6 décembre 2008 - Seul le prononcé fait foi
Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans le quotidien polonais "Fakt" du 6 décembre 2008, notamment sur la défense européenne et l'OTAN, les relations euro-russes, l'action de l'Union européenne face à la crise et l'avenir du Traité de Lisbonne.
Q - Vous avez rappelé que la famille européenne avait été divisée et que certains membres de cette famille étaient restés du "mauvais côté du mur" et qu'"ils s'étaient libérés tout seul", grâce à des personnalités comme Jean-Paul II, Geremek, Walesa ou Havel. Quel est le sens de votre visite aujourd'hui à Gdansk ? Quel message à en retirer pour L'Europe et pour son avenir ?
R - C'est avec beaucoup d'émotion que je me rends aujourd'hui à Gdansk. Car Gdansk, ce n'est pas seulement un haut lieu de l'histoire polonaise, c'est aussi un lieu de mémoire pour l'Europe tout entière £ cette l'Europe hier déchirée, aujourd'hui réunie et réconciliée.
Gdansk, c'est aussi le témoignage de la résistance à l'oppression totalitaire, c'est la grande aventure du syndicat "Solidarité", qui a été capable à la fois de vaincre le communisme et de jeter les bases de la démocratie. C'est ici, dans cette ville, qu'à l'aube des années 1980 est né le vent de liberté qui allait triompher du totalitarisme. Lech Walesa et ses compagnons, en luttant pour leurs droits les plus fondamentaux, ouvraient le chemin à un mouvement de contestation qui ne cesserait plus de grossir et finirait par emporter l'empire soviétique. Sans "Solidarité", sans l'engagement de Lech Walesa et de tous ses compagnons, la famille européenne n'aurait sans doute pas pu être réunie aussi vite.
En venant ici aujourd'hui, je veux rendre hommage à tous ceux qui se sont battus et continuent de se battre pour le respect des Droits de l'Homme, en Pologne, en Europe et dans le monde. J'appartiens moi-même à une génération qui a été nourrie par l'exemple de "Solidarité", par l'exemple de Lech Walesa, et de quelques autres grands Européens, comme Jean Paul II et Vaclav Havel.
La liberté, la démocratie, la justice, le respect de la personne humaine et de sa dignité sont des valeurs que nous, Européens, devons continuer de les porter et de les défendre partout dans le monde. C'est le message que je suis venu porter ici, à Gdansk, au nom de l'Union européenne.
Q - Les propos tenus à Nice durant le Sommet Union européenne-Russie sur le projet de bouclier anti-missile ont entraîné certaines interrogations concernant le sens et l'avenir de la défense européenne : quelle est la place de l'OTAN et des Etats-Unis dans la défense européenne ?
R - Il est normal que les Européens s'interrogent sur les meilleures solutions pour assurer leur sécurité et celle de leurs alliés. Je me suis clairement exprimé sur la question de la défense anti-missile. Comme je l'ai dit au sommet de l'OTAN à Bucarest, elle peut apporter un complément utile a la dissuasion nucléaire face à des frappes limitées. La décision du déploiement de ce dispositif défensif dépend bien entendu des Etats concernés, en l'occurrence de la Pologne, de la République tchèque et des Etats-Unis. Mais il me paraît naturel que des pays partenaires et alliés, notamment des pays qui sont à la fois membres de l'Union européenne et de l'OTAN puissent discuter de façon ouverte de l'ensemble de ces questions.
Par ailleurs, l'Union européenne est engagée depuis des années dans la construction d'une politique étrangère et de sécurité commune. Le renforcement de la PESD est une des priorités de la Présidence française. Nous devons faire beaucoup plus pour que les Européens se dotent des capacités, en particulier militaires, pour réaliser des opérations répondant aux crises et pour que se renforcent les industries de défense européenne. Je crois que sur ce point, il existe un véritable consensus, en particulier entre la France et la Pologne. Nos soldats sont d'ailleurs engagés côte à côte dans plusieurs opérations importantes.
Je suis convaincu que le développement des capacités de défense européenne contribue à renforcer l'OTAN. L'Alliance atlantique est essentielle pour notre sécurité, en particulier celle du continent européen. Elle est fondée sur un engagement collectif de défense mutuelle. Le développement de l'Europe de la défense se fait naturellement en complémentarité avec l'OTAN. Pour une raison simple: nous sommes membres de deux organisations et l'idée même de concurrence entre les deux n'a aucun sens. Je crois d'ailleurs que nos alliés américains ont tout intérêt à une défense européenne forte, qui développe ses capacités militaires. C'est d'ailleurs ce qu'a dit le président Bush au Sommet de Bucarest.
Q - La politique étrangère russe semble, comme cela a été le cas en Géorgie, se faire parfois par la diplomatie du canon, ou encore ailleurs, par pression sur les ressources énergétiques comme le gaz. Comment gérer les rapports avec la Russie qui est liée de part l'histoire récente, douloureuse, à une grande partie des pays d'Europe Centrale, ainsi que géographiquement proche, limitrophe dans le cas polonais ?
R - L'Union européenne a réagi avec une rapidité et une efficacité exceptionnelle lors de la crise russo-géorgienne de l'été. Lorsque je me suis rendu à Moscou puis à Tbilissi, quatre jours seulement après le début des affrontements, je l'ai fait en tant que président en exercice de l'Union, et au nom de tous les Etats membres. Et je crois que tout le monde reconnaît aujourd'hui que l'engagement de l'Union a été absolument décisif dans le règlement de ce conflit. En quelques jours seulement, nous sommes parvenus à un accord, qui a permis l'arrêt des hostilités et le lancement d'un processus de retrait des troupes sur les lignes antérieures au déclenchement du conflit. Jamais auparavant l'Europe n'avait joué un rôle aussi déterminant dans une crise de cette nature.
L'Union européenne a depuis déployé des observateurs sur le terrain. Nous apportons également un soutien important à la reconstruction de la Géorgie. Un processus de négociation politique a été engagé à Genève, sous les auspices de l'Union européenne, des Nations unies, et de l'OSCE. La Russie a rempli une très large part de ses engagements. Certes, nous ne sommes pas au bout du chemin, mais les choses se sont nettement améliorées depuis l'été.
Une leçon de cette crise, pour nous, Européens, c'est que nous ne sommes jamais aussi forts que lorsque nous sommes solidaires. C'est parce qu'elle était unie que l'Europe a pu à ce point peser sur le cours des événements et faire bouger les lignes. Nous devons absolument poursuivre dans cette voie.
Au-delà de cette crise, nous devons réfléchir, ensemble, avec tous nos partenaires européens, aux relations que nous voulons avoir avec la Russie. Vous évoquez l'histoire douloureuse et la sensibilité particulière de ce grand pays £ j'y ai toujours été attentif, car je suis convaincu que nous ne pourrons construire une relation solide, confiante et équilibrée avec la Russie que si nous savons en tenir compte. Mais en tenir compte ne veut pas dire qu'il faille renoncer à nos convictions ou à nos valeurs. Pour ne prendre que l'exemple géorgien, j'ai toujours été très clair sur l'importance que nous, Européens, attachions à ce que la solution à ce conflit respecte le principe d'intégrité territoriale et les principes du droit international. Sur cette question comme sur toutes les autres, nous devons mener, avec nos partenaires russes, un dialogue sincère et exigeant.
Nous, Européens, avons des intérêts politiques, économiques et énergétiques que nous devons défendre. Nous avons des exigences en matière de sécurité que nous devons expliquer. C'est dans cet esprit que s'est déroulé le Sommet Union européenne-Russie de Nice. Et c'est dans cet esprit que j'ai proposé un sommet sur la sécurité du continent européen dans le cadre de l'OSCE. Alors que l'Union européenne dispose d'une politique de défense et de sécurité reconnue, alors que la solidité de l'Alliance atlantique dont nous allons bientôt fêter les 60 ans n'est plus à prouver, nous ne perdons rien à ouvrir un dialogue avec notre partenaire russe sur des questions aussi importantes pour nous que la sécurité de notre continent.
Q - Le Sommet du G20 à Washington a mis l'accent sur la nécessité d'apporter une "réponse politique plus large, fondée sur une coopération macroéconomique plus étroite, pour restaurer la croissance." Que pensez-vous des différentes initiatives proposées concernant la relance de la machine économique et quelle est l'approche à privilégier à un niveau européen ?
R - Le G20 de Washington, proposé par l'Union européenne, a marqué un tournant historique. Face à ce qui est la plus grave crise financière que nous ayons connue depuis celle des années 1930, les grandes économies mondiales ont décidé de réagir de manière coordonnée et concertée.
Ce G20 a finalement permis l'adoption d'un plan d'action ambitieux et concret, puisque nous nous sommes mis d'accord sur la nécessité d'une relance au niveau mondial, sur la mise en place d'une nouvelle régulation des marchés financiers, sur l'introduction d'une nouvelle gouvernance économique mondiale, plus ouverte aux pays émergents, et enfin sur le refus du protectionnisme. Cette réunion a ainsi débouché sur des avancées considérables : la mise sous surveillance des agences de notation, de codes de conduite dans les banques sur la rémunération des opérateurs, la suppression des lacunes dans le domaine de la régulation, une revue des normes comptables et prudentielles. Nous avons également décidé d'ouvrir le Forum de stabilité financière aux pays émergents.
Les mesures sur lesquelles nous nous sommes entendus à Washington sont extrêmement précises et concrètes, et ont fait mentir ceux, et ils étaient un certain nombre, qui nous expliquaient que ce sommet ne déboucherait sur rien. Nous aurons d'autres réunions internationales sur tous ces sujets dans les mois qui viennent, et je ne doute pas qu'elles permettront, elles aussi, des avancées tout aussi significatives.
Concernant la réponse européenne à la crise, il n'était évidemment pas question que tout le monde adopte les mêmes mesures £ cela n'aurait pas eu de sens, car les situations nationales sont différentes. L'idée, en revanche, c'était de mettre en place une boîte à outils qui permette à chacun de choisir les outils adaptés à sa situation propre, c'est-à-dire les mieux à même de répondre aux besoins de son économie £ et que cela se fasse de manière concertée avec les autres Etats membres. Et c'est ce que nous sommes en train de faire.
C'est dans ce cadre que j'ai annoncé jeudi un plan de relance extrêmement ambitieux pour l'économie française, comportant des investissements massifs de l'Etat mais également des entreprises publiques et des collectivités territoriales, qui permettra d'accélérer la modernisation de notre pays, notamment dans le secteur des infrastructures et de la recherche. Ce plan prévoit également un soutien à l'industrie automobile, durement touchée par la crise, et au secteur du logement, ainsi qu'un renforcement des politiques de l'emploi. Tout cela s'inscrit parfaitement dans le cadre assez général qu'avait fixé la commission.
L'approche que nous avons privilégiée avec nos partenaires européens, est à la fois réaliste, ambitieuse et équilibrée, parce qu'elle respecte les situations particulières de chacun en même temps qu'elle met l'accent sur la coordination, indispensable, entre tous les Etats membres. Bien sûr, on doit désormais penser à de nouvelles étapes, à des contacts fréquents. Et en tout état de cause, les pays européens qui participent au G20 devront continuer à y présenter un front uni et ambitieux.
Q - Concernant le Traité de Lisbonne, malgré les efforts notables faits durant la Présidence française de l'Union européenne, le futur institutionnel de l'Union reste incertain. Pensez-vous réellement que le traité de Lisbonne ait encore un avenir et ce, juste avant la présidence tchèque, dont le parlement n'a toujours pas ratifié le texte? De plus, regrettez-vous l'absence à Gdansk du président Kaczy?ski, qui reste réticent à la ratification du traité attendant une réaction irlandaise?
R - Bien sûr que le Traité de Lisbonne a un avenir ! Je vous signale d'ailleurs que les parlements de vingt-cinq Etats membres sur vingt-sept ont approuvé le traité et que le parlement tchèque s'apprête à reprendre la procédure de ratification après l'avis positif rendu par la Cour constitutionnelle. Nous avons donc bien progressé. Cela s'explique par une raison simple : nous avons besoin de ce traité pour fonctionner efficacement à vingt-sept. Personne n'imagine un troisième texte après le projet de constitution et le Traité de Lisbonne. Les termes du débat sont donc clairs, ils sont connus de tous : ce sera soit Lisbonne, soit le retour au Traité de Nice, dont tout le monde reconnaît les insuffisances.
Reste à apporter des réponses aux inquiétudes exprimées par les électeurs irlandais en juin dernier. Nous y travaillons.
C'est, bien sûr, d'abord aux Irlandais de nous faire des propositions. Lors du dernier Conseil européen, Brian Cowen nous a expliqué ce qui s'était passé lors du référendum, et pourquoi le "non" l'avait emporté. Je connais la détermination du Taoiseach à convaincre ses compatriotes que l'Irlande n'aurait rien à gagner à s'isoler. Je suis sûr que, tous ensemble, nous saurons trouver une solution qui ne laisse personne au bord du chemin et qui permette de rassembler la famille européenne.
Quant à la Pologne, qui est un grand pays européen, je souhaite qu'elle soit à l'avant garde de la construction européenne. C'est dans l'intérêt de la Pologne et de l'Union. J'espère que le président Kaczynski parachèvera la procédure de ratification d'ici la fin de la Présidence française. Ce serait un geste d'amitié franco-polonaise auquel je serais personnellement sensible.
R - C'est avec beaucoup d'émotion que je me rends aujourd'hui à Gdansk. Car Gdansk, ce n'est pas seulement un haut lieu de l'histoire polonaise, c'est aussi un lieu de mémoire pour l'Europe tout entière £ cette l'Europe hier déchirée, aujourd'hui réunie et réconciliée.
Gdansk, c'est aussi le témoignage de la résistance à l'oppression totalitaire, c'est la grande aventure du syndicat "Solidarité", qui a été capable à la fois de vaincre le communisme et de jeter les bases de la démocratie. C'est ici, dans cette ville, qu'à l'aube des années 1980 est né le vent de liberté qui allait triompher du totalitarisme. Lech Walesa et ses compagnons, en luttant pour leurs droits les plus fondamentaux, ouvraient le chemin à un mouvement de contestation qui ne cesserait plus de grossir et finirait par emporter l'empire soviétique. Sans "Solidarité", sans l'engagement de Lech Walesa et de tous ses compagnons, la famille européenne n'aurait sans doute pas pu être réunie aussi vite.
En venant ici aujourd'hui, je veux rendre hommage à tous ceux qui se sont battus et continuent de se battre pour le respect des Droits de l'Homme, en Pologne, en Europe et dans le monde. J'appartiens moi-même à une génération qui a été nourrie par l'exemple de "Solidarité", par l'exemple de Lech Walesa, et de quelques autres grands Européens, comme Jean Paul II et Vaclav Havel.
La liberté, la démocratie, la justice, le respect de la personne humaine et de sa dignité sont des valeurs que nous, Européens, devons continuer de les porter et de les défendre partout dans le monde. C'est le message que je suis venu porter ici, à Gdansk, au nom de l'Union européenne.
Q - Les propos tenus à Nice durant le Sommet Union européenne-Russie sur le projet de bouclier anti-missile ont entraîné certaines interrogations concernant le sens et l'avenir de la défense européenne : quelle est la place de l'OTAN et des Etats-Unis dans la défense européenne ?
R - Il est normal que les Européens s'interrogent sur les meilleures solutions pour assurer leur sécurité et celle de leurs alliés. Je me suis clairement exprimé sur la question de la défense anti-missile. Comme je l'ai dit au sommet de l'OTAN à Bucarest, elle peut apporter un complément utile a la dissuasion nucléaire face à des frappes limitées. La décision du déploiement de ce dispositif défensif dépend bien entendu des Etats concernés, en l'occurrence de la Pologne, de la République tchèque et des Etats-Unis. Mais il me paraît naturel que des pays partenaires et alliés, notamment des pays qui sont à la fois membres de l'Union européenne et de l'OTAN puissent discuter de façon ouverte de l'ensemble de ces questions.
Par ailleurs, l'Union européenne est engagée depuis des années dans la construction d'une politique étrangère et de sécurité commune. Le renforcement de la PESD est une des priorités de la Présidence française. Nous devons faire beaucoup plus pour que les Européens se dotent des capacités, en particulier militaires, pour réaliser des opérations répondant aux crises et pour que se renforcent les industries de défense européenne. Je crois que sur ce point, il existe un véritable consensus, en particulier entre la France et la Pologne. Nos soldats sont d'ailleurs engagés côte à côte dans plusieurs opérations importantes.
Je suis convaincu que le développement des capacités de défense européenne contribue à renforcer l'OTAN. L'Alliance atlantique est essentielle pour notre sécurité, en particulier celle du continent européen. Elle est fondée sur un engagement collectif de défense mutuelle. Le développement de l'Europe de la défense se fait naturellement en complémentarité avec l'OTAN. Pour une raison simple: nous sommes membres de deux organisations et l'idée même de concurrence entre les deux n'a aucun sens. Je crois d'ailleurs que nos alliés américains ont tout intérêt à une défense européenne forte, qui développe ses capacités militaires. C'est d'ailleurs ce qu'a dit le président Bush au Sommet de Bucarest.
Q - La politique étrangère russe semble, comme cela a été le cas en Géorgie, se faire parfois par la diplomatie du canon, ou encore ailleurs, par pression sur les ressources énergétiques comme le gaz. Comment gérer les rapports avec la Russie qui est liée de part l'histoire récente, douloureuse, à une grande partie des pays d'Europe Centrale, ainsi que géographiquement proche, limitrophe dans le cas polonais ?
R - L'Union européenne a réagi avec une rapidité et une efficacité exceptionnelle lors de la crise russo-géorgienne de l'été. Lorsque je me suis rendu à Moscou puis à Tbilissi, quatre jours seulement après le début des affrontements, je l'ai fait en tant que président en exercice de l'Union, et au nom de tous les Etats membres. Et je crois que tout le monde reconnaît aujourd'hui que l'engagement de l'Union a été absolument décisif dans le règlement de ce conflit. En quelques jours seulement, nous sommes parvenus à un accord, qui a permis l'arrêt des hostilités et le lancement d'un processus de retrait des troupes sur les lignes antérieures au déclenchement du conflit. Jamais auparavant l'Europe n'avait joué un rôle aussi déterminant dans une crise de cette nature.
L'Union européenne a depuis déployé des observateurs sur le terrain. Nous apportons également un soutien important à la reconstruction de la Géorgie. Un processus de négociation politique a été engagé à Genève, sous les auspices de l'Union européenne, des Nations unies, et de l'OSCE. La Russie a rempli une très large part de ses engagements. Certes, nous ne sommes pas au bout du chemin, mais les choses se sont nettement améliorées depuis l'été.
Une leçon de cette crise, pour nous, Européens, c'est que nous ne sommes jamais aussi forts que lorsque nous sommes solidaires. C'est parce qu'elle était unie que l'Europe a pu à ce point peser sur le cours des événements et faire bouger les lignes. Nous devons absolument poursuivre dans cette voie.
Au-delà de cette crise, nous devons réfléchir, ensemble, avec tous nos partenaires européens, aux relations que nous voulons avoir avec la Russie. Vous évoquez l'histoire douloureuse et la sensibilité particulière de ce grand pays £ j'y ai toujours été attentif, car je suis convaincu que nous ne pourrons construire une relation solide, confiante et équilibrée avec la Russie que si nous savons en tenir compte. Mais en tenir compte ne veut pas dire qu'il faille renoncer à nos convictions ou à nos valeurs. Pour ne prendre que l'exemple géorgien, j'ai toujours été très clair sur l'importance que nous, Européens, attachions à ce que la solution à ce conflit respecte le principe d'intégrité territoriale et les principes du droit international. Sur cette question comme sur toutes les autres, nous devons mener, avec nos partenaires russes, un dialogue sincère et exigeant.
Nous, Européens, avons des intérêts politiques, économiques et énergétiques que nous devons défendre. Nous avons des exigences en matière de sécurité que nous devons expliquer. C'est dans cet esprit que s'est déroulé le Sommet Union européenne-Russie de Nice. Et c'est dans cet esprit que j'ai proposé un sommet sur la sécurité du continent européen dans le cadre de l'OSCE. Alors que l'Union européenne dispose d'une politique de défense et de sécurité reconnue, alors que la solidité de l'Alliance atlantique dont nous allons bientôt fêter les 60 ans n'est plus à prouver, nous ne perdons rien à ouvrir un dialogue avec notre partenaire russe sur des questions aussi importantes pour nous que la sécurité de notre continent.
Q - Le Sommet du G20 à Washington a mis l'accent sur la nécessité d'apporter une "réponse politique plus large, fondée sur une coopération macroéconomique plus étroite, pour restaurer la croissance." Que pensez-vous des différentes initiatives proposées concernant la relance de la machine économique et quelle est l'approche à privilégier à un niveau européen ?
R - Le G20 de Washington, proposé par l'Union européenne, a marqué un tournant historique. Face à ce qui est la plus grave crise financière que nous ayons connue depuis celle des années 1930, les grandes économies mondiales ont décidé de réagir de manière coordonnée et concertée.
Ce G20 a finalement permis l'adoption d'un plan d'action ambitieux et concret, puisque nous nous sommes mis d'accord sur la nécessité d'une relance au niveau mondial, sur la mise en place d'une nouvelle régulation des marchés financiers, sur l'introduction d'une nouvelle gouvernance économique mondiale, plus ouverte aux pays émergents, et enfin sur le refus du protectionnisme. Cette réunion a ainsi débouché sur des avancées considérables : la mise sous surveillance des agences de notation, de codes de conduite dans les banques sur la rémunération des opérateurs, la suppression des lacunes dans le domaine de la régulation, une revue des normes comptables et prudentielles. Nous avons également décidé d'ouvrir le Forum de stabilité financière aux pays émergents.
Les mesures sur lesquelles nous nous sommes entendus à Washington sont extrêmement précises et concrètes, et ont fait mentir ceux, et ils étaient un certain nombre, qui nous expliquaient que ce sommet ne déboucherait sur rien. Nous aurons d'autres réunions internationales sur tous ces sujets dans les mois qui viennent, et je ne doute pas qu'elles permettront, elles aussi, des avancées tout aussi significatives.
Concernant la réponse européenne à la crise, il n'était évidemment pas question que tout le monde adopte les mêmes mesures £ cela n'aurait pas eu de sens, car les situations nationales sont différentes. L'idée, en revanche, c'était de mettre en place une boîte à outils qui permette à chacun de choisir les outils adaptés à sa situation propre, c'est-à-dire les mieux à même de répondre aux besoins de son économie £ et que cela se fasse de manière concertée avec les autres Etats membres. Et c'est ce que nous sommes en train de faire.
C'est dans ce cadre que j'ai annoncé jeudi un plan de relance extrêmement ambitieux pour l'économie française, comportant des investissements massifs de l'Etat mais également des entreprises publiques et des collectivités territoriales, qui permettra d'accélérer la modernisation de notre pays, notamment dans le secteur des infrastructures et de la recherche. Ce plan prévoit également un soutien à l'industrie automobile, durement touchée par la crise, et au secteur du logement, ainsi qu'un renforcement des politiques de l'emploi. Tout cela s'inscrit parfaitement dans le cadre assez général qu'avait fixé la commission.
L'approche que nous avons privilégiée avec nos partenaires européens, est à la fois réaliste, ambitieuse et équilibrée, parce qu'elle respecte les situations particulières de chacun en même temps qu'elle met l'accent sur la coordination, indispensable, entre tous les Etats membres. Bien sûr, on doit désormais penser à de nouvelles étapes, à des contacts fréquents. Et en tout état de cause, les pays européens qui participent au G20 devront continuer à y présenter un front uni et ambitieux.
Q - Concernant le Traité de Lisbonne, malgré les efforts notables faits durant la Présidence française de l'Union européenne, le futur institutionnel de l'Union reste incertain. Pensez-vous réellement que le traité de Lisbonne ait encore un avenir et ce, juste avant la présidence tchèque, dont le parlement n'a toujours pas ratifié le texte? De plus, regrettez-vous l'absence à Gdansk du président Kaczy?ski, qui reste réticent à la ratification du traité attendant une réaction irlandaise?
R - Bien sûr que le Traité de Lisbonne a un avenir ! Je vous signale d'ailleurs que les parlements de vingt-cinq Etats membres sur vingt-sept ont approuvé le traité et que le parlement tchèque s'apprête à reprendre la procédure de ratification après l'avis positif rendu par la Cour constitutionnelle. Nous avons donc bien progressé. Cela s'explique par une raison simple : nous avons besoin de ce traité pour fonctionner efficacement à vingt-sept. Personne n'imagine un troisième texte après le projet de constitution et le Traité de Lisbonne. Les termes du débat sont donc clairs, ils sont connus de tous : ce sera soit Lisbonne, soit le retour au Traité de Nice, dont tout le monde reconnaît les insuffisances.
Reste à apporter des réponses aux inquiétudes exprimées par les électeurs irlandais en juin dernier. Nous y travaillons.
C'est, bien sûr, d'abord aux Irlandais de nous faire des propositions. Lors du dernier Conseil européen, Brian Cowen nous a expliqué ce qui s'était passé lors du référendum, et pourquoi le "non" l'avait emporté. Je connais la détermination du Taoiseach à convaincre ses compatriotes que l'Irlande n'aurait rien à gagner à s'isoler. Je suis sûr que, tous ensemble, nous saurons trouver une solution qui ne laisse personne au bord du chemin et qui permette de rassembler la famille européenne.
Quant à la Pologne, qui est un grand pays européen, je souhaite qu'elle soit à l'avant garde de la construction européenne. C'est dans l'intérêt de la Pologne et de l'Union. J'espère que le président Kaczynski parachèvera la procédure de ratification d'ici la fin de la Présidence française. Ce serait un geste d'amitié franco-polonaise auquel je serais personnellement sensible.