de ce texte même si les organisations syndicales ont été consultées.
Et comment comprendre qu'une fois un projet présenté en Conseil des ministres il faille attendre 5 mois, parfois 7, pour que le texte soit définitivement adopté par le Parlement ? C'est d'autant plus insupportable dans une société où tout va vite. Quand le temps est aussi long pour l'effectivité de la décision, la parole de l'Etat est en cause. Pour le débat la loi de finances, la Constitution a fixé un délai maximum de 70 jours. Je pense que ce temps limité devra être la règle pour tous les textes économiques. En revanche sur les textes de société, le débat parlementaire pourrait être allongé.
Q - Faut-il aller jusqu'à supprimer le poste de Premier ministre ?
Méfions-nous des improvisations en ces domaines. La concentration du pouvoir exécutif dans les seules mains du président de la République apparaîtrait à beaucoup comme excessive. Et supposerait de renforcer considérablement le Parlement. N'imaginons pas régler les problèmes des Français par une VIe République où chacun met d'ailleurs ce qu'il imagine.
Nos institutions sont solides. Je considère qu'il serait extrêmement dangereux de les affaiblir. Je parle d'expérience : nos institutions m'ont permis d'intervenir au Mali en quelques heures, de répondre aux attaques terroristes en quelques minutes et de parler au Conseil européen avec beaucoup plus de force que d'autres. Elles donnent de la stabilité et de la sécurité. Ce serait un risque sérieux que de perdre ce qui fait, au-delà des personnes qui occupent la fonction présidentielle, la crédibilité de la France.
Q - Vous avez évoqué Notre-Dame-des-Landes. Les zadistes ne semblent pas décidé à partir...
J'avais proposé en février dernier d'organiser une consultation sur ce dossier qui fait débat depuis 50 ans. Une fois de plus les sceptiques avaient haussé les épaules. Pourtant la participation a été significative et le résultat a été clair. Les travaux s'engageront prochainement dans le respect du droit et la ZAD sera donc évacuée.
Q - La réconciliation des Français avec la politique est-elle un enjeu plus important que l'économie en 2017 ?
Les deux sont liés. La confiance des Français dans leur avenir est indispensable à la croissance et à l'emploi. Il serait cependant un peu court de croire que toutes nos difficultés peuvent être réglées par l'économie. Il y a des pays autour de nous où le chômage est faible et où les populistes prospèrent car ce qui mobilise les extrémismes, c'est la peur de l'immigration et les crispations identitaires.
Le référendum britannique l'a bien montré : les partisans du Brexit n'ont pas parlé des conséquences économiques d'une sortie du Royaume-Uni, mais du risque migratoire en cas de maintien et pour eux les dangers étaient les étrangers. A instrumentaliser l'identité, on finit par la perdre