14 juillet 2017 - Seul le prononcé fait foi

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Transcription du discours d'Emmanuel Macron lors de la cérémonie d'hommage aux victimes de l'attentat de Nice

SEUL LE PRONONCE FAIT FOI

Messieurs les présidents de la République,

Monsieur le président du Sénat,

Monsieur le président de l'Assemblée nationale,

Mesdames et messieurs les ministres,

Monsieur le maire de Nice.

Mesdames et messieurs les parlementaires.

Prince Albert de Monaco,

Messieurs les préfets,

Madame la présidente et chers membres de l'association Promenade des Anges,

Chères victimes,

Chères familles de victimes,

Mesdames et Messieurs,

Chaque Français se souvient d’où il était le 14 juillet 2016. Chacun a ressenti dans sa chair l'immense violence qui ce soir-là s'est abattue sur vous. Quelques instants après 22h30, un peu plus de 4 minutes, plus de 30 000 personnes dans les rues et en un instant à peine, 86 morts, plus de 460 blessés et encore à venir et à reconnaître.

Le 15 juillet, la France est réveillée sidérée et meurtrie. Nos regards se sont portés sur les victimes, sur ces vies fauchées, ces bonheurs brisés. Et puis, nos regards se sont portés sur vos les familles, les victimes, les survivants.

Alors, la France s'est mise à l'unisson de votre douleur.

Nous avons oublié le nom de cet anonyme meurtrier mais nous avons appris le nom des morts, de nos morts. Nous avons gravé dans notre mémoire le visage de ces êtres que vous aimiez plus que tout au monde et la Nation, ce 15 juillet, fut saisie de ce vertige que donne la disparition brutale d'un proche.

Ce furent des jours d'horreur et de deuil mais vous, vous qui avez été attaqués comme vous avez été héroïques !

Policiers municipaux et nationaux, pompiers, services de secours, personnels de santé, médecins et soignants bénévoles, services de la ville, de l'Etat, vous toutes et tous anonymes, comme vous vous êtes battus !

Vous, vous qui traversiez le plus noir cauchemar, vous qui portiez le fardeau de l'effroi et des larmes, comme vous avez été forts !

Vous, vous qu'on avait voulu frapper au cœur, comme vous avez été dignes !

Dans ce malheur incompréhensible et infini qui était le vôtre, c'est vous qui avez trouvé les mots qui consolent, c’est vous qui avez eu sur les gestes de fraternité, de solidarité qui font que la vie, qui avait suspendu son souffle, a repris lentement.

Alors, le pays s'est remis en chemin. Voyant que votre souffrance ne vous détournait pas des valeurs qui nous sont chères, que l'humanité grâce à vous reprenait ses droits sur la barbarie, les Français ont chassé le doute qui les avait un instant saisis.

Ils ont vu les familles s'épauler, les voisins se soutenir ; nous avons vu l'amitié et l'entraide relever ceux que le deuil avait mis à genoux, nous avons vu les liens puissants de la solidarité faire leur œuvre ; et nous avons vu la générosité des Niçois avec ceux qui, touristes, étrangers étaient perdus ici, ne savaient plus à qui se confier.

Peuple de Nice, qui avez à la France entière rendu cette force profonde que l'attentat du 14 juillet avait mise à sérieuse épreuve, par votre énergie, votre refus de vous laisser dompter par la peur et la violence, vous avez permis que la Nation redresse la tête. De cela, je veux aujourd'hui vous remercier.

Je ne tairai pas ici ce soir les reproches qui se sont fait jour après l'attaque. La colère de beaucoup s'est concentrée sur la puissance publique et, j’ose vous le dire comme chef de l'Etat : je comprends cette colère. Lorsque l'impensable se produit et déchire nos vies, on en cherche les causes. L'Etat, alors, doit regarder ses responsabilités en face. Et si la République était frappée de surdité quand ses fils et ses filles lui crient leur douleur et leur indignation, elle ne serait pas la République mais un régime fragile, à bout de souffle.

Mais je veux vous dire aussi que je connais les dirigeants politiques qui alors ont pris en charge la situation. Je sais leur intégrité et leur humanité. Le président François HOLLANDE, le Premier ministre Manuel VALLS, le ministre de l'Intérieur Bernard CAZENEUVE et avec eux, tous les services de l'Etat, ont inlassablement combattu le terrorisme.

J’ai vu leurs succès, ces attentats déjoués, ces terroristes arrêtés avant le passage à l’acte, et j’ai vu le 14 juillet 2016, leur sidération et leur consternation.

Mais dans cette secousse, profonde, qui a ébranlé ce que nous faisons, ce que nous croyons, comment trouver les mots qui réconfortent, comment convaincre que l’on a fait tout ce qui était en son pouvoir ?

C'est un exercice presque impossible, parce que ces noms que nous venons d’entendre, vous, vous en connaissiez les visages, les voix, les rires, les présences.

Alors, oui il faut affronter la rage, qui se libère et s'exprime. C'est celle dont parle un ancien élève du lycée Masséna,

« Oh mon cœur étonné, triste jusqu'à la mort,

J'ai promené ma rage en ces jours blancs et froids. »

Cet élève de Nice, c'était Guillaume APOLLINAIRE et cette rage, je le sais, beaucoup d'entre vous la portent encore au creux de l'estomac.

La douleur a fissuré la confiance indispensable qui doit régner entre la République et les citoyens mais c'est justement en ces moments que nous pouvons vérifier la force de nos liens et je vous le dis ce soir : ces liens sont indestructibles.

Tout sera fait pour que la République, l'Etat, la puissance publique regagnent votre confiance, pour que cette épreuve inconcevable loin de nous diviser, nous rassemble. Je l’ai promis à votre maire, Christian ESTROSI qui s'est tant mobilisé pour que l'Etat agisse, mobilisé comme maire, mobilisé comme fils passionné de cette ville de Nice. Je lui ai promis, et c'est à ce rassemblement complet que nous arriverons ; et le visage que vous montrez aujourd'hui, c'est celui d'une France réconciliée, d'une France qui a souffert, qui a été attaquée qui a peut-être un moment douté, dont je ne sais que trop la rage et la douleur mais qui est là, rassemblée.

L'Etat ne vous abandonnera jamais pas plus qu'il n'abandonnera la recherche de la vérité, le châtiment des coupables, mais aussi le soutien humain, juridique, financier qu'il doit aux victimes. L'Etat ne se soustraira ni à son devoir de clarté ni à son devoir de compassion.

L’exemple de dignité et de courage que vous avez donné ne peut pas, ne doit pas se heurter à la froideur bureaucratique. C'est pourquoi je sais le travail qui a été fait durant les deux dernières années pour reconnaître les situations des victimes, le droit des victimes. Tout sera maintenu et c'est pourquoi j'ai souhaité que tous les ministères concernés s'engagent aux côtés des victimes sous la responsabilité d'une personnalité d'expérience qui, pour vous, sera gage d'écoute et d'efficacité. Car, je le sais, c'est d'une aide juridique, concrète, administrative mais aussi d'une aide pour la santé, le transport, les enfants, la vie administrative et le quotidien dont vous avez besoin. C’est cela ce qui sera assuré pour vous, je m'en porte ici garant.

C'est pour vous témoigner cette détermination pleine et entière à vous accompagner qu’à l'invitation de votre maire, j'ai voulu être auprès de vous ce soir ; c'est pour cela aussi que j'ai souhaité décorer les agents de la police nationale qui ont arrêté le cours de ce camion semeur de mort mais aussi celles et ceux qui ont soigné les victimes avec un dévouement infini ; mais aussi votre police municipale ; mais aussi ces anonymes héroïques que vous avez acclamés il y a quelques instants. La puissance publique, c'est cette somme de femmes et d'hommes qui consacrent leur vie à protéger, à secourir. C'est leur métier mais il est des circonstances où l'engagement humain dépasse l'engagement professionnel et le 14 juillet 2016, ils furent le visage de cette France qui, ce soir, se tient à vos côtés.

C’est enfin pour cela que nos armées, nos forces de police et de gendarmerie mais aussi nos sapeurs-pompiers, les personnels hospitaliers sont largement représentés ici. D’abord parce qu'ils incarnent la Nation, mais aussi parce qu'ils sont en première ligne dans cette lutte contre le terrorisme.

Je vous le dis, au-delà de ce moment de deuil et d'émotion que nous partageons ce soir, ce que je vous dois, ce que nous vous devons, c'est de poursuivre inlassablement cette lutte contre le terrorisme. Ce que veulent nos assaillants, c'est simplement nous voir pleurer. Vous avez répondu par votre dignité, nous répondrons par la lutte sans merci à l'extérieur de nos frontières et à l'intérieur de nos frontières, contre le terrorisme partout en nous organisant, en continuant à agir, en continuant à prendre les dispositions nécessaires pour affronter la menace, mais en préservant aussi nos valeurs, notre Etat de droit, l'amour de la liberté et le souvenir de ces visages qui, ce soir du 14 juillet, aimaient la liberté furieusement.

Nous devons à nos morts ce combat sans merci ; ce conducteur de camion dont je ne rappellerai jamais le nom était le fruit de ce terrorisme qui s’infiltre insidieusement dans les esprits. En arracher la racine est vital.

C'est pourquoi notre combat, c'est aussi un combat de chaque jour, inlassable, discret, dont vous avez chacune et chacun une part de la charge ; c'est le combat de la culture, de l'intelligence, de l'école pour prémunir les esprits de la tentation de l'obscurantisme ; c'est le combat pour redonner le sel de ce qui nous tient, de l’union même de la Nation, de ce qui fait notre devise ; c'est le combat économique et social pour que le fanatisme ne puisse plus croître sur le terreau de la misère et du déclassement ; c'est un combat moral et de civilisation que nous menons.

La mort abominable des vôtres doit nous renforcer dans la certitude qu'il faut livrer ce combat sans aucune complaisance. Car Nice, Nice, cette ville ancrée dans la Méditerranée millénaire, ce carrefour de langues et de cultures, cette ville d'art, d'écrivains, cette ville de beauté a montré par la réaction de ses citoyens ce que peut la civilisation contre la barbarie.

C'est cela votre exemple ; ce soir-là à Nice, il y avait le monde entier parce que l'histoire de Nice, c'est le monde entier ; c'est cette ouverture, c’est cette ville triomphante de la Méditerranée qui a toujours regardé loin, porté fièrement nos couleurs et accueilli. Et c'est pourquoi ce combat qui est le nôtre ne sera jamais un combat de la fermeture, du repli, de la bêtise, un combat qui nous fera oublier d'où nous venons et ce qui nous tient. Et votre dignité, Mesdames et Messieurs, votre dignité a rendu cela possible.

Le 14 juillet à Nice était un des plus beaux de France. Le reflet du feu d'artifice sur la mer d'huile de la Baie des Anges, les familles se côtoyant joyeusement sur la Promenade des Anglais, la douceur des nuits d'été, tout cela en faisait un moment de grâce particulière, connu de tous. Le 14 juillet niçois ne sera plus jamais le même. Et il ne sera plus jamais tout à fait le même en France ; s’y mêlera toujours cette amertume du souvenir des victimes, de toute cette douleur si soudaine, si vive. Mais ne cherchons pas à chasser cette amertume, ne la gâchons pas. Gardons-la au contraire en nous comme une trace où s’accroche notre mémoire, une trace ineffaçable qui donne sens à nos combats, une morsure, celle du destin et qui doit nous rappeler à chaque instant que nous, nous sommes debout pour cela, pour eux. Vos morts sont devenus nos morts et nous nous battrons pour eux autant que nous les pleurerons.

Nous tirerons d’eux la force de lutter pour nos valeurs ; ils seront cette lumière qui refuse la victoire des ténèbres.

Mesdames et Messieurs, le 14 juillet 1789 fut pour la France un jour de combat pour la liberté et peu à peu, il était devenu un jour de fête. Nous avions presque oublié le sel de ce combat. Le 14 juillet 2016 nous a rappelé brutalement le prix de cette liberté. Nous n'avons pas choisi de payer ce prix si élevé, si amer - mais nous l'avons payé, vous l’avez payé.

Cette liberté, nous savons désormais ce qu'elle coûte, vous le savez dans votre chair, dans vos vies et nous savons ce que nos ennemis sont prêts à faire pour nous en priver.

Alors ce soir, grâce à vous, la France est encore un pays où la liberté prévaut et ce soir, Mesdames et Messieurs, à Nice, grâce à vous, cette formule consacrée, tant de fois entendue, je vous la dis avec le sentiment d'une dette et d'une gravité toute particulière : vive la République et vive la France.

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