12 novembre 2015 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Hollande, Président de la République, sur l'Union européenne face à la crise des réfugiés, à La Valette le 12 novembre 2015.

LE PRESIDENT : Mesdames, Messieurs.
Après ce sommet consacré aux migrations entre l'Europe et l'Afrique, il y a eu un Conseil européen informel qui a porté aussi sur la question des réfugiés, face à la montée régulière du nombre de personnes qui sont aujourd'hui accueillies. Je pense notamment à des pays qui font face à un afflux, la Grèce d'abord, mais également des pays des Balkans même s'ils ne sont pas ici représentés et à l'évidence l'Allemagne, la Suède, l'Autriche.
A partir de là, j'ai insisté pour que les décisions qui avaient été prises lors du précédent Conseil européen se mettent effectivement en place et soient complètement mises en uvre. Je pense aux centres hotspots, aux relocalisations qui sont prévues et que la France a acceptées, vous connaissez les chiffres, et aussi aux réadmissions qui sont indispensables parce que s'il y a des personnes qui relèvent du droit d'asile il y en a d'autres qui n'en relèvent pas et qui devront donc être raccompagnées. Je pense aussi à certains pays qui sont désormais reconnus comme d'origine sûrs.
Il y a également tout ce qui avait été décidé et qui doit maintenant être pleinement mis en uvre : je pense au contrôle des frontières extérieures, aux opérations Frontex et il y a aussi les aides qui doivent être apportées aux différents pays qui eux à l'extérieur de l'Union européenne, proches de la Syrie et de l'Irak, font face à un accueil depuis déjà plusieurs mois, pour ne pas dire plusieurs années de centaines de milliers de réfugiés. C'est là qu'est revenue la question de la Turquie.
Il a été décidé qu'il y aurait donc un Conseil européen qui pourrait être organisé avec la Turquie comme invitée de manière à ce qu'un plan d'action puisse être décidé et que des engagements puissent être pris de part et d'autre, du côté européen et du côté turc. C'est-à-dire que des moyens puissent être dégagés pour que des réfugiés syriens puissent rester en Turquie et disposer des moyens essentiels de vie aussi bien pour la scolarisation des enfants que pour leur santé ou que pour leur travail. Je rappelle qu'en Turquie la plupart des réfugiés ne sont pas dans des camps et sont donc dans l'ensemble du pays parmi la population et c'est à ce titre que ces réfugiés doivent être soutenus et ça ne peut se faire que dans une coopération entre Turquie et Europe. Ce Conseil européen pourrait se tenir à la fin du mois du novembre ou au début du mois de décembre même si vous savez qu'il y a à ce moment-là une conférence qui accueillera de nombreux chefs d'Etats et de gouvernement et que la France doit absolument réussir.
Nous avons insisté je n'ai pas été le seul pour qu'il y ait également une coopération qui soit mise en place avec le Liban et avec la Jordanie, des mesures ont déjà été prises lors du précédent Conseil européen, des financements ont été dégagés mais je souhaite que le Liban, la Jordanie puissent être également pleinement associés à ce que nous faisons en Europe parce que ces pays sont directement concernés et là il s'agit de camps de réfugiés.
Et puis, il y a l'Afrique, et c'était le sens même de ce que nous avons décidé ce matin, avec ce supplément de moyens financiers, 1,8 milliard d'euros, qui serviront au cours des prochains mois, au cours des prochaines années mais le plus vite sera le mieux à des projets que je souhaite être essentiellement consacrés au développement mais plus particulièrement aux énergies renouvelables et à l'électrification, c'est une proposition que la France a portée et qui se retrouve dans la conclusion du sommet. Et j'y reviendrai d'ailleurs lors de la conférence sur le climat qui elle-même dégagera des financements supplémentaires pour les pays vulnérables, pour les pays qui sont les moins développés et donc pour l'Afrique.
Mais aujourd'hui c'était important que le Conseil européen puisse mettre en uvre pleinement ce qu'il avait décidé lors de sa dernière réunion et puisse maintenant mettre un plan d'action avec la Turquie au point pour que nous puissions avoir des résultats rapides, qui puissent respecter la dignité des personnes, donner aux réfugiés une perspective sans qu'il puisse y avoir des mouvements que nous avons connus ces dernières semaines.
Soyons clairs, si les mouvements se poursuivaient au même rythme, s'il y avait des réfugiés qui venaient en Europe en aussi grand nombre que ces dernières semaines ce serait insupportable pour certains pays et ça se traduirait forcément par des décisions comme certaines ont été rendues publiques, de rétablissement du contrôle des frontières. Donc c'est effectivement dans l'esprit de garder des frontières extérieures, de préserver les principes de Schengen que nous devons agir, ce qui suppose d'avoir conscience qu'il faut prendre et surtout appliquer des décisions. S'il n'y a pas des centres hotspots, s'il n'y a pas des réadmissions, s'il n'y a pas les relocalisations, ce n'est pas possible d'avoir une maîtrise dans la dignité des flux de populations et c'est dans l'intérêt même des réfugiés que nous devons agir. Et avec la Turquie il s'agit justement de se préoccuper du sort des réfugiés.
Quel est le montant financier qui pourrait être dégagé ? Il n'a pas été encore complètement établi mais que les choses soient bien claires, ces sommes seront affectées aux réfugiés, il ne s'agit pas d'une compensation à l'égard de la Turquie, il s'agit de financements qui doivent accompagner les intégrations des réfugiés au plus près de leur pays d'origine, c'est-à-dire la Syrie et l'Irak.
Dernier mot, avec la Turquie dans le cadre de ce plan d'action des règles devront être définies notamment pour les visas, la libéralisation des visas, la reconnaissance de la Turquie comme pays sûr, les chapitres pour la discussion sur l'Europe et la question de l'adhésion de la Turquie qui est posée depuis longtemps et qui d'ailleurs a été reconnue comme processus puisque plusieurs chapitres ont été ouverts et enfin pour que la Turquie puisse être également amenée sur la question chypriote à avancer aussi vers une solution, c'est l'intérêt du prochain Conseil européen en présence de la Turquie.
Voilà le sens de ce qui a été abordé aujourd'hui, finalement c'est le même sujet, c'est la question de ces migrations, de ces réfugiés et si nous ne voulons pas simplement agir dans l'urgence il faut avoir des solutions durables. Reste que la problématique est : Est-ce que nous sommes capables de résoudre les conflits, que ce soit les conflits en Afrique, la France a pris ses responsabilités, ou que ce soit la guerre en Syrie ? Et c'est là-dessus que nous devons continuer à agir.
Pascal VERDEAU : Oui, Monsieur le Président, on a le sentiment, sur ce Conseil européen avec la Turquie, qui est à ma connaissance, d'un format inédit, on a le sentiment d'une certaine improvisation et d'une certaine urgence. Vous ne confirmez pas, on a bien entendu la date du 22 novembre
LE PRESIDENT : Non, ce ne sera pas le 22 novembre.
Pascal VERDEAU : Ce ne sera pas le 22 novembre, c'est une information. Sur les chiffres et notamment la facilité vis-à-vis des migrants demandée par monsieur JUNCKER et la Commission européenne, de trois milliards, ce qui représenterait un effort pour la France à hauteur d'environ 385 millions 386 millions exactement, est-ce que vous avez discuté de ce chiffre ? Est-ce que la France endosse ce chiffre de manière officielle ? Et puis, si vous le permettez, toujours sur la Turquie, une toute dernière question : à l'heure où la Turquie est en train de maltraiter les libertés publiques et la liberté de la presse en Turquie, il y a des critiques d'un certain nombre d'Etats-membres qui se font jour vis-à-vis de la Commission européenne. La critique est la suivante : vous allez un petit peu trop vite dans les promesses. On a bien compris que du côté de Paris, vous jouez sur l'ensemble de la palette. Il y a Chypre, il y a beaucoup
LE PRESIDENT : L'improvisation, non ! Il y a déjà plusieurs semaines que nous aurions dû travailler avec la Turquie, mais vous connaissez la raison, de ce retard ! C'est parce que la Turquie était en élections ! Et qu'il fallait qu'il y ait un gouvernement ! Le gouvernement va bientôt être constitué, suite aux résultats du scrutin. On nous dit « rapidement », et c'est lorsqu'il y aura un gouvernement turc capable d'engager ce pays voisin de l'Union européenne que l'on pourra organiser ce Conseil. Pas avant. Donc il n'y a pas d'improvisation. Il y a une étape qui, à mon avis, a été trop longtemps différée à cause de cette circonstance et qui maintenant doit être franchie.
Pourquoi nous avons besoin de la Turquie, pourquoi la Turquie a besoin de l'Europe ? Nous avons besoin de la Turquie parce qu'elle accueille beaucoup de réfugiés et elle doit également contrôler sa frontière. Elle accueille beaucoup de réfugiés et c'est donc légitime qu'elle puisse être accompagnée par les institutions internationales, par l'Europe également, et que nous devons coopérer pour le contrôle de la frontière ! Nous, du côté grec, et la Turquie de son propre côté ! Et avec un système Frontex qui doit éviter qu'il y ait ces passeurs qui puissent utiliser la détresse et avoir les conséquences que l'on sait en termes de vies humaines.
Deuxièmement, est-ce que les financements ont été d'ores et déjà arrêtés ? Non. Il y a des ordres de grandeur, vous les avez cités, et la question, c'est de savoir qu'est-ce que le budget européen aujourd'hui peut fournir pour permettre justement que les réfugiés soient le mieux possible accompagnés du côté turc, et qu'est-ce qu'il doit être nécessaire d'apporter du côté des contributions des Etats. Et j'ai demandé qu'il y ait un groupe technique qui puisse travailler sur cette question. Et de le faire, dans la mesure du possible, dans le cadre du budget européen.
J'en arrive il y avait une troisième dimension de la question des critiques qui se lèvent par rapport à certains choix, ou à certaines décisions des autorités turques. Vous savez que nous, nous regardons l'ensemble du sujet et chaque fois qu'il y a des manquements, nous les évoquons £ mais là, il s'agit d'abord des réfugiés.
Camille LANGLADE, I Télé : Bonsoir, Monsieur le Président. Un débat agite votre majorité en France. Le Premier ministre évoque ouvertement la possibilité d'une fusion des listes après le premier tour des Régionales entre le PS et les Républicains pour faire barrage au Front national. Etes-vous d'accord sur le principe ?
LE PRESIDENT : Je ne vous répondrai pas, et je considère que je suis à Malte, la question des Régionales ne s'est pas vraiment posée, je vous le confirme, au cours de ces débats, et qu'ensuite, ce sont les partis qui doivent s'organiser par rapport à ces enjeux.
Adrien GINDRE, BFM TV : Quelques petites précisions si vous le voulez bien. Vous avez souligné l'urgence aujourd'hui de la situation. De votre point de vue, à quel horizon, en termes de temps, la crise que nous connaissons aujourd'hui, crise migratoire, peut-elle être réglée ? Quel est l'objectif final, par ailleurs de votre point de vue ? Est-ce qu'il s'agit d'arrêter totalement l'arrivée de migrants en Europe, ou simplement de réduire ce flux ? Et puis enfin votre gouvernement a évoqué les renforcements des contrôles à l'occasion de la COP21 en France. Serait-il envisageable, de votre point de vue, que l'on rende cela pérenne et qu'un contrôle permanent soit instauré ?
LE PRESIDENT : Quand est-ce que la crise va finir ? Je dirais : quand la guerre en Syrie aura trouvé sa solution ! Parce que tant que cette guerre n'est pas terminée, il y aura toujours des réfugiés ! Ils sont là, les réfugiés, dans les camps en Jordanie ou au Liban, ils sont en Turquie, et nous avons des bombardements, nous avons des actions militaires qui sont encore en Syrie qui peuvent produire des mouvements de population.
Qu'est-ce que nous devons faire ? Nous devons faire en sorte d'abord que les réfugiés puissent être accueillis au plus près de leur pays d'origine. Ensuite, lorsque certains viennent sur nos côtes, dans des conditions qui sont souvent périlleuses et dont on peut penser que l'hiver fera qu'il y ait moins de transports et moins de risques, nous devons faire en sorte que ceux qui relèvent du droit d'asile puissent être accueillis et ceux qui n'en relèvent pas puissent être raccompagnés.
Ensuite, est-ce que nous pouvons penser qu'il y aura un mécanisme permanent nous n'avons pas encore aujourd'hui à l'établir de répartition ? Mais ce qui, pour la France, est essentiel, c'est qu'on crée ces centres hotspots. Ils sont en train d'être installés. Il faut qu'ils aient la taille et qu'ils aient les moyens humains nécessaires pour traiter ces situations. La France a mis à disposition des différents centres des moyens supplémentaires, notamment dans le cadre de Frontex, mais aussi dans les opérations, notamment pour l'asile. Nous continuerons à le faire.
Enfin, sur le contrôle qui a été établi, suite à cette préparation de la Conférence sur le climat, c'est uniquement par rapport à cet enjeu-là. Il ne s'agit pas d'utiliser cette circonstance pour ne pas tenir nos obligations dans le cadre de Schengen. Nous voulons éviter que puissent venir à Paris des éléments, qu'on va appeler incontrôlés, qui pourraient créer du désordre et altérer les enjeux même de la Conférence de Paris sur le climat.
Nous faisons en sorte aussi à Calais je veux insister là-dessus d'abord de convaincre les personnes qui s'y sont entassées, de pouvoir demander l'asile en France, pour pouvoir être accueillis en France, lorsqu'ils relèvent bien sûr du droit d'asile, notamment les Syriens ou les Irakiens. Il peut arriver aussi que ce soit des Erythréens ou des Soudanais.
Nous faisons également tout pour que ces personnes qui veulent partir au Royaume-Uni et qui sont dans l'espoir de trouver une solution, puissent être accueillies dans des conditions dignes. D'où les installations que nous créons.
Néanmoins, nous faisons diminuer autant qu'il est possible le nombre de réfugiés ou de migrants sur le site de Calais.
La France n'a pas connu, elle, une montée importante de demandeurs d'asile. Chacun doit avoir à l'esprit le sens de la responsabilité. Pourquoi aller prétendre que la France serait envahie, que la France serait submergée, quand ce n'est pas vrai ? Pourquoi prendre le prétexte de Calais, où un problème existe depuis des mois, pour ne pas dire des années, pour créer le doute, l'inquiétude, l'angoisse par rapport à une situation ? Quel est l'intérêt de ceux qui font ça ? Alors même que ce sont les règles internationales, que d'ailleurs les mêmes ont pu établir et dont ils nous feraient reproche aujourd'hui, qui nous obligent à faire en sorte qu'à Calais, nous puissions retenir une partie de cette population, qui veut aller de l'autre côté, c'est-à-dire en Angleterre.
A quoi sert, là aussi, de laisser penser que nous pourrions répartir une population à travers le territoire, au détriment de l'intérêt de ces personnes et contre leur gré ? Alors que nous savons bien que ces personnes, dès lors qu'elles demandent le droit d'asile, peuvent être accueillies et, bien sûr, n'ont à ce moment-là plus rien à faire à Calais et relèvent du droit d'asile et d'ailleurs s'imputent, si je puis dire, dans les obligations qui étaient les nôtres dans le cadre de la relocalisation.
Voilà pourquoi je pense que c'est très important qu'on donne la réalité des chiffres. Je sors d'un Conseil européen où madame MERKEL parle de centaines de milliers de personnes qui ont été accueillies dans son propre pays depuis le début de l'année. La Suède qui en a accueilli plus de 150 000, rapporté à la population suédoise, c'est un ratio pardon d'utiliser ces mots qui serait insupportable pour beaucoup de pays. La Suède a tenu bon et c'est uniquement parce qu'elle y a été obligée ces dernières heures, qu'elle a établi le contrôle des frontières. L'Autriche fait également un gros effort.
On verrait en France un certain nombre de personnes qui s'expriment aujourd'hui, laisser croire que nous serions dans une situation incontrôlée ? Alors que tout a été mis en uvre et pas simplement par rapport à la Conférence de Paris, pour que nous puissions accueillir ceux qui doivent l'être. Nous voyons que ce sont des chiffres limités pardon, là encore, d'utiliser des mots de l'ordre de la statistique et que nous faisons en sorte de raccompagner celles et ceux qui ne peuvent pas rester sur notre territoire.
C'est en ayant cette maitrise des mots qu'on peut avoir aussi la maitrise des choses. Lorsqu'on ne maitrise plus rien, ni les mots, ni les choses, alors, on voit bien qui peut en tirer, hélas, le bénéfice.
Moi, je suis garant de l'essentiel dans notre pays, des valeurs, des principes. Mais en même temps garant aussi de l'information que nous devons donner aux Français. C'est ce qui me parait le plus important aujourd'hui, quelles que soient les circonstances électorales qui peuvent conduire certaines personnalités à perdre le sens des mots. Merci.