12 janvier 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur le rôle et les missions de la Caisse des dépôts et consignations, à Paris le 12 janvier 2016.


Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs les parlementaires, les élus, représentants de la Commission de surveillance,
Monsieur le vice-président de la Commission de surveillance, cher Marc GOUA,
Monsieur le directeur général,
Mesdames, Messieurs les collaborateurs du groupe venus nombreux ici, dans ce Grand Palais,
Une pensée tout d'abord pour Henri EMMANUELLI. Il n'est pas là avec nous aujourd'hui et je sais combien cette absence doit lui coûter au moment où je m'exprime. Car Henri EMMANUELLI sait toujours user de la liberté de parole et je ne doute pas qu'il en aurait presque abusé en cet instant pour appeler la Caisse des Dépôts et l'Etat à encore plus de responsabilités et d'intervention. Il nous manque donc aujourd'hui.
Je viens ici à l'occasion d'un événement exceptionnel : le bicentenaire d'une grande institution, la vôtre, la Caisse des Dépôts. Ce n'est pas si fréquent, un bicentenaire et je mesure donc le privilège qui m'est fait aujourd'hui comme Président de la République de venir pour cette commémoration. La Vème République, vous en avez eu d'ailleurs des images, a régulièrement rendu hommage à la Caisse des Dépôts.
En 1966, le général de GAULLE fêtait le 150e anniversaire et il avait eu cette formule : « La Caisse des Dépôts, source capitale de progrès. » En 1991, pour le 175e anniversaire, François MITTERRAND est là. Il se demande qui va venir dans 25 ans vous avez la réponse et il résume la Caisse en trois principes : le plus grand volume d'épargne sur le plus long terme pour le plus grand nombre.
En 2006, c'est Jacques CHIRAC pour le 190e anniversaire qui saluait l'avantage décisif de la Caisse des Dépôts par rapport aux responsables politiques : la stabilité. En effet, depuis deux siècles, la France a connu plusieurs révolutions, deux empires, quatre Républiques, mais la Caisse des Dépôts et des Consignations, elle, est toujours là. Impassible, impavide face à l'usure du temps. Si elle a su durer, c'est parce qu'elle a été capable de toujours se renouveler et de faire en sorte qu'à chaque grande étape qu'avait à franchir notre pays, la Caisse des Dépôts a toujours été présente.
Il me revient donc aujourd'hui, devant vous, de revenir sur l'Histoire mais pour mieux évoquer l'avenir. Le directeur général Pierre-René LEMAS est revenu sur Bonaparte, forcément Bonaparte, qui avait imaginé la Caisse des Dépôts en 1800 pour garantir le remboursement des rentes et intervenir sur le marché pour en stabiliser les cours. Car à cette époque les temps ont bien changé l'Etat avait besoin d'argent. En 1816, avec la restauration, les besoins financiers de l'Etat restent immenses. Il est donc imaginé une Caisse, la Caisse des Dépôts, qui est officiellement créée pour faire face à un enjeu majeur : payer les dommages de la guerre après Waterloo et rassurer les épargnants. La Caisse est alors dotée d'un statut particulier et il a été scrupuleusement respecté au cours du temps.
La Caisse, depuis 200 ans, est l'une des seules institutions publiques à être placée par la loi sous la protection du Parlement. Son directeur général ne répond que devant la Commission de surveillance et non pas devant le Gouvernement. La Caisse est conçue comme un établissement judicieusement placé entre l'Etat et les épargnants pour garantir le bon usage des fonds qui lui sont confiés et les mettre au service des Français.
Voilà la nature exceptionnelle du régime juridique de la Caisse qui hésite entre le risque d'une trop grande indépendance et le danger d'une trop grande soumission à l'autorité politique. Toute l'histoire de la Caisse des Dépôts est d'ailleurs dans cette interrogation qu'un député, en 1850, avait résumée d'une formule : « La Caisse des Dépôts ne fait rien que le gouvernement désapprouve mais elle ne fait pas tout ce qu'il demande. » C'est encore vrai aujourd'hui et c'est une des raisons de ma présence parmi vous.
En effet, dans son histoire, presque tout a été financé par la Caisse des Dépôts, dès lors que l'Etat y mettait les formes et la priait instamment de le faire. Ainsi la Caisse des Dépôts a pu financer les états pontificaux en 1866 - j'aurai l'occasion de le rappeler jusqu'aux trésors anglais dans la crise des années 30 - cette information peut être utile en passant par la dette extérieure du Mexique mais pour des raisons qui ne font pas forcément toujours honneur à la France.
Au-delà de ces aventures, la Caisse n'a jamais cédé sur l'essentiel, à savoir la protection des épargnants et l'investissement au service du pays. Comme Marc GOUA le disait, la Caisse des Dépôts est souvent trop méconnue par les Français. C'est pourtant grâce à elle qu'ils se logent, qu'ils se déplacent, qu'ils s'équipent, ou qu'ils s'assurent contre les aléas de la vie. Pour remplir cette belle mission, la Caisse dispose d'un capital inestimable : la confiance des Français. La Caisse gère l'ensemble des fonds collectés par le Livret A, le Livret de développement durable, qui demeure aujourd'hui encore le placement préféré des Français avec soixante millions de livrets, c'est-à-dire presqu'autant que la population de notre pays. Dans chaque famille, le Livret A est une tradition, un héritage, un rite qui vaut aussi bien pour consacrer la joie d'une naissance que pour préparer, parfois dans la hâte, une succession.
La Caisse des Dépôts gère ainsi près de 200 milliards d'euros d'épargne liquide et les transforme en prêt à long terme. Ce sont ces fonds rémunérés à un taux supérieur à l'inflation qui contribuent au financement aux meilleurs coûts des infrastructures de notre pays. Telle est la réussite de la Caisse, la transformation d'une épargne en investissement, du temps court en temps long. Telle est sa magie, tel est son caractère propre. La Caisse, c'est-à-dire vous, a toujours été capable d'accompagner toutes les mutations industrielles : le transport au XIXème siècle, l'automobile au début du XXème, la reconstruction du pays après la Seconde Guerre mondiale puis le budget du pays et le plan dans les années 60, le développement territorial dans les années 80.
Depuis les années 2000 et notamment depuis 2012, la Caisse prend une part encore plus active au soutien de l'économie, avec la création de la Banque Publique d'Investissement. Elle est devenue un acteur majeur du financement de l'investissement privé puisque son encours de prêts aux PME atteint 26 milliards d'euros et augmente de 15 % par an depuis la création de cet outil. Plus de 90 000 entreprises françaises ont reçu à ce jour une aide, un prêt, un concours de la BPI. De la même manière, la Caisse des Dépôts accompagne aussi l'opérateur du programme des investissements d'avenir, ce qui représente près de dix milliards d'intervention.
Enfin la Caisse des Dépôts, par ses filiales, participe au développement des secteurs économiques majeurs de notre pays. Le tourisme avec la Compagnie des Alpes, mais aussi le fonds que vous avez mis en place £ l'assurance-vie avec la Caisse Nationale de Prévoyance £ les transports avec TRANSDEV £ l'équipement avec EGIS. Voilà ce que vous faites pour l'économie française. La Caisse aménage également notre pays. J'ai souhaité, dès mon élection, qu'une enveloppe de vingt milliards d'euros puisse être dégagée au bénéfice des collectivités locales. Huit milliards ont déjà été versés et contribuent au soutien à l'activité.
La Caisse des Dépôts est également un acteur majeur de la politique de la ville puisque vous lui consacrez plus de vingt milliards d'euros. Je souhaite que ces fonds-là puissent être mobilisés dans le cadre de l'ANRU dans le délai le plus court. Vous faites aussi en sorte d'intervenir en fonds propres pour les baux commerciaux dans les quartiers, pour la création de bureaux, pour redonner de la vitalité à des espaces qui doutent parfois de la cohésion nationale. En ce sens, la Caisse des dépôts et je veux saluer votre rôle, contribue à réduire les inégalités territoriales dans notre pays et aussi à réduire les inégalités entre les Français à travers les grandes opérations du logement social que vous avez engagées.
Là aussi, cette responsabilité remonte loin dans l'Histoire puisqu'en 1889 fut créée la Société française des Habitations à Bon Marché, l'ancêtre des HLM dont vous avez repris aujourd'hui la tradition et les activités. L'année dernière, en 2015, la Caisse aura atteint un record historique. C'est l'année où elle aura le plus prêté au logement social de toute son histoire. Je veux ici vous en exprimer ma gratitude. La Caisse n'est pas qu'un établissement financier qui recueille de l'épargne et qui la réinvestit. Elle a aussi une vocation sociale peu connue là aussi, puisque la Caisse a accompagné les grandes conquêtes sociales de notre pays.
La loi sur les accidents du travail en 1898 £ la loi sur les retraites ouvrières en 1910 £ choisir la Caisse des Dépôts, votre institution, comme organisme de gestion, et aujourd'hui la Caisse gère cinquante régions. Une retraite sur cinq en France est payée par la Caisse des Dépôts £ 25 milliards de prestations. Depuis 2013, je l'ai ainsi voulu, vous êtes chargés de la gestion du compte de formation professionnelle : 23 millions de Français sont concernés, deux millions ont déjà utilisé cette possibilité.
Mesdames et Messieurs, la Caisse des Dépôts n'est pas seulement l'héritière d'une longue histoire. Elle intervient grâce à vous dans le développement de notre pays. Elle le montre par l'ampleur de son bilan et la diversité de ses interventions. La Caisse des Dépôts ne doit cependant pas simplement être une grande institution. Elle ne doit pas être simplement un établissement financier majeur dans notre pays. La Caisse des Dépôts doit participer à une ambition nouvelle, celle du XXIème siècle. Elle doit d'abord s'ouvrir au monde. J'ai donc décidé l'intégration de l'Agence Française de Développement au sein du groupe Caisse des Dépôts et Consignations.
La Caisse prolongera ses missions traditionnelles - financement des infrastructures, comme l'accompagnement des entreprises - non plus simplement à l'échelle de la France mais à l'échelle du monde grâce à ce rapprochement. L'Agence Française de Développement, elle, triplera ses fonds propres, augmentera ses activités de près de 50 % d'ici 2020, pouvant atteindre plus de 12 milliards d'euros par an, au bénéfice des pays en développement et de la lutte contre le changement climatique.
Cet engagement, je l'avais pris avec le ministre des Affaires étrangères devant tous les délégués de la COP21 pour montrer ce qu'était la volonté de la France. Cet engagement, avec ce rapprochement entre la Caisse des Dépôts et l'Agence française de développement pourra donc être tenu. L'Agence bénéficiera de la puissance de la Caisse des Dépôts, investira 500 millions d'euros en fonds propres dans de grands projets d'infrastructures et l'Etat accompagnera par les dons ce processus.
Voilà une très belle idée qui trouve maintenant sa traduction. Vous allez former, la Caisse des Dépôts et l'Agence Française de Développement, l'un des plus grands réseaux à l'étranger, en métropole et en Outre-Mer. Je n'en connais pas d'autre avec cette qualité et avec cette dimension dans un autre pays que la France. Cette grande réforme sera engagée dès le premier trimestre de cette année avec la discussion d'une loi devant le Parlement. Avec la COP21 qui a été un grand succès diplomatique et, disons-le, après les terribles épreuves que nous avions subies au mois de novembre, un défi pour être capable de réunir 150 chefs d'Etat et de Gouvernement.
Nous n'avons cependant pas fait que simplement les réunir : nous avons conclu un accord. Un accord qui nous engage tous et qui engage encore davantage la France. Il nous faut en effet traduire plus vite que les autres nos engagements, car il faut être un exemple. Je veux que la Caisse des Dépôts puisse être l'opérateur de la transition écologique et énergétique pour notre pays. Telle est la mission que je vous confie. Pour porter cette nouvelle ambition, il faudra sans doute songer à un nouveau nom. Je vous laisse le soin d'engager cette réflexion. Je peux faire simplement une proposition, je verrai à la fin du prochain siècle ce qu'elle est devenue. La Caisse des Dépôts pourrait devenir la Caisse des Dépôts et du Développement Durable.
Au-delà d'un changement de nom, ce qui compte d'abord ce sont les moyens qui doivent être mis au service de cette ambition. L'idée est venue d'Henri EMMANUELLI lui-même et de la Commission de surveillance. Elle consiste à mobiliser trois milliards d'euros de capacité d'investissement supplémentaire de la Caisse des Dépôts d'ici 2017. Comment ? Par une gestion plus active des participations de la Caisse. Les plus-values qui seront ainsi dégagées pourront être affectées au financement de nouveaux investissements dans le cadre du développement durable.
L'Etat lui-même participera à cet effort en diminuant le prélèvement sur le résultat de la Caisse des Dépôts pour les prochaines années. Moins de prélèvement donc du côté de l'Etat et les bénéfices seront réinvestis pour les opérations de développement durable, de croissance verte, de transition écologique et énergétique. Ces trois milliards auront un effet de levier et mobiliseront donc des financements de la part de nos partenaires.
Comment ces ressources seront-elles utilisées ? Deux priorités majeures, le logement et la croissance verte. La moitié sera dégagée pour les organismes de logement social, sous la forme de prêts à taux zéro et sur une durée qui ne pourra pas être inférieure à 20 ans. Ce seront donc des quasis fonds propres qui permettront de lever près de 8 milliards d'euros de financements supplémentaires et contribueront à la construction de 50 000 logements sociaux de plus et à la rénovation de milliers d'autres notamment à travers les travaux d'isolation thermique.
L'Etat constituera de la même manière avec la Caisse une grande société foncière publique qui sera capitalisée à hauteur de 750 millions d'euros. Nous mobiliserons tous les terrains du secteur public, nous les mettrons à la disposition des bailleurs sociaux, des organismes de construction et cela générera 75 000 logements supplémentaires en 5 ans.
Le reste, l'autre milliard et demi sera investi sous forme de prêts à très long terme, à taux nul là encore, entièrement destinés à la rénovation des bâtiments publics. Ces prêts couvriront 100 % des besoins des emprunteurs, collectivités locales, hôpitaux, universités, pour financer leurs projets. La Caisse créera une nouvelle filiale, deviendra l'opérateur national de la rénovation thermique des bâtiments. Voilà là aussi une belle ambition.
Le fonds de financement de la transition énergétique qui a déjà été créé contribuera au lancement des grands travaux que j'ai annoncé aux Français le 31 décembre et la Caisse des Dépôts va mettre dès maintenant à la disposition des Territoires à Energie Positive - il y en a 400, lancés à l'initiative de la ministre de l'Ecologie - 250 millions d'euros qui seront ainsi avancés à 400 Territoires à Energie Positive. Nous aurons donc davantage de projets, de mobilité propre, d'équipements en borne de recharge électrique, de production d'énergie renouvelable et d'économie circulaire.
Enfin la dernière mission que je voudrais assigner à la Caisse des Dépôts, c'est de pouvoir être l'établissement gestionnaire des nouvelles solidarités du 21ème siècle. D'abord ce que j'appelle la sécurité sociale professionnelle, qui va bientôt voir le jour à travers le compte personnel d'activité. Le compte personnel d'activité, c'est celui que chaque salarié peut constituer à travers les droits qu'il a acquis sur son compte formation, sur la pénibilité, sur les comptes épargne temps. C'est finalement le patrimoine de ceux qui n'ont de capital que leur travail.
Ce capital-là sera géré par la Caisse des Dépôts au mieux de leurs intérêts. La Caisse créera ainsi un immense fonds au bénéfice des salariés de notre pays. Parallèlement la Caisse interviendra davantage pour l'économie sociale et solidaire : 100 millions d'euros seront investis dans ces entreprises et le Livret de développement durable sera désormais affecté du côté des banques, notamment pour le financement de l'économie sociale et solidaire.
Monsieur le Directeur général, Monsieur le vice-président de la Commission de surveillance, Mesdames, Messieurs. Vous avez rappelé qu'il y avait dans votre texte fondateur cette belle expression de foi publique. C'est une lourde responsabilité que d'avoir le culte de la foi publique au moment même où l'intérêt général et l'action publique sont contestés par les tenants d'une conception de l'économie de marché qui fait fi des exigences du long terme.
Pour le prochain siècle, puisque c'est votre mandat de préparer le prochain siècle, ne perdez rien de votre indépendance, elle n'est pas en cause, elle est même une garantie pour les Français, mais mesurez l'importance de votre rôle dans le système financier français et même mondial. Aucune institution autre que la Caisse des Dépôts n'a cette place et cette capacité d'action. Il est donc légitime que les pouvoirs publics demandent beaucoup à la Caisse des Dépôts, et il est essentiel que vous puissiez y répondre.
Ce que j'attends de vous, collaborateurs du groupe, pour les décennies à venir, c'est d'aider notre pays à prendre un temps d'avance et de l'accompagner à toutes les transitions qu'il a à accomplir, transition technologique, transition écologique, transition territoriale, transition sociale. Vous avez en tout cas, comme ceux qui vous ont précédés depuis 200 ans, aidé la France à bâtir des ponts, des canaux, des infrastructures, des systèmes de transports, des logements, des ensembles urbains. C'est une belle mission que vous avez accomplie.
Vous devez désormais aider la France à se couvrir de lignes Internet à très haut débit, de logements à énergie positive et de ville intelligente. Ce que le pays attend de vous, c'est d'être une force financière au service de l'avenir. C'est cette même foi dans le progrès que je veux ici une fois encore souligner, celle qui a permis à notre pays d'avancer, de relever tous les défis qu'il a pu rencontrer. La Caisse a toujours pris sa part dans l'effort qui était demandé, dans les périodes les plus essentielles, décisives même de notre histoire.
Nous avons pu investir pour les générations futures tout en donnant de l'activité pour les générations présentes, cela reste votre responsabilité.
Mesdames et Messieurs, je vous souhaite donc une bonne année, mais je vais élargir mon propos, je vous souhaite un bon siècle, un siècle où la croissance sera verte, où le développement sera durable, où l'investissement sera vertueux, un bon siècle. Oui, un siècle où la Caisse sera un modèle de performance pour bâtir de nouvelles solidarités, un siècle où votre constance sera mise au service du changement et où votre sagesse sera mise au service de l'audace. Alors pour ce 200ème anniversaire, que vive longtemps la Caisse des Dépôts pour la France et pour la République.