25 février 2016 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la coopération culturelle et scientifique entre la France et l'Argentine, à Buenos Aires le 25 février 2016.
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Madame la Doyenne,
Mesdames, Messieurs les membres de la communauté scientifique, universitaire, éducative d'Argentine,
Je suis extrêmement sensible à cet accueil où doivent également être reconnus les étudiants, car sans les étudiants, il est difficile de faire une université.
Je veux d'abord vous remercier pour les mots que vous avez prononcés. Je rappelle que la France est un pays qui a toujours voulu que la culture et la science soient unies. Pas simplement parce qu'il y aurait une culture scientifique, mais parce que la culture participe au développement de la science, de la connaissance, et de la transmission.
Monsieur le ministre, vous avez même voulu nous faire croire que vous étiez devenu scientifique grâce à la lecture de Jules VERNE. Même si aujourd'hui, cette seule lecture ne permet pas d'imaginer toutes les découvertes de demain ! C'est vrai qu'il faut faire rêver les enfants de ce que la science peut leur apporter. Parce que c'est le progrès qui est en cause. Imaginer que l'on peut repousser les frontières et essayer de rendre possible l'inimaginable : c'est ce que la science fait, elle permet de libérer, elle permet de mieux appréhender son corps et également de préserver la nature.
Nous savons aussi qu'un usage peut être fait de la science, au service de causes qui ne sont pas les nôtres ! C'est là aussi que nous devons lutter. Lutter pour que la science soit maîtrisée par l'éthique et donc par une conception plus élevée du progrès humain.
Nous partageons, la France et l'Argentine, la même conviction que la connaissance, le savoir et la science constituent les conditions du progrès. C'est en ce sens que nous sommes des sociétés progressistes et que nous embrassons dans l'idée de progrès à la fois la science, la technique, mais aussi les avancées sociales et les mutations culturelles.
Nos deux pays ont été capables d'utiliser le savoir, la connaissance, la science pour lutter ou pour surmonter les épreuves. Les dictatures, les oppressions, les fanatismes, les extrémismes ont toujours voulu bâillonner l'université, la connaissance, l'information. De ce point de vue-là, elles n'avaient pas tort ! Parce que c'était là que résidaient finalement les forces qui pouvaient les terrasser. C'est ce qui s'est toujours produit, dans notre Histoire, dans la vôtre comme dans la nôtre.
Vous avez partagé les idéaux de la Révolution française, l'esprit des Lumières pour fonder votre République et surtout la faire avancer. Vous avez eu la même volonté, à la fin du XIXème siècle, de développer l'instruction publique en posant les bases de ce que pouvait être la puissance scientifique argentine. Domingo Faustino SARMIENTO est celui qui a lancé cette grande aventure de l'instruction pour tous, c'était le « Jules FERRY » argentin. Mais je ne veux pas donner l'impression que tout se ramène à la France. Peut-être que Jules FERRY était le « SARMIENTO » français.
Il y a peu de pays au monde et c'est pourquoi cette visite a du sens avec lesquels la France entretient à ce point des échanges culturels, universitaires et scientifiques. Sans doute que tout part de la littérature. Plusieurs noms viennent immédiatement à l'esprit de beaucoup de Français : Jorge Luis BORGES, Julio CORTAZAR, mais aussi Victoria OCAMPO qui publia des écrivains français, CAMUS, MALRAUX, et nous en partageons d'autres. Je rappelle que Joseph KESSEL est né et a été éduqué en Argentine.
Je pense aussi à ce que les plasticiens peuvent apporter, avec le concours de la science, également, comme les musiciens. Nous avons pu exposer de grandes uvres, de peintres et de plasticiens argentins et cette année, la Fondation Proa de Buenos-Aires consacrera une exposition à l'un des plus grands artistes français du XXème siècle, Yves KLEIN. Sophie CALLE était il y a peu dans notre Centre culturel Kirchner de Buenos Aires et je pense que tout cela fait qu'il y a du sens.
Je ne vais pas parler du cinéma, où vous avez aussi montré votre capacité à apporter des uvres jusqu'au Festival de Cannes. Je le dis car le délégué du Festival de Cannes est là et que si vous avez des propositions à lui faire, c'est le moment.
Je reviens à notre sujet, mais je ne l'ai pas quitté en définitive, en évoquant la littérature, les arts plastiques, le cinéma, la culture. L'Argentine est une puissance scientifique et technologique et elle dispose d'une grande renommée internationale, grâce à vous : trois Prix Nobel en sciences de l'Amérique latine, dont deux ont des origines françaises : Bernardo HOUSSAY, Luis Federico LELOIR et César MILSTEIN.
En France, nous voulons toujours avoir un lien avec ceux qui obtiennent des prix. Nous leur inventons des origines et il y a bien toujours dans une famille, scientifique, culturelle, une part de trace française. Lorsque nous n'arrivons pas à trouver après beaucoup de recherches, une origine française, alors soit on remet la Légion d'honneur, soit on naturalise, ce qui permet de régler le problème. Comme la France veut être un pays universel, comme l'Argentine finalement, nous considérons que tous les Prix Nobel sont franco-argentins.
L'Argentine est le troisième pays, après les Etats-Unis et la Corée du Sud à avoir signé avec la Commission européenne, un accès permettant à ses scientifiques de pouvoir disposer des financements européens. Vous avez également intégré en 2014 le pôle d'excellence mondial qu'est le Laboratoire européen de biologie moléculaire. Je sais que les gouvernements argentins ont voulu et celui du Président MACRI aura sans doute cette ambition élever la part des dépenses publiques consacrées à la recherche. C'est aussi pour nous une volonté, car nous savons qu'il y a un lien direct entre l'effort de recherche et le niveau de croissance et de développement d'un pays. La France aussi veut faire de l'enseignement supérieur, de l'innovation ses priorités et 550 000 personnes sont engagées dans des programmes de recherche en France.
La France est le cinquième pays de l'OCDE bientôt l'Argentine y entrera donc vous pourrez concourir à ce classement en termes de recherche. Nous accueillons aussi beaucoup de docteurs venant d'autres pays, car nous avons une conception de l'université et de la recherche ouverte. Nous pensons que c'est une chance d'avoir des étudiants, d'avoir des chercheurs, d'avoir des professeurs et d'une manière générale, d'avoir des créateurs qui viennent en France, parfois pour peu de temps, parfois pour plus longtemps, mais qui viennent partager leur expérience. Nous avons donc décidé de libéraliser autant qu'il est possible les visas et de faire en sorte que les séjours puissent être facilités.
Nous considérons aussi que cette mondialisation de la recherche est un atout et que nous ne devons pas la craindre. Nous aussi, nous encourageons les jeunes chercheurs français à aller, pour un temps, dans d'autres pays que le leur, en espérant qu'ils pourront revenir et en faisant en sorte aussi, de les accueillir. Ces échanges sont essentiels pour le progrès scientifique, de la même manière que les publications scientifiques sont un facteur considérable de dialogue entre les communautés universitaires.
Nous voulons également disposer, grâce au numérique, d'outils qui peuvent diffuser des connaissances, et des savoirs dans le cadre d'un programme éducatif sous cette forme : les MOOC que nous avons jusque-là promus. Comme je sais que l'Argentine sera bientôt un pays observateur de l'Organisation Internationale de la Francophonie, l'Argentine pourra participer à ces échanges à travers ces créations numériques. Aujourd'hui, la France est le premier partenaire de l'Argentine pour la science et la technologie, il y a une centaine de projets en cours et 400 missions de chercheurs français ont lieu chaque année en Argentine.
J'ai voulu, au cours de cette visite trop brève, être accompagné par plusieurs représentants de grands organismes de recherche, parce que le CEA, le CNES, le CNRS, l'INRIA, l'INSERM, l'Institut Curie ont noué des accords de partenariat avec la France. Je vais vérifier ce que fait l'Institut Pasteur parce que je ne voudrais pas qu'il y ait, de ce point de vue, un oubli. Avec le Président MACRI, nous avons décidé de poursuivre cette dynamique en développant des équipes de recherche binationales. Sept travaillent déjà ensemble dans la sociologie, l'économie rurale, les nanosciences, l'étude du climat, la mécanique des fluides, la biologie, l'informatique.
Puis, nous voulons accueillir des étudiants, encore plus qu'aujourd'hui. Nous voulons au moins 1 000 étudiants argentins par an et nous sommes heureux de voir que cette mobilité étudiante ait pu progresser de 30 % en 2015. Cela tient beaucoup aux accords qui sont signés entre nos établissements universitaires. Aujourd'hui même, plusieurs présidents d'universités m'accompagnent pour signer un certain nombre d'accords entre établissements. Ce qui exige également la reconnaissance des diplômes pour qu'aucun temps ne soit perdu et que nous puissions avoir des cursus cohérents.
Nous devons également mettre notre capacité scientifique au service des grands défis de notre temps.
Le premier, c'est le climat. Nous avons voulu que des fonds français, notamment dédiés à l'environnement, puissent soutenir des projets en Argentine. Je pense notamment à ce que fait la ville de Santa Fe pour la gestion des risques environnementaux et aussi le bassin du Gran Chaco au nord de l'Argentine pour lutter contre la déforestation.
Nous devons faire davantage. Il y a eu cette Conférence de Paris, et l'Amérique latine a pu y jouer son rôle. L'Argentine également dans les derniers jours de la Conférence a pu avoir une contribution déterminante. Le Pérou, qui avait organisé la COP20, a été un pays compagnon de la France. Maintenant que cet accord historique est signé, il doit se traduire par de multiples travaux. J'entends par-là des investissements, par du développement urbain, par de l'économie d'énergie, par le lancement de programmes d'énergie renouvelable, mais également de programmes scientifiques. Ce sont les scientifiques qui ont permis de faire apparaître cette évidence qu'était le réchauffement climatique. Ce fut une longue lutte entre les scientifiques qui produisaient des rapports implacables et accablants et un certain nombre de responsables politiques qui, sans les avoir lus, considéraient qu'il ne s'agissait que d'hypothèses et qu'il y avait lieu de les contester.
Les scientifiques remettaient forcément en cause un certain nombre de préjugés, comme toujours, en disant que ce réchauffement n'était pas un processus de quelques années mais qu'il était engagé déjà depuis 100 ans et que si rien n'était fait, ce n'est pas de deux degrés de plus que la planète allait se réchauffer, mais de trois, quatre ou cinq degrés ! Ce qui d'ailleurs, pour un politique à la fin d'un siècle, n'est pas forcément ce qui l'émeut le plus, puisqu'il peut penser, à la fois électoralement et scientifiquement qu'il ne sera plus là ! C'est donc justement ce que l'on doit faire, comme les scientifiques, c'est exiger des politiques qu'ils puissent agir au-delà d'eux-mêmes ! Au-delà des rendez-vous électoraux. Au-delà même de leur propre vie ! C'est-à-dire leur permettre de rentrer dans l'Histoire en n'y étant plus. C'est-à-dire d'être capable d'agir pour des générations qui n'auront sans doute qu'un souvenir lointain de ce qui aura été décidé, notamment à Paris et qui pourtant, auront eu leur vie préservée ou améliorée parce qu'il y aura eu cet Accord de Paris. Ce sont les scientifiques du GIEC qui ont été déterminants. Ils ont montré que, non seulement la planète se réchauffait, mais que cela allait avoir des conséquences considérables, non pas simplement sur un certain nombre de régions ou d'îlots désertés, mais sur les côtes des principaux pays, développés ou non, et qu'il y aurait des phénomènes de désertification.
C'est au moment même où était signé, en tout cas conclu, l'Accord de Paris que l'on apprenait que l'année 2015 après l'année 2014, avait été l'année la plus chaude de l'Histoire depuis que les températures sont mesurées. Alors la science va encore nous aider : à inventer les technologies de demain, les instruments qui nous permettront d'être plus économes vis-à-vis des ressources naturelles, qui nous permettront même de produire de l'énergie sans prélèvements sur la planète, de faire en sorte que nous puissions, de manière autonome, de manière contrôlée par nous-mêmes, porter une intelligence sur notre propre consommation et sur nos propres choix. Nous allons pouvoir allier les nouvelles technologies avec l'enjeu climatique.
La science est déterminante donc, pour apporter à la fois des sources de développement économique, mais également le bien-être. C'est pourquoi nous voulons absolument que dans la cadre de la Conférence sur le Climat et de sa traduction, nous puissions développer un grand programme scientifique.
Je sais aussi que vous êtes attentifs à ce qui peut se produire en Argentine si des accords sont conclus entre l'Europe et le Mercosur, pour qu'il puisse y avoir davantage d'échanges. Nous aussi. Les échanges ne doivent pas être simplement économiques, ils doivent également être universitaires, scientifiques, culturels.
Enfin, à travers ce voyage, je voulais ici en Argentine, renouveler un accord de coopération culturel, scientifique et technique qui avait été signé en 1964 par le Général de GAULLE. Puisque le Général de GAULLE avait été présent ici à Buenos-Aires, dans le cadre d'un grand déplacement de plus de trois semaines en Amérique latine. Il avait voulu placer ce voyage sous l'exigence de l'indépendance et pour le Général de GAULLE, l'indépendance était aussi la Science. Etre capable par nous-mêmes, pays d'Europe, pays d'Amérique latine, de développer nos propres connaissances, de ne pas nous laisser influencer par d'autres, de maîtriser notre destin.
Il y avait eu cet accord de 1964 et il me semblait que 52 ans plus tard, il pouvait être actualisé et que les données sur lesquelles il avait pu être construit avaient sensiblement changé, en tout cas les domaines de recherche et aussi le nombre d'étudiants. Car depuis 1964, la France et l'Argentine ont permis l'accès de beaucoup à l'enseignement supérieur. Plusieurs provinces argentines s'engagent aujourd'hui, avec le ministre de l'Education, pour développer toutes ces coopérations et notamment l'apprentissage du français à lécole. Je constate que la doyenne, de ce point de vue, a dû bénéficier de l'accord de 1964, car elle parle un français parfait. Même si l'Argentine est un pays d'esprit francophone, de culture francophone, nous considérons que nous devons encore développer l'enseignement du français à travers le réseau des Alliances françaises. Le Président des Alliances françaises est là, ce réseau est l'un des plus importants au monde, il a été initié en 1893. Et il se compose de plus de 70 établissements.
Je suis toujours très ému quand un Argentin, un Africain ou un Asiatique me dit la chose suivante : « J'ai découvert la langue française par la culture française. J'ai d'abord lu avant de parler et si j'ai pu créer pour mon propre pays, pour mon propre continent, c'est parce qu'une Alliance française, à un moment, m'a conduit vers la culture, vers les arts ». C'est ce que la France porte comme ambition : permettre que, grâce à sa langue, grâce à ses auteurs, grâce à sa culture, grâce à ses contributions scientifiques, des femmes, des hommes puissent avoir le destin auquel ils n'auraient même pas songé sans la rencontre avec la langue française.
La langue française ne veut pas simplement être universelle, elle veut être même individuelle, que chacune et chacun puisse s'en emparer. La langue française, nous la donnons. Nous ne l'échangeons pas. Nous ne demandons rien en contrepartie. Pour nous, parler le français, c'est parler le monde dans sa diversité et c'est la raison pour laquelle je suis très heureux que vous puissiez, même pour des travaux scientifiques qui n'exigent pas beaucoup de mots et donc pas l'usage de la langue, penser en français. Penser en français pour découvrir, penser avec les Français, parce que vous savez, ici et je viens d'un lieu tellement chargé sur le plan émotionnel où je rendais hommage aux victimes de la dictature que les Français ont, pendant des années pensé en argentin, pensé pour l'Argentine, pleuré pour l'Argentine et aujourd'hui, ils sourient à l'Argentine.
Merci.