Les journaux étaient sa vie – ceux qu’il fondait, ceux qu’il écrivait, ceux qu’il lisait, certain que depuis la Révolution, depuis Victor Hugo, Clemenceau et Zola, les journaux sont indissociables de l’esprit républicain et français. Jean-François Kahn, légende de la presse française, incarnait pour des millions de Français le grand patron de journal populaire, portant la « plume dans la plaie » à la manière d’Albert Londres, toujours en quête de débats et de combats.

Jean-François Kahn était né le 12 juin 1938 dans une famille originaire d’Alsace. La vie de l’esprit fut placée au centre de l’enfance d’une fratrie qui compta aussi un futur grand chimiste, Olivier, et un futur grand généticien, Axel. Confronté très jeune à l’antisémitisme de l’Occupation, Jean-François Kahn dut se dissimuler sous le nom de sa mère, Ferriot. Il retint de ces années noires l’espérance de la Résistance, la capacité de dépassement et de rassemblement autour du CNR, un humanisme farouche, autant de principes cardinaux qui ne le quittèrent pas. Militant communiste, puis revenu de cet idéal, il se fraya un chemin dans le journalisme, couvrant, pour le « Paris Presse L’Intransigeant », la guerre d’Algérie. Avec sa gouaille émaillée d’accent parisien, son talent de plume, sa détermination, il gagna bien vite ses galons de grand enquêteur. Entré à l’Express en 1964, il mena avec Jacques Derogy l’enquête permettant la révélation de l’affaire Ben Barka, puis sillonna le monde de la Guerre Froide, du Vietnam au Chili de Salvador Allende.

En 1971, il se fit sa place à la radio, comme éditorialiste à Europe 1. Six ans plus tard, cet érudit, incollable sur Péguy, Hugo ou Aragon, devint directeur de la rédaction des « Nouvelles Littéraires » grâce à la confiance de son ami, et adversaire de débat médiatique, Philippe Tesson. Jean-François Kahn imposa ainsi son style, entre ses engagements d’éditorialiste politique redouté, et sa passion pour la culture classique et populaire, animant « Avec tambour et trompette » puis « Chantez-le-moi » sur France Inter.

Figure médiatique, Jean-François Kahn réalisa l’un de ses rêves en fondant son propre journal, « L’Evénement du jeudi » en 1984 dans lequel il put défendre ses idéaux : la nécessité d’une entente entre gauche antitotalitaire et droite gaullienne, une politique de non alignement diplomatique, la défense de l’école et des professeurs. Avec ces mêmes idéaux, et souvent les mêmes signatures qu’il savait repérer et faire grandir, il fonda « Marianne » en 1997. L’hebdomadaire, tenant d’un « centrisme révolutionnaire », dont le tirage ne cessa d’augmenter sous sa direction, fut le point d’accueil de ces opinions inclassables, sensibilité sociale, souverainisme mesuré, défense d’un patriotisme ouvert, critique lucide de la construction européenne ou de la mondialisation financière. L’hebdomadaire, surtout, était bâti à l’image de son fondateur : volubile, généreux, passionné d’Histoire ou de philosophie comme de chanson de variété, pétri d’idéal républicain.

S’il fut élu en 2009 sous les couleurs du MoDem au Parlement européen, Jean-François Kahn demeura surtout un homme de livres. Il se consacra ainsi à l’écriture de nombreux ouvrages. Bien qu’il en eût quitté la direction, son nom était toujours associé à l’hebdomadaire « Marianne ». Il intervenait toujours pour éclairer les téléspectateurs et les lecteurs, avec la même flamme et la même malice.

Le Président de la République et son épouse saluent une grande figure du journalisme français et de notre vie intellectuelle, un spectateur engagé de son époque, un esprit fait d’insolence et de liberté, d’enracinement et de curiosité, profondément français. Ils adressent à sa famille, à ses proches, à ses confrères, à tous ceux qui l’aimaient, leurs condoléances émues.

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