Il était l’un des trois derniers Compagnons de la Libération, l’une des dernières voix qui pouvait  raconter à la première personne l’épopée de la France libre. Pierre Simonet, qui avait rejoint, adolescent, le général de Gaulle pour combattre au sein des FFL, nous a quittés aujourd’hui à 99 ans.  

Pourtant, la France ne fut d’abord pour lui qu’un horizon lointain : né à Hanoï, d’un père  ingénieur des travaux publics, le jeune garçon découvrit les côtes françaises à l’âge de cinq ans, depuis le pont du bateau qui avait conduit sa famille de Saigon à Marseille, au terme d’un interminable voyage. Ce bref séjour avant le retour en Indochine arrima à jamais le cœur du  jeune garçon à son port d’attache, cette France qu’il apprenait à aimer en se passionnant pour sa culture. 

Or la France se trouvait menacée au moment même où sa famille revint s’y installer, à  Bordeaux. Pierre Simonet poursuivait alors ses études de mathématiques, mais cette année 1939-1940 fut surtout celle de l’éveil à la ferveur patriotique : le jour, il défilait avec ses  camarades de classe pour manifester leur soutien aux Alliés, le soir il aidait à l’hôpital où  affluaient les blessés. Lui qui avait aimé cette patrie de loin, qui l’aimait plus encore de près, refusait de la voir tomber aux mains d’une puissance étrangère. On est parfois sérieux quand on a 17 ans. 

L’arrêt des combats auquel appela le maréchal Pétain le 17 juin signa son entrée en résistance. Ayant appris que le général de Gaulle poursuivait le combat en exil, par-delà la Manche, le  jeune étudiant se mit immédiatement en route pour l’Angleterre. Ce fut pour lui un voyage initiatique : ses tentatives pour s’envoler vers Londres depuis Bordeaux, pour gagner l’Espagne à partir de Tarbes, pour embarquer vers l’Angleterre au départ de Bayonne furent autant  d’échecs qui transformèrent l’adolescent aventureux en adulte persévérant. Le 24 juin 1940, enfin, résistant au tangage, sa valise à bout de bras, il s’agrippa au filet d’un cargo britannique qui quittait le port de Saint-Jean-de-Luz, et mettait le cap sur Liverpool. 

Affecté dans l’artillerie des Forces Françaises libres, il prit part à l’expédition qui tenta, en vain,  de rallier à la France libre l’Afrique occidentale française. A l’échec de Dakar succédèrent cinq semaines de combats fratricides lors de la campagne de Syrie. Il connut alors sa première expérience du désert, du sable qui ralentit tous les élans, du soleil qui emprisonne chaque soldat  dans une camisole de feu, et du manque d’eau qui les pousse à laver leurs affaires à l’essence plutôt que d’épuiser leurs gourdes. Il s’y aguerrit ensuite, combattant dans le reg libyen à Bir Hakeim, puis dans le désert égyptien à El Alamein, deux victoires éclatantes pour les forces alliées. 

Brigadier chargé des transmissions et de l’observation, Pierre Simonet tirait les lignes téléphoniques entre son central, la batterie et le poste d’observation, n’abandonnant son poste qu’au dernier moment comme en ce 16 mars 1942 : alors qu’une dizaine de chars allemands  approchait à pleine vitesse et que le capitaine avait donné l’ordre de décrocher, il débrancha les  fils, attrapa son central téléphonique et, lesté de cinq kilos de matériel, se mit à courir vers son véhicule. A découvert sous les tirs des mitrailleuses allemandes, il put rejoindre la colonne et rentrer indemne au camp. A 21 ans, il avait déjà connu la soif, frôlé la mort, vécu l’enfer des  combats, et reçu ses deux premières citations. 

Sentinelle du désert, Pierre Simonet devint ensuite guetteur des cieux lors de la campagne d’Italie puis du Débarquement en Provence, ayant été affecté au peloton d’observation aérienne. Aigle planant au-dessus des lignes ennemies, il perçait à jour les positions allemandes pour  guider le feu allié et piquait sur sa proie lorsqu’il fallait arrêter le tir d’une batterie adverse. De  son cockpit, le sous-lieutenant Simonet fut ainsi acteur et spectateur de la libération de Rome, puis de la libération de la France. A l’issue des campagnes d’Italie et de France, son compteur affichait 250 heures de vol et 137 missions de guerre, qui lui valurent 5 citations et sa désignation comme Compagnon de la Libération le 27 décembre 1945. 

Devenu administrateur de la France d’Outre-Mer, en Indochine puis au Cameroun, il prolongea  par la suite le nomadisme qui avait été celui de sa jeunesse comme de son engagement dans la guerre. Puis il intégra la fonction publique internationale : du Mékong où il accomplissait une mission pour l'alimentation et l'agriculture, il s’envola pour l’Iran où il fut affecté par l’ONU comme conseiller en statistiques économiques, et termina sa carrière comme économiste puis  conseiller à l’OCDE et au FMI avant de se retirer en Provence.  

Pierre Simonet était bien un héros : il avait beau refuser ce titre, il en possédait tous les  attributs – le courage, la force morale, le sens du devoir. Le Président de la République salue la vie de cet homme animé du souffle de la liberté qui, par-delà les risques et les frontières, fut  toujours guidé par son immense amour de la France. Il adresse à sa famille, ses proches et ses frères d’armes ses condoléances attristées.
 

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