26 mars 2008 - Seul le prononcé fait foi
Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, à la BBC le 26 mars 2008, notamment sur les relations franco-britanniques dans le cadre de l'Union européenne.
QUESTION - Monsieur le Président, quel type de relation pensez-vous que la France, sous votre direction, devrait avoir avec notre pays ? On a connu des hauts et des bas et tous les Présidents ont parlé des hauts, et bien sûr, c'est ce que vous allez dire, vous aussi. Mais comment décrire cette relation ?
LE PRESIDENT - Il y a une différence entre ce que disaient les autres Présidents et ce que je vais vous dire. C'est que, depuis que j'ai commencé à faire de la politique, j'ai toujours pensé la même chose : que le Royaume Uni et la France, nous devions travailler main dans la main. J'aime les Anglais. J'ai toujours pensé la même chose, que le Royaume Uni et la France devaient se faire confiance, que nos valeurs sont les mêmes, que nous partageons les mêmes interrogations, les mêmes espérances, que nous avons les mêmes adversaires. J'ai toujours pensé que l'Europe avait besoin du Royaume Uni. Je sais très bien que j'ai été souvent minoritaire en France à penser cela. Mais c'est une position constante de ma part. Je n'ai jamais réduit la politique européenne de la France à la seule amitié avec nos amis allemands. L'axe Paris-Berlin, c'est fondamental mais ce n'est pas suffisant. Je n'ai eu de cesse que de vouloir travailler avec Londres quand j'étais ministre de l'Intérieur, quand j'étais ministre des Finances et, aujourd'hui, maintenant que je suis Président de la République.
QUESTION - Comment allez-vous faire ou que faites-vous pour que cela se passe, en termes pratiques, dans les deux jours à venir ?
LE PRESIDENT - D'abord, j'ai une certaine expérience. Quand je suis devenu ministre de l'Intérieur, il y avait le problème de Sangatte. C'était un grave problème pour vous, les Anglais. J'ai été voir le ministre de l'Intérieur de l'époque, David BLUNKETT et c'est à ce moment-là que j'ai connu Tony BLAIR. J'ai dit aux Anglais : ce problème de Sangatte, est-ce que vous allez le régler tout seuls ? Non. Vous avez besoin des Français pour le régler. Et nous, les Français, pour régler Sangatte, est-ce que l'on va le régler tout seul ? Non. On a besoin des Anglais. Sur la défense, nous sommes les deux puissances nucléaires. Est-ce que nous ne devons pas travailler ensemble ? Nous sommes tous les deux, Grande-Bretagne et France, membres permanents du Conseil de sécurité. Il se trouve que nous avons la même vision de la nécessaire réforme des institutions internationales. Regardez ce qui s'est passé en matière économique, le manque de transparence. Gordon et moi, nous partageons les mêmes idées. Est-ce que vous ne croyez pas que le Royaume Uni et la France, on est plus fort si on travaille main dans la main, plutôt que si l'on s'exclut l'un l'autre ?
QUESTION - Vous parlez de réformer les institutions internationales, Monsieur le Président. Est-ce que cela signifie à votre sens, en tout cas, comme nous vous l'avons entendu dire, que la France reviendrait dans la structure de commandement de l'OTAN ? Mais, quand vous êtes à Washington et que vous voulez être amis avec les Américains comme vous travaillez la main dans la main avec l'Angleterre, vous entendez dire que ce n'est pas une réforme, mais une menace parce que ce serait une façon de détruire l'Alliance ou, en tout cas, de la miner telle qu'ils la connaissent depuis la Deuxième Guerre mondiale et, comme vous le savez, c'est un problème pour Gordon BROWN. Comment contourner ce problème ?
LE PRESIDENT - D'abord, nous ne sommes pas les mêmes. C'est votre Reine qui a dit : « vive la différence ». Et c'était une magnifique formule. Mais, en même temps, je ne dis pas que c'est soit l'OTAN, soit l'Europe de la défense, cela doit être les deux ensemble. Nous avons besoin de l'OTAN et nous réfléchissons à l'évolution de nos rapports à l'OTAN. Mais, en même temps, nous avons besoin de l'Europe de la défense. J'ai été devant le Congrès des États-Unis défendre cette idée, et cette idée a été comprise de nos amis américains. Je connais l'alliance historique entre le Royaume Uni et les Etats-Unis d'Amérique, mais il se trouve que, moi, je suis un ami des États-Unis d'Amérique. Pourquoi s'opposer là-dessus et pourquoi ne pas travailler ensemble ? Qui peut penser que l'on peut construire l'Europe de demain sans la Grande-Bretagne ? Qui peut penser que la Grande-Bretagne pourra vivre seule, ignorante de l'Europe qui est à trente kilomètres de son île ? Mais qui peut penser une chose pareille ? Chacun aura besoin de l'autre. Vous savez, moi, j'ai compris avec l'Europe qu'on ne peut pas réussir tout seul. On a besoin des autres. Angela MERKEL ne peut pas réussir toute seule. Gordon BROWN ne peut pas réussir tout seul. Et demain, quel que soit le leader britannique, il aura besoin des autres. Mais nous, comment pourrions-nous nous passer de votre économie qui est forte, de votre langue qui est la première langue du monde, de votre défense qui est, avec la France, la plus importante d'Europe ? Je veux une nouvelle fraternité franco-britannique.
QUESTION - J'aimerais revenir à la question européenne dans quelques instants. Mais en particulier sur l'OTAN et la défense, allez-vous envoyer plus de troupes en Afghanistan ? Est-ce que c'est quelque chose que vous allez annoncer pendant votre visite ?
LE PRESIDENT - Ecoutez d'abord, est-ce que l'on peut se permettre, nous, l'Alliance, les alliés, de perdre en Afghanistan ? La réponse est non. Parce qu'en Afghanistan se joue une partie de la lutte contre le terrorisme mondial, donc on doit gagner. Deuxièmement, faut-il une nouvelle stratégie en Afghanistan qui fasse, par exemple, plus confiance aux Afghans ? La réponse est oui. Troisièmement, est-ce que la seule réponse, en Afghanistan, c'est la réponse militaire ? La réponse est non. Quatrièmement, est-ce que la France veut partir, la réponse est non. Mais elle demande à ses alliés : êtes-vous prêts à rester ? C'est un engagement de longue durée. Et si ces conditions sont réunies, pourquoi ne pas y aller plus nombreux ?
QUESTION - Il est clair que La France a une attitude différente sur le plan symbolique et presque affectif par rapport aux troupes. L'engagement vis-à-vis de l'OTAN, son engagement dans d'autres régions du monde, est-ce que c'est un message que vous voulez faire passer à la Grande-Bretagne et à l'Europe et au reste du monde, Monsieur le Président ?
LE PRESIDENT - Mais écoutez, je suis Président d'un pays qui a voté non à la Constitution européenne. Pas un petit non, je le dis aux Anglais qui nous écoutent ce matin, à 55%. Alors que moi, j'avais voté oui. Pourtant j'ai été élu avec 53%. Donc, j'ai entendu le message. Les gens veulent une autre Europe, mais nous sommes en train de la construire, grâce au Traité simplifié que nous avons tous adopté. J'ai envie de dire aux Anglais : eh bien, aidez-nous à construire cette Europe différente. Mais pour que cette Europe soit vraiment différente, il faut que vous soyez dedans ! Parce que, comment voulez-vous qu'elle soit différente si vous n'êtes pas dedans ? Ce message je veux l'adresser à la fois aux Anglais qui aiment l'Europe et aux Anglais eurosceptiques. Si vous voulez peser sur les affaires de l'Europe, eh bien ayez les deux pieds dans l'Europe. Comment voulez-vous peser si vous n'êtes pas dans l'Europe ? Ce que je dis, j'ai une certaine crédibilité pour le dire, puisque je viens d'un pays qui, encore une fois, a voté non. J'ajoute qu'avant les élections, j'ai dit aux Français que je ne ferai pas de référendum. Pourquoi ? Parce que, pour moi, l'Europe était tellement importante, que je devais prendre mes responsabilités avant les élections. Oui, on a besoin de vous, les Anglais, à l'intérieur de l'Europe.
QUESTION - Mais, si ce souhait doit se faire, Monsieur le Président, il faut que vous emportiez la majorité avec vous. Et, comme vous l'avez dit, certaines personnes ont un peu perdu l'espoir dans les institutions européennes. Et, beaucoup de gens qui vous écoutent en ce moment se diront en Grande-Bretagne et même en France : donnez-nous l'opportunité de voter sur le traité, pourquoi pas ?
LE PRESIDENT - Ecoutez, d'abord ce traité il respecte les différences. Personne ne demande à la Grande-Bretagne, au Royaume Uni de changer son identité propre. Gardez votre langue, gardez votre culture, défendez vos intérêts, c'est justement ce que nous voulons en France. Mais franchement, grâce au Traité simplifié, on va faire une politique de l'immigration commune, est-ce que vous croyez que l'on n'en pas besoin, amis anglais ? Est-ce que vous pensez qu'on peut réguler les vagues migratoires d'Europe de l'Est, d'Afrique, les uns contre les autres, ou bien est-ce que l'on peut les réguler ensemble ? La première priorité de la Présidence française sera un pacte européen pour l'immigration. Est-ce que ce n'est pas nécessaire ? Deuxième élément, la lutte contre le terrorisme, on a les mêmes ennemis, est-ce qu'on n'a pas besoin de travailler ensemble ? Troisième élément, et je partage cette ambition avec Gordon BROWN, la protection de la planète. C'est le modèle européen qui doit se trouver à la tête du combat mondial pour préserver les équilibres de la planète. Quatrième exemple, la nécessité de la régulation de l'économie de marché, la transparence financière, la moralisation du capitalisme financier. Travaillons ensemble, on sera beaucoup plus forts.
QUESTION - Mais il faut que les choses se fassent. Javier SOLANA a dit au dirigeants européens l'autre jour, qu'une des conséquences du changement climatique tel que vous en avez parlé, pourrait être une vague massive migratoire en provenance d'Afrique du Nord. Alors, comment, en termes pratiques, pouvons-nous gérer cela, vous et nous en Grande-Bretagne ?
LE PRESIDENT - D'abord, il faut qu'on fasse une politique européenne de l'immigration. Deuxièmement, et c'est un engagement des Anglais aussi, il faut que l'on aide l'Afrique à se développer. Il y a 475 millions de jeunes Africains qui ont moins de 17 ans. Si l'Afrique ne se développe pas, on ne pourra pas. Troisièmement, c'est le projet d'Union pour la Méditerranée, que j'essaie de construire. Parce que l'on a besoin d'associer les pays d'où viennent les vagues migratoires à la politique d'immigration que l'on se définit. Eh bien, pour tous ces sujets, on a besoin de l'Europe. L'Europe ne remet pas en cause notre identité, elle la protège. Mais je comprends l'euroscepticisme. Encore une fois, je viens d'un pays où cela existe. Certains de mes collaborateurs sont eux-mêmes des eurosceptiques. Et j'ai dû faire la synthèse de tout cela pour faire changer l'Europe, parce que l'Europe était devenue trop technocratique, l'Europe ne parlait pas assez de politique, mais je vais même vous dire mieux, le Traité simplifié ce n'est pas un fin en soi, c'est un moyen pour donner du contenu à une politique européenne.
QUESTION - Est-ce que vous pensez que Tony BLAIR est un Président potentiel pour l'Europe ?
LE PRESIDENT - Tony BLAIR est un homme d'État qui a rendu de grands services à l'Europe. Je vais être bientôt le Président de l'Union européenne. Je suis le dernier à pouvoir m'exprimer sur les qualités des uns et des autres mais c'est un homme pour qui j'ai beaucoup d'admiration et beaucoup d'amitié. D'ailleurs, je voudrais dire que la classe politique britannique, vue du continent européen, a nombre d'hommes de qualité, des hommes jeunes, des hommes et des femmes qui comptent et ce que l'on veut nous en Europe, c'est travailler avec eux quels qu'ils soient. Je n'ai pas à m'immiscer dans la politique intérieure britannique mais je dis à tous les hommes politiques britanniques : vous aimez votre île, tant mieux, je comprends, mais travaillez avec nous parce que nous avons besoin de vous et peut-être que vous un jour, vous aurez également besoin de nous.
QUESTION - Donc, vous nous dites qu'une Présidence à la SARKOZY apporte quelque chose à la Grande-Bretagne, quoi exactement ?
LE PRESIDENT - Non, je ne dis pas qu'une Présidence... non, je n'ai pas cette prétention. Je vais vous dire une chose : ce que vous avez fait sur les vingt dernières années au Royaume Uni est exceptionnel. Vous avez modernisé votre économie, vous avez dynamisé votre société. D'une certaine façon, vous nous avez montré le chemin sur la flexicurité. Vous avez réussi, gauche et droite, Margaret THATCHER et Tony BLAIR, à continuer sur le chemin des réformes. Vous nous avez apporté beaucoup, on a besoin de vous. A partir de ce moment-là, il faut faire évoluer l'Europe. Vous êtes un pays de 62 millions d'habitants, pour faire évoluer l'Europe d'après vous est-ce qu'il faut se mettre à l'extérieur de l'Europe ou il faut se mettre à l'intérieur de l'Europe ? Moi, je dis mettez-vous à l'intérieur de l'Europe, on a besoin de vous, on a besoin de votre force, on a besoin de votre potentiel, on a besoin de votre dynamisme. J'ajoute et permettez-moi ce clin d'oeil que Londres étant devenue la 7ème ville française, c'est une façon de rassembler toute la France que d'appeler le Royaume Uni à intégrer pleinement et à prendre toute sa place en Europe.
QUESTION - On ne va pas parler d'Arsenal, n'est-ce pas ?
LE PRESIDENT - Et pourquoi ?
QUESTION - Ce qui est intéressant, Monsieur le Président, s'agissant de vous bien sûr, c'est que vous venez d'ailleurs, vos origines se trouvent en Europe centrale du Sud et vous êtes venu en Europe occidentale comme aucun de vos prédécesseurs. Quelle importance est-ce que cela a eu dans l'idée que vous vous faites de l'avenir de l'Europe et de l'Alliance transatlantique ?
LE PRESIDENT - D'abord, vous savez, venir de l'Europe de l'Est cela m'a amené à beaucoup de tolérance à l'endroit des derniers venus dans la famille. Je crois que la réunification de l'Europe c'était une très bonne chose. Deuxièmement, je comprends l'état d'esprit de ces pays d'Europe de l'Est qui ont eu le sentiment qu'on les avait abandonnés de l'autre côté du mur de Berlin pendant tant d'années et je comprends le lien qu'ils ont avec les Etats-Unis. Ils se disent : "Les Etats-Unis, c'est notre sécurité, l'Europe, c'est notre prospérité." Mais on a besoin d'eux parce qu'ils sont la jeunesse de l'Europe, parce qu'ils ont du dynamisme. Je ne fais pas deux catégories en Europe, les vieux pays européens comme le Royaume Uni et la France qui auraient le droit de parler et les nouveaux qui auraient moins le droit de parler. Pour moi c'est une chance, c'est un espace de prospérité et de progrès et, par ailleurs, je ne vois pas l'Europe comme une machine à se méfier des Etats-Unis, nous bordons le même océan. Je suis l'ami des États-Unis, je n'ai eu aucun mal à le dire avant l'élection et après l'élection. C'est la première démocratie du monde, c'est une réussite considérable mais il faut avoir la liberté de dire aux États-Unis que l'on n'est pas d'accord sur tout. Mais les États-Unis devraient prendre la tête du combat pour la protection de la planète, je veux dire sur la question environnementale. Je le leur ai dit mais, pour autant, cela ne remet pas en cause cette alliance historique qu'il y a entre eux et nous. Nous sommes des amis, des amis indépendants et je comprends parfaitement que la Grande-Bretagne veuille garder un lien particulier avec les États-Unis mais cela n'empêche pas la Grande-Bretagne d'avoir toute sa place en Europe. Moi, voyez-vous, je n'ai jamais eu de méfiance à l'endroit des Anglais, jamais. Je mets au défi quiconque de trouver la moindre de mes déclarations exprimant la plus petite réserve à l'endroit du Royaume Uni. Vous voyez, c'est un grand honneur qui m'est fait de parler devant le Parlement anglais, d'être reçu par la Reine et je le prends comme une responsabilité historique. L'Entente cordiale, moi je suis pour l'Entente amicale ! La cordialité, cela ne suffit pas. Je veux parler aux Anglais de l'amitié. Écoutez, cela fait suffisamment de temps maintenant que l'on ne se fait plus la guerre, que l'on ne se dispute plus, on peut peut-être passer de la cordialité à l'amitié ! En tout cas, c'est le message. Et puis un deuxième message, cette amitié, je ne veux pas simplement que ce soit sur les principes. Je veux que cela soit concret.
L'économie, l'immigration, la sécurité, la défense, oui, j'ai l'ambition de travailler avec les Anglais, main dans la main, contre personne. Cela ne remet pas en cause la nécessité d'un axe Paris-Berlin. Cela la complète, voilà la vérité des choses. Et moi, je ne fais aucun reproche aux Anglais, d'abord je ne me permettrais pas d'avoir une part d'euroscepticisme. Nous, on doit prendre en compte cette méfiance qu'il y a parfois dans votre pays à l'endroit de l'Europe. Non pas pour l'exacerber, mais pour y répondre. Et pour dire aux Anglais : vous avez plus d'importance en Europe que vous ne l'imaginez vous-mêmes. Nous ne vous demandons pas de venir en Europe en renonçant à ce que vous êtes, nous vous demandons de nous apporter tout ce que vous avez construit et ce n'est pas rien.
QUESTION - Est-ce que vous êtes influencé par cette vision par le fait que votre père qui a quitté la Hongrie longtemps avant votre naissance aurait pu choisir d'aller aux États-Unis ou même en Angleterre ? Vous pourriez être Britannique, Monsieur le Président !
LE PRESIDENT - Je ne sais pas ce qu'il en aurait été de ma propre vie, mais moi je vais vous dire : je viens souvent à Londres et je sais bien que Londres ce n'est pas toute la Grande-Bretagne, mais j'ai l'impression qu'on est si proches. On a l'habitude d'insister sur nos différences. Mais enfin, moi, je vais vous dire une chose. Bien sûr, il y en a certaines qui sont visibles mais on aime la même musique, on aime les mêmes auteurs. On a les mêmes adversaires à travers le monde. On a les mêmes aspirations. Vous avez commencé les réformes avant nous et mieux que nous, et pour moi cela a été une source d'inspiration. Vous avez rajeuni votre classe politique. Je pense à M. CAMERON et je pense à Tony BLAIR quand il était en charge. Je pense au leader du parti libéral. Vous avez été l'une des premières démocraties parlementaires dans le monde. Je ne vois pas le fossé qui nous sépare, je ne vois que de la proximité. Nous aimons votre musique. Nous aimons vos acteurs. Nous aimons votre cinéma. Nous aimons votre littérature. Alors évidemment dans le passé, on s'est beaucoup affrontés. Dites-moi quel est le pays européen avec lequel nous ne nous sommes pas affrontés, peut-être la Pologne, en tout cas, je parle pour la France. On s'est affrontés avec les Allemands, cela ne nous empêche pas d'être amis aujourd'hui. Alors qu'est-ce qui nous empêcherait d'aller un peu plus loi que l'Entente cordiale ? L'Entente cordiale, cela ne me va pas. Moi, je veux une nouvelle fraternité franco-britannique. Une réelle amitié et, croyez bien, c'est en Président de la République française, ami, profondément ami du Royaume Uni, que je viens et même admirateur de beaucoup du travail que vous avez fait. Et, peut-être que n'étant pas Anglais moi-même, je peux le dire avec une certaine force et je ne parle pas que de football et je ne parle pas que d'Arsenal même si, quand même, la vérité oblige à dire qu'on vous a donné un sacré coup de main en vous envoyant Arsène WENGER.
QUESTION - Monsieur le Président, vous parlez souvent en tant qu'enfant des années 50. Vous avez un style différent, vous êtes beaucoup plus jeune que n'importe lequel de vos prédécesseurs et ce style, votre style personnel, vous a posé des difficultés sur le plan politique. Nous le savons grâce aux sondages, aux élections municipales. Mais est-ce que vous trouvez qu'en tant que Président de cette République, il faut que vous changiez au fur et à mesure d'une manière à laquelle vous ne vous attendiez pas ?
LE PRESIDENT - D'abord, il faut toujours écouter ce que l'on vous dit. Et moi, je ne suis pas le genre d'homme à écouter les compliments et à mépriser les critiques. Je tiens compte des deux. Les compliments, il faut dire que ces derniers temps, j'ai du moins en tenir compte : il y en avait moins. Mais j'en ai eu tellement pendant des années. Donc, je tiens compte de ce qu'on me dit. Mais franchement, si la seule chose que l'on a à me reprocher, c'est le style, cela veut donc dire sur le fond qu'il n'y a rien à me reprocher ? Alors, je dis à mes amis britanniques que la France est en train de changer. Parce que l'on fait les réformes que l'on aurait dû faire depuis trente ans. Cela fait dix mois que je suis Président de la République et je dis à la Grande-Bretagne une chose : je n'ai retiré aucun de mes projets de réforme. Je n'ai reculé sur aucun sujet. J'ai mené toutes les réformes que j'avais promises comme j'avais dit que je le ferai. Alors, s'il y a un problème de style, j'espère que vous apprécierez l'habit que j'ai fait faire pour la soirée royale...
QUESTION - Vous avez parlé d'une Entente amicale. Qu'allez-vous y mettre et que souhaitez-vous que Gordon BROWN y mette ?
LE PRESIDENT - Encore une fois, je n'ai pas à faire de l'ingérence dans la politique britannique. Il se trouve que je connais Gordon BROWN comme je connais David CAMERON et d'ailleurs j'aime beaucoup ce comportement très civilisé de la politique britannique où personne n'est choqué que l'on reçoive le leader de l'opposition ou le leader de la majorité.
Mais j'ai confiance en Gordon BROWN, parce que c'est un homme que je connais, nous avons travaillé ensemble comme ministre des Finances. Il a été un très bon ministre des Finances. Certainement l'un des meilleurs avec un espagnol, Rodrigo RATO. Il est socialiste, je ne suis pas socialiste mais cela ne m'empêche pas de regarder les choses. Je vais dire à Gordon BROWN - et puis demain, je travaillerai avec celui que les Britanniques auront choisi, Gordon BROWN ou un autre - je vais lui dire, essayons de poser les bases d'un travail concret. Par exemple, sur la défense, on est les deux pays qui dépensons le plus. Est-ce que l'on ne peut pas rassembler nos industries d'armement pour moins dépenser d'argent et être plus efficace ? Par exemple, sur l'immigration, moi je n'ai pas vocation à ce que l'on soit les garde-frontières de la Grande-Bretagne. Est-ce que l'on ne peut pas définir ensemble une politique de l'immigration ? Par exemple, sur l'économie, est-ce que l'on ne peut pas peser ensemble sur nos amis américains pour que le dollar remonte - ce qui est un problème ? Pour que les agences de notation aient des règles de transparence beaucoup plus contraignantes. Par exemple, sur les institutions internationales, moi je vous dis une chose : nous sommes dans le XXIème siècle et nous avons les institutions internationales du XXème siècle. Il est peut-être temps de les changer. Est-ce que l'on ne peut pas porter, Anglais et Français, un même message ? Moi, je ne fais aucun procès aux dirigeants anglais d'avoir le regard tourné vers les Etats-Unis. Il se trouve que j'ai reçu M. Mc CAIN, que je connais M. OBAMA, mais ce n'est pas parce que vous êtes amis des Américains que vous ne devez pas regarder à votre Est, vous aussi vous avez des amis à l'Est. Et je pense que concrètement, on peut travailler ensemble et je suis très sensible aux attentions qui nous sont réservées et bien sûr par la Reine - naturellement je le lui dirai - mais aussi par le Premier ministre. Et aller faire la conférence de presse à Arsenal, c'est un clin d'oeil qui m'a beaucoup touché comme moi j'ai été heureux de le recevoir pour la finale de la Coupe du monde, même si cela n'a pas donné tous les résultats qu'espéraient nos amis anglais.
Et j'aimerais tant qu'on comprenne qu'on a des choses à faire ensemble. Pas pour après-demain, pour tout de suite. Pas pour demain, pour maintenant. Et j'aimerais qu'on comprenne que ce qui nous sépare, ce sont des malentendus, c'est artificiel par rapport à tout ce que nous avons à faire ensemble et tout ce que nous avons à nous apporter.
Vous le voyez, pour moi, cette visite d'Etat est importante.
QUESTION - Dernière question, Monsieur le Président, pour rebondir sur ce que vous venez de dire. A votre avis, que pensez-vous que la plupart des Britanniques pensent de la France ? Et qu'aimeriez-vous qu'ils pensent de la France ?LE PRESIDENT - Last question but not the least ! Moi, je ne sais pas, j'aimerais que les Britanniques aiment mon pays et qu'ils le voient avec les lunettes d'aujourd'hui, pas les lunettes d'hier. J'aimerais qu'ils le voient pas simplement comme un pays où il fait bon vivre mais aussi comme un pays d'intelligence, de haute technologie, comme un pays qui a faim de l'avenir, comme un pays qui va porter la paix et la stabilité dans le monde, comme un pays à qui on peut faire confiance. J'aimerais que vous nous voyiez comme des alliés historiques pour le futur, comme des amis définitifs. Et j'aimerais que vous preniez votre part de la construction de l'Europe de demain qui réconciliera les institutions européennes avec les Européens. Et dans l'Europe, oui, pour moi, il y a votre pays. Décidément, je veux terminer par là où j'ai commencé £ c'est important de venir à Londres pour moi.