Le Président de la République a présidé la cérémonie de commémoration du 78ème anniversaire de la Victoire du 8 mai 1945. 

Lors de la cérémonie, le Président Emmanuel Macron a d'abord rendu hommage au Général de Gaulle en déposant une gerbe de fleurs devant sa statue, avenue des Champs-Élysées. Il s'est ensuite dirigé vers l'Arc de Triomphe pour raviver la flamme devant la tombe du Soldat inconnu.

Revoir la cérémonie de commémoration de la Victoire du 8 mai 1945 :

 

Le Chef de l’État s'est ensuite rendu au Mémorial de la prison de Montluc à Lyon, pour y présider une cérémonie en hommage à la Résistance française et aux victimes de la barbarie nazie. Il salué la mémoire et témoigné de la reconaissance éternelle de la République aux héros de la Résistance comme Jean Moulin ou Raymond Aubrac, intellectuels engagés comme Marc Bloch, otages et victimes innocentes du nazisme comme les enfants d’Izieu

Durant son discours, le Président de la République a rappelé, à travers les mots de Jean Moulin et Marc Bloch, que la République est nécessaire, vitale et juste.

Revoir son discours : 

8 mai 2023 - Seul le prononcé fait foi

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DISCOURS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE POUR L’HOMMAGE A JEAN MOULIN, A LA RESISTANCE FRANÇAISE ET AUX VICTIMES DE LA BARBARIE NAZIE.

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Madame la Préfète,
Madame et Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Recteur,
Mon Général,
Monsieur Claude Bloch,
Madame Béate Klarsfeld,
Monsieur Serge Klarsfeld, 
Mesdames et Messieurs les descendants des rescapés de la prison de Montluc,
Mesdames et Messieurs les membres des associations mémorielles,
Mesdames et Messieurs,

Ici, en cette prison de Montluc, sont passés, à un an d’écart, deux hommes qui, pour le dire avec les mots de Joseph Kessel, avaient choisi de « faire quelque chose de difficile ». 
Coupables tous deux de ce qui était un crime aux yeux de l’occupant nazi et de l’Etat collaborateur de Vichy : résister. 

Le 21 juin 1943, Jean Moulin et 6 de ses compagnons étaient arrêtés et incarcérés à Montluc. 
Une semaine durant, la porte de la prison s’ouvrit chaque jour sur les allers et retours des fourgons allemands qui les amenaient au siège de la Gestapo. Et chaque jour les séances de torture infligées par Klaus Barbie se faisaient plus violentes, exaspérées par un mutisme chaque jour plus héroïque. 

Le 8 mars 1944, par ce même porche, une silhouette était évacuée d’un véhicule et traînée jusqu’à l’infirmerie : sous les hématomes, c’était le visage méconnaissable de Marc Bloch, l’historien des Annales, le héros de deux guerres, le résistant enfin, que les nazis venaient de soumettre à la torture. Il fut fusillé trois mois après avec 29 détenus, et tomba en criant : « Vive la France ! ». 

L’histoire a rapproché, dans la même prison, ces deux hommes qui se battaient pour la même cause. Pour la même République. Pour la même France. Tombés tous deux pour elle.

Le premier, au fond de la débâcle du courage, avait mis sur pied l’organisation qui allait relever la France. Renouant avec l’essence de la République trahie par une partie de ses élites. 

Le second, trois ans auparavant, au lendemain du désastre de juin 40, avait livré le réquisitoire implacable de ceux qui en portaient la responsabilité : L’Etrange défaite. 

À Marc Bloch, l’acte de décès. À Jean Moulin, l’acte de renaissance. 

L’un fait écho à l’autre. L’un n’est pas complet sans l’autre. 
Le Conseil National de la Résistance que fonda le second fut le remède au diagnostic posé par le premier.

Moulin et Bloch nous disent que la République française n’est, par définition, ni mauvaise, ni néfaste : elle est nécessaire. Vitale.  Juste. 
Elle l’était en 1792. En 1848. En 1870. En 1946. En 1958. 
Elle l’est encore aujourd’hui. Fidélité véritable à l’aspiration profonde de notre Nation : l’indépendance et l’humanisme.
Oui, nous vivons dans le pays où on ne peut jamais séparer impunément l’idée de république et celle de progrès humain. 

La France républicaine est indissociable, depuis les Lumières et la Grande révolution, des valeurs de justice et de liberté. 
Et chaque fois qu’elle est menacée, chaque fois qu’elle est abandonnée ou trahie, se dressent des Français, ou des amoureux de la France, fidèles à l’esprit de résistance qui caractérise profondément notre peuple. 

Ces murs sont encore habités par le souvenir de ceux qui y passèrent.

Des Résistants de l’intérieur ou des Français libres, comme Béatrix de Toulouse-Lautrec, qui cachait bien serré au creux de sa paume le document qu’elle ne devait pas trahir, et qui fêta ses vingt ans au camp de Ravensbrück.

Des Français parmi d’autres Français, tenant de leurs parents le simple amour de la patrie.

Des Français vieux comme des Français jeunes, comme Albert Bulka, du haut de ses 4 ans, qui arriva le 6 avril 1944 à Montluc, avec 43 autres enfants qui avaient pour seul tort d’être nés juif. 
Comme les enfants d’Izieu passant une nuit à Montluc, leur dernière nuit avant Drancy, puis Auschwitz. 
Des étrangers parmi les Français, ayant fait le choix du cœur et du sang versé, amis de la France universelle, celle qui a toujours quelque chose à dire au monde dès qu'il s'agit de la liberté du genre humain.
Comme Alcide Beauregard, le lieutenant canadien parachuté qui émettait des émissions radio clandestines depuis une maison du 8e arrondissement lyonnais, et qui ne revit jamais son pays.
Tous sont là, qui peuplent ces lieux et nos mémoires. 

L’histoire de ce lieu n’a pas commencé avec l'occupation et Vichy et ne s’est pas terminée à la Libération.

L’écho d’autres drames y résonne, la guerre d'Algérie, d'Indochine. 
Mais l'expression de la barbarie nazie a déchaîné ici son effroyable singularité.

Entre le 17 février 1943 et le 24 août 1944, ils furent près de 10 000 à entrer à Montluc par cette porte.
10 000 à passer par cette cour sous la menace des armes allemandes, à être poussés le long des couloirs, jetés dans ces cellules de 4 m2, où huit personnes dormaient à même le sol, d’un sommeil haché par la promiscuité, les bruits de bottes des geôliers et l’incertitude du lendemain.

Parce qu’ils avaient choisi de résister. Parce qu'ils étaient juifs. 

10 000, dont il n’y eut que 3 000 survivants.

Quelques-uns d’entre eux sont toujours parmi nous : Jean NALLIT, Andrée GAILLARD et Claude BLOCH, qui nous fait l’amitié de sa présence.

Oui, durant toutes ces années, il s'est trouvé, sur le sol français et ailleurs, des Français qui entendirent résister. 
Qui sentirent sourdre en eux cette sève de liberté, lente, invincible, qui gonflait les cœurs, qui serrait les poings et relevait les fronts.

Nous étions alors en 1943.

En 1943, déjà, les alliés débarquaient en Sicile, où les forces libres se battaient en Afrique, en Italie puis bientôt en Corse, tandis que dans les caves et les maquis se levait en silence la masse énorme des défenseurs de la République française. 

Déjà, Marc Bloch avait rejoint les Francs-Tireurs, avec, dans sa besace, le cahier sur lequel il griffonnait ses Cahiers politiques clandestins. 

Déjà le général de Lattre, condamné à dix ans de prison pour avoir refusé de baisser les armes face à l’invasion allemande, parvenait à s’échapper et à rejoindre Londres.

Ici même, à Montluc, André Dévigny, puis Raymond Aubrac, grâce aux risques fous pris par sa femme Lucie, s’étaient évadés.  

En 1943 naissait le CNR. 
Et en 1943 mourait Jean Moulin, assassiné. 

Si tant est qu’on puisse mourir, quand on a fait sienne une cause qui nous dépasse, et qui nous survit.

Jean Moulin était l’arrière-petit-fils d’un soldat de la Révolution, petit-fils d’un insurgé de 1851, fils d’un hussard noir de la IIIe République.
Dans ses veines coulait cet amour des Lumières, réchauffé au grand soleil de son Languedoc natal.

Jean Moulin était enfant de la République.
Serviteur de l’État, au point d’être nommé plus jeune préfet de France à 37 ans, à Rodez, puis à Chartres.
Soldat de la France, au point de demander à être relevé de ses fonctions de préfet pour pouvoir aller se battre.
Cela ne lui fut pas permis, et c’est face aux nazis que le préfet de Chartres mit à l’épreuve son propre courage, refusant, lors de la débâcle de 1940, de signer un texte mensonger accusant à tort des tirailleurs sénégalais de l’armée française de massacres sur les civils du hameau de La Taye, en Eure-et-Loir. 
Arrêté, emprisonné, torturé, il tenta d’échapper à l’étau des nazis en se tranchant la gorge avec un tesson de verre. 
Libéré par ceux qui n’avaient pu le briser, révoqué par le régime du maréchal Pétain, il rejoignit alors à Londres le général de Gaulle. 
C'est de sa main qu’il reçut, en décembre 1941, la mission de constituer l’armée secrète, d’accomplir le rassemblement de tous les éléments qui résistaient à l'ennemi.

D’unir les droites et les gauches, les gaullistes et les socialistes, les communistes et les radicaux, les francs-maçons et les catholiques, les protestants et les libres penseurs, les civils et les militaires, les chefs de réseaux et les politiques de la IIIe République. 

Alors Jean Moulin se mit à la tâche. 

Parachuté en Provence, dans la nuit du 2 janvier 1942, il commença à sillonner la France en tous sens, à multiplier les rencontres secrètes où se déployaient ses talents de diplomate.

Ses compagnons de route, qui l'épaulaient sans relâche, se nommaient Daniel Cordier, Colette Pons, Pierre Meunier, Robert Chambeiron, et tant d’autres. 

À force de pourparlers, de négociation, de persuasion, défiant la menace de la police de Vichy, les chefs des trois principaux mouvements de la zone dite alors « libre », Combat, Libération et Franc-Tireur, Henri Frenay, Emmanuel d’Astier de la Vigerie et Jean-Pierre Levy s'assemblèrent en janvier 1943 au sein des Mouvements unis de Résistance.

Voici Jean Moulin dans le bureau londonien du général de Gaulle, ce 14 février 1943, pour lui rendre compte de ce premier succès. 

Et le voici dans la nuit du 20 février, grave, méditant les paroles du général qui lui a confié la tâche d’aller plus loin encore et de fédérer toutes les autres forces résistantes. 

Et le voici, infatigable, parlementant avec chacune d’elles.

Le voici enfin, le 27 mai 1943, présidant dans un appartement de la rue du Four, à Paris, la réunion fondatrice du Conseil National de la Résistance. 

Le Parti communiste est là, avec André Mercier, le Parti radical, avec Marc Rucart, la SFIO, avec André Le Troquer. L'alliance démocratique, la Fédération républicaine, avec Joseph Laniel et Jacques Debru-Rydel. Le parti démocrate populaire est là, avec Georges Bidault. 
Jean Moulin est l’homme de Londres, et pourtant les résistants de l’intérieur sont là, tout comme les deux grands syndicats de la France républicaine : la CGT et la CFTC. 
Sont ainsi présentes toutes les forces du renouveau, forces du travail, forces de la jeunesse, assemblées enfin au sein de la même organisation, et qui toutes désignent Jean Moulin président du CNR.

Le dépassement, voulu par de Gaulle, était accompli. 

Ainsi Jean Moulin répondait à Marc Bloch : il existait encore en France une catégorie de Français qui vibrait au souvenir du Sacre de Reims et lisait avec émotion le récit de la Fête de la Fédération. 

Le CNR, dès sa naissance, portait l’ambition prophétique d’une quatrième République qui instaurerait un vrai suffrage universel, ouvert aux femmes, nationaliserait l’énergie, fonderait la sécurité sociale, libérerait la presse des forces de l’argent. 
Tout cela germa en mars 1944.
C’est grâce à ce qu’il avait semé que de Gaulle put imposer son gouvernement provisoire aux Américains qui entendaient mettre la France sous tutelle lors de la Libération, et que notre pays pu recueillir, le 8 mai 1945, la capitulation de l’Allemagne nazie. 

Et si Jean Moulin n’a jamais vu la publication de ce programme qui porte son empreinte, moins encore sa concrétisation, il n’a jamais douté de l’issue du combat. 
La tristesse de ceux qui n’ont pas d’espérance n’avait pas prise sur lui.
Car il avait la certitude intime, indéracinable, que la France en laquelle il croyait serait victorieuse ; que d’autres, si ce n’est lui, en cueilleraient les fruits ; et que la justice triompherait.

Mais il ne pouvait imaginer à quel point ce serait vrai dans les lieux-même de son agonie, et que ces murs où nous nous tenons en seraient le prétoire.

En 1983, 40 ans après sa mort, alors que Montluc n’était plus, depuis longtemps, une prison nazie, la grande porte de la geôle s’est ouverte de nouveau sur son passé.
Un fantôme de son histoire est revenu hanter ses murs.
Blanchi, vieilli, émacié : Klaus Barbie.
Mais cette fois-là, il n’était pas vêtu de son uniforme. 
La porte se ferma sur son destin, qui l’avait tant de fois refermée sur d’autres.
Car après trente ans de cavale, d’espionnage et de trafic en Amérique du Sud, grâce à l’acharnement d’hommes et de femmes de courage et de mémoire. Beate et Serge Klarsfeld – une fois encore que je remercie et admire - Ladislas de Hoyos, Régis Debray. Le tortionnaire de Jean Moulin venait d’être extradé pour être jugé à Lyon, au cours du procès qui allait faire retentir pour la première fois dans les assises françaises le terme de « crime contre l’humanité. » 

Le garde des sceaux Robert Badinter avait obtenu que la première incarcération du bourreau fût sur le lieu même de ses crimes.

Dans la nuit de Montluc, le boucher de Lyon s’est trouvé face à l’histoire.
Et cette nuit avait dix mille regards.

Si Klaus Barbie et ses pairs espéraient éteindre à coup de poing les regards qui les bravaient, s’ils croyaient étouffer sous leurs semelles le cri de la révolte et murer vive la liberté, alors ils ont échoué.

Ils ont buté sur quelque chose, quelque chose qui couvait silencieux dans les poitrines, muselé parfois, souvent, par la lâcheté et la compromission, et que parfois, souvent, est venu réveiller l’exemple formidable d’hommes et des femmes qui mettaient la survie de la France au-dessus de la leur.
Cet impalpable et pourtant si organique, cet indéfinissable et pourtant si manifeste, ce fragile et éternel, esprit de Résistance.

Mais il ne suffit pas, pour que justice soit faite, qu’une porte se verrouille, que le dernier bourreau passe derrière les barreaux.

C’est alors, au contraire, que commence notre tâche.

Cet endroit où les murs parlent, ce symbole de l’échec des nazis et de leurs complices de l’État français de Vichy, s’est mué en haut lieu de la mémoire nationale, grâce à l’engagement de beaucoup d’entre vous, passeurs d’histoire. A vous, qui acceptez de continuer de témoigner, infatigables, dans les écoles, auprès des plus jeunes comme des moins jeunes, aux enseignants qui poursuivent ce travail d’histoire et de mémoire, à nos associations, à l’ONAC, et à nos ambassadrices et nos ambassadeurs qui nous ont accompagné durant ce chemin. 
Ce lieu devient pour nous tous un « Mémorial de la Résistance, de la déportation, et des crimes de guerre nazis », sur lequel veillera désormais la présidence de la République. 

Ainsi Jean Moulin, Marc Bloch, les enfants d’Izieu, et tous les autres, accèderont à la reconnaissance éternelle de la République, et leur souvenir conservera intacte la vitalité des leçons qu’il porte. 

Faire vivre la mémoire de ceux qui sont passés ici est un devoir chargé de souffrance et de joie. 
Car leur héritage nous grandit et nous éclaire, comme il éclairera la génération après nous, qui le lèguera encore à la génération suivante, jusqu’à la fin des temps.

Ayons confiance en nous, et en ceux qui nous suivront. 

Et redisons ici, pour aujourd’hui et pour demain, ces mots qui figurent en exergue de l’Armée des Ombres : « Mauvais souvenirs soyez pourtant les bienvenus… Vous êtes notre jeunesse lointaine ». 

Vive la République !
Vive la France !

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