16 novembre 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les relations franco-irakiennes, à Paris le 16 novembre 2009.

Monsieur le Président,
Madame,
C'est pour nous un honneur et un grand plaisir de vous accueillir avec votre épouse, pour la première visite d'Etat d'un dirigeant irakien en France.
L'Irak, Bagdad £ peu de noms de lieux sont à ce point chargés d'histoire et de symboles. Et rares sont ceux dont le pouvoir d'évocation soit aussi fort et contrasté.
L'Irak, héritier de Sumer, de Babylone et des califes abbassides, Bagdad, le modèle d'urbanisme voulu par le calife Al-Mansour, la ville des Mille et une nuits, la cité brillante et heureuse que l'on surnommait "le paradis sur terre" et "la ville de la paix".
Malheureusement, Monsieur le Président, les souffrances, les tragédies et les malheurs n'ont cessé de s'abattre sur votre pays depuis trois décennies, ces souffrances ne nous parlent plus de paradis ni de paix mais elles nous parlent de dictature, de guerre et de violence. La dictature, car s'en fût une, qui a dominé l'Irak de 1979 à 2003 a, parmi bien d'autres crimes, utilisé des armes chimiques contre son propre peuple, scandale parmi les scandales. La ville d'Halabja, où 5.000 hommes, femmes et enfants périrent gazés, est le symbole de cette barbarie. La guerre contre l'Iran - un million de morts - puis les deux guerres du Golfe qui ont saigné votre jeunesse. Plus de dix années de sanctions économiques ont ajouté à la tyrannie la pénurie et la privation pour votre peuple. La violence qui, encore aujourd'hui, frappe aveuglément les Irakiens, la violence aura été, Monsieur le Président, la sinistre compagne de toutes ces années. C'est un pays martyr que nous accueillons en ami en France aujourd'hui.
Monsieur le Président, les Irakiens sont un peuple fier et, permettez-moi de le dire, exceptionnellement endurant. Ils n'attendent ni apitoiement ni lamentation. Mais, parce qu'aucune famille irakienne n'a été épargnée par la période qui s'achève, je veux vous exprimer, au nom du peuple français, le grand respect qu'inspirent la force et le courage de vos compatriotes. Peu de peuples ont tant subi en une seule génération £ peu de peuples sauraient, en dépit de tout, se relever et affronter les défis de la reconstruction de leur pays.
J'accueille aussi en vous, Monsieur le Président un homme d'Etat sage, expérimenté et respecté, qui joue dans son pays un rôle indispensable d'arbitrage et d'apaisement. Originaire d'une région meurtrie, le Kurdistan, pour un certain nombre d'entre nous ici, Monsieur le Président, c'est bouleversant d'accueillir un président irakien originaire du Kurdistan, du Kurdistan d'Irak. Monsieur le Président, vous avez été un combattant de la liberté et vous avez été un résistant face à la dictature. C'est donc avec respect et admiration que nous vous accueillons ici en France.
Alors l'Irak aujourd'hui se relève. La violence est en forte diminution même si la folie terroriste continue de frapper, comme le 25 octobre dernier. Mais les terroristes échoueront, Monsieur le Président, ils n'arriveront pas à diviser le peuple irakien et la France est engagée autour de l'unité de l'Irak.
Nous avons confiance en l'avenir du nouvel Irak, démocratique, fédéral, respectueux des différences et des identités, conscient des liens qui unissent tous les Irakiens et du nécessaire dépassement du communautarisme. Votre pays est une formidable mosaïque ethnique, culturelle, religieuse et Dieu sait que cette région du monde a besoin de diversité culturelle et religieuse. Cette diversité est une richesse. Elle doit être préservée. Et comme il est plaisant de vous voir entouré de deux vice-présidents dont les origines, les confessions sont différentes des vôtres.
En recouvrant votre pleine souveraineté, l'Irak oeuvre pour son avenir : les institutions se renforcent, le gouvernement travaille, le parlement légifère, vos forces de sécurité retrouvent leurs droits. Dans cet effort, la France vous apporte un soutien absolument total et sans réserve.
Les relations entre nos pays sont anciennes, elles remontent aux échanges entre Charlemagne et le calife Haroun al-Rachid. Ce n'était pas hier. Développant leur présence au Moyen-Orient aux dix-neuvième et vingtième siècles, les Français se sont naturellement tournés vers l'Irak où ils ont été parmi les premiers à mettre en valeur vos richesses pétrolières. Vous êtes la troisième puissance pétrolière du monde.
Dans le cadre des relations entre Etats, la France et l'Irak ont, au cours des années soixante-dix, mis en place des coopérations qui ont permis de former vos médecins, vos ingénieurs, vos universitaires. Puis vint la guerre de 1991, dans laquelle la France tint son rôle tout en marquant son souci de protection des populations civiles, notamment au Kurdistan. Et je veux citer l'action de Bernard Kouchner, très engagé à l'époque et de Danièle Mitterrand.
Notre préoccupation pour le sort des Irakiens est restée constante durant la période des sanctions dont, vous le savez, la France n'a cessé de chercher à atténuer les conséquences humanitaires. Nous n'avons pas participé à la coalition de 2003, parce que nous avons considéré que cette intervention ignorait les principes de la Charte des Nations unies.
Mais depuis lors, la France est pleinement engagée dans les efforts de la communauté internationale permettant à l'Irak de rétablir peu à peu sa souveraineté et de se reconstruire. Je rappelle que ministre des Finances en 2004, j'ai voulu que la France efface la quasi-totalité de la dette irakienne au Club de Paris. Et à l'époque ce fut un fameux affrontement car on expliquait que l'Irak martyrisée n'était pas l'un des pays les plus pauvres du monde et qu'il convenait alors de ne pas annuler notre dette. Nous l'avons annulée parce que nous vous faisions confiance.
En effectuant en février dernier la première visite d'un chef d'Etat français à Bagdad, j'ai voulu exprimer ma confiance dans le nouvel Irak et dire à tous les Irakiens que la France était à leurs côtés. Depuis, de nombreuses visites françaises et irakiennes, y compris et je l'en remercie, celle du Premier ministre, François Fillon, à la tête d'une importante délégation de chefs d'entreprise, sont venues concrétiser cet engagement £ d'autres suivront.
La tâche est immense. Il vous faut rebâtir un Etat, un Etat de droit. La France a déjà formé ces dernières années des centaines de magistrats et de policiers dans le cadre d'un programme européen. Il n'y a pas de développement sans Etat de droit. Il n'y a pas non plus d'Etat sans armée et dans ce domaine également, la France va coopérer sans limite avec vous.
Il faut également recréer un tissu économique et vous pouvez compter sur nos entreprises, venues nombreuses à Bagdad récemment, pour répondre à vos besoins en matière d'infrastructures ou d'hydrocarbures.
L'Agence française de Développement accompagnera cette démarche par l'installation d'un Centre français des Affaires à Bagdad, que nous installerons dès l'année prochaine.
L'Irak, coeur du croissant fertile de l'Antiquité, doit aussi réhabiliter son secteur agricole. Une Maison française de l'Agriculture aura pour mission de partager avec votre pays notre savoir-faire et nos techniques dès 2010.
Et puis, c'est par l'art, c'est par la création que l'Irak pourra donner de lui-même une image renouvelée. La France prendra sa part dans ce renouveau, en créant une Maison de l'Archéologie et des Sciences sociales dans la citadelle d'Erbil. Nos écoles rouvrent, notre centre culturel, jamais fermé, reprend l'ensemble de ses activités. La culture qui reprend ses droits, c'est la vie qui renaît dans un Irak démocratique.
Je voudrais encore une fois remercier notre jeune ambassadeur, Boris Boillon, dont on a fait cadeau à l'Irak. Je m'en suis privé, on en a fait cadeau à l'Irak, prenez soin de lui quand même. Et de sa famille.
Monsieur le Président,
C'est avec confiance que nous regardons l'avenir. L'Irak est sur la bonne voie. Il retrouve sa place dans la communauté des nations. Le peuple irakien reprend la maîtrise de son destin. La France est heureuse de pouvoir contribuer à cette renaissance. Vous savez que nous agirons, Monsieur le Président, également pour qu'à l'ONU, l'Irak retrouve la totalité de ses droits et de ses responsabilités. Nous comptons également sur vous pour qu'avec vos voisins koweïtiens, vous parliez avec les koweïtis, avec le souci de l'amitié et du respect mutuel. Ils sont prêts à vous faire confiance.
C'est pourquoi Monsieur le Président, Cher Jalal, Chère Madame Talabani, au nom de l'amitié séculaire entre nos deux pays, permettez-moi de vous dire, avec mon épouse Carla, la joie qui est la nôtre de vous recevoir, et à travers vous, l'Irak tout entier, ce soir à Paris. Nous irons à Bagdad pour montrer au monde entier que Bagdad mérite qu'on lui donne la chance du renouveau.
Vive l'Irak Monsieur le Président !
Vive la France !
Vive l'amitié entre nos deux pays, nos deux civilisations et nos deux peuples !
Je vous remercie.