24 novembre 2014 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Hollande, Président de la République, dans "Le Républicain lorrain" du 24 novembre 2014, sur l'avenir du site sidérurgique de Florange et les efforts en faveur de l'emploi en Lorraine.

- Il y a un an vous êtes venu porter à Uckange la création de la plateforme publique de recherche sur la sidérurgie Metafensch. Où en est-elle ? En quoi peut-elle être un outil de redynamisation de l'économie ? Une enveloppe de 50 M doit la financer. Qui va payer ?
C'est la troisième fois que je viens, en trois ans, dans cette vallée. La première c'était comme candidat. Chacun se souvient des images et des paroles. Je m'étais prononcé en faveur d'une diversification industrielle et de la préservation du site de Florange. La fermeture du haut fourneau programmé sous le précédent quinquennat a provoqué un vrai traumatisme. J'y suis donc revenu comme Président l'année dernière pour m'expliquer sur les décisions prises pour Florange et annoncer la création de la plateforme Metafensch. Les engagements du gouvernement et les promesses faites par Mittal sous notre pression, ont été respectés. C'est ce que je suis venu constater aujourd'hui. Et c'est le sens de ma visite. La parole politique est souvent contestée parce qu'il y a tant de promesses qui n'ont pas été tenues. C'est cette défiance que je viens combattre. C'est pourquoi je veux être très précis sur les engagements pris et tenus : tous les salariés concernés par le plan de fermeture du haut fourneau, c'est-à-dire plus de 629 personnes, ont été reclassés ainsi que ceux de Gepor. Mon seul regret, c'est que ça n'ait pas été le cas pour l'ensemble des sous-traitants.
Florange, avec ses 2 200 salariés, a été conforté. 30 emplois en CDI ont pu être créés cette année. Autant le seront en 2015 avec d'autres CDI et un doublement du nombre des apprentis. Florange est désormais considéré comme le site le plus remarquable et le plus performant en matière d'acier automobile USIBOR. En raison notamment du plan d'investissements qui confirme l'implantation durable de Mittal à Florange. Plus de 240 millions d' sont prévus d'ici 2017.
Je crois en cette vallée et en son avenir industriel. L'Etat en fait la démonstration avec l'installation d'un institut de la métallurgie [Metafensch], à Uckange. Il s'agit de mettre des chercheurs des différents instituts et d'organismes publics au travail pour la sidérurgie, la métallurgie, les métaux de l'avenir. Plusieurs projets sont d'ores et déjà lancés. Avec des grands groupes industriels, Safran, Eramet, Asco Industrie, Derichebourg. L'Etat a dégagé 20 M pour Metafensch et il ira jusqu'à 50 M. Il appellera des compléments de participation de la part de l'Europe et d'autres collectivités publiques.
- L'an dernier vous aviez pris l'engagement de revenir chaque année à Florange. Cette fois vous allez tirer le bilan du reclassement des salariés. Mais quid de la suite ? Qu'aurez-vous encore à proposer dans un an ?
L'an prochain Metafensch sera totalement achevé, et les premiers projets auront essaimé. Je reviendrai pour vérifier la réalité des recrutements sur Florange et l'avancée des investissements. Je me sens responsable vis-à-vis des salariés qui m'avaient accueilli en février 2012. Je leur avais dit la sidérurgie avait un avenir. Ils m'ont fait confiance. Puis, avec la fermeture des hauts fourneaux ils ont douté. Des décisions fortes ont alors été annoncées par l'Etat. Je veux respecter ma parole. C'est ma conception de la politique. C'est ma relation avec cette vallée. Je reviendrai chaque année pour lutter contre le défaitisme, le scepticisme qui nourrit l'extrémisme. Et pour montrer que la réussite est possible, quand l'Etat et les entreprises s'engagent pour l'avenir.
- Vous aviez alors dans votre gouvernement deux ministres, Arnaud Montebourg et Aurélie Filippetti, qui soutenaient la nationalisation de Florange. Ils n'y sont plus. Est-ce une façon de tourner la page ? Ne regrettez-vous pas de ne pas avoir nationalisé le site ?
Ça n'était pas la solution. Mittal se serait dégagé des sites de Dunkerque et Fos-Sur-Mer. Et il eut fallu démontrer la viabilité de Florange, hors du groupe. Enfin, si j'ai pris cette décision c'est parce que nous avons obtenu de Mittal ce que nous aurions dû faire nous-même en étant propriétaire. Lorsque l'Etat peut éviter de payer une usine et que son propriétaire-actionnaire investit au niveau exigé, c'est mieux pour le contribuable et aussi bien pour les salariés. En revanche, si Mittal ne respectait pas ses engagements (...) l'Etat réagirait. Mais tel n'est pas le cas aujourd'hui. Il va même au-delà.
- Ne craignez-vous pas que Florange devienne votre Gandrange ?
Justement, Florange doit être un anti Gandrange. Gandrange, c'est un abandon. Ce sont des promesses qui n'ont pas été respectées. On peut vérifier. Et d'ailleurs mon prédécesseur n'y est jamais retourné. En revanche à Florange, si les hauts fourneaux qui étaient déjà fermés n'ont pas été réouverts, il n'y a eu aucun licenciement, des investissements massifs sont lancés et le site créé de nouveau des emplois. Et la filière sidérurgique est confortée avec Métafensch en lien avec les plus grandes entreprises de la metallurgie.
- Jacques Chérèque disait « les Lorrains ont un Haut Fourneau dans la tête ». On en est sorti ? Quel rôle doit jouer l'Etat pour accompagner les reconversions et la réindustrialisation ?
Les Lorrains gardent l'industrie dans la tête. Installer un grand laboratoire public, conforter les industries de haut niveau, former les jeunes aux métiers de demain, faire le pari de la diversification fondée sur l'excellence technologique, telles sont les responsabilités de l'Etat pour la Lorraine.
- Vous évoquez la future grande région, qui a suscité de vives protestations en Alsace. Va-t-on vers un mariage forcé entre l'Alsace, la Lorraine et Champagne-Ardenne, ou finalement un mariage de raison ?
Je veux que notre pays se dote de grandes régions capables d'investir et de porter de grands projets tout en assurant la solidarité entre les territoires. Tous les gouvernements qui avaient tenté cette réforme ont échoué, faute d'avoir eu la persévérance nécessaire. Car les identités sont fortes. Je pense à l'Alsace. Elles ne doivent pas disparaître, mais s'unir pour créer une dynamique nouvelle. L'enjeu c'est la France de demain dans une Europe où les territoires sont aussi en compétition.
- Les restructurations militaires ont coûté à Metz 5000 emplois. Aujourd'hui, on est loin de la montée en puissance de ce plan dans une région qui a perdu 30 000 emplois entre 2007 et 2014. Que proposez-vous ?
J'avais annoncé l'année dernière avec le président Masseret un plan pour la Lorraine. C'est le Pacte. Il est prêt. Il va être doté financièrement dans le cadre des discussions sur les contrats de plan Etat-Région. Il va notamment prendre en compte les compensations liées aux fermetures de sites militaires.
- On avait cru comprendre que le Pacte de 300 M n'était pas lié au CPER qui, lui, va être divisé par deux financièrement
Le CPER va bientôt être signé, il se conjugue avec le pacte Lorraine. Il y aura forcément des projets communs aux deux.
- Vous inaugurez cet après-midi l'usine Safran-Albany, avec 400 emplois à la clé, qui s'implante en Meuse. Enfin une bonne nouvelle ?
C'est encore une illustration du respect de la parole de l'Etat. A Commercy, un site militaire a été fermé en 2011. Une annonce avait été faite par Gérard Longuet alors Ministre de la défense d'une compensation avec la création d'un site industriel. Je veux aujourd'hui saluer l'effort de tous. C'est une entreprise de très haute performance qui s'installe fondée sur une alliance Safran et Albany. 400 emplois sont prévus, cent sont déjà créés. Commercy sera doté d'une usine exemplaire. Une usine du futur, avec l'assurance, compte tenu des investissements consentis, que les emplois créés y seront pérennes.
- PSA ne se porte pas bien, sauf en Chine. 2450 départs sont envisagés en 2015. Un comité central d'entreprise doit évoquer cette perspective aujourd'hui à Paris. Que peut faire l'Etat ?
Peugeot est le constructeur automobile qui a le plus d'emplois en France. Je veux soutenir ce choix, même si Peugeot doit se développer à l'international et notamment en Chine. C'est d'ailleurs le sens de la participation de l'Etat au capital à la même hauteur que l'actionnaire chinois, avec plus d'un milliard d'Euros. L'Etat, par sa présence, assure ainsi une vigilance particulière sur le niveau d'emploi et d'investissement sur notre territoire.
- À Metz 157 salariés d'Ecomouv sont dans le désarroi et crient à la trahison de l'Etat sur le dossier Ecotaxe. Quelles réponses allez-vous leur apporter ?
Ecomouv, c'est un contrat qui a été signé en 2011 et qui n'a jamais pu s'appliquer tant il avait été mal conçu. Nous sommes dans une phase de négociation avec les actionnaires pour y mettre un terme dans de bonnes conditions. Parmi celles-ci, figure le reclassement des salariés. Ils doivent pouvoir être gardés le temps suffisant pour que des solutions leur soient proposées. Notre démarche consiste à assurer une transition d'un an avec garantie de salaire.
- La Lorraine ou l'Alsace sont candidates à l'expérimentation de l'éco-taxe. Allez-vous répondre favorablement à leur souhait ?
Je sais ce que supportent ces deux régions avec le trafic de poids lourds en provenance de l'étranger. Il y aura donc une discussion. Elle sera d'autant plus facile qu'elle se déroulera dans le cadre de la grande région telle qu'elle a été dessinée par le Parlement. Une expérimentation peut être envisagée si les élus en décident et si elle compatible avec nos engagements européens.
- En nommant Jean-Marc Todeschini au secrétariat aux Anciens combattants, vous resserrez votre gouvernement sur le noyau dur de vos fidèles.
La réalité c'est qu'avant d'être un fidèle, Jean-Marc Todeschini est un spécialiste du monde combattant. Il a été le plus proche collaborateur de Jean-Pierre Massseret lorsque l'actuel président de la Région Lorraine était Secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Je sais qu'il aura toutes les compétences pour réussir les commémorations qui vont aller jusqu'en 2018. En nommant Jean-Marc Todeschini j'ai aussi été attentif à ce que cette région, jusque-là représentée par Christian Eckert puisse avoir une forte visibilité dans l'actuel gouvernement.
- Vous avez rencontré récemment Edouard Martin, aujourd'hui député européen socialiste, qui avait eu des mots très durs à votre égard à propos de Florange. Quel ont été la teneur et la tonalité de l'entretien ?
J'ai toujours gardé, même pendant la période où la tension était forte, des relations personnelles avec Edouard Martin. J'ai eu à le connaître comme syndicaliste à Florange. Edouard Martin a voulu porter son engagement à un niveau politique et européen. Il a été critiqué pour cela. A tort. Je reviens d'Australie. Le chef de l'opposition est l'ancien responsable d'un grand syndicat de salariés. En Suède, l'actuel Premier ministre est un ancien militant syndical. Dans beaucoup de pays, des ouvriers, des agriculteurs, des entrepreneurs sont présents dans les assemblées politiques. Pas assez en France. Or, il n'y a de véritables démocraties que si tous les citoyens se sentent représentés par des élus qui leur ressemblent.
- Edouard Martin n'avait pas été tendre avec vous
C'est sa liberté. Je n'attends pas de complaisance. Ce lundi, Je sais que ce qu'il dira, il le pensera.
- Le fait que Catherine Trautmann n'ait pas été élue, est-ce que cela n'a pas été une perte pour le parti socialiste ?
Catherine Trautmann a été une députée européenne reconnue unanimement pour son travail et pour son rôle en faveur de Strasbourg, capitale européenne. J'aurais donc préféré qu'elle fût élue. Ce n'est pas Edouard Martin qui lui a pris sa place. Ce sont les électeurs qui n'ont pas permis au parti socialiste d'avoir deux parlementaires européens dans le Grand Est. Catherine Trautmann aura à agir dans un autre cadre.
- Avec l'harmonisation fiscale européenne que vous appelez de vos vux, comment imaginez-vous l'avenir des relations avec le Luxembourg ?
70 000 de nos compatriotes occupent au Luxembourg des emplois de grande qualité. Ils sont devenus indispensables à l'économie du Grand Duché. La lutte contre l'évasion fiscale, avec notamment la levée du secret bancaire au niveau européen, n'empêchera nullement le Luxembourg de rester une zone dynamique dans le domaine financier. L'harmonisation fiscale ne nuit pas à la compétitivité. Bien au contraire.
- Il a fallu 20 ans pour démolir un poste frontière entre la France et le Luxembourg. Le projet d'intérêt national d'Esch-Belval, se développe surtout du côté luxembourgeois, patine du côté français. A quand un vrai choc de simplification ?
En ce qui concerne la coopération transfrontalière ou interrégionale, la France est en retard. Le Luxembourg est prêt à aller beaucoup plus loin. Je me rendrai au Grand-Duché l'année prochaine pour que nous puissions, avec la région Lorraine et les collectivités concernées, faciliter les relations et améliorer les infrastructures entre nos deux pays. Ce que l'Alsace est capable de faire avec l'Allemagne, la Lorraine doit être capable de le faire aussi avec le Luxembourg.
- Quand vous évoquez les infrastructures, est-ce que cela peut concerner l'autoroute A 31, officiellement saturée depuis près de 15 ans
Oui. Chaque fois que je vois le Premier ministre du Luxembourg, il m'en parle. Et Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission Européenne, aussi. Nous pouvons donc joindre nos forces
- Quel engagement êtes-vous prêt à prendre au nom de l'Etat ?
Les clés de financement seront définies dans le cadre d'une coopération transfrontalière.