22 janvier 2013 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur les relations franco-allemandes et la construction européenne, à Berlin le 22 janvier 2013.

Monsieur le président de la République,
Madame la Chancelière,
Monsieur le président du Bundestag,
Monsieur le président de lAssemblée nationale,
Monsieur le président du Sénat,
Mesdames, Messieurs les parlementaires de nos deux pays,
Je mesure le moment exceptionnel que nous vivons : la réunion de nos deux Parlements avec les responsables des gouvernements, les deux présidents de la République et le privilège qui mest donné de mexprimer ici, au nom de la France, au Bundestag. Je veux une nouvelle fois saluer Madame la Chancelière pour laccueil quelle nous a réservé pendant ces deux jours, pour célébrer un Traité signé il y a 50 ans par deux hommes dEtat, Konrad ADENAUER et le Général de GAULLE qui avaient eu laudace, le courage, la passion de penser quil était possible non seulement de réconcilier nos deux peuples mais dunir les destins de la France et de lAllemagne dans un Traité qui pouvait, en lui-même, offrir les conditions de lamitié. Ce pari a été réussi au-delà même des intentions de ceux qui lavaient signé.
Tout au long de ces 50 ans, ceux qui leur ont succédé les chefs de Gouvernement, les présidents de la République ont veillé à cultiver, à entretenir lamitié entre nos deux pays et dy ajouter à chaque étape de nouveaux projets, pas simplement conçus pour la France et lAllemagne, mais pour lEurope elle-même. Cest-à-dire faire que ce qui nous avait permis de nous retrouver puisse être loccasion de réunir aussi lEurope.
Cette amitié a été motrice durant ces 50 dernières années. Cela ne veut pas dire quelle nait pas connu des vicissitudes ou des orages ! Il faut cesser de voir lamitié franco-allemande comme un long parcours tranquille !
Dès le Traité de lElysée signé, le Général DE GAULLE dont chacun connaissait la hauteur de vue, mais aussi le caractère avait considéré que le Bundestag avait pour une part dénaturé le Traité en y ajoutant un préambule qui rappelait la force de la relation transatlantique. Cest vous dire si lamitié franco-allemande mérite à chaque étape dêtre entretenue et comprise !
Je dis souvent que cette amitié doit être offerte à tous les pays européens. Certains sinquiètent quand notre relation nest pas au niveau que nous souhaitons tous. Mais ils se préoccupent aussi lorsque nous sommes trop unis, de crainte que cela vienne peser sur leurs propres choix. Or, en réalité, cette amitié entre la France et lAllemagne a toujours été au service de la construction européenne et des valeurs que nous partageons, mais que nous avons pu étendre et élargir à mesure que lEurope elle-même a pu accueillir de nouveaux pays.
Cest notre amitié qui a prévalu quand la sécurité de lEurope a pu être menacée, comme en 1983 lorsque la France proclama ici au Bundestag, par la voix de François MITTERRAND, sa solidarité sans faille avec lAllemagne fédérale.
Cest cette amitié qui a déterminé lappui sans réserve de la France pour la réunification de lAllemagne.
Cest cette amitié aussi qui a permis de faire des choix audacieux dans le domaine économique et industriel, des réalisations exceptionnelles comme Airbus, comme Ariane que nous devons encore amplifier.
Cest lamitié entre la France et lAllemagne qui a permis, étape par étape, la création de leuro.
Cest encore lamitié entre la France et lAllemagne qui a permis ces derniers mois de préserver lintégrité de la zone euro.
Cette amitié nous est donc précieuse £ elle nous est indispensable £ elle est indissociable de la construction européenne.
Mais aujourdhui, Madame la Chancelière, nous avons à ouvrir de nouvelles perspectives, à la hauteur de lhéritage que nous avons reçu. Nous devons le faire et cétait lesprit originel du Traité de lElysée pour la jeunesse, car elle est la grande affaire dans notre relation.
Parce que la jeunesse est à la fois notre avenir mais aussi lenjeu des politiques que nous engageons. Parce que la jeunesse de nos deux pays a la chance inestimable de navoir jamais rien connu dautre que la paix et la démocratie. Et parce que la jeunesse daujourdhui affronte une crise économique, sociale dune durée inédite et qui assombrit donc lespoir quelle peut nourrir par rapport à son propre avenir.
Cest la raison pour laquelle, dans la déclaration que nous avons adoptée, nous avons donné une large place à la jeunesse, à travers lélargissement des moyens qui sont donnés à lOFAJ qui célèbrera son cinquantième anniversaire au mois de juillet et qui a permis depuis sa création je le rappelle à huit millions de jeunes français et de jeunes allemands de pouvoir bénéficier de son soutien. Nous avons décidé de multiplier les filières linguistiques, daller encore plus vite sur la reconnaissance des diplômes, de rapprocher nos systèmes de formation professionnelle, pour que tous les jeunes se voient offrir la possibilité de suivre une partie de leur parcours ici en Allemagne, ou de jeunes allemands en France.
Nous ferons en sorte la France et lAllemagne dans la discussion qui va se prolonger sur le futur budget européen, que le programme Erasmus non seulement soit consolidé, mais élargi à des jeunes qui, aujourdhui, ny ont pas accès et notamment des milieux populaires, ou issus des filières de lapprentissage.
Nous aurons aussi à cur de défendre un projet commun entre la France et lAllemagne, celui qui serait une garantie pour les jeunes pour chaque jeune de pouvoir accéder à un stage, à une formation, à un apprentissage et si possible à un emploi. Pour chercher les financements correspondants nous pourrons utiliser une partie des recettes obtenues grâce à lintroduction de la taxe sur les transactions financières que la France et lAllemagne ont porté ensemble et qui aujourdhui a été reconnue comme effective par le Conseil économique et financier (ECOFIN).
Cest pour la jeunesse toujours pour la jeunesse ! que nous devons poursuivre cette aventure exceptionnelle quest lEurope, cette innovation institutionnelle quaucun continent au monde na pu créer.
Oui, nous avons ce devoir, de faire que cela reste une utopie pour les générations qui vont nous succéder : cette idée européenne - pas simplement de faire la paix entre nous - mais de réussir à créer un espace de droit, de liberté, de prospérité et de solidarité.
La France et lAllemagne ont une responsabilité particulière, par leur place, leur histoire, leur géographie, leur puissance économique mais surtout par lattente qui est placée en nos deux pays. De la qualité de notre relation, de la confiance qui nous unit, de la capacité à fixer un cap pour notre continent, dépend lavenir de lEurope.
Cette amitié, je lai dit, nest pas exclusive. Elle est ouverte et nécarte personne. Elle doit entraîner lEurope qui veut avancer avec nous. « Avec nous » ne veut pas dire « derrière nous » £ mais cest nous qui devons montrer la voie.
Notre amitié nest pas non plus une confusion, un alignement, un renoncement, bien au contraire : cest en restant eux-mêmes que nos pays peuvent aller plus sûrement vers ce qui les rapproche. Pour nous rassembler, il nest pas demandé de nous ressembler. Il est demandé de nous réunir pour une volonté commune, pour promouvoir un modèle économique et social original, pour protéger lenvironnement, pour partager une même vision du monde, car lEurope est une puissance. Cest une puissance ! Mais une puissance différente des autres, une puissance qui veut contribuer à la paix et veut servir des valeurs universelles.
Cest ce quentreprend aujourdhui la France au Mali, face à une agression terroriste qui met en péril lavenir de ce pays - lun des plus pauvres du monde -, qui met aussi en cause la stabilité de lAfrique de lOuest et donc la sécurité même de notre continent.
Je remercie lAllemagne pour son soutien et son appui.
Son soutien politique qui a été à la hauteur de notre relation, et qui est dailleurs celui de toute lEurope à notre initiative, mais aussi pour son appui logistique, matériel, financier, humanitaire. Il y aura dans quelques jours une conférence des donateurs £ lAllemagne comme lEurope y joueront tout leur rôle.
Cette intervention était nécessaire. Plus tard aurait été trop tard. Elle sinscrit dans la légalité internationale et vise à permettre ladoption, mais surtout la traduction de la volonté qui a été celle du Conseil de sécurité dassurer le retour de lintégrité du Mali, grâce à une force africaine qui, elle, stabilisera pour longtemps le Mali et donc cette région du monde.
La France a pu prendre cette responsabilité parce quelle était présente en Afrique. Elle nest pas là pour chercher un intérêt, une influence. Elle est là pour porter secours et donc nous faisons en sorte que cette intervention soit utile. Utile au Mali - elle le sera -, utile à lAfrique pour quelle prenne conscience de ses propres responsabilités, utile à lEurope pour quelle aille plus loin vers ce qui peut la rapprocher en matière de défense. Je souhaite que la France et lAllemagne reprennent les objectifs qui étaient prévus dans le Traité de lElysée, il y 50 ans, pour une politique étrangère commune, pour rapprocher nos doctrines, pour mettre en uvre des projets communs et notamment en matière dindustrie de défense.
Notre rencontre daujourdhui est loccasion daffirmer, au-delà de notre amitié, une ambition.
Nous devons dabord travailler pour faire sortir lEurope de la crise. De la crise de la zone euro, je pense que nous y sommes déjà, même sil faut y travailler encore et être vigilant et attentif. Mais nous avons introduit les mécanismes qui permettent la stabilité. Nous avons dégagé un pacte de croissance, nous avons fait en sorte aussi de venir en soutien à des pays qui nous le demandaient et qui avaient fait un effort pour solliciter notre concours. Il nous reste aussi à adopter un budget pour lEurope. Je parle devant des parlementaires qui y sont attentifs et le président du Parlement européen qui aura aussi à faire en sorte que ce budget puisse être approuvé.
Quelles sont nos intentions ?
Maîtriser la dépense - comme partout et nous le faisons, sûrement -, mais dégager des moyens pour préparer lavenir. Etre attentifs à nos politiques communes : je ne parle pas seulement de la politique agricole commune qui est souvent identifiée à la France - à tort car elle est au service de toute lEurope - mais je pense aussi aux pays dits de la cohésion qui ont besoin dun budget européen.
Nous avons aussi à donner à lEurope les moyens de ne plus connaître les crises quelle a traversées et notamment sur le plan de ses banques £ doù le projet dUnion bancaire que nous avons adopté et qui va se traduire dans les prochains mois par des décisions concrètes et des institutions qui vont assurer cette supervision des banques. Là encore, nous devons aller plus loin, faire quil y ait des disciplines des disciplines budgétaires mais des disciplines aussi sur les comportements bancaires.
Nous devons une fois encore, France et Allemagne - à travers lapprofondissement de lUnion économique et monétaire et le projet sur lequel nous sommes daccord -, faire en sorte que cette Union économique et monétaire débouche aussi sur lUnion politique. Je suis prêt à recevoir toutes les propositions et la France sera à lécoute de toutes les Nations qui voudront aller plus loin dans lengagement européen, à la condition que nous portions ensemble des projets davenir.
Ces projets ne peuvent plus être ceux qui avaient été définis au début des années 60 £ pas davantage ceux des années 70 ou 80 £ pas même la seule monnaie unique. Nous devons rénover le modèle européen et donc la perspective européenne.
Léconomie sociale de marché qui a fondé cette union conserve toute sa pertinence, là où dautres modèles ont échoué. Mais ce modèle-là doit aussi évoluer face aux pays émergents, à lexigence environnementale, au réchauffement climatique, à nos évolutions démographiques, au vieillissement de la population, à la nécessité dintégrer des personnes dorigine étrangère qui sont aujourdhui citoyennes de nos deux pays. Nous devons lutter encore davantage contre les inégalités de toute sorte. Notre modèle doit donc de nouveau connaître des mutations, des évolutions et nous en avons la responsabilité.
Sur quoi pouvons-nous nous retrouver pour les prochaines années ?
Je ne dis pas les 50 prochaines, je ne sais pas où nous serons dans 50 ans - enfin si, jai quelques idées ! Nous avons justement à faire en sorte que sur lEurope de lénergie, nous puissions avancer ensemble. Nous navons pas la même politique énergétique, mais en même temps nous avons la même exigence par rapport au réchauffement climatique. Donc nous sommes prêts la France est prête avec lAllemagne et tous les pays qui le voudront à définir cette Europe de lénergie : innovation, recherche, indépendance de nos approvisionnements, préservation de la planète, voilà un premier sujet sur lequel nous pouvons coopérer davantage.
Le deuxième sujet est lEurope des transports, à la fois sur le plan du ciel européen, de lespace ferroviaire, des véhicules propres. Tout cela nous pouvons le faire ensemble. Autre domaine : lEurope du numérique, pour prendre de lavance, équiper nos territoires, assurer de nouvelles régulations, éviter que les biens culturels soient des marchandises comme les autres, empêcher que les droits dauteurs ne soient pas reconnus. Europe enfin des générations futures : éducation, recherche, enseignement supérieur, formation professionnelle.
Voilà les domaines que je propose pour les prochaines décennies de lamitié franco-allemande et de lUnion européenne.
Mesdames et Messieurs,
Lamitié que nous célébrons aujourdhui est un hommage à lHistoire, aux hommes et aux femmes qui lont réalisée, au peuples qui y ont adhérée, à toutes ces initiatives citoyennes qui ont permis que notre amitié soit renforcée année après année, génération après génération.
Mais notre amitié doit aujourdhui être un appel : un appel à nos deux pays pour quils se rapprochent encore davantage. Un appel aux citoyens, pour quils prennent en main leur destin. Un appel aussi à la jeunesse, pour quelle ait confiance en son avenir.
LUnion de la France et de lAllemagne, disait Victor HUGO, ce serait la paix du monde. Victor HUGO pouvait être prophétique. Nous avons fait la paix en Europe, mais pas encore la paix dans le monde.
Nous devons donc saluer ce qua été cette histoire et le prix Nobel qui a été remis à lEurope à lidée européenne, à la construction européenne et qui a été regardé comme presquun anachronisme , nous devons le savourer, parce quil récompense les efforts des générations qui nous ont précédés pour faire que lEurope soit aujourdhui un destin commun. Ce prix nous oblige, nous conduit à aller de lavant, à porter de nouveaux projets, à prendre de nouvelles initiatives.
Cette ambition, donc, cest celle que je veux offrir avec vous. Cest la confiance que nous devons retrouver : confiance dans notre monnaie, confiance dans notre économie, confiance dans notre modèle social, confiance dans les valeurs que nous portons, confiance dans la jeunesse. Et comment être plus confiants que lorsque nous sommes ici réunis, Français et Allemands, pour parler de notre amitié ?